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Chapitre 8

La gestion de l'implication

Cette partie applique les modèles précédemment établis à la Gestion des Ressources Humaines. Elle s'appuie sur les trois contextes étudiés, pour modéliser les différents registres susceptibles de composer la performance des associations et, explore, partant de là, les potentialités de nos quatre types d'implication en termes de contribution.

Ces différents registres permettent, par ailleurs, de situer les enjeux des Responsables Ressources Humaines : nos partenaires dans le cadre du dispositif de recherche-action présidant à cette partie. Ce n'est que partant de ces enjeux et de leur situation par rapport aux tendances dominant l'organisation, que nous pouvons analyser, de façon plus spécifique, les pratiques mises en place et les potentialités qu'elles ouvrent au niveau de la gestion de l'implication.

Considérant les contributions en termes de construction d'une réalité acceptable pour tous, nous faisons, plus particulièrement, valoir la possibilité de gérer conjointement l'implication du volontaire et le développement du projet. Dans cette perspective, nous préconisons une responsabilisation du volontaire intégrant les contingences de l'implication.

Chapitre 8.

Présentation du dispositif de recherche-action

&

introduction des trois associations

Résumé (8)

Notre problématique concernant les liens entre les engagements signifiés par les volontaires et leurs contributions rejoint les questions que se posent les Responsables Ressources Humaines des trois associations étudiées concernant les responsabilités du volontaire et celles de l'association, dans le cadre d'un dispositif de recherche-action.

La relation établie dans ce cadre a pour objectif de leur permettre de clarifier leurs positions sur ce sujet tout en nous permettant de finaliser davantage les connaissances produites. Nous abordons les réalités construites dans le cadre des trois associations avec pour objectifs d'apporter des éléments de réponse aux préoccupations ainsi intégrées.

L'AFVP se donne pour objectif de réaliser des projets de développement tout en proposant à ses volontaires une expérience formatrice. Les tensions entre ces deux enjeux divisent aujourd'hui les membres des associations. Ils se retrouvent cependant pour exiger des instances dirigeantes qu'elles redéfinissent des orientations plus claires.

Le SCD met ses volontaires à la disposition de ses partenaires. Ne réalisant pas lui-même les projets de développement, sa philosophie tend à rejeter les logiques productivistes au profit d'une approche valorisant la rencontre culturelle.

Pendant vingt-cinq ans l'action de MSF s'est développée autour de l'action d'urgence. Mais, pour des raisons économiques elle a depuis quelques années élargi son activité au développement. Sa culture n'a cependant pas encore intégré ces évolutions. Les membres de l'association abordent ces opérations à moyens et longs termes comme des missions moins urgentes.  

Introduction.

Ce chapitre revient sur les principes de la recherche-action retenus pour aborder l'Association Française des Volontaires du Progrès, le Service de Coopération au Développement et Médecins Sans Frontières dont il entreprend par ailleurs la description.

Le principal enjeu de cette présentation des trois associations est de permettre au lecteur de mieux comprendre les exemples que nous convoquons, tout au long de cette troisième grande partie, pour illustrer les problématiques relatives à la gestion de l'implication.

Les développements introduits dans ce cadre sont du même ordre que ceux qui composent le chapitre 5 : il s'agit de données relatives aux contextes des phénomènes étudiés auxquelles nous nous référons sachant que :

- d'une part, elles resteront, compte tenu de la complexité des objets, très partielles ;

- d'autre part, n'ayant pas fait l'objet d'une conceptualisation scientifique aussi rigoureuse que les données relatives à l'expérience du volontaire, elles ne peuvent prétendre au même statut.

Cette présentation intégre ainsi des données de base concernant l'organisation, les activités et les buts du chacune des trois associations. Elle initie ce faisant des analyses qui, si elles ne peuvent véritablement prétendre à une validité scientifique, nous permettent néanmoins d'appréhender certaines problématiques caractérisant leurs cadres de références idéologiques et pratiques.  

Ces données sont questionnées en fonction de préoccupations, directement ou indirectement, liées aux orientations de notre recherche : elles doivent être restituées comme "la performance de ces organisations en matière de développement, suivant une perspective de Gestion des Ressources Humaines".

Le caractère partiel de nos analyses s'avère, concernant MSF, plus particulièrement marqué. L'urgence constitue son métier d'origine et c'est dans ce domaine qu'elle s'est imposée comme une organisation particulièrement performante. Mais, questionnant ses performances en matière de développement, nous reléguons cette partie de ses activités au second plan.

Le développement, dans ce contexte qualifié de post-urgence et d'assistance technique, constitue, de notre point de vue, le point faible de MSF. Bien que constituant désormais plus de la moitié de ses activités, ses représentations culturelles refusent d'admettre la nature et l'importance de ce type d'opérations. Ces décalages, mis en exergue par nos analyses, relèvent de la problématique de cette recherche dans la mesure où ils perturbent l'expérience vécue par les volontaires et entravent leur efficacité. C'est, essentiellement, par rapport à ces problèmes que se situent les remarques et les recommandations que nous faisons à propos des pratiques développées par cette association.

D'une façon générale, la partialité de nos analyses est à restituer dans le cadre d'une approche de la performance des trois associations étudiées liée aux enjeux des Responsables Ressources Humaines. Ces derniers sont, rappelons-le, nos principaux interlocuteurs dans le cadre du dispositif de recherche-action présidant à cette troisième grande partie.

1. La recherche-action.

1.1. Définition de la recherche-action.

La recherche-action est une approche actuellement très en vogue au sein des Sciences de Gestion. Cette approche peut, peut-être, constituer, pour ces sciences, une opportunité d'affirmer une identité spécifique.

Les Sciences de Gestion se définissent, entre autres, par un rapport plus étroit que d'ordinaire à l'action. Lassègue (1981) les conçoit comme l'application des théories des Sciences Humaines et Sociales à la conduite des organisations. Partant de là, elles peuvent trouver dans la recherche-action un moyen de mieux finaliser leurs démarches et de mettre à jour certaines spécificités susceptibles de caractériser les connaissances qu'elles produisent.

Comme tout phénomène de mode, qui plus est lorsqu'il est associé à des enjeux aussi importants que ceux qui se jouent actuellement pour les Sciences de Gestion, la recherche-action fait l'objet de nombreux espoirs. Ces espoirs tendent à se projeter sur un dispositif encore mal défini et dont les critères n'ont pas encore véritablement été arrêtés.

Gaultier remarque ainsi que pratiquement aucun auteur n'explicite complètement la définition de la recherche-action qu'il utilise. Les catégories qu'il parvient, néanmoins, à mettre à jour sont le résultat d'un travail d'interprétation des pratiques développées par un certain nombre de chercheurs.

 Problématiques de la recherche-action.

Gaultier constate que dans la plupart des recherches, "les sujets de l'enquête ne participent qu'en fournissant des informations ; ils n'ont qu'un faible écho des résultats"

Il reprend, par ailleurs, des propos de Weber pour souligner que "...la saisie des régularités s'opère en fonction d'une problématique qui détermine l' "accidentel" et l' "essentiel" relativement aux problèmes posés." Nous interprétons cette remarque comme un rappel convergent avec la subjectivité de toute représentation scientifique que nous avons admise dans le cadre du chapitre "Epistémologie".

Ces deux énoncés soulignent certains manques de la recherche ordinaire :

- elle demeure relativement éloignée, tant sur le plan pratique que sur les contenus des enjeux des acteurs ;

- les problématiques ont un caractère arbitraire, elles restent essentiellement fondées sur les préoccupations du chercheur.

Partant de là, Gaultier voit, dans la recherche-action, des réponses possibles. Il distingue quatre tendances (quatre "foci") autour desquelles s'organisent les définitions de la recherche-action :

1. de "nouveaux buts",

2. de "nouvelles méthodes",

3. "une orientation sur l'action",

4. "une communauté d'action".

Parmi ces orientations, nous retenons celles relatives à de nouveaux buts. Dans cette perspective, la recherche-action "emploierait des méthodes de recherche déjà utilisées, mais le ferait dans la poursuite de nouvelles finalités.

" Elle "serait donc l'articulation des théories et des pratiques dans une perspective de changement social et une approche scientifique permettant à un groupe d'acquérir une conscience critique et constructive de son action."

Les connaissances produites auraient pour vocation de constituer "...une solution à un problème posé par les intéressés eux-mêmes et non issue de l'expertise de chercheurs extérieurs aux problèmes.". D'une façon plus générale, la recherche action viserait à "transformer la situation initiale des acteurs."

 

Nous nous retrouvons dans certains de ces énoncés, mais nous voyons cependant se dessiner certaines orientations par rapport auxquelles nous souhaitons prendre nos distances, tout en les considérant comme des éléments de repères par rapport auxquels nous positionner.

Nous définissons la recherche-action à partir de besoins assignant à la recherche de "nouveaux buts". Nous ajoutons à la validité scientifique ordinaire, un principe fondateur des Sciences de Gestion : l'utilité des connaissances produites. Ce sont des démarches visant à produire cette utilité que découlent les éventuelles autres modifications que pourrait introduire la recherche-action sur l'ensemble de la démarche construite. Nous signifions ainsi que les particularités intégrées, entre autres, au niveau méthodologique, ne constituent pas une fin destinée à marquer la différence des Sciences de Gestion, mais un moyen de répondre à des enjeux extérieurs à ces considérations.

La définition de la recherche-action passe, compte tenu de l'orientation retenue, par une explicitation du type d'utilité visé par la recherche. Nous rejoignons Gaultier sur l'idée de permettre aux acteurs d'acquérir une conscience plus critique et plus constructive de leur action. Nous sommes, par contre, plus réservés quant à l'objectif consistant à transformer la situation initiale.

Mais déjà, l'idée d'une conscience critique et constructive de l'action soulève des ambiguïtés exigeant quelques précisions. Suivant un principe d'inspiration positiviste, cette conscience peut être interprétée comme le fait de ramener à ce niveau d'attention, des réalités objectives et, ce faisant, de corriger des idées fausses. Il s'agirait ainsi de réduire les éléments de subjectivité qui "biaisent" les perceptions des acteurs.

Compte tenu du paradigme à dominante constructiviste sur lequel se fonde notre épistémologie, la prise de conscience escomptée ne peut aller aussi loin. Elle se limite à une représentation plus sophistiquée et plus informée (Janesky, 1994) associée à des formes de réflexivité :

- les connaissances scientifiques constituent, pour nous, des représentations de nature identique à celles des individus ordinaires, mais elles cultivent certaines fonctions de la cognition humaine leur permettant d'accéder à une validité supérieure. Le travail de déconstruction effectué au niveau de la problématique et des concepts associés à une réflexivité plus profonde et plus permanente que d'ordinaire permet, entre autres, d'évacuer une part importante des valeurs et des sentiments qui participent habituellement aux perceptions. Les connaissances scientifiques n'en sont pas pour autant objectives, les catégories de sens sur lesquelles elles se fondent dépassent les caractéristiques intrinsèques des objets étudiés, pour intégrer des problématiques spécifiques ;

- la réflexivité vers laquelle le dispositif de recherche-action a pour vocation d'accompagner les acteurs correspond, pour nous, à une prise de conscience. Il s'agit de les aider à expliciter et à conceptualiser les enjeux qu'ils prennent en charge dans le cadre de leur fonction.

Combinant ces deux apports, la recherche-action a pour vocation de permettre aux acteurs de prendre du recul par rapport à leurs pratiques, à travers une prise de conscience des arbitrages sur lesquels elles se fondent. Mettant ces pratiques en perspective par rapport à des enjeux mieux explicités, ce dispositif permet aux acteurs de (re)délibérer et (re)définir les contenus et le sens de leur action dans, par et pour l'organisation.

Les acteurs avec lesquels nous nous sommes liés étaient, pour chacune des trois organisations étudiées, les Responsables Ressources Humaines. Compte tenu de la nature de notre projet, c'est avec eux que nous avons, naturellement, pris contact. Au delà de la compatibilité de leurs compétences avec les domaines abordés par cette recherche, ces acteurs se sont révélés les plus en phase avec le type de problématique développée.

1.2. Implications méthodologiques.

La recherche-action ne constitue, dans le cadre de cette recherche qu'une étape d'un dispositif plus vaste. Nous avons, en effet, commencé par une démarche relativement classique ayant abouti à des connaissances qui, en dehors du fait qu'elles portent sur des phénomènes ayant pour théâtre, l'organisation, ne diffèrent en rien de ce qu'elles auraient pu être si nous nous étions inscrit en psychologie sociale.

La recherche-action ne démarre, dans le cadre de l'exposé des connaissances, que dans le cadre de cette troisième partie. Nous confrontons les catégories d'implications construites aux enjeux possibles de l'organisation et à ceux plus spécifiques du Responsable Ressources Humaines. Nous questionnons les caractéristiques que ces types d'implications induisent au niveau de contributions définies comme telles par rapport aux critères valorisés par nos interlocuteurs.

Cette mise en perspective aboutit à des connaissances d'un ordre sensiblement différent de celles précédemment construites. Elles se fondent, entre autres, sur des principes épistémologiques et des démarches méthodologiques et interprétatives, par certains aspects, spécifiques.

Au niveau épistémologique, nous abandonnons la neutralité scientifique habituellement mise en oeuvre par les méthodes dites "qualitatives", pour une neutralité d'un ordre quelque peu différent. Nous nous réapproprions les enjeux et les points de vue de nos partenaires Responsables des Ressources Humaines pour pouvoir "juger" les types-idéaux dont nous disposons désormais.

La partie précédente évaluait les différents types d'implication en fonction de leurs propriétés cognitives et de leur capacité à développer et maintenir les caractéristiques attribuées à la conscience (l'unité, la continuité et l'intégrité). Nous ne portions, en dehors de ces considérations, aucun jugement sur leurs valeurs.

Nous hiérarchisons, dans le cadre de cette troisième grande partie, ces types d'implication en fonction de ce qu'ils peuvent apporter à l'organisation, en termes de Gestion des Ressources Humaines..

Une telle évaluation passe par l'identification et la compréhension des cadres de références et des enjeux dominant les organisations étudiées, ainsi que ceux qui caractérisent nos interlocuteurs.

La mise à jour des tendances dominant l'organisation emprunte des méthodes et des modes d'interprétation plus ou moins identiques à ceux mis en oeuvre dans le cadre de la partie précédente. Elle s'appuie sur des entretiens semi-directifs que nous interprétons, dans un second temps, en fonction de concepts mettant en interaction les contenus produits par les acteurs et les théories relatives à la performance.

La réappropriation des logiques de nos interlocuteurs suit, quant à elle, une démarche relativement différente. Le recueil des données et leur interprétation sont, pour ainsi dire, conjoints et sont effectués tout au long de la recherche.

Nous avons partagé, avec nos interlocuteurs, notre problématique et nos concepts et les avons tenus à jour de leurs évolutions. De leur côté, ils nous ont fait part de leurs enjeux et de leur façon de voir la gestion des volontaires. Nous avons, ce faisant, continuellement interagit sur nos cadres de références respectifs, construisant, peu à peu, une représentation commune. Nos interlocuteurs explicitaient leurs enjeux en les positionnant par rapport aux différentes dimensions de nos concepts. Suivant des formes de réciprocité, nous avons aménagé nos concepts de façon à pouvoir intégrer les enjeux ainsi explicités. Les entretiens semi-directifs visaient ainsi à favoriser l'expression des positionnements de nos interlocuteurs, en fonction de notre problématique et de nos concepts. Partant de là, nous recueillions des données d'ores et déjà interprétées.

1.3. Des rôles et des prérogatives bien établis.

 Une véritable recherche conjointe ?

Parmi les différents dispositifs de recherche qu'ils passent en revue, Bournois, Livian et Thomas (1994) évoquent une approche de la recherche-action conçue comme "un véritable partenariat" dans le cadre duquel les acteurs contribuent activement à la construction même du processus de recherche. Les interlocuteurs issus de l'entreprise sont considérés comme détenant eux aussi une part de connaissance et ayant des vues pertinentes sur la problématique élaborée. (...)

"Dans ce cas, on dépasse le souci d'appropriation des résultats de la recherche par les utilisateurs. Les acteurs ont contribué directement à la construction et à la réalisation de l'action. L'objectif de changement est atteint (encore qu'il ne s'agisse pas toujours du changement prévu !)"(...)

"On voit en effet les risques de ces démarches en ce qui concerne l'orientation même du projet."(...)"

"De quel recul critique dispose le chercheur dans l'élaboration de sa problématique s'il est dépendant de son "client" ?"

 

Nous considérons effectivement une collaboration étroite se développant tout au long du processus de recherche. Nous avons, néanmoins, absolument tenu à respecter des rôles et des prérogatives bien établis, se définissant par rapport à des projets en soi très différents :

- les responsables RH demeurent seuls décideurs de l'action à mener sur les réalités étudiées ;

- nous gardons la totale maîtrise de notre problématique et de tous les choix ayant trait à la recherche.

Le dispositif de recherche-action ne constitue ainsi, de part et d'autre, qu'un moyen. Il nous amène à ces activités communes qui trouvent leurs sens dans les profits que nos interlocuteurs et nous pouvons en retirer par rapport à nos enjeux respectifs.

Pour nos interlocuteurs l'intérêt de ce dispositif s'apparente, effectivement, à la possibilité d'acquérir une conscience plus critique à l'égard de leurs pratiques. Leurs demandes, telles que nous les avons interprétées, consistaient à :

- prendre du recul par rapport aux situations de gestion qu'ils avaient pour mission de conduire ;

- questionner, à valider ou améliorer des pratiques ayant, pour la plupart, émergé des urgences de l'action.

Accessoirement et de façon plus implicite, ils souhaitaient trouver dans le travail que nous leur proposions quelques éléments de légitimité à faire valoir au sein de l'organisation, ainsi que par rapport aux autres services.

Le travail jusque là effectué leur a, selon nous, apporté le recul souhaité à travers une vision renouvelée de leurs pratiques, de leur projet et de leur place dans l'organisation. Nous distinguons au moins trois types d'apport

En ce qui concerne cette recherche, si l'intérêt manifesté, par nos interlocuteurs, pour notre travail fut, d'un point de vue plus personnel, une source de motivations, notre investissement dans la recherche-action relève d'une démarche essentiellement calculatrice. Nous avons opté pour ce dispositif dans la mesure où il nous est apparu comme la voie la plus satisfaisante pour mener à bien notre recherche.

Les principaux avantages que nous lui attribuons sont de mieux finaliser notre travail et de pouvoir aller plus loin dans l'analyse des phénomènes.

Le fait d'avoir, au delà de nos activités partagées, maintenu des rôles très différents a selon nous contribué à la qualité des résultats obtenus.

 La valeur ajoutée apportée par le chercheur.

L'Audit Ressources Humaines est un jugement porté sur la qualité des Ressources Humaines d'une organisation. Ce jugement se caractérise par une opinion favorable ou défavorable concernant l'aptitude des Ressources Humaines à répondre aux besoins de l'organisation.

La notion de besoin se réfère au fait que l'auditeur ne se limite pas à recueillir les exigences des directions techniques ou opérationnelles. Il leur fournit une valeur ajoutée s'appuyant sur des sources variées afin de produire des données utiles à leur mission.

Igalens (1994)

 

Les diagnostics communiqués à nos interlocuteurs constituent des jugements sur les réalités qu'ils ont en charge de gérer. Ces jugements se réfèrent à leurs besoins et à leurs aspirations. Notre valeur ajoutée consiste à mettre en oeuvre de façon systématique les logiques qu'ils initient et à aller jusqu'au bout des raisonnements qu'ils introduisent. Notre contribution peut être découpée en quatre temps.

Nous avons mené notre contribution jusqu'aux limites du rôle que nous pouvions assumer, compte tenu de nos conceptions du statut de chercheur. Nos interventions s'arrêtent, par principe, au moment où nos interlocuteurs prennent leurs décisions. Notre objectif était de leur permettre d'approfondir les délibérations présidant à leurs pratiques, en leur faisant prendre conscience des enjeux et de la portée des arbitrages qu'elles impliquent.  

Notre contribution a consisté à mettre à jour certains problèmes et à proposer des pistes de réflexion. Au delà des perspectives pratiques ouvertes par nos recommandations, nous situons nos apports au niveau de l'aide apportée concernant "l'énonciation" d'un projet cohérent (Glady & Valéau, 1996). Nous faisons notamment valoir :

- l'élargissement de leurs cadres de références à l'idée d'une responsabilité contingente des volontaires ;

- une conceptualisation en termes d'implication capable d'intégrer l'expérience du volontaire et les multiples registres de sa performance comme les aspects d'un seul et même phénomène.

L'énonciation et la formalisation d'un projet constituent, selon nous, un préalable nécessaire à la conception et à la mise en oeuvre d'une Gestion des Ressources Humaines "intégrée". La mise à jour de positions claires et précises ouvre par ailleurs à nos interlocuteurs la possibilité d'affirmer leur sensibilité auprès des autres services.

Accessoirement, une partie de notre contribution réside dans le fait d'avoir pu endosser et énoncer, en tant qu'intervenant extérieur, des discours que nos interlocuteurs ne pouvaient, de par leurs fonctions et leurs positions face aux autres acteurs, complètement prendre en charge. Une logique comparable peut être considérée au niveau des contenus ainsi exprimés : notre indépendance par rapport à ces organisations nous autorisait à aller jusqu'au bout de certains raisonnements. Nous avons ainsi pu "penser" et "dire" certaines choses dans la mesure où nous n'étions pas, contrairement à nos interlocuteurs, directement soumis aux contradictions d'ordre cognitif et aux embarras sociaux qu'elles pouvaient engendrer.  

2. Aperçu des trois associations étudiées.

Les trois associations que nous étudions se définissent toutes les trois comme une "organisation non gouvernementale" (ONG) de "solidarité internationale". Il s'agit là du libellé sous lequel se regroupent actuellement les organisations de ce type : elles ont fini par abandonner l'expression "aide au développement", celle-ci étant devenue trop ambiguë. L'idée de "solidarité" suggère une réciprocité qui s'oppose au caractère unilatéral de la notion d'aide. 

2.1. L'AFVP

L'AFVP fut créée en 1963, à l'initiative du Ministère de la Coopération et de diverses associations d'éducation de la jeunesse. Son activité consistait alors à envoyer des jeunes français, dans des états d'Afrique récemment devenus indépendants, dans le cadre de nouvelles formes de coopération. Le statut retenu, pour ce faire, fut le volontariat. Ses objectifs étaient de faciliter les rencontres et de former la jeunesse française à travers une expérience différente.

L'AFVP a, en 1979, modifié ses statuts et élargi son activité. Elle se définit désormais comme une association d'aide au développement mobilisant une main d'oeuvre volontaire.

Ce changement constitue une modification substantielle de l'objet social. La mise en place de projets ne vise pas seulement à accueillir les volontaires et à mieux contrôler les données de leur expérience, mais introduit de nouveaux buts. Elle fait de l'association un acteur du développement et implique des réflexions spécifiques ainsi que l'initiation d'une véritable politique en la matière.

L'AFVP aspire à mener, de front, ces deux activités. Elle envoie de jeunes volontaires dans le cadre de projets de développement, les considérant tour à tour comme buts et comme moyens 

Sa philosophie du développement s'appuie sur une définition relativement simple.

 Le développement...

"Le développement, pour des personnes ou des groupes, c'est l'acquisition progressive d'une plus grande autonomie par rapport au milieu naturel, économique, culturel et politique."

définition officielle

de l'AFVP

 

De prime abord, relativement neutre, cette dernière exprime une opinion sur ce qu'il doit être. Elle s'oppose, de façon plus ou moins implicite, à la politique de dons développée durant les années soixante et soixante-dix. Certes, utiles dans les situations d'urgence, les dons ne contribuent pas, selon elle, au développement durable de ces pays. Il ne s'agit plus, en tout cas pour l'AFVP, dans le cadre de ses interventions, de donner aux individus ce dont ils ont besoin, mais de leur en permettre l'acquisition. 

L'association dispose aujourd'hui de ressources correspondant à un chiffre d'affaires d'un montant de cent quarante millions de francs. Elle emploie cent vingt salariés permanents et mobilisait, il y a encore quelques années, près de trois cents cinquante volontaires travaillant sur trois cents projets. Suite à une baisse progressive de la subvention que lui avait, depuis toujours, accordée le Ministère de la Coopération, son activité s'est, depuis, quelque peu réduite.  

Elle intervient dans une soixantaine de pays, tous situés en Afrique. Son organisation, compte tenu de cette contrainte, repose sur une division géographique. Elle est ainsi représentée, dans chacun des pays où elle intervient, par une délégation régionale.

Ces délégations sont relativement autonomes et le délégué constitue, à l'AFVP, un acteur clé. Toutes ses décisions sont, en principe, soumises à l'approbation du siège mais dans les faits, c'est lui qui établit, compte tenu des besoins qu'il perçoit, les priorités du pays et qui détermine, partant de là, les savoir-faire en fonction desquels les volontaires devront être recrutés. Les politiques de développement de l'AFVP mettent en relation les demandes locales et les principes définis dans le cadre de l'objet social, le tout étant médiatisé par la sensibilité du délégué régional.  

Ses projets peuvent ainsi être regroupés en fonction des domaines d'intervention investis. La stratégie mise en place ne cherche pas la spécialition, mais plutôt une intégration horizontale de son objet social.

 Les principaux domaines d'intervention de l'AFVP.

L'agriculture : ce fut le premier champ d'intervention de l'AFVP. Ce domaine vital pour l'autonomie par rapport aux éléments représente encore 30 % de son activité. L'objectif de ces opérations consiste à atteindre l'autosuffisance et ce faisant à freiner un exode rural à l'origine d'un urbanisme sauvage.

La démarche consiste à renforcer le système d'exploitation déjà en place : à le combiner avec soit de l'élevage soit de la culture ;

L'hydraulique et "l'aménagement de terroirs" : cette activité représente un autre tiers de son activité, l'AFVP cherche sur ce point à passer par l'intermédiaire de PME locales afin de transmettre ses savoirs.

La santé : deux enjeux sous-tendent l'action dans ce domaine, améliorer l'état de santé des populations et renforcer les structures locales. Ces actions concernaient traditionnellement la protection maternelle et infantile mais la lutte contre le sida s'impose comme une "urgence".

Les infrastructures et le développement urbain : ce chapitre regroupe en fait deux activités distinctes : une activité BTP allant de la construction d'école à la construction de routes et d'un autre côté le développement urbain, assainissement des quartiers spontanés etc. C'est un milieu que développe l'AFVP après s'être pendant des années cantonnée au milieu rural.

L'appui à l'artisanat et aux petites entreprises : une façon d'intervenir en milieu urbain en intégrant la logique de marchés et les problèmes économiques.

 

Chaque projet constitue un produit unique. Il associe, à l'AFVP, différents acteurs parmi lesquels on retrouve obligatoirement au moins un financeur et des acteurs locaux. 

L'AFVP est effectivement une association L. 1901, mais sa réalité est en fait plus complexe. Elle se caractérise par la diversité des acteurs impliqués dans ses instances dirigeantes et, d'autre part, la place qu'occupe, parmi eux, le Ministère de la Coopération.

Depuis ses débuts, l'AFVP s'est efforcée de s'émanciper de la tutelle de ce ministère. Cette émancipation se situe à la fois au niveau politique et au niveau financier. La modification des statuts de 1979, impliquait, en plus de la modification de l'objet social, le fait que le Ministre de la Coopération ne soit plus, de droit, le président de l'association.  

Pendant longtemps, l'unique source de financement de l'AFVP est restée la subvention que lui alloue, chaque année, ce ministère. Il s'agissait d'une situation relativement confortable, dans la mesure où l'association n'avait pas à mobiliser de temps, d'argent et d'énergie pour la recherche de financements, alors qu'il s'agit là pour la plupart des associations d'une activité des plus importantes.

La contre partie de ce confort était une dépendance, dont l'association a souhaité, dès la fin des années soixante-dix, s'émanciper. La subvention ne concerne plus, aujourd'hui, que les frais de fonctionnement du siège, les projets étant, quant à eux, désormais négociés au cas par cas. Les "bailleurs de fonds" sont d'origines et de tailles relativement variées, allant de la Banque Mondiale à des municipalités de petites tailles. Chaque négociation est unique, elle dépend, entre autres, du type d'enjeux investi par le "bailleur de fonds" concerné.

Les financeurs constituent, en dehors des Pouvoirs Publics, ce que Mintzberg (1986) appelle une "coalition externe divisée". Cette division politique s'explique par des données techniques, chacun des projets faisant l'objet d'une négociation indépendante, les financeurs n'ont pas d'intérêts communs, pas d'enjeux sur lesquels exercer leur pouvoir.

L'association n'a pas à les affronter collectivement, les transactions s'effectuent en référence à des projets précisément identifiés et les rapports de forces se concrétisent dans le cadre d'ajustements locaux. La dépendance est, au départ, réciproque : l'association a besoin de fonds et le financeur recherche un opérateur.

Dans les faits, le rapport entre les deux varie considérablement d'un cas à l'autre : la dépendance par rapport à un petit projet financé par une association du troisième âge et celle relative aux projets financés par les Fonds Européens de Développement (FED) ne sont pas les mêmes. Sans compter que les négociations avec le FED mettent en jeu des collaborations à venir.

L'association se trouve ainsi fréquemment amenée à composer avec les objectifs quantitatifs et les partenaires locaux (ex. gouvernements) que lui imposent certains "bailleurs de fonds". Il est rare, et même de plus en plus rare, que l'AFVP refuse une convention importante. Compte tenu de la crise économique qu'elle traverse actuellement, elle se limite, très souvent, à négocier que le projet intègre la participation physique et financière et la formation des populations, ce qui constitue, pour les financeurs, une concession négligeable.

L'accélération de la réduction de la subvention, unilatéralement décidée par le Ministère de la Coopération l'oblige à s'adapter. La solution actuellement envisagée consisterait à facturer, aux bailleurs de fonds, les coûts indirects liés à la mise en place et au suivi du projet, autrement dit à leur imputer une quote part du budget de fonctionnement. Cette imputation ne fait qu'accentuer sa dépendance à l'égard des financeurs.

La culture de l'AFVP se caractérise par une organisation morcelée dans le cadre de laquelle les individus utilisent les marges qu'ils dégagent des zones d'incertitude dont ils bénéficient afin de servir leurs visions de l'association.

Cette situation trouve ses origines dans la modification des statuts intervenue en 1979. C'est à partir de ce moment là que l'association a ajouté à la formation de la jeunesse française, un second enjeu : le développement. Les dirigeants sont partis du principe que ces deux buts devaient être réalisés en synergie.

Dans les faits, ces deux buts ont donné jour à des tendances distinctes :

- les tenants de l'organisme de développement qui considéraient l'association comme désormais soumise à une contrainte d'efficacité pour pouvoir optimiser son action. C'est de cette tendance qu'est née l'idée selon laquelle l'association devait désormais fonctionner comme une entreprise, être plus professionnelle, gérer son budget et optimiser sa production. Le principal enjeu était de nature technico-économique. Ce courant s'est développé en alternance avec les réactions de ceux qui pensaient que tout cela allait trop loin ;

- les tenants de l'organisme de formation qui considéraient la dimension humaine de l'organisation. La performance technique et économique n'est qu'un moyen de servir des enjeux plus nobles. Pour eux l'association ne peut être comparée à une entreprise, elle a des valeurs et un mode de fonctionnement très différents.

Les tensions entre ces deux tendances ont été relativement positives pendant les premières années. Les interactions entre ces tendances aboutissaient à la prise en charge simultanée des deux enjeux.

En dépit des complémentarités que l'on peut, dans l'absolu, concevoir entre les deux buts qu'elle s'est fixée, les activités et les choix de l'AFVP tendent à se définir en tension entre, d'un côté, le fait d'envoyer et de former les volontaires et, de l'autre, l'efficacité technique et sociale requise pour rester crédible en tant qu'opérateur du développement. Les tensions entre ces deux aspects de l'objet social sont pendant longtemps restées, pour l'association, un moteur, mais elles sont, par ailleurs, à l'origine de la crise d'identité que traverse actuellement l'association.

La situation actuelle se caractérise par le fait que chacun des acteurs ou groupe d'acteurs impliqué dans l'association développe ses propres problématiques. Ses arbitrages mettent en interaction sa version de l'association et les spécificités du contexte dans lequel il évolue. Ils n'interagissent plus que dans le cadre des stratégies (coalitions, tensions) qu'ils développent en vue d'obtenir les ressources utiles à la réalisation de leurs enjeux.

Les instances dirigeantes ne définissant ces dernières années, en dehors du principe de complémentarité entre les deux buts poursuivis, aucune ligne d'action spécifique, les acteurs du terrain ont pu bénéficier de larges espaces d'autonomie, tant du point de vue pratique que symbolique. Ils ont ainsi eux-mêmes défini les orientations et les significations de leurs actions.

Les lignes d'action qu'initie chacun des acteurs dépendent pour beaucoup de sa sensibilité et des arbitrages qu'il effectue entre les deux pôles de l'objet social. Au delà, certains acteurs intègrent, à leurs logiques d'action, des intérêts plus personnels, mais telle ne semble pas être la norme. Les acteurs se réfèrent aux valeurs de l'association, mais ne perçoivent pas les mêmes.

Bon nombre d'entre eux admettent avoir apprécié l'autonomie dont ils ont pu jusque-là disposer. Mais tous (ou presque) regrettent désormais l'absence de cadre commun. Ils demandent la mise à jour de repères qui permettraient de situer leurs choix et de définir le rôle qu'ils jouent au sein de l'association.

Cette crise dure depuis maintenant plusieurs années. Les acteurs semblent aujourd'hui prêts à se mobiliser. Les associations, jusque là, divisées semblent vouloir assumer davantage leur fonctions au sein du comité directeur. Les acteurs du terrain retrouvent des enjeux communs visant à exiger des instances dirigeantes qu'elles définissent des orientations précises pour les années à venir. Ils ont, par ailleurs, mis en place des commissions visant à revenir sur l'histoire de l'association afin d'identifier ses valeurs fondatrices et de clarifier les enjeux qui se jouent pour elle, aujourd'hui.

L'AFVP reste une association de développement relativement classique. Elle est au développement, en termes de notoriété, ce que MSF est à l'urgence. La crise qu'elle traverse actuellement semble pouvoir trouver une issue et peut être l'occasion d'un renouveau. Les tensions que génère la coexistence de deux buts : les actions de développement et l'expérience du volontaire sont au coeur des problématiques abordées dans le cadre de cette recherche. Les problèmes qu'elles engendrent constituent un défi permettant d'explorer les potentialités de la gestion de l'implication.

Concernant l'AFVP, les changements techniques et culturels qui jalonnent son histoire, introduisent des différences relativement marquées entre les différentes générations de responsables : la vision qu'ils ont de l'association et la façon dont ils interprètent sa charte varient en fonction de la tendance dominante au moment où il l'intégrait. C'est ainsi que les délégations régionales sont, non seulement, marquées par la personnalité du délégué, mais également par l'époque à laquelle il est entré dans l'association.

2.2. Le Service de Coopération au Développement (S.C.D.)

Le Service de Coopération au Développement est une association de solidarité internationale née en 1979, du regroupement de "Service et Développement", créé en 1959 et de l' "Entraide pour le développement intégral", fondée en 1963. La spécificité affichée par le SCD est d'être un organisme chrétien. Celle-ci constitue l'un des principaux éléments de son identité.

Le SCD se voit, par ce positionnement, assimilé, par les candidats au volontariat, à la Délégation Catholique de Coopération : une association effectivement très exigeante sur l'engagement religieux de ses volontaires. Cette assimilation ne reflète pas forcément très bien son esprit.

Dans les faits, le SCD accepte les athées et les agnostiques cherchant à donner, à leur expérience de volontaire, une portée plus profonde, dépassant la seule réalisation technique du projet. Sa valeur de référence reste "l'échange dans le respect de l'autre". L'application de ce principe commence par le brassage d'une population de volontaires fort variés, tant du point de vue de leurs engagements, que de leurs aspirations.

L'ouverture d'esprit qui caractérise l'association lui permet d'admettre une part importante des contradictions et des ambiguïtés du développement. Elle assume complètement la relativité de l'aide apportée par le volontaire et considère le projet, avant tout comme l'occasion d'une rencontre interculturelle contribuant à la solidarité entre les peuples.

Le projet du SCD s'inscrit dans une volonté de contribuer à des formes de coopération moins "condescendantes" que d'ordinaire, initiant ainsi les volontaires à d'autres formes de relation et d'échange avec les "Autres". La spécificité de l'expérience proposée par le SCD consiste à accompagner la réalisation pratique des projets de développement, d'un questionnement sur le sens de cette démarche, tant d'un point personnel que social.

Le SCD développe sa propre vision du développement. Mais, d'une façon générale, les valeurs auxquelles il s'attache conçoivent cette activité comme la mise en oeuvre de principes plus généraux, touchant à des formes d'humanisme susceptibles de s'appliquer en d'autres circonstances. L'un de ses principaux objectifs est que, par la suite, le volontaire conserve, utilise et diffuse l'ouverture acquise dans le cadre de cette expérience.

Le SCD se différencie des deux autres associations étudiées par le fait qu'elle n'est pas opérateur. Ses activités s'apparentent à celles des agences d'intérim. Il met "ses" volontaires à la disposition des projets mis en place par ses partenaires. Une part importante de ses activités se concentre dans les domaines de la Gestion des Ressources Humaines. Elle comprend :

- le recrutement des volontaires. Ce recrutement se fait en plusieurs étapes. Il intègre à la fois les exigences des partenaires et les principes propres à l'association. Il commence, de façon classique, par un dossier relativement approfondi et des entretiens, puis il se poursuit dans le cadre de la formation, celle-ci permettant de voir les volontaires en situation ;

- la formation. On retrouve la préparation au départ dans les deux autres associations, mais elle est ici particulièrement poussée. Elle se déroule en deux temps et dure, en tout, près d'un mois. Elle diffère aussi dans son intensité et l'implication qu'elle demande de la part des volontaires ;

- le suivi des volontaires. Il intègre la dimension administrative de l'engagement. Il touche les aspects à la fois professionnels et personnels de l'expérience. Ce suivi se fait à travers des rencontres ponctuelles sur le terrain et des correspondances portant tour à tour sur l'avancement du projet et l'expérience vécue.

- l'accompagnement du retour. Le retour constitue pour le SCD une part intégrante de l'expérience. Il se réfère à "l'avant" et à "l'après". Il demande aux volontaires, dès les préparations au départ, de définir leur expérience, en fonction, aussi, de l'avenir.

L'autre volet, complémentaire de cette première série d'activités, est la gestion d'un réseau d'acteurs, principalement locaux, mettant en place les projets de développement auxquels vont participer les volontaires. Ces interlocuteurs sont de natures variées, mais leur importance reste généralement réduite. Le SCD s'est au début limité à des partenaires ecclésiastiques. Les volontaires allaient tous et vont encore en grande partie, rejoindre des structures ecclésiastiques mettant en place des actions de développement. Mais, il s'est, depuis quelques années, ouvert sur des acteurs locaux n'ayant pas forcément de rapport avec l'Eglise. Ceux-ci représentent une part de plus en plus importante de son portefeuille d'activités.

Les projets que propose l'association sont des projets relatifs à la santé, à l'enseignement et à la formation, au développement rural. Il peut s'agir d'assurer le fonctionnement de structures déjà existantes (ex. enseignant dans un collège), de mettre en place des programmes (ex. par rapport à la santé) ou de construire (ex. des écoles).

Le SCD aborde depuis quelques années des projets de développement urbain comme, par exemple, des projets de "développement des quartiers spontanés" ou des projets de participation à la gestion de petites organisations.

Son siège se limite, comparativement aux deux autres associations étudiées, à une équipe plutôt réduite. Elle comprend une dizaine de salariés permanents. On y retrouve, cependant, l'ensemble des services présents dans les autres structures :

Dans les faits, le SCD prend la forme d'une organisation quelque peu artisanale. Si les responsabilités sont rigoureusement réparties et prises en charge de façon aussi professionnelle que dans les deux autres, chacun des membres du siège se retrouve à travailler simultanément dans quatre ou cinq services à la fois. Cette polyvalence semble contribuer à l'unité et à la cohérence des activités et des discours de l'association.

Le projet de l'association repose sur le dynamisme de cette petite équipe, c'est elle qui fait vivre l'association : lui donne une forme et un contenu.

L'association envoie ainsi une centaine de volontaires par an. Ce volume d'activité est bien inférieur à celui des deux autres associations, mais il la situe, néanmoins, au quatrième rang français des envois de volontaires "longue durée".

Le SCD charge ses volontaires d'influencer les projets sur lesquels ils auront à intervenir, dans le sens des principes qu'il leur transmet. Ses volontaires gèrent, en fait, des objectifs plus ou moins contradictoires : ils s'engagent à exécuter les attentes à travers lesquelles l'opérateur définit le projet, tout en étant déterminés à l'enrichir des modifications qu'ils jugeront nécessaires.

Le SCD étant une petite structure, la dynamique qui le caractérise relève plus des groupes restreints que des grandes organisations. L'équipe sur laquelle repose son projet est très soudée et apparaît relativement claire quant à ses orientations. A la différence des deux autres organisations étudiées, les propos recueillis d'un responsable à l'autre, convergent sur une même vision du volontariat de développement. Leur projet cherche à maintenir une identité enracinée dans son histoire, tout en négociant des évolutions lui permettant d'intégrer les réalités du monde moderne.

L'ouverture aux différences reste son principe de référence. Le "brassage" de volontaires aux profils les plus variés possibles constitue, dans cette perspective, un objectif en soi. Il marque une première étape vers des différences plus marquées.

Les préparations au départ regroupent ainsi, d'un côté, des individus engagés dans des expressions assez radicales de l'Eglise et, d'un autre, des athées convaincus, avec entre les deux, un ensemble de positions pour le moins variées. Cette diversité se retrouve, par ailleurs, au niveau des "opérateurs".

Le SCD assume et encourage cette diversité, elle concrétise son principe d' "échange dans le respect de l'Autre".

L'acceptation des différences ne l'empêche pas, par ailleurs, de produire une vision relativement précise du développement et de son intervention dans ce cadre. Le SCD développe, à propos de son action, une réflexion approfondie.

Son activité se limitant à l'envoi de volontaires, elle intègre, bien entendu, la notion de développement, mais elle focalise une part importante de sa vision sur la place du volontaire au sein de ce mouvement.

Le parti qu'elle adopte est celui de la transparence. Elle assume, face aux volontaires, les ambiguïtés et les contradictions de la coopération. Elle admet, par exemple, dans son livret d'accueil, que les partenaires locaux, pour lesquels les volontaires vont travailler, les font parfois venir en vue de pouvoir bénéficier des avantages financiers qui leur sont associés.

Le SCD demande expressément au volontaire de proposer et de négocier "les évolutions souhaitables du projet initial" en vue de "favoriser, compte tenu des délais et des contingences locales, une plus grande prise en charge du projet par la population". Il attend de lui qu'il fasse preuve de discernement et d'initiatives. L'association obtient ces profils par la sélection, mais aussi par la formation.

La préparation des volontaires au départ a pour principal objectif d'amener le volontaire à abandonner une partie des préjugés sur ce que la culture occidentale développe à l'égard de l'Afrique. Tous les exposés tendent, dans cette perspective, à démontrer les limites de l'utilité des interventions européennes, et soulignent leur caractère parfois préjudiciable. Ils insistent sur la relativité du besoin et, par voie de conséquence, sur la relativité de l'aide. Le but de cet "enseignement" est de faciliter l'adaptation du volontaire, tout en essayant de prévenir des comportements et des attitudes irrespectueux envers les populations.

Partant du caractère très relatif de l'utilité des projets et de leur présence, le SCD invite les volontaires à privilégier la rencontre avec "l'Autre" et, à travers lui, la découverte de soi. C'est ainsi qu'à la notion d'aide, l'association préfère celle d'échange, de coopération et de solidarité. Certains responsables allant même jusqu'à considérer qu'il s'agit d'une finalité dépassant la réalisation technique du projet.

Cet esprit se retrouve au niveau pratique de la démarche : les actions proposées sont des actions de proximité. Les opérateurs, presque tous "locaux", donnent, à ces discours, une crédibilité certaine. Cette implantation au coeur du tissu local, garantit la situation des volontaires, au coeur des populations.

L'intégration des volontaires est, par ailleurs, facilitée, voire contrainte, par une indemnité de subsistance de l'ordre de 1000 FF. Une telle somme n'est, rapportée au pouvoir d'achat qu'elle représente dans la plupart des pays d'Afrique, pas négligeable, mais elle reste, cependant trois à quatre fois inférieure aux indemnités versées par les autres associations. Le volontaire SCD est limité à un niveau de vie auquel les populations ont, au départ, du mal à croire.

L'intégration des volontaires du SCD apparaît, dans la plupart des cas, compte tenu de la philosophie de l'association mais aussi des contraintes matérielles, bien supérieure à celle des volontaires de deux autres associations.

Les pratiques du SCD nous sont apparues, en dépit de la taille modeste de la structure, particulièrement innovantes et performantes. L'association donne, face à la complexité des problématiques relatives au développement, des éléments de réponses spécifiques. Elle parvient à intègrer les contradictions inhérentes à ce domaine, tout en maintenant un discours relativement cohérent.

Le SCD développe une pensée parvenant à dépasser une partie des préjugés que développent, d'ordinaire, les Occidentaux, à propos du tiers-monde. Ce discernement doit sans doute beaucoup à la place qu'occupent les ressortissants des pays du tiers-monde au sein de sa structure. On peut ainsi noter que son délégué général est d'origine congolaise (ex. zaïroise).

L'association développe une position originale tout aussi intéressante que celles développées par les deux autres associations plus grandes, plus connues et a priori plus crédibles. Elle constitue, dans le cadre de notre échantillon, un cas particulièrement intéressant. Il illustre, entre autres, la possibilité d'assumer dans le cadre d'une approche constructive certaines des contradictions relevées. Les positionnements qu'il explore constituent des sources d'inspiration estimables.

2.3. MSF et le problème des opérations de post-urgence et d'assistance technique.

En 1989, Médecins Sans Frontières emménageait rue Saint Sabin, dans des locaux à la mesure de son organisation. Ce déménagement du siège marquait l'aboutissement d'un développement commencé quelques vingt ans plus tôt, à l'initiative d'un petit groupe de médecins.

Ces jeunes médecins avaient pour objectif de combattre la pauvreté, et ce, de façon pratique et symbolique :

- en agissant directement sur place ;

- en faisant savoir au monde entier les drames qui se vivaient dans certains pays.

MSF est aujourd'hui une structure regroupant un siège d'une centaine de permanents, disposant d'un budget annuel de plus de 300 millions de francs et envoyant en mission plus 600 volontaires, par an.

L'association a gardé de ses origines, un caractère pragmatique et un souci d'efficacité. Elle revendique également une totale indépendance, aucune pression ne saurait l'écarter des buts qu'elle s'est fixés. Ces deux enjeux (efficacité et indépendance) guident, aujourd'hui encore, la plupart de ses choix.

 La Charte MSF

Tous les volontaires s'engagent, sur l'honneur, à respecter et servir les principes inscrits dans la Charte:

"Les MSF apportent leurs secours aux populations en détresse, aux victimes de catastrophes d'origine naturelle ou humaine, de situations de belligérance, sans aucune discrimination de races, religions, philosophies ou politiques (...)

Oeuvrant dans la stricte neutralité (...)

Ils s'engagent à respecter les principes déontologiques (...)

Volontaires, ils mesurent les risques et périls des missions (...)"

Extraits de la charte de MSF

 

Les volontaires de MSF sont, pour la majorité, des médecins et des membres des professions médicales, mais l'association reste ouverte toute autre profession utile à sa mission. Leur mission consiste à "porter secours aux populations en détresse". Cette détresse résulte de différentes catégories de problèmes : catastrophe, réfugiés de guerre, épidémie, etc... 

 Les différentes catégories d'interventions.

Les catastrophes constituent l'un des principaux cas d'urgence. Lorsqu'elles se produisent, une première équipe et un contingent de matériel sont immédiatement affectés, c'est ensuite sur la base des informations qu'ils communiquent que s'organisent les opérations. L'assistance, dans ces circonstances est essentiellement médicale : il s'agit de soigner les blessés et de parer au plus urgent, comme par exemple, prévenir les épidémies. Elle s'appuie sur la logistique dont la mission est d'approvisionner, de stocker et de distribuer l'eau potable et la nourriture, de construire des abris et d'assurer la "sanitation" du camp.

Les conflits génèrent des besoins d'assistances médicales et nutritionnelles plus ou moins semblables. Ils impliquent, par ailleurs, ce qui constitue pour MSF un enjeu presque aussi important : le témoignage. Il s'agit bien évidemment de sauver, mais aussi de dénoncer afin que les autres nations et les organismes internationaux ne restent pas indifférents. MSF a, par exemple, au début 1997, au moment où les réfugiés Rwandais avaient été refoulés au Zaïre, pris des positions en faveur d'une intervention armée des nations occidentales. Il s'agit de faire cesser le conflit ou, à défaut, par principe, de le condamner.

Les camps de réfugiés fuyant ces conflits sont, peu à peu, devenus l'une des spécialités de l'association. Ce type de mission consiste à sauver des centaines, voire, des milliers de personnes réunies dans un espace réduit, sans eau ni vivres. Il s'agit, dans ce contexte, d'apporter des soins, mais surtout de prévenir les épidémies en assurant "la sanitation".

MSF intègre aussi des missions d'assistance médicale dans les zones sous-médicalisées. Ce sont des programmes intégrant les mêmes chapitres que les autres missions, mais avec en plus une grande part de réorganisation des structures locales et la formation des acteurs locaux.

Description s'appuyant sur les documents

que l'association diffuse au public.

 

L'organigramme de l'association est assez révélateur des priorités sur lesquelles se fonde son fonctionnement. Il est construit autour du service des opérations. La place accordée à celui-ci témoigne de l'importance que l'association confère à l'action. A travers ce service, c'est l'action sur le terrain qui dicte ses besoins.

Le service des techniques médicales constituent le garant du métier de MSF. Ce service a pour principale mission de capitaliser et de préserver les connaissances acquises par l'association. Il s'agit d'un savoir empirique issu de vingt-cinq années de travail sur le terrain, mais aussi de recherches concernant des domaines spécifiques tels que l'épidémiologie. Ce service travaille également à la conception de matériel adapté au type de missions effectuées par l'association.

La logistique de l'association constitue un aspect particulièrement valorisé par les volontaires. Elle symbolise l'efficacité de l'association. L'aide médicale apportée dépend, en effet, et en grande partie, des moyens dont disposent les volontaires pour accéder aux populations. Ce service prend ainsi une importance stratégique. Il garantit également l'autonomie de l'association. Grâce à lui, l'association est aujourd'hui capable de s'installer et d'intervenir en moins de vingt-quatre heures, partout dans le monde.

Les services communication et finances travaillent en synergie pour permettre à l'association de recueillir les fonds nécessaires à son action. Dans ce domaine également, l'association a su innover. Elle a su développer de nouvelles approches marketing et des stratégies de gestion, visant à garantir son indépendance.

La conjugaison de ces différents services contribue à l'efficacité de l'association. Mis en place dès son origine, chacun d'eux représente une parcelle d'une identité tout entière définie autour de l'action.

Le Service Ressources Humaines n'est, par contre, constitué comme tel que depuis cinq ans. Les activités qui lui sont désormais imparties, étaient, auparavant, éclatées entre les différents autres services. Ce service, sous l'impulsion de J-M Chardon, a peu à peu pris une certaine ampleur. Il est, aujourd'hui, pris en considération au sein d'une culture qui ne s'y prêtait pas nécessairement auparavant.

Le service est désormais capable de produire une réflexion à la fois autonome et spécifique. Il est, en conséquence, en mesure d'introduire différents enjeux dans les arbitrages qu'effectue l'association. Le SRH est ainsi en phase de devenir particulièrement stratégique (Brabet, 1993), alors qu'il est pendant longtemps, resté d'ordre instrumental.

Ses activités se caractérisent, sur le plan pratique, par un recrutement hypertrophié, la formation, l'administration du personnel et la gestion du retour. De façon plus diffuse, il met peu à peu en avant certains aspects socio-politiques, et parfois, tout simplement humains des interventions de l'association et des expériences individuelles auxquelles elles donnent lieu.

MSF est une organisation qui fascine. Elle attire, parce qu'elle est, de l'avis de ceux qui y travaillent comme du grand public, la meilleure (du monde). "Figure emblématique" de ces organisations et du mouvement humanitaire, elle attire beaucoup d'individus en quête d'identification.

L'image que le grand public peut avoir de ses volontaires n'est pas forcément très éloignée de celle dont eux-mêmes sont effectivement porteurs. Cette image est celle d'un aventurier engagé, l'image de quelqu'un qui, face à l'adversité, fait preuve de ténacité. Souvent débordé par les besoins de populations toujours plus nombreuses, il ne se décourage pas, pris dans l'action, et ne prend pas le temps de s'apitoyer sur son sort.

L'image de l'association et celle du volontaire associés face à l'urgence constituent le fondement d'une culture particulièrement forte. L'implication intrinsèque que tend à susciter ce contexte est assez proche des formes mises à jour par Etzioni (1961) à propos des organisations normatives. Les modes de convocation les plus fréquents sont ici le "pragmatisme" et "l'exclusif" dans l'organisation.

Cette culture est très intégratrice. Les signes d'appartenance sont très nombreux. Les attitudes, les façons de se comporter et de penser sont très marquées. Elles semblent symboliser la volonté des participants de se donner à l'action collective. Les débats et les controverses sont valorisés, mais restent à l'intérieur de cadres relativement bien balisés. Les questions les plus fréquemment abordées portent sur ce que doit faire, et ce que doit être, MSF. Mais elles ne sauraient remettre en cause certains fondements comme le fait que l'association figure parmi les plus efficaces.

La valeur dominante reste l'efficacité de l'action sur le terrain. La crédibilité des volontaires, comme celle des salariés, réside dans leur cursus. L'expérience de chacun peut ainsi être évaluée en fonction :

- du nombre de missions effectuées,

- de leur durée,

- de leur degré d'urgence, autrement dit de la gravité des événements impliqués,

- et du degré d'insécurité.

En ce sens, parmi les missions actuellement les plus prisées, se trouve le Rwanda.

En dehors de la typologie fondée sur le type d'événements abordés (guerre, catastrophe, épidémie), les missions de MSF peuvent être ordonnées en fonction de leur degré d'urgence:

- les missions d'urgence pure (catastrophe, guerre...),

- les missions de post-urgence qui précèdent le départ de MSF, et ont pour objet de passer le relais aux acteurs locaux ou de partir en s'assurant que tout a été fait (celle que nous avons citée au départ),

- les missions d'assistance technique, déclenchées dans des situations de sous-médicalisation, qui sont en réalité des missions de développement, que l'on ne veut pas qualifier comme telles.

Cette terminologie est parfaitement représentative et significative de ce qui apparaît, suivant notre analyse, comme un problème. Elle est significative du manque de distinction établie entre les missions d'urgence, les missions de post-urgence et d'assistance technique. En effet, la plupart des documents officiels détaillent les différents types d'urgence et regroupent l'assistance dans le cadre d'une seule rubrique systématiquement placée en fin de liste. Or, la post-urgence n'est, quant à elle, pas mentionnée. Ces documents témoignent, ce faisant, du peu de considération accordée aux deux missions de post-urgence et d'assistance technique.

Les objectifs de ces missions sont très différents de ceux qui caractérisent l'urgence, ils s'inscrivent à moyen et long termes. Ils consistent à transmettre, aux populations, des techniques médicales et à mettre (ou remettre) en place des structures durables, ayant pour vocation de survivre au départ des volontaires.

Ces missions furent, dans un premier temps, écartées. R Brauman, l'ancien président considérait qu'elles ne relevaient pas des compétences de l'association. M. Biberson, l'actuel président fait, quant à lui, valoir leur nécessité pour pouvoir tenir les engagements pris par rapport aux donateurs sur l'utilisation des fonds.

L'urgence introduit, en effet, trop d'incertitudes. Les événements, par rapport auxquels elle se définit, sont trop aléatoires. Par essence, l'urgence permet difficilement d'envisager une planification précise et rigoureuse de l'activité de l'association.

Depuis quelques années, l'association s'est engagée à consacrer 80 % des dons reçus à l'action proprement dite, aux "terrains". Le poids de cet engagement s'est accru à la suite du scandale de l'ARC. Dès lors, ce ratio (volume financier des actions/volume des dons) ne relève désormais plus d'une stratégie offensive, mais d'une stratégie défensive. Il s'agit en l'occurrence du minimum requis pour rester crédible.

Les aléas de l'urgence s'opposent à la garantie de ce ratio. Il ne peut être tenu que moyennant la certitude de disposer d'un minimum d'activités, indépendamment des circonstances. Dans ce contexte, les missions de post-urgence et d'assistance technique ont, entre autres, fonction de compenser les fluctuations de l'urgence, de façon à pouvoir garantir l'utilisation d'une partie des fonds reçus.

M. Biberson légitime ce choix en soulignant, par ailleurs, que ces opérations relèvent du métier et des compétences de l'association. Elles restent du domaine médical.

Les missions de post-urgence et d'assistance technique représentent aujourd'hui plus de la moitié des activités de l'association. Dominées par des impératifs économiques, elles ne sont que très partiellement intégrées par la culture. Ce problème peut être décrit comme un décalage entre les temps sociaux et les temps effectifs (Sue, 1996). D'un côté, les temps sociaux, ceux qui fondent les représentations et structurent les rapports entre les individus, restent définitivement ancrées sur l'urgence. De l'autre côté, les temps effectivement consacrés aux différentes activités s'orientent de plus en plus vers d'autres types d'interventions.

On observe ainsi une sorte de déni s'exprimant entre autres à travers le langage. Les opérations de post-urgence et d'assistance technique sont en fait des opérations de développement qui en dehors de leur caractère essentiellement médical, sont en tout point comparables aux opérations habituellement développées par les deux autres associations. Le terme de développement demeure cependant tabou. Son absence du vocabulaire ne permet pas aux participants de concevoir la nature et les enjeux de ces interventions (Orwell, 1948). Elles restent, dans leur esprit, des formes d'urgence moins marquées, mais, ce faisant, il s'agit toujours plus d'urgence (Watzlavick, 1975).

Ces déphasages au niveau des représentations se concrétisent par ce qui apparaît, du point de vue des populations, comme des contre-performances. Face aux armées de volontaires en véhicules 4x4, tous munis de talkies-walkies, ces dernières tendent à prendre leurs distances.

 Des missions plus faciles ?

"Lorsqu'il s'agit de missions calmes, de missions au long cours, sans difficultés, là on va pouvoir réduire et avoir un tiers voire un quart d'expérimentés. Par contre, pour les missions difficiles, ce sera deux tiers ou trois quarts, voire quatre-vingts ou quatre-vingt-dix pour-cent d'expérimentés ... ça dépend complètement des contextes. Il y a pas une logique, il y a une moyenne qui sert un peu de point de repère, pour nous, qui est de 50 / 50. Après, c'est selon les terrains."

Responsable Siège

- "Ben , ici déjà il y a beaucoup de premières missions, parce que comme par hasard Paris a décidé que le Burkina était un bon terrain pour envoyer les premières missions. Facile, parce qu'on n'est pas stressé par les problèmes de sécurité, donc les gens sont quand même un peu plus libres. Ici, il n'y a pas de couvre feu, les gens peuvent sortir le soir et ça je pense que ça permet... c'est vrai que c'est des bonnes conditions pour commencer, pour te concentrer sur ton travail sans être... avoir la tête ailleurs pour des problèmes de sécurité, pour des problèmes de vie...enfin bonnes conditions de vie, enfin tu bouffes bien, tu dors bien, tu as l'électricité, tu as l'eau courante, toutes ces choses là qui font que tu te dégages de ces problèmes là, qui font que tu peux te consacrer à ton poste, et acquérir une certaine expérience au niveau du travail. Ouais... Ouais... j'arrive pas à voir ça comme...fin pour moi ça m'enlève du truc humanitaire. Mais je sais, je comprends tout à fait, j'en suis tout à fait consciente... Mais moi, au départ c'était pas ça ! Moi au départ j'ai été parachutée dans un truc que je ne connaissais pas, je n'étais pas encadrée, j'étais mal briefée... enfin tu vois l'urgence, je suis un peu tombé dans la marmite."

Responsable terrain

 

Perçues dans des cadres de références empruntant aux logiques de l'urgence, les opérations de post-urgence et d'assistance technique font "pâle figure" : elles apparaissent à la fois moins difficiles et moins exaltantes. L'un des enjeux de cette recherche consiste à rendre compte de la complexité et des difficultés propres à ces opérations, en les restituant dans les cadres de références du développement.

Ces décalages, entre la réalité de ces opérations et la vision qu'en garde la culture, touchent l'organisation dans son ensemble. Ils concernent cependant, de façon plus spécifique, la problématique de cette recherche dans la mesure où ils sont à l'origine d'une part importante des difficultés rencontrées par les volontaires face à ce type de contexte.

En conséquence, les changements que nous recommandons visent plus à atténuer les effets négatifs qu'engendre cette situation qu'à améliorer les pratiques actuelles.

Dans cette perspective, nous reconsidérons le rôle que pourrait jouer le Service Ressources Humaines. Ainsi, sa priorité pourrait consister à prévenir les nouveaux volontaires affectés sur ces opérations de développement (soit les deux tiers d'entre elles) de leur nature et de leurs enjeux. Il s'agirait, dès le départ, de recadrer leurs anticipations. En ce sens, la préparation au départ nous apparaît comme un moment particulièrement stratégique.

Le Service Ressources Humaines pourrait, à partir de ces premières expériences de ces nouveaux volontaires, contribuer à l'actualisation de la culture. Ceux-ci pourraient, à terme, être porteurs d'une vision de l'association intégrant les changements intervenus ces dernières années.

Conclusion sur la présentation des associations et l'introduction à la recherche-action.

Les difficultés que rencontre MSF dans le cadre des opérations de développement apparaissent, au regard de ce qui se passe à l'AFVP et au SCD, quelque peu atypiques. Toutefois, elles sont représentatives des difficultés que rencontrent les associations intervenant généralement dans l'urgence.

Ces dernières, compte tenu de stratégies de diversification de leurs activités (à l'instar de MSF), investissent elles aussi le champ du développement. Il semble qu'elles n'aient pas véritablement mesuré les implications de ce choix, et qu'elles ne maîtrisent pas encore les problématiques caractérisant ce type d'intervention.

Ces difficultés, plus ou moins assumées, constituent, pour cette recherche, un champ d'application des modèles proposés et d'opportunité d'action, particulièrement vaste. Le partenariat mis en place avec les Responsables des Ressources Humaines aura, peut-être, permis de faire évoluer la situation. Mais de toute évidence, le changement ne peut être introduit de manière trop radicale. La préparation au départ nous apparaît, dans ce contexte, comme une voie possible pour intervenir. Elle permet d'agir sur les anticipations des nouveaux volontaires, de leur faire prendre conscience de certains décalages, formant ainsi une nouvelle génération susceptible, à terme, compte tenu des engagements différents, de contribuer à l'actualisation des représentations sociales.

Concernant l'AFVP et le SCD, la recherche-action souligne la possibilité et l'opportunité d'aller plus loin dans les voies jusque-là explorées. Le dispositif initié, dans le cadre des préparations au départ, pourrait être prolongé sur place de façon à accompagner le volontaire tout au long de son expérience et du processus implicationnel qui la structure. L'enjeu consiste à s'assurer qu'il est suffisamment mûr pour assumer les responsabilités que les responsables lui confient. Il s'agit de formaliser, de consolider et de systématiser les orientations jusque-là développées.

Nous approfondissons ces différentes perspectives, à l'occasion de l'analyse des pratiques, exposée dans le chapitre 10.

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