Chapitre Précédent

Index

Conclusion

Les connaissances produites, dans le cadre de cette recherche, à propos de l'expérience du volontaire se concentrent dans les chapitres 6 et 7. Ses principaux apports résident dans :

- la mise à jour d'un processus à travers lequel l'implication du volontaire s'actualise, accédant à des propriétés différentes de celles caractérisant les anticipations précédant le départ.

- dans la construction de types-idéaux décrivant différentes modalités de convocation des engagements qui composent l'implication à long terme.

Le concept de convocation nous permet de souligner les contingences qui caractérisent le passage d'un engagement, à travers lequel le volontaire se positionne par rapport à la situation dans son ensemble, à son intégration dans le cadre des activités cognitives mises en oeuvre pour poser et résoudre les problèmes définissant la "situation présente". Ces modes sont, d'un point de vue strictement cognitif, tous égaux. Ils permettent au volontaire d'agir, en dépit des ambiguïtés et des contradictions inhérentes aux projets de développement. Nous faisons cependant valoir les formes de maturité qui caractérisent le type "discernement".  

Cette conclusion a pour objectif de capitaliser les apports produits au fur et à mesure des différents chapitres : de souligner les limites de cette recherche et d'explorer les perspectives, par ailleurs, ouvertes.

Nous commençons par préciser en quoi, les deux composantes du modèle, bien que, dans leurs formes relativement générales, décrivent des phénomènes caractéristiques de l'expérience du volontaire et, dans une certaine mesure, spécifiques. Pour ce faire, nous situons cette expérience par rapport à celles des salariés expatriés et des bénévoles. Au delà des similitudes effectivement constatées, nous concluons à la spécificité du "volontariat humanitaire".

Nous abordons ensuite la portée de cette recherche en termes de gestion. Au delà de la validité scientifique des connaissances produites, nous questionnons leur compatibilité avec les représentations des acteurs. Nous revenons notamment sur ce que, suite à cette analyse, il reste de l'altruisme signifié par les volontaires.

L'un des principaux apports de cette recherche au niveau pratique réside dans les éléments de réponse apportés aux difficultés qu'éprouvent nos interlocuteurs à distinguer ce qui relève de la responsabilité de l'association et de celle du volontaire. Nous faisons valoir le caractère contingent des capacités du volontaire à assumer les responsabilités que souhaite lui confier l'association ; elles émergent du processus implicationnel. Partant de là, nous préconisons la conjugaison d'un dispositif visant à accompagner ce processus et d'une autonomie conditionnelle allant dans le sens d'une responsabilisation plus progressive. Ce passage par les contingences de l'implication pourrait aider le volontaire à devenir plus rapidement et plus systématiquement opérationnels, la maturité ce faisant acquise constituant, par ailleurs, une valeur ajoutée au capital humain.

La portée pratique des connaissances produites par cette recherche nous permet de faire valoir le caractère "plus qu'exploratoire" de ce travail. Nous ressentons cependant, à l'issue de cette recherche, le besoin et l'envie d'aller plus loin et de valider une partie des résultats obtenus suivant une démarche hypothético-déductive. Nous proposons, dans cette perspective, plusieurs séries d'hypothèses relatives aux associations et à l'implication. Nous nous attachons plus particulièrement à l'hypothèse selon laquelle "l'implication discernée" serait corrélée à une impossibilité de prédire les choix de l'individu face à des problèmes concrets.

1. Transférabilité et spécificités des connaissances produites.

Le processus implicationnel (rappel)

Le processus implicationnel mis à jour dans le cadre de cette recherche se caractérise par la succession de quatre phases : l'anticipation, la projection, la confusion et l'ajustement.

1. La phase d'anticipation : le futur volontaire se définit par rapport à la situation qu'il s'apprête à rejoindre, en confrontant les données dont il dispose à son sujet et les aspirations qui le poussent à partir. Cette définition intègre, entre autres, l'utilité, voire la nécessité de la démarche.

2. La phase de projection : le nouveau volontaire aborde la situation à travers une activité cognitive lui permettant de vérifier les prémisses sur lesquelles se fondent ses anticipations. Il tend, entre autres, à attribuer à ses hôtes des besoins plus marqués que ceux qu'eux-mêmes conçoivent.

3. La phase de confusion : à l'occasion d'un travail moins intense ou d'une maladie, le volontaire retrouve du recul et prend conscience des décalages existant entre ses anticipations et les données de la situation. La remise en cause de ses cadres de référence le laisse dans une confusion le faisant douter de l'intérêt de rester.

4. La phase d'ajustement : libéré de ses anticipations, le volontaire perçoit la situation sous un jour nouveau et reconstruit un positionnement plus compatible avec les données qu'il est désormais en mesure de percevoir. L'implication ainsi développée est plus réaliste, plus congruente et plus complexe que les précédentes.

Les modes de convocation de l'implication en situation (rappel).

Les modes de convocation correspondent à la façon dont le volontaire gère les multiples engagements qui composent son implication dans le cadre de la " situation présente ". Les engagements convoqués sont ceux auxquels il se réfère pour définir et résoudre les problèmes concrets qu'il rencontre dans ce cadre. Nous avons dégagé quatre modes de convocation.

1. Le pragmatique ne convoque aucun de ses engagements. Il cherche simplement à être le plus efficace possible dans la réalisation des objectifs du projet .

2. Le " conditionnel " sélectionne les engagements qu'il convoque en fonction des données de la " situation présente " ;

3. L'exclusif convoque systématiquement le même engagement.

4. Le " discerné " convoque simultanément l'ensemble de ses engagements. Les arbitrages, à travers lesquels il réduit les contradictions entre les enjeux ainsi pris en considération, laissent peu à peu émerger une subjectivité dont nous faisons valoir les vertus en termes de discernement.

La convocation constitue une explication possible face aux contingences observées entre les engagements signifiés et la contribution.

 

Certains lecteurs auront sans doute le sentiment que les deux modèles issus de cette recherche demeurent finalement très généraux ; qu'ils pourraient tout aussi bien rendre compte de l'expérience d'un salarié intégrant une nouvelle entreprise ou de celle d'un bénévole découvrant une association.

Ils sont, effectivement, sans doute, transférables, autrement dit susceptibles de s'appliquer à d'autres situations. Nous faisons, néanmoins, valoir le fait qu'ils permettent de rendre compte, avant tout et de façon satisfaisante, de l'expérience du volontaire. Nous situons leur spécificité dans l'importance et la prégnance, qu'ils peuvent prendre dans l'analyse des comportements au niveau du volontariat.

Ces modèles se trouvent effectivement et uniquement validés dans le cadre des situations étudiées. Ils sont saturés. Autrement dit, aucun des cas étudiés n'est en mesure de les réfuter. Au delà de leur validité, ils éclairent certains des phénomènes constatés à l'occasion de la phase exploratoire de cette recherche.

Le processus implicationnel nous a, par exemple, permis d'expliquer les changements, la multiplication et la diversification des formes d'engagement relevés entre le début et la fin de l'expérience du volontaire. Il nous a également permis de valider et de formaliser certaines intuitions que nous avions pu avoir concernant l'internalisation des engagements signifiés : alors que ceux-ci semblaient, pour les nouveaux volontaires, se limiter au niveau du discours, nous avions le sentiment que, pour les volontaires expérimentés, ils venaient de plus loin, de l'intérieur. Pour reprendre une image chère aux Africains, alors que les mots des "nouveaux" semblaient sortir de la bouche, les paroles des "anciens" donnaient l'impression de venir de l'estomac.

L'analyse des activités cognitives, mises en oeuvre face aux problèmes rencontrés en situation, en termes de convocation des engagements nous a permis d'achever la réponse à notre problématique. Elle permet en effet de mieux situer les liens entre ces phénomènes de nature consciente et les comportements.

Mais le plus important reste, de notre point de vue, que ces modèles soient représentatifs de l'expérience vécue par le volontaire. Les logiques qu'ils décrivent jouent effectivement, dans ce contexte, un rôle tout à fait central. Même pour les "pragmatiques" ou les "conditionnels", pour lesquels ces logiques semblent plus flexibles, le sens de l'expérience vécue paraît reposer sur l'utilité et la légitimité qu'ils sont en mesure de définir à travers leurs engagements. Ces engagements intègrent ainsi des fonctions cognitives essentielles interférant avec les autres niveaux de la personne.

Bien que décrivant des logiques, en partie "non-conscientes", et en dépit du fait qu'ils questionnent la portée des engagements signifiés, ces modèles apparaissent par ailleurs tout à fait acceptables pour les acteurs eux-mêmes (volontaires & responsables). Ils semblent pouvoir éclairer leurs expériences. Cette résonance semble leur procurer une satisfaction relativement proche de celle que nous pouvions éprouver, lorsque nous découvrions un cadre de référence capable de rendre compte de données à priori hétérogènes. Cette expérience est notamment décrite par Thompson et Tuden à travers l'expression anglophone "the aha experience". Ils décrivent ainsi le sentiment d'évidence qui se dégage d'une compréhension plus homogène de l'expérience vécue ou étudiée.

Nous avons cependant pu constater que ces modèles pouvaient, dans certains cas, procurer aux expatriés et aux bénévoles, des sensations du même ordre. A l'issue de présentations effectuées dans différents contextes, des personnes ayant eu ce type d'activité, prirent la parole pour, anecdotes à l'appui, témoigner d'expériences semblables. Les expatriés se reconnaissent dans la phase de confusion, les bénévoles se réapproprient la nécessité de se (re)définir par rapport à des contextes qui leur confèrent des rôles équivoques.

1.1. Transférabilité à l'expérience des salariés expatriés.

La littérature sur l'expatriation est relativement importante et cette recherche aurait probablement pu s'y référer davantage. Le texte de Waxin, Roger et Chandon (1997), reprend une partie des écrits à ce sujet à travers la formulation de onze hypothèses intégrant les variables intervenant dans la réussite de cette expérience d'expatriation. Nous pouvons situer l'expérience du volontaire par rapport à celle des expatriations plus classiques en reprenant à une partie de leurs hypothèses.

Hypothèses concernant les variables déterminant la vitesse d'adaptation de l'expatrié.

H1 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste qu'il reste dans la même fonction.

H2 : L'adaptation d'un expatrié n'est pas liée à l'évolution de son niveau hiérarchique.

H3 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste que celui-ci n'est pas plus difficile que l'ancien.

H4 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste que celui-ci n'est pas très différent de l'ancien.

H5 : La difficulté et la similarité perçues entre le nouveau poste et l'ancien sont les variables qui expliquent le mieux l'adaptation de l'expatrié à son poste.

H6 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste que son rôle est clairement défini.

H7 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste qu'il reçoit de ses supérieurs et de ses collègues un soutien important.

H8 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste qu'il a pu s'y préparer suffisamment.

H9 : L'adaptation d'un expatrié n'est pas liée à son expérience antérieure.

H10 : Les expatriés qui adoptent une stratégie externe face au stress s'adaptent plus vite que ceux qui adoptent une stratégie interne.

H11 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste qu'il connaît mieux la culture de son pays d'affection.

Waxin, Roger & Chadon (1997)

hypothèses s'inspirant des travaux de

Pinder & Schroeder (1987)

 

Parmi ces hypothèses, certaines intègrent des variables que nous avons retenues comme prégnantes pour l'analyse de l'expérience du volontaire. Parmi elles, six semblent plus particulièrement rejoindre les préoccupations et les résultats intégrés dans notre modélisation du processus implicationnel : celles relatives aux expériences antérieures, à la préparation, aux stratégies face au stress et à la clarté du rôle, les similarités du poste avec celui précédemment occupé.

H9 : L'adaptation d'un expatrié n'est pas liée à son expérience antérieure.

Nous confirmons le fait que l'adaptation du volontaire n'est pas complètement liée à ses expériences antérieures en termes d'expatriation. La plupart des volontaires expérimentés, intégrant un nouveau poste, repassent par un processus implicationnel, par certains aspects, plus difficile que le premier. Alors que les anticipations des nouveaux volontaires se fondent sur un imaginaire dont ils peuvent plus aisément faire le deuil, les anticipations des volontaires expérimentés sont ancrées dans des expériences vécues et se révèlent, de ce fait, plus résistantes.

H8 : Un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste qu'il a pu s'y préparer suffisamment.

Nous émettons, à propos de la variable "préparation", quelques réserves. Tout dépend en fait de la préparation considérée. Nous faisons une grande différence entre une préparation personnelle et une préparation accompagnée, comme le préconisent Perreti et Bosch (1996), par une formation.

Nous pouvons d'abord interpréter l'idée de "se préparer" à cette expérience comme le fait d'intégrer la réalité de cet événement et de lui donner du sens. Nous nous référons, dans cette perspective, à la phase d'anticipation. Au sujet de cette phase, nous avons constaté une sorte de paradoxe. Ceux qui sont les plus préparés, autrement dit qui sont les plus clairs sur la façon dont ils conçoivent cette expérience et ce qu'ils en attendent, sont ceux qui peinent le plus à "s'ajuster" à la situation. Des anticipations précises, et mettant en jeu l'identité, amènent l'individu à refouler plus profondément et plus durablement une partie des données de la situation. La phase de projection tend ainsi à se prolonger, la phase de confusion, ainsi retardée, n'en étant que plus marquée.

Ainsi, les volontaires ayant, pendant toute leur adolescence, rêvé de partir sont généralement ceux qui ont le plus de difficultés à s'adapter. A l'inverse, ceux qui improvisent ce choix face aux obligations du service national sont, d'une certaine façon, plus ouverts et acceptent plus facilement la situation. Il reste que, entre les deux, il peut être utile que le volontaire se positionne et se définisse par rapport à cette expérience et soit ainsi capable de donner sens à la situation.

Nous affinons l'hypothèse de Waxin en précisant que l'adaptation est, par ailleurs, d'autant plus rapide que l'individu ne s'est pas "trop" préparé à cette expérience.

Les données du problème apparaissent, en revanche, très différentes lorsque cette préparation est accompagnée d'une formation. Cette dernière peut permettre de réajuster une partie des anticipations et, ce faisant, parcourir une partie du processus implicationnel. Nous faisons, cependant, valoir le fait que les potentialités, suscitées par ces dispositifs, ne peuvent véritablement être exploitées que dans la mesure où elles sont prolongées sur le terrain.

H10 : Les expatriés qui adoptent une stratégie externe face au stress s'adaptent plus vite que ceux qui adoptent une stratégie interne.

Là encore, nous émettons quelques réserves quant à cette hypothèse. Les stratégies externes de gestion du stress, ici évoquées, se rapprochent des phénomènes décrits dans la seconde partie du chapitre 6. Nous avons effectivement identifié des stratégies consistant, à travers un travail acharné et des discours visant à vérifier ses anticipations auprès des autres, à réduire les effets des dissonances cognitives liées aux écarts entre les données de la situation et les données anticipées. Ces investissements dans l'action permettent effectivement au volontaire de mieux tolérer les malaises ressentis.

La stratégie de lutte contre le stress ainsi mise en place intervient à deux niveaux :

- le volontaire tente de conformer la situation aux données anticipées ;

- il s'étourdit dans un travail le ramenant à des préoccupations pratiques et immédiates.

Nous considérons, cependant, qu'une telle stratégie ne peut être indéfiniment perpétuée. Tôt ou tard, le volontaire sera obligé d'admettre certains décalages. Il passera alors par une phase de confusion lui permettant de faire le deuil de ses aspirations de départ et de reconstruire une implication plus compatible avec les données de la situation. Il apparaît que ceux qui sombrent dès les premiers jours dans la confusion, se font souvent rapatrier. En ce sens, cette stratégie de lutte contre le stress n'est peut être pas inutile.

Nous reprenons l'hypothèse de Waxin en précisant que l'adaptation n'est possible que si l'individu abandonne à terme ses stratégies externes pour "réévaluer psychologiquement la situation" (Waxin, Roger et Chandon).

H6 : un expatrié s'adapte d'autant plus vite à son nouveau poste que son rôle est clairement défini.

Nous touchons là, l'un des aspects les plus importants de cette recherche. Nous convergeons, cette fois, parfaitement, avec l'hypothèse introduite par Waxin, Roger et Chandon. Nous relions cette hypothèse à la précédente : une part importante des stress ressentis par le volontaire résultent des ambiguïtés caractérisant son rôle.

Toutes les variables retenues, relatives au processus implicationnel ou concernant la convocation, peuvent être interprétées comme des stratégies que le volontaire met en place afin de clarifier son rôle. Nous croyons que ces ambiguïtés de rôle constituent une caractéristique de la situation. Il ne s'agit pas tant d'une variable que d'une donnée. A terme, les stratégies d'accommodation, autrement dit de gestion des stress par la modification de la situation, ne sont pas efficaces face à ces ambiguïtés. Le volontaire sera, tôt ou tard, d'une façon ou d'une autre, amené à les assimiler.

Nous analysons tout d'abord les ambiguïtés relatives à la situation d'expatriation, avant de prolonger cette réflexion au niveau de celles relevant du travail volontaire : rôle, sur certains aspects, semblable à celui des bénévoles.

La première ambiguïté réside dans la notion même de développement. L'intervention à laquelle participe le volontaire s'inscrit dans un "réseau" (Callon, 1986) de signification que l'on pourrait intituler "Aider les populations du tiers-monde à sortir de la misère.". Ce réseau est construit et entretenu par les acteurs occidentaux, c'est-à-dire principalement les associations, les financeurs institutionnels et les donateurs privés. Ce réseau est par ailleurs soutenu par l'ensemble de l'opinion publique et s'enracine, ce faisant, dans la culture.

Les populations, et plus particulièrement les bénéficiaires, les salariés locaux et les autorités locales, sont en quelque sorte exclus de ce réseau. Nous avons souligné le fait que les significations données au projet, dans ce cadre, sont peu ou pas acceptables pour les populations, dans la mesure où elles définissent une relation asymétrique les qualifiant de pauvres et ignorantes. Suivant les termes de l'analyse transactionnelle (Berne, 1967), elles les cantonnent dans un rôle de "victime" permettant aux Occidentaux de jouer le rôle de "sauveur". Le volontaire peut, dans cette perspective, être décrit comme plus ou moins protecteur et/ou autoritaire.

Celui-ci reste, néanmoins, la seule interface entre "deux mondes" aspirant à lui faire jouer des rôles incompatibles. Nous pouvons ainsi analyser les types de convocation identifiés en termes de "rôle". Ils constituent, dans cette perspective des stratégies visant à gérer l'hétérogénéité des rôles "contractés" de part et d'autre. Le volontaire peut :

- réunir les acteurs sur des données pratiques, reléguant au second plan les significations associées à ses rôles ;

- ajuster ses rôles en fonction des acteurs présents (Bellini, 1997) ;

- privilégier l'un des rôles et l'imposer aux autres participants ;

- retrouver une subjectivité lui permettant de discerner une unité au sein de l'hétérogénéité des rôles intégrés.

Nous considérons ainsi qu'une part importante de l'ambiguïté du rôle du volontaire réside dans la fonction qu'il aspire à occuper auprès de ses hôtes. Non seulement, il est étranger, mais en plus il entend les aider. Une telle ambition ajoute aux difficultés de sa socialisation. Les difficultés que rencontre d'ordinaire un étranger pour trouver sa place au sein de sa communauté d'accueil sont, dans ce cas, accrues par les exigences du volontaire en termes de statut.

H5 : La difficulté et la similarité perçues entre le nouveau poste et l'ancien sont les variables qui expliquent le mieux l'adaptation de l'expatrié à son poste.

Les similarités du poste proposé peuvent permettre au volontaire de retrouver une certaine confiance en lui et d'ancrer son identité dans des éléments familiers. Mais la dimension professionnelle ne constitue, dans le contexte du volontariat, qu'un aspect de l'expérience. Les enjeux relèvent, pour la plupart des cas, de niveaux plus existentiels.

Ces deux derniers éléments (dimension professionnelle et dimension de réalisation de) convergent sur l'idée qu'une partie des ambiguïtés de la situation sont liées à une activité volontaire mal définie. Le volontaire est effectivement là pour travailler, mais aspire à donner à son activité une portée symbolique plus grande. Ces aspects de son expérience peuvent être rapprochés des difficultés des bénévoles, évoquées par Pearce (1995).

1.2. Transférabilité à l'expérience des bénévoles.

La seconde ambiguïté caractérisant la situation étudiée est liée à la notion même de volontariat, au fait que le sens de la relation instituée dans ce cadre ne soit pas défini aussi précisément que pour le salariat. Nous rejoignons la principale thèse soutenue par Pearce, dans "Why Volunteers ?", à propos des bénévoles : thèse affirmant l'ambiguïté du rôle caractérisant le travail non-salarié.

Le caractère non-spéculatif des relations associées au statut de volontaire laisse un vide difficile à combler. Les ambiguïtés ainsi introduites intègrent notamment le fait de savoir si le travail effectué par les volontaires est aussi "sérieux" que celui des salariés. Au delà, les questions les plus souvent posées, tant par le grand public que par les volontaires eux-mêmes, restent celles concernant les motivations : compte tenu de l'absence de rémunération, le volontaire travaille-t-il plutôt par altruisme ou cherche-t-il avant tout à se faire plaisir ?

Les questions de rôle sont d'autant plus prégnantes que la situation tend très "clairement" à attribuer au volontaire, un locus de contrôle interne particulièrement marqué. Il est, en quelque sorte, responsable du sens de la situation, il ne peut pas se contenter de dire qu'il se trouve ici par obligation. Nous posons, au passage, l'hypothèse selon laquelle l'adaptation du salarié dépendrait, entre autres, des possibilités dont il dispose pour partager et gérer le locus de contrôle structurant la situation, avec des facteurs extérieurs à sa volonté.

Les effets des ambiguïtés "objectives" sont médiatisés par la façon dont le volontaire les assume, c'est-à-dire par le sens qu'il donne aux décalages qui pourront apparaître nécessairement entre les données du terrain (compte tenu des contradictions) et ses anticipations. Nous considérons également comme variable intermédiaire la nature et l'ampleur des investissements effectués par le volontaire par rapport à ce rôle. Les individus lui donnant une portée existentielle apparaissent plus fragiles et vulnérables que les autres face aux blessures marquant le processus qui les mène vers des formes d'implication ajustustée.

Pearce (1995) relève, à propos des bénévoles, une stratégie consistant à développer un très fort engagement (" commitment "), suffisamment fort pour assumer le locus de contrôle caractérisant la situation. Cette stratégie existe aussi chez les volontaires, mais les évolutions des motivations signifiées marquent, depuis les années soixante-dix une nette régression de cette orientation. L'altruisme demeure, mais semble se faire plus réservé. Nous situons ce phénomène par rapport aux évolutions sociales et culturelles qui ont, depuis vingt ans, marqué les pays occidentaux. La jeunesse semble plus désabusée et moins idéaliste que par le passé. Conjointement aux déclins de l'idéalisme, est apparu un second type de stratégie visant à rendre compte du locus de contrôle intégré : le professionnalisme. Ces volontaires donnent à leur travail les mêmes attributs que ceux du travail salarié. Certains privilégient dans ce cadre des éléments de calcul, réduisant ainsi une partie des ambiguïtés liées à l'altruisme.

L'ouvrage de Pearce est à la fois le plus abouti (de notre point de vue) et le plus proche des préoccupations de cette recherche. "Why volunteers ?" explore le "Commitment" des bénévoles. Les ambiguïtés qu'explicite l'auteur à propos du statut conféré à l'activité bénévole sont en fait relativement proches de celles que nous décrivons à propos des volontaires. Toutefois, nous constatons, par ailleurs, de très nombreuses différences entre les deux types de ressources humaines (volontariat et bénévolat).

Le volontaire ne peut être réduit à un expatrié bénévole. Son rôle emprunte à la fois à l'expatrié et au bénévole, une part des ambiguïtés de leurs situations respectives. Mais le volontaire est, sans aucun doute, dans une situation au caractère plus totalisant (au sens de Goffman, 1961). Le rôle du volontaire intègre des investissements existentiels plus importants, que celui de l'expatrié ; mais, à l'opposé du bénévole qui traverse différents espaces de socialisation et peut donc multiplier les lieux d'investissement, le volontaire est enserré dans une sphère sociale isolée. En quelque sorte, la situation du volontaire cumule les difficultés liées à la fois au statut d'expatrié et à celui de bénévole.

1.3. Spécificités de l'expérience "volontaire".

Le degré de signification du modèle, par rapport à la réalité étudiée, constitue dans une démarche empirico-formelle un élément de validité aussi important que sa validation scientifique. Nos modèles ne sont pas spécifiques, dans le sens où ils sont transférables à d'autres situations, mais ils prétendent à être particulièrement significatifs pour rendre compte de l'expérience des volontaires. D'une part, les phénomènes d'implication, qu'ils décrivent, sont dans le cas du volontaire, particulièrement marqués. D'autre part, nos modèles portent sur une part importante de ce que vit le volontaire en situation. En ce sens, ils révèlent une réalité prégnante de l'expérience du volontariat.

Pour observer l'intensité du processus implicationnel, vécue par le volontaire, la profondeur de la confusion (mesurée, par exemple, par le taux de dépressions nerveuses, de symptômes dépressifs ou de dérives comportementales) pourrait représenter un indicateur pertinent.

Notons que dans cette perspective, le fait de ne pas avoir choisi son expatriation n'est pas forcément un inconvénient, compte tenu des pressions qui s'exercent sur le volontaire en termes de locus de contrôle. Car si la situation salariée de l'expatrié pose d'autres problèmes (Cerdin & Peretti, 1997), elle permet toutefois au salarié de se décharger de toute responsabilité concernant la réussite de l'expérience.

Le processus implicationnel est important pour l'équilibre du volontaire. Il constitue une condition importante de son opérationalité et de sa performance. Les différences apparaissent ensuite au niveau des modes de convocations caractérisant l'ajustement.

Entre les difficultés inhérentes à l'expatriation et les ambiguïtés relatives à la valeur d'un travail non-rémunéré (indemnisé ou entièrement bénévole), le volontariat s'inscrit dans les ambiguïtés du développement et se nourrit de l'intensité des motivations investies dans cette expérience.

L'origine des difficultés caractérisant le processus implicationnel et des problèmes que gèrent les modes de convocation, réside dans les anticipations. Ces dernières sont la rencontre d'une aspiration à se réaliser et d'une opportunité de les spécifier. Reprenant le modèle de Nuttin, nous considérons les aspirations à se réaliser comme des structures de la personnalité qui ne sont pas encore fixées sur un objet précis. A la sortie de leurs études, les futurs volontaires semblent animés par le désir de réaliser des grandes choses (relever des défis), d'avoir un destin pas ordinaire.

Ils trouvent dans le volontariat une opportunité de fixer ces structures et de les concrétiser sous la forme d'interactions concrètes potentiellement satisfactrices. Le volontaire ajoute ainsi à une situation objectivement comparable, sur de nombreux aspects, à celle de l'expatrié, un investissement en termes d'imaginaire et d'existentiel qui modifie complètement les données de l'expérience.

2. Acceptabilité, sens et utilités de ces connaissances pour le monde associatif.

La rencontre entre les Sciences de Gestion et l'expérience vécue par les acteurs n'est, d'une façon générale, pas toujours évidente. L'objectivation ou la neutralisation des logiques présidant à leurs actes pensés et pratiques tendent, en effet, à mettre à jour des "motivations" souvent différentes et moins gratifiantes que celles dont ils souhaitent se prévaloir. Dans cette perspective, la modélisation théorique du monde associatif pouvait a priori apparaître comme un acte contre-nature opposant :

- d'un côté, une organisation nourrissant un projet de réforme plus ou moins profonde de la société (Cooperrinder et Passmore, 1991) visant à réaliser le monde emprunt de valeurs plus humanistes. L'action ainsi fondée s'appuie sur la responsabilité et l'engagement personnel. Elle cherche à interpeller les "consciences" ;

- de l'autre côté, des Sciences de Gestion "militant" pour une vision plus "réaliste" de cette démarche. Elle tend, à travers l'objectivité et/ou la neutralité de ses analyses, à retirer à l'individu une part relativement importante de la liberté et de la responsabilité de ses actes. Les formes pures d'intentionnalité s'y font relativement rares.

L'opposition de ces deux visions pouvait laisser craindre qu'une théorisation de la démarche des volontaires ne dénature leurs engagements et que, par conséquent, les connaissances produites apparaissent aux yeux des responsables de ces organisations, inutilisables.

Nous tenons, à l'issue de ce travail, à faire valoir la compatibilité de nos modèles avec les réalités construites par les acteurs ainsi que l'utilité des éclairages qu'ils apportent concernant leur gestion. Ce détour par les Sciences peut, selon nous, apporter des éléments de réponses aux questions que se posent les responsables de l'association dans le cadre de leurs pratiques. Il peut également aider les volontaires à développer une conscience plus critique de leur démarche, conscience qui, loin de les obliger à renoncer à toute forme d'altruisme, peut leur permettre d'approfondir le sens et la portée de leurs engagements.

2.1. Implication et altruisme.

Malgré notre volonté de respecter la conscience des volontaires rencontrés, l'approche cognitive de leurs engagements risquait de remettre en cause l'altruisme dont la plupart se réclament. En effet, le simple fait de prendre en considération l'existence de logiques inconscientes susceptibles d'orienter les comportements suffit à introduire des formes d'ambivalence concernant les motivations "affichées". Nous croyons néanmoins avoir préservé certains aspects de l'altruisme. Nos modèles questionnent le sens de cette notion, ils portent sur elles un regard critique nous amenant à considérer le caractère équivoque de certains aspects de ces démarches, mais ils respectent et valorisent certains autres. Ils peuvent, ce faisant, permettre aux acteurs de prendre du recul et de remettre en question leur démarche sans pour autant devoir nier ses fondements.

Le respect que nous nous sommes efforcé de maintenir à l'égard de l'altruisme signifié par les volontaires s'exprime tout d'abord au niveau du paradigme adopté. Nos postulats ontologiques font valoir des formes d'incommensurabilité entre les forces inconscientes qui déterminent en substance les comportements et les représentations conscientes que l'individu peut en avoir. La neutralité scientifique commence sans doute par l'abandon de catégories faisant valoir les "véritables motivations", par opposition aux intentions conscientes. Ces dernières restent très souvent considérées par les sciences comme des "idées fragiles, douteuses ou fausses" dont les individus ordinaires auraient "l'art de se persuader " (Boudon, 1993). Nous considérons les représentations du monde comme une réalité en soi pertinente. Dans cette perspective, l'altruisme que peuvent signifier les individus ne constitue pas forcément une cause objective de leurs comportements mais une destination, un sens qu'ils peuvent leur attribuer.

" Je me sentais prête à tout donner. "

"J'ai quelques images au Kurdistan, (c'est des choses que je n'ai jamais dites ailleurs), c'est un moment où je me suis toute donnée dans mon travail. Je me vois encore, c'est un moment précis, je l'ai fait et en même temps, j'en prenais conscience. Je faisais une perfusion à un petit enfant et je me sentais dans une position particulière, pas dans la technique, quoi ! bien sûr j'utilisais cette technique, mais je me sentais pleine d'empathie, alors vraiment oui, je me sentais prête à tout donner pour l'aider."

 

En dehors des figures que nous croyons pouvoir associer aux phénomènes implicationnels, nous reconnaissons un altruisme relativement pur, émergeant des modes de "décentration" dont l'individu peut parfois faire preuve. Nous considérons ainsi ce que Rogers conceptualise comme une " acceptation inconditionnelle de l'autre ", c'est-à-dire une présence plus immédiate et plus intense de l'individu dans sa relation à l'Autre, qui peut le conduire à s'oublier un instant pour prendre la place de son interlocuteur et pour véritablement aborder la situation par et pour lui. L'empathie alors ressentie favorise l'émergence d'une compassion plus "authentique" (Rogers, 1961). La volonté de s'ouvrir à l'autre tend, ce faisant, à s'ancrer dans l'expérience vécue.

A notre niveau, nous souhaitons privilégier une forme d'altruisme située au coeur des phénomènes observés et décrits au cours de notre recherche sur l'implication des volontaires. Cet altruisme apparaît plus ou moins prononcé en fonction du mode de convocation à travers lequel le volontaire actualise les engagements pris à travers son implication.

Ainsi, la convocation inconditionnelle, de type exclusif ou discerné, peut être interprétée comme le fait de "reconnaître de façon inconditionnelle" (Rogers, 1961) l'existence de l'autre et de ses droits à faire valoir ses enjeux.

Le mode de convocation consiste à ancrer ses engagements dans des expériences et des pratiques concrètes. Le volontaire intègre, ce faisant, dans les réalités qu'il construit, les enjeux de l'autre. Il concrétise cette reconnaissance à travers la modification de son champ d'opportunités et de contraintes. Les enjeux de l'autre deviennent, pour lui, des données aussi "réelles" que les aspects objectifs de la situation.

Toutefois, dans le cadre de l'implication inconditionnelle exclusive, le volontaire accorde à l'autre toute la place. Il peut, ce faisant, aller jusqu'à nier son propre droit à la satisfaction. Paradoxalement, ce qui peut avoir les apparences d'un altruisme génère des effets pervers susceptibles de l'annihiler. En effet, le volontaire tend à privilégier les intérêts de l'un au détriment des autres. Il peut, ce faisant, devenir intransigeant voire intolérant.

L'altruisme associé à ce processus d'implication inconditionnelle exclusive peut prendre la forme d'une condescendance. Celle-ci exprime des catégories d'altruisme qui nous apparaissent, par certains aspects, ambiguës : le volontaire abordant le projet de développement à travers ce type de "scénario" se met dans le rôle du "sauveur" l'associant à des populations auxquelles il attribue le rôle de "victimes" (Berne, 1967).

Le mode d'implication inconditionnelle discernée nous semble pouvoir, de son côté, donner lieu à un altruisme plus sobre mais sans doute tout aussi profond. Ce mode se caractérise par une définition de la situation s'appuyant sur les enjeux d'une pluralité d'acteurs. Dans cette perspective, l'altruisme emprunte à l'équité : il s'agit d'accorder des places justes et égales aux différents référentiels, de prêter attention aux différentes voix susceptibles de s'exprimer, et de tenir compte de leurs enjeux.

A travers l'implication discernée, nous souhaitons faire valoir la portée symbolique et humaine d'une reconnaissance et d'une acceptation de l'Autre essentiellement cognitives, susceptibles de dépasser les sentiments et les valeurs habituellement investis dans la relation. Nous définissons "l'altruisme cognitif" ainsi envisagé comme le fait d'accorder à l'Autre une place et un rôle dans sa propre définition de la situation indépendamment des rétributions matérielles et/ou symboliques possibles. "L'altruisme cognitif" de ces volontaires résiderait dans une ouverture aux acteurs impliqués sur le projet de développement, fondée sur un respect pur et simple de leur altérité.

Cette approche de l'altruisme s'appuie sur les définitions de la performance mises à jour dans le cadre de cette recherche et s'ancre sur nos rencontres avec les volontaires et les autres acteurs, notamment les populations. Nous songeons plus particulièrement à ces volontaires qui, bien qu'exprimant des passions relativement modérées, semblaient avant tout guidés par le souci de d'accorder à tous la même attention, une attention véritablement "désintéressée".

2.2. Processus implicationnel et responsabilité des volontaires.

Compte tenu des cadres paradigmatiques adoptés et des données recueillies, l'aptitude à "discerner" ne nous apparaît plus comme une donnée mais comme une variable susceptible d'émerger, en marge des déterminismes inconscients qui pèsent sur les comportements. La capacité du volontaire à prendre en charge les responsabilités que lui confie l'association dépendent en partie de l'avancement du processus implicationnel et de la maturité des modes de convocation ainsi ajustés.

Fort de ces résultats, nous invitons les responsables avec lesquels nous avons travaillé à développer des pratiques de gestion intégrant les contingences de l'implication, en s'appuyant notamment sur un accompagnement du processus associé à une responsabilisation progressive du volontaire.

L'accompagnement du processus constitue, selon nous, la base de la gestion de l'implication. Actuellement initié dans le cadre des préparations au départ, nous préconisons son prolongement sur le terrain. Cet accompagnement pourrait constituer la base d'une Gestion des Ressources Humaines veillant sur les évolutions des volontaires. Dans cette perspective, la référence aux catégories développées au cours de cette recherche peut ouvrir sur des pratiques différenciées et évolutives. Cet accompagnement a pour objectif de faciliter le développement de certaines formes de maturité.

Il s'agit tout d'abord d'un suivi psychologique. Dans cette perspective, l'entretien de type "rogerien" nous semble une voie potentiellement satisfaisante. S'adressant et stimulant la conscience de l'individu, il est en phase avec les enjeux idéologiques retenus en introduction. Il lui permet de développer un regard plus critique sur son expérience, de de clarifier ses enjeux, de se situer et de se reconstruire par rapport à son environnement en intégrant ses valeurs et ses sentiements.

Le "discernement" semble dans cette perspective pouvoir constituer un aboutissement possible et souhaitable. Nous justifions la place accordée à ce mode par le fait que la convocation de multiples engagements facilite d'elle-même la prise de conscience. D'autres positionnements sont, par ailleurs, possibles à travers la combinaison du discernement avec chacun des autres modes de convocation. Il s'agit ainsi d'introduire un minimum de discernement dans les différentes manières de convoquer ses engagements (pragmatique, conditionnelle, exclusive).

Au delà du "discernement", l'accompagnement du processus pourrait avoir pour objectif d'aider le volontaire à situer la façon dont il fonctionne en situation. La réflexivité et les délibérations susceptibles de présider au choix des modes de convocation mis en oeuvre constituent une voie que cette recherche n'a sans doute pas assez explorée. Il est, par exemple, parfaitement concevable que le "pragmatisme" corresponde, pour le volontaire, à une volonté délibérée d'aborder le développement suivant une perspective pratique.

Quel que soit le mode de convocation finalement adopté, l'objectif est que le volontaire acquiert une conscience plus critique de la façon dont il fonctionne, et qu'il devienne, ce faisant, plus responsable de ses actes.

Parallèlement au dispositif d'accompagnement du processus implicationnel, les pratiques de gestion de l'implication que nous proposons mettent à contribution "l'autonomie conditionnelle". En effet, le développement de la conscience du volontaire ne reste, du point de vue de l'association, qu'un moyen. Le principal enjeu est que le volontaire soit capable d'effectuer son travail de façon satisfaisante.

Un encadrement, au départ, rapproché pourrait permettre de rattraper plus rapidement les erreurs que commettent, au début de leur expérience la plupart des volontaires. Il s'agit, par contre, dans la mesure du possible, d'éviter de trop prévenir les fautes du volontaire afin de respecter la logique de "l'autonomie conditionnelle" consistant à donner à chacun, une chance de faire ses preuves. Tout l'art consiste à définir un espace de liberté à la mesure de ce que le volontaire peut assumer. Un tel encadrement pourrait, par ailleurs, rassurer le volontaire. Celui-ci pourrait "prendre en main" son défi, de façon plus progressive.

Il s'agirait ensuite d'accompagner l'évolution du volontaire, en tenant compte des régressions induites par la phase de confusion. L'autonomie conditionnelle constitue ainsi la traduction pratique de l'accompagnement psychologique. A terme, c'est-à-dire généralement après quelques mois, ces deux dispositifs sont appelés à plus ou moins disparaître, laissant le volontaire assumer ses responsabilités.

Nos interlocuteurs évoquaient, au départ, leur incapacité à mettre à jour une posture déontologique susceptible de préciser les responsabilités respectivement attribuée à l'association et au volontaire. Nous préconisons un passage par les contingences de l'implication, prenant en considération les évolutions du volontaire en termes de capacité à assumer ses responsabilités.

Nous situons en définitive l'essentiel de notre contribution à la gestion des volontaires, au niveau de l'actualisation des cadres références dans lesquels elle était jusque là envisagée. L'intégration d'exigences contingentes indexées aux responsabilités que le volontaire est en mesure d'assumer permet de résoudre une partie des contradictions que les Responsables Ressources Humaines des trois associations étudiées perçoivent entre les besoins liés à la réalisation des projets de développement et ceux associés aux différentes phases du processus implicationnel.

Par ailleurs, l'approche de la Gestion des Ressources Humaines en termes d'implication permet à nos interlocuteurs d'intégrer l'expérience vécue par le volontaire et les différents registres de sa performance dans le cadre d'un seul et même phénomène : les relations que le volontaire établit avec ses différents interlocuteurs pour "trouver sa place" reposent sur des ensembles de significations déterminant la légitimité de sa présence ainsi que l'acceptabilité des réalisations technico-économiques du projet.

Au delà des applications pratiques que nous avons pu envisager, les cadres de références ainsi proposés ouvrent à nos interlocuteurs la possibilité d'énoncer un projet cohérent envisageant une gestion plus globale de la contribution et de l'expérience des volontaires. Nous réaffirmons ce faisant l'étroitesse des liens qui unissent les registres technico-économiques, symboliques et politiques de la performance. Nous situons une part importante de l'efficacité du Service Ressources Humaines au niveau d'un discours susceptible de donner sens à une action qui, traduite en fonction des enjeux des autres acteurs, peut devenir fédératrice.

Ces interactions entre les différents registres de performance ne nous semblent en rien spécifiques à l'association. Car, au delà de ses articulations avec la vision proposée par l'organisation, le sens défini par nos interlocuteurs à propos de la relation entre l'organisation et ses membres, la valeur accordée au fait d'agir ensemble et la place attribuée à chacun dans ce cadre ont valeur en soi et peuvent fonder une Gestion des Ressources Humaines en soi signifiante.

Le Service Ressources Humaines peut ainsi contribuer au développement de l'organisation à travers un projet qui, bien qu'envisagé par et pour l'organisation, garde sa spécificité. Dans le cas des associations étudiées, cette spécificité peut être illustrée par le fait que nos interlocuteurs puissent se réapproprier la valeur ajouté que constitue la maturité acquise par les volontaires. Ils peuvent ainsi, en marge des avantages qu'elle procure concernant la réalisation des projets, faire valoir cette valeur ajoutée en tant que contribution au développement psychologique des volontaires. Nos interlocuteurs restent également particulièrement sensibles à l'idée que cette maturité puisse être réinvestie dans d'autres formes de citoyenneté.

3. Des connaissances scientifiques susceptibles d'être prolongées.

L'une des principales limites de cette recherche réside, selon nous, dans son positionnement : ses apports aux Sciences de Gestion sont difficiles à situer. Nous avons abordé différents champs de la problématique de l'implication, sans produire véritablement une réponse homogène et directement opératoire aux demandes des responsables Ressources Humaines. Notre démarche relie des sujets relativement nombreux et variés, sans pour autant contribuer à les ordonner selon leur importance dans l'explication des phénomènes. Pour tenter d'y remédier, nous proposons donc maintenant une perspective de capitalisation des connaissances, que nous avons produites, au travers d'un processus de validation de type hypothético-déductif.

En grande partie, les difficultés sont liées à l'absence de validité externe des savoirs produits par cette recherche. Elle décrit l'expérience du volontaire de façon approfondie en combinant des réalités et des niveaux d'analyses qui, quoique toujours partiels, s'avèrent au final nombreux et complexes. Les réalités explorées vont de la situation du volontaire, à l'association, en opérant un détour par les questions d'autonomie et de performance symbolique, étroitement liées à la problématique de l'implication.

3.1. Hypothèses relatives aux associations.

Nos principaux apports au sujet du fonctionnement particulier des associations, se situent dans des développements annexes, au départ destinés à mieux comprendre l'expérience du volontaire. Par ailleurs, ce que nous analysons du monde associatif reste essentiellement limité aux trois associations étudiées. Partant de là, notre contribution peut nous conduire à formaliser différentes hypothèses qui pourront être vérifiées sur un échantillon plus représentatif. Nous distinguons les hypothèses relatives à l'autonomie conditionnelle, de celles portant sur la performance symbolique.

3.1.1. Hypothèses relatives à l'autonomie conditionnelle.

L'autonomie conditionnelle constitue une conceptualisation de pratiques relevant d'une rationalité essentiellement procédurale. Ces "créations sous contraintes" répondent à la nécessité, pour les organisations étudiées, de répondre simultanément à des besoins technico-économiques et à des exigences symboliques définies par la culture de l'association. Nous envisageons la possibilité que les caractéristiques ainsi identifiées puissent être représentatives des associations en général, à travers les hypothèses suivantes :

H 1.1. Les associations ont du pouvoir sur leurs ressources humaines.

H 1.2. Les associations ne peuvent, compte tenu de leur culture, faire qu'un usage limité du pouvoir dont elles disposent.

H 1.3. Les associations peuvent user de leur pouvoir à travers une gestion symbolique.

3.1.2. Hypothèses relatives à la performance symbolique.

Concernant la performance, nous posons également un certain nombre d'hypothèses faisant valoir le caractère classique des logiques organisationnelles, par ailleurs associé à des registres plus spécifiques aux associations.

H.2.1. Les associations sont tenues aux contraintes de la performance technico-économique "classique".

H.2.2. Les associations se caractérisent par l'importance accordée à la performance symbolique.

H.2.3. Ces deux registres de performance sont gérés parallèlement et sont arbitrés dans le cadre d'ajustement locaux et informels.

3.1.3. Hypothèses relatives aux possibilités de transférer certaines pratiques des associations aux entreprises.

"L'autonomie conditionnelle" mise à jour dans le cadre de cette recherche ne manquera pas d'évoquer, pour certains, "l'initiative contrôlée" de Galambaud (1983).

"Toutes les intiatives ne sont pas heureuses."

"Pour un salarié, la situation d'acteur, c'est posséder, à côté des exigences d'obéissance auxquelles il est soumis des espaces d'initiatives."..."Transformer ses collaborateurs, d'agents passifs en acteurs, c'est leur demander de prendre des initiatives. Or, toutes les initiatives ne sont pas heureuses."..."Mais cette initiative autorisée, avec ses incertitudes et ses risques, ne peut être contrôlée de façon satisfaisante par les moyens habituels. Par contre, grâce à la dimension culturelle, le projet d'entreprise peut avoir cette capacité.""... Plus les acteurs sont intégrés, plus les initiatives malheureuses ont des chances d'être rares." (Galambaud, 1983)

 

Il propose donc de recourir à la culture d'entreprise pour réduire les risques engendrés par l'autonomie en terme de fiabilité des contributions. Mais la culture d'entreprise ne constitue pas à proprement parler un mode de contrôle, elle intervient davantage dans le registre de l'influence. Galambaud évoque, par ailleurs, la négociation comme moyen d'obtenir les comportements désirés : "... Le comportement souhaité est alors échangé contre un avantage, le plus souvent financier. Le contrôle négocié peut aussi prendre une forme individuelle ; il a alors un aspect largement informel. C'est ce que nous avons appelé précédemment la "micro-négociation."

Cette négociation peut-elle être assimilée à une forme de directivité ? Tout dépend de la façon dont la vit le salarié :

- elle peut être vécue comme une forme d'incitation positive dans la mesure où l'avantage proposé est perçu comme un gain ;

- elle peut être conçue comme une directive si l'avantage fait l'objet d'une forte dépendance ; la négociation prend alors la forme d'une menace de privation.

En résumé Galambaud propose d'allouer à l'individu un espace de pouvoir et d'initiative défini a priori et de façon définitive. Il propose de contrôler les individus, de les orienter vers les comportements requis par la culture ainsi que par des "micro-négociations".

L'alternative introduite par les associations suit une autre logique : l'organisation accorde, au départ, à l'individu, la totalité de l'espace décisionnel qu'implique le travail qui lui est confié. Mais elle prend soin de préciser que l'espace dont il dispose a priori, ne doit jamais être tenu pour acquis. Partant de là, le pouvoir que détient l'individu, ne lui est pas donné par l'association, mais résulte de la dépendance "réelle" de cette dernière à l'égard de la contribution reçue. Si les résultats que produit l'individu ne correspondent pas aux exigences de l'organisation, elle revient à un style de management plus traditionnel. Il ne s'agit pas d'utiliser la négociation pour orienter les comportements au sein de l'espace d'autonomie, mais de poser l'autonomie comme enjeu de la négociation.

L'alternative de Galambaud et celle que nous défendons ont le même enjeu : permettre l'initiative tout en réduisant les risques de contributions négatives qu'ouvre l'autonomie. Une culture puissante et des incitations bien choisies réduisent ces incertitudes, mais ne les font pas disparaître. "L'autonomie conditionnelle" dépasse ce problème : la liberté individuelle y est conditionnelle, elle est donc proportionnelle aux résultats qu'elle permet d'obtenir. Il s'agit de mettre en place une flexibilité individuelle mettant en concurrence deux modes de managements (l'autonomie et la directivité) et d'appliquer celui qui se révèle plus approprié face à la situation présente.

Nous ne voyons pas, a priori, de contre-indications à la transposition de "l'autonomie conditionnelle" dans le cadre de l'entreprise (Valéau, 1996b). Nous faisons, par ailleurs, l'hypothèse qu'elle est souvent mise en oeuvre de façon informelle. Compte tenu du champ culturel des opportunités, différent de celui des associations, il peut être utile, dans le contexte de l'entreprise, d'expliciter les règles du jeu (Valéau, 1996b).

H 3.1. "L'autonomie conditionnelle" est applicable et partiellement appliquée dans les entreprises.

H 3.2. La culture de l'entreprise autorise l'explicitation des "règles du jeu" de "l'autonomie conditionnelle".

D'une façon générale, nos interlocuteurs reconnaissent que le milieu associatif constitue, dans le cadre de leur fonction, un environnement stimulant, favorisant et valorisant le développement de registres de performance ne se limitant pas uniquement à la réalisation technico-économiques de l'objet social. Ce contexte organisationnel pourrait, selon eux, devenir pour l'entreprise une source d'inspiration.

Des enseignements possibles de la Gestion des Ressources Humaines des associations : l'exemple des risques pris en termes de délégation.

"L'idée c'est que l'association, ça ça m'a beaucoup changé par rapport à la logique d'entreprise.

On devient très vite expérimenté, c'est une particularité. Comme c'est dans l'expérience concrète que se trouve la capacité à agir. Chez nous, quelqu'un qui a un an et demi de terrain c'est déjà un vieux. Déjà, c'est que les gens travaillent dans des contextes durs, donc ça correspond en termes de temps de travail, tout simplement, à plus de temps. Les gens travaillent, ils sont obligés d'intégrer énormément d'éléments et si ils ont cette capacité à s'activer, ils ressortent, ils sont hyper performants. Il y a aussi le fait qu'on met les gens dans des situation dans lesquelles, en entreprise, personnes n'oserait les mettre. Les managers, quand ils disent : "on fait confiance à nos cadres", qu'ils viennent chez nous ! Parce que chez nous on prend trois fois plus de risque que n'importe quel dirigeant d'entreprise par rapport à ses jeunes cadres."

Responsables Ressources Humaines

 

3.2. Une approche du concept d'implication.

Notre approche du concept d'implication fait valoir la nécessité d'expliciter la nature des relations décrites. Nous avons en effet cru pouvoir noter que rares étaient les auteurs explicitant les positions ontologiques et épistémologiques sur lesquelles se fonde(nt) leur(s) concept(s).

Parmi les trois niveaux de réalités auxquels nous avons situé l'implication, nous nous sommes centré sur celui de la conscience. Nous avons privilégié cette réalité par souci de rester en phase avec nos interlocuteurs professionnels. Nous voulions évoquer des phénomènes auxquels ils peuvent avoir accès dans le cadre de leur activité quotidienne.

Dans cette perspective, le " véritable " impliqué n'est pas forcément celui qui clame le plus fort son attachement à l'organisation, mais celui qui, en situation, face à des problèmes concrets le convoque. Nous percevons là une orientation s'opposant à ce qui apparaît souvent dans la littérature des Sciences Humaines et Sociales comme une tendance naturelle à adapter ses logiques et ses référentiels d'action aux circonstances définies par le contexte.

Parmi les types d'implication, développée suivant les modes de convocation des engagements, plusieurs se révèlent intéressants pour l'organisation. Le " pragmatisme " peut être approprié à certains postes ne demandant pas d'initiative particulière. Ce profil est adapté à des fonctions définissant un rôle univoque. Le " conditionnel " peut être intéressant à condition de disposer des moyens de contrôler ou d'inciter l'individu à maintenir ses adaptations dans des cadres bien définis. En effet, adaptant ses engagements au contexte, l'organisation doit, pour compter dans ses logiques, rester relativement présente. L'exclusif constitue de prime abord le profil le plus attractif. Il se référerait systématiquement aux engagements contractés par rapport à l'organisation. Nous faisons cependant valoir, à ce niveau, l'intérêt du discernement. En effet, un grand nombre de facteurs amènent les individus à composer avec les exigences des partenaires. Le discerné est, dans ce contexte, en mesure d'intégrer simultanément les enjeux de l'organisation et ceux des fournisseurs ou des clients. Par ailleurs, comme l'impliqué (selon Thévenet), il peut développer un projet personnel.

Nous situons finalement l'enjeu de l'implication dans le fait que l'individu reconnaisse, et plus précisément, intègre la réalité et les enjeux de l'entreprise dans ses logiques d'action. Nous faisons ainsi valoir une notion proche de l'acceptation inconditionnelle de Rogers. En conséquence, il ne nous apparaît pas nécessaire, ni même utile que cette acceptation soit exclusive. Nous croyons en effet que pour l'entreprise tout comme pour l'association une part de la performance consiste à produire une réalité matérielle et symbolique acceptable pour tous : le client, les fournisseurs, les partenaires financiers et les propriétaires.

Nous pensons également que la performance symbolique peut être, pour l'entreprise aussi, une notion pertinente. Reconnaissant et convoquant sa réalité en situation, le salarié prend en considération ses intérêts tout en actualisant sa réalité symbolique et sociale. Il peut ainsi contribuer à la densité d'une réalité sociale.

Neveu (1996), s'appuyant sur les écrits de Levinson (1962) et Kotter (1973), évoque à propos de l'implication, un contrat psychologique implicite : l'individu accepte de travailler (embauche) et de continuer à le faire tant que les valeurs de l'organisation lui permettent de satisfaire ses propres attentes et besoins.

Nous élargissons cette proposition en considérant un contrat cognitif implicite. L'individu tend à maintenir ses engagements tant qu'ils lui permettent de se définir par rapport à la situation, conformément à certaines aspirations en termes d'image de soi. En effet, nous avons interprété les engagements, que développent les volontaires dans le contexte des projets de développement, comme une sorte de repères définissant tour à tour la situation, le rôle joué dans ce cadre et la nature des relations entre les deux. Prenant l'exemple d'un engagement exclusif dans les populations, le volontaire définit la situation en termes de pauvreté de ses hôtes, il se conçoit lui-même comme celui qui peut les sauver, ou dans une moindre mesure les aider, enfin il induit une relation prenant la forme d'un don unilatéral.

Nous avons constaté des résistances parfois très marquées dans la remise en question des formes ainsi anticipées. Nous avons attribué ces résistances au fait que la remise en cause de l'engagement impliquait, pour le volontaire, le renoncement à une certaine légitimité, et d'une façon générale, à son cadre habituel de perception de la réalité. La profondeur qu'atteint parfois la phase de confusion illustre la mesure dans laquelle l'engagement peut être investi par l'image de soi.

L'implication dans la situation de travail, notamment la relation avec l'environnement, et les engagements développés à l'égard de certains référentiels, sont assumés dans la mesure où il définissent une image gratifiante de soi à travers les prémisses sur lesquelles ils se fondent. Nous percevons là des formes de rétribution implicite. Nous admettons le caractère inconscient des désirs qui sous-tendent les images recherchées ; le rôle et les " scénarios " (Berne, 1967) restent souvent en partie implicites mais sont a priori accessibles à la conscience. Ce que le volontaire ne perçoit pas tout de suite, ce sont les projections et les refoulements qu'effectue son inconscient pour permettre le maintien des images recherchées.

La façon dont nous envisageons les logiques de l'implication s'appuie sur les postulats admis à propos de la conscience, définissant une double fonction cognitive et existentielle du processus implicationnel. Dans cette perspective, l'implication consiste à définir la situation avec pour double objectif de la rendre praticable et d'attribuer à la présence du volontaire une utilité et un sens. Le principal enjeu du volontaire, et sans doute pour tout salarié, reste de "construire/trouver sa place".

Enfin, nous faisons valoir la maturité émergeant conjointement au processus implicationnel. La relation avec l'organisation peut être parfois déterminante. C'est le cas pour les volontaires sortant de l'école et qui, avant de se lancer dans la vie active, trouvent dans cette expérience une manière de développer leur maturité. Notons que pour la plupart, ils sont en mesure d'expliciter à leur façon ce type d'enjeux : ils parlent de se découvrir, de changer, de mûrir, de s'enrichir. Parmi toutes leurs anticipations, c'est sans doute celle qui aboutit le plus sûrement, non sans difficultés.

Cet aspect de l'implication confère un rôle crucial au Service Ressources Humaines. Cela peut conduire les responsables à s'opposer aux enjeux technico-économiques, dont ils ont la charge. Il leur faut accompagner ou s'assurer que le processus se déroule sans trop de difficultés. Nous ne préconisons rien d'autre qu'une écoute attentive permettant à la personne d'expliciter, de formaliser, et de prendre conscience de son expérience. Nous croyons qu'une telle activité est acceptable pour les responsables RH et l'encadrement général. L'accompagnement peut être conduit de façon informelle.

3.3. Perspectives de validation des catégories relatives aux profils implicationnels.

L'une des principales limites de notre contribution réside dans le fait que la variable centrale, la convocation des engagements composant l'implication, ne constitue qu'une variable intermédiaire. En dehors des hypothèses émises en conclusion du chapitre 7, nous ne sommes pas en mesure de situer précisément les causes présidant à la détermination du type de convocation adopté.

Nous pouvons d'abord questionner les facteurs contribuant à la convocation d'un engagement donné. Nous imaginons également que l'intensité de l'engagement ressenti, son ancrage dans des motivations inconscientes, peut accroître ses chances d'être convoqué. Il semble encore que certains individus aient " naturellement " la capacité de rester intègre indépendamment des circonstances. Nous faisons le lien entre ces deux hypothèses à travers un phénomène que nous avons rapproché de l'internalisation. L'implication ajustée intègre des engagements ancrés dans l'expérience vécue et dont les principes pourraient être internalisés aussi profondément que les normes. Leur convocation fait alors partie intégrante du fonctionnement de l'individu.

Plus que la convocation d'un engagement donné, nous questionnons, compte tenu des concepts développés dans cette thèse, la capacité des individus à convoquer simultanément plusieurs engagements. Nous supposons que la complexité des problématiques de développement des sociétés du tiers-monde peut " décourager " certaines formes de discernement et réduire le mode d'implication à la convocation d'un seul engagement. Mais nous faisons l'hypothèse que la convocation d'un engagement donné dépend pour beaucoup du profil attributionnel de l'individu. En ce sens, Spector fait valoir le fait que ceux qui intègrent un locus de contrôle interne perçoivent des alternatives plus nombreuses (que les personnes intégrant un locus de contrôle externe). Nous interprétons ce profil comme une capacité à intégrer des réalités hétérogènes et à assumer les arbitrages qu'ils impliquent. Cette capacité à arbitrer peut être rapprochée de la subjectivité décrite par Dubet. Au-delà des déterminants de l'implication, nous insistons sur les formes de maturité et d'aptitude au discernement émergeant du processus implicationnel. Le mode de convocation serait ainsi lié au développement de la personne.

Mais, comme l'affirme Watzlavick (1975), le " pourquoi " n'est pas forcément la seule question pertinente, le " Quoi " peut être tout aussi riche d'enseignements. Dans cette perspective, les catégories développées à propos de la convocation, nécessitent selon nous, de développer une démarche de validation afin de les fixer dans le cadre de connaissances plus générales.

Nous souhaiterions ainsi valider la relation établie entre les engagements composant l'implication et la contribution, à travers les variables relatives à leur convocation. La démarche hypothético-déductive nous semble la plus appropriée au type de connaissances que nous souhaitons produire.

Projet de validation des liens établis avec les choix.

Nous projetons de valider les catégories de convocation mises à jour. Plus précisément, nous voudrions vérifier les liens entre les profils établis à ce sujet et l'investissement des engagements dans les choix effectués face à des problèmes concrets.

La variable résultante, que nous souhaitons mesurer, est le degré de prédictibilité des réponses face à des questions mettant le répondant en situation de décider en fonction d'enjeux immédiats.

Nous souhaiterions ainsi vérifier une série d'hypothèses considérant que, face à un problème concret :

- le " pragmatique " tendra à choisir la réponse la plus efficace ;

- le " conditionnel " optera pour la solution satisfaisant le mieux les enjeux du référentiel présent ;

- " l'exclusif " choisira systématiquement le même référentiel ;

- le discernement ne peut, quant à lui, pas faire l'objet de prédiction.

Le questionnaire envisagé pourrait se découper en deux temps :

- un premier temps consisterait à mettre à jour le positionnement de l'individu;

- le second le mettrait face à des problèmes plus concrets.

Mais, il nous semble cependant difficile, à travers un questionnaire de différencier les questions visant à établir le profil du répondant et celles vérifiant ses logiques en situation.

En conséquence, il nous semble plus approprié de limiter l'usage du questionnaire à l'établissement du profil. Nous pourrions sur cette base mettre à jour des prédictions que nous confronterions aux résultats obtenus dans le cadre d'une étude clinique.

Certains des jeux de rôles mis en place par le SCD et l'AFVP nous semblent pouvoir répondre aux besoins définis par ce projet. Ces jeux mettent les participants en situation d'agir et faire des choix. Nous avons d'ailleurs pu constater que la plupart des futurs volontaires se laissaient prendre au jeu et s'y investissaient intensément.

L'une des difficultés consisterait alors à identifier la façon dont l'individu fonctionne effectivement. Une explicitation " après coup ", nous paraît pouvoir constituer une voie satisfaisante, dans la mesure où nous ne cherchons pas à savoir si ce que pense l'individu influe vraiment sur ses comportements. Notre objectif est de mettre à jour les préoccupations et enjeux qu'il avait en tête au moment de l'action et sur la base desquels il forge les intentions qu'il attribue à ses comportements.

Paradoxalement, la validation du profil " discernement " reposerait sur la vérification, chez les individus identifiés comme tels, d'une absence de corrélation entre les réponses données aux différents exercices.

Chapitre Précédent

Email_Logo.gif (2566 bytes)