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Chapitre 7

La convocation de l'implication.

Résumé (7)

Ce chapitre questionne les conditions présidant au passage d'une implication à long terme, telle que celle évoquée dans le précédent chapitre, à une implication susceptible d'interférer sur la contribution. La variable retenue est la convocation des engagements qui la composent dans la "situation présente". Nous envisageons ainsi quatre profils d'implication correspondant à quatre types de convocation : le pragmatisme, le conditionnel, l'exclusif et le discernement.

          . Le volontaire "pragmatique" se caractérise par le fait qu'il ne convoque aucun des engagments qui composent son implication. Suivant une logique qu'il qualifie de "professionnelle", il s'emploie à mettre en oeuvre les solutions les plus efficaces pour atteindre les objectifs du projet.

          . Le "conditionnel" sélectionne les engagements qu'il convoque en fonction de la situation et des référentiels présents. Ses logiques d'action dépendent des données du contexte.

          . L' "exclusif" s'apparente à "l'impliqué" décrit par des auteurs tels que Mowday (1982) : le volontaire convoque systématiquement et exclusivement le même engagement. Tout son univers est interprèté en fonction des termes et des enjeux du référentiel privilégié.

          . Le volontaire "discerné" se différencie des trois autres modes par le fait qu'il convoque simultanément plusieurs engagements. Les arbitrages impliqués par les contradictions susceptibles d'opposer les multiples enjeux qu'il considére contribuent à l'émergence d'une subjectivité de l'ordre de celle décrite par Dubet (1994).

La convocation constitue une variable susceptible d'expliquer une partie des contingences constatées à propos des liens entre implication et contribution.  

Introduction.

L'implication symbolique, telle qu'elle apparaît dans le cadre du processus décrit par le précédent chapitre, rend compte de la relation à laquelle se réfère le volontaire pour, en quelque sorte, résumer l'ensemble de la situation : ses deux ans de travail en Afrique. Les "Moi, je suis là, pour...", les "je suis pas venu pour...", les "Ici, tu ..." se réfèrent tous à ce lieu et à cette période. Cette unité relativement large garantit l'unité et la continuité de l'identité du volontaire. Les motivations affichées, les besoins attribués à l'environnement et pris en charge dans le cadre de l'implication, ont ainsi pour vocation de donner du sens durable à la présence du volontaire dans ce contexte.

Cette implication symbolique est conçue par le volontaire à l'occasion de ce que nous avons appelé des "métacontextes" : des contextes dans le cadre desquels aucun enjeu social ou pratique ne se joue dans l'immédiat. Ils permettent à la conscience de revenir sur les expériences passées et de se projeter dans l'avenir afin de mettre en perspective le sens de l'expérience vécue.

Nous considérons, dans cette perspective, une implication à long terme, ce long terme se référant à l'étendue de la situation prise en charge.  

Les comportements, dont rend compte l'implication symbolique à long terme, restent relativement larges et peu spécifiques : il s'agit, dans le cadre de la phase précédant le départ, du fait de "partir", et, par la suite, une fois sur place, du fait d' "être venu" et de "rester". Ce chapitre questionne son opérationnalité dans le cadre de la situation présente : sa capacité à lui donner du sens et à orienter les comportements plus spécifiques, développés pour répondre aux problèmes concrets rencontrés dans ce cadre. Il cherche, pour ce faire, à identifier dans quelle mesure, face à ces problèmes, le volontaire convoque les engagements qu'il signifie dans le cadre des métacontextes. 

Nous explorons, ce faisant, les conjonctures de l'implication symbolique à long terme. Le chapitre précédent étudiait ses tendances "structurelles". Il nous a permis de mettre en évidence un phénomène relativement stable, dont les changements se font de façon assez brutale. Il s'agit à présent de savoir si cette stabilité à moyen et long termes se vérifie sur le court terme ou si elle passe par des conjonctures erratiques.

Nous reprenons le chapitre précédent là où nous l'avions laissé : à la phase d'ajustement du processus implicationnel. Nous mettons à jour quatre types idéaux reflétant différentes tendances, concernant la façon dont le volontaire convoque, dans le cadre de la situation présente, les engagements composant son implication symbolique :

- le pragmatisme : le volontaire ne convoque pas ses engagements afin de pouvoir se concentrer sur les aspects pratiques du projet ;

- le conditionnel : il sélectionne les engagements qu'il convoque en fonction de la situation et de l'interlocuteur auquel elle le confronte ;

- l'exclusif : il convoque systématiquement le même engagement, interprétant toutes les situations en fonction des enjeux du même acteur unique ;

- le discernement : il convoque l'ensemble de ses engagements et résout les contradictions qui pourraient résulter des enjeux ainsi pris en charge, par des arbitrages dont il admet le caractère subjectif.

Avant de décrire en détail ces modes de convocation et de les rapprocher d'explications théoriques empruntées à différents champs des Sciences Humaines et Sociales, nous revenons sur la définition de ce que nous désignons par "situation présente". Il s'agit d'identifier ce qui peut se jouer au niveau de cette convocation, appliquant, pour ce faire, les principes énoncés dans le cadre de la partie "ontologie".

1. Données et enjeux de la "situation présente".

1.1. La situation présente : des incertitudes attirant l'attention de la conscience.

La "situation présente" peut être définie, à l'inverse de la "situation en général", comme la plus petite unité possible, et plus précisément, compte tenu des enjeux présidant à ce chapitre, le plus petite unité d'action.

Tout comme pour la "situation en général", certaines frontières "naturelles" peuvent, dans une certaine mesure, objectiver les choix faits à ce niveau. Nous pourrions, par exemple, considérer le temps passé dans un lieu donné, mais la situation ainsi définie ne recoupe pas forcément les enjeux par rapport auxquels se définit l'unité d'action. Dans cette perspective, des auteurs tels que Girin ou Goffman nous apportent des cadres conceptuels éclairants.

"La situation de gestion".

- "Une situation de gestion se présente lorsque des participants sont réunis et doivent accomplir dans un temps déterminé, une action collective conduisant à un résultat soumis à un jugement extérieur." (Girin, 1990)

- "Le point focal est l'unité constituée par l'interdépendance réelle ou symbolique de plusieurs individus-sujets dans leurs rapports communs à un environnement commun "physique" ou "social" considéré aussi sous l'angle éthnologique en tant que territoire." (Goffman, 1956) ;

- "La situation à l'étude doit être clairement délimitable en termes d'espace physique et social." (...) "Si le découpage d'une situation d'étude ne peut jamais être absolu, il n'en doit pas moins circonscrire un ensemble de lieux, d'événements et de personnes groupés autour d'une action ou d'un objectif commun." (Quivy et Campenhoudt) ;

 

Les critères définis par ces différents auteurs peuvent, moyennant quelques aménagements destinés à les adapter à notre projet, nous aider à expliciter ce que nous entendons par "situation présente"

La situation de gestion décrite par Girin se réfère à un résultat soumis à un jugement extérieur. Nous intégrons, quant à nous, le point de vue du volontaire : nous considérons une "situation présente" lorsqu'il se joue, pour lui, un enjeu. Deux types d'enjeux sont ainsi susceptibles d'introduire une "situation présente" :

- des enjeux pratiques : l'accès au résultat souhaité passe par une "accommodation" (Piaget, 1964) de l'environnement physique. Le volontaire doit pour ce faire entrer en interaction avec la matière ;

- des enjeux sociaux : il peut s'agir d'un accord concernant la définition de telle ou telle situation ou l'obtention d'une marque de reconnaissance. L'accès au résultat souhaité passe par une "accommodation" de l'environnement social que le volontaire et les "Autres" partagent dans le cadre de leurs "interactions symboliques" (Goffman, 1956 ; Becker, 1963).

D'une façon générale, nous intégrons l'existence d'un enjeu, à partir du moment où le volontaire perçoit une valence : un avantage ou un inconvénient, susceptibles de résulter de l'activité en cours. Le résultat ainsi pris en considération ne requiert, a priori, pas le jugement d'un acteur extérieur.

Contrairement à Girin, nous ne nous référons pas nécessairement à une action collective, l'action fondant la "situation présente" peut très bien n'être qu'individuelle. Cette action constitue le moyen d'obtenir l'enjeu visé : accéder à l'avantage correspondant ou éviter le danger perçu.

L'unité d'action ne se clôture pas nécessairement par l'obtention de l'enjeu recherché, elle peut très bien s'achever sans que celui-ci ne soit définitivement acquis ou perdu. La "situation présente" s'arrête, en fait, lorsque, provisoirement ou définitivement, "l'incertitude" disparaît : l'obtention ou la perte de l'enjeu visé ne dépendent plus de ce qui se passe dans l'immédiat.

La situation ainsi définie est qualifiée de "présente" par opposition au "métacontexte". Ce terme de "présent" fait référence au fait que l'attention de la conscience se concentre sur "l'ici et maintenant".

Le "métacontexte" se caractérise par une situation parfaitement définie. Son issue est certaine et la conscience n'a pas besoin d'être présente. Elle peut abandonner l'action en cours à des automatismes, pour se projeter dans des situations passées, à venir ou imaginaires.

En "situation présente", son attention est attirée par l'incertitude du résultat. Cette incertitude met en suspend la définition de la situation : plusieurs voies sont encore possibles, le résultat n'est pas encore déterminé et la situation ne peut pas être classée. L'individu n'a pas encore à faire son deuil de ses enjeux, sans pour autant pouvoir tenir l'enjeu pour acquis.

Une situation incertaine.

"Nous sommes partis tôt ce matin afin de ne pas être en retard à cette réunion pour laquelle il attend plus de 80 personnes. Il réunit ce matin des représentants de différents villages afin que ceux-ci réaffirment leur engagement et surtout le concrétisent par une participation dont le montant reste à définir. Il s'agit en fait de marquer le début du projet. Un désaccord entre les responsables de deux villages mettrait le projet dans l'impasse. C'est en fait la première fois qu'ils se rencontrent, les autres fois Cédric avait fait l'intermédiaire.

La réunion commençait à 9 h et à 10 h 30 une première personne, arrive. Cédric est inquiet. Il y a déjà eu une réunion où personne n'est venu parce qu'il y avait des travaux à faire aux champs. Il se demande s'il n'a pas encore oublié quelqu'un. Finalement les gens arrivent petit à petit. Le maire, le chef de village et tous les autres."

Journal de bord

Des choix lourds de conséquences.

Cette réunion s'inscrit dans le cadre d'un projet visant à faire construire un silo permettant de préserver les récoltes de l'humidité et des parasites. Compte tenu des investissements engagés, il réunit cinq villages sous la forme d'une coopérative. Le lieu où sera construit le silo est établi, il reste maintenant à désigner les responsables du projet, en particulier le coordinateur et le trésorier. Cédric leur a bien précisé que son rôle se limitait à accompagner le projet, mais qu'il ne pouvait en aucun cas en devenir le "chef".

La réunion dure depuis bientôt trois heures. Les représentants des différents villages n'arrivent pas à s'entendre. Le débat devient houleux, les rivalités ancestrales existant entre ces différents villages sont telles qu'aucun ne veut être placé sous la subordination de l'autre.

Tout à coup, tout le monde se tait, un ancien prend la parole :

"Il faut que ce soit toi, Cédric, qui soit le chef. Tu es le seul qui puisse le faire."

Silence. Tout le monde se tourne vers Cédric.

Celui-ci nous exliquera, après coup qu'il était partagé entre le désir de répondre à cette invitation, non pas pour être le "chef", mais pour être sûr que le projet n'allait pas être abandonné à cause des rivalités entre les villages.

D'un autre côté, les objectifs du projet stipulent qu'il ne peut être coordinateur, que cette fonction doit être prise en charge par les villageois eux-mêmes, afin que le projet puisse survivre à son départ. Il est tout à fait d'accord avec ce principe, il pense que c'est mieux pour les populations. De toute façon, il n'entend d'une façon générale, pas désobéir à l'association.

Le silence qui a entouré l'intervention de l'ancien est rompu par des voix le pressant d'accepter. Cédric décline l'offre. Les autres tentent alors de le convaincre, chacun y va de son arguments mettant en avant que tous ont confiance en lui et qu'il est le seul a pouvoir rester parfaitement impartial.

Cédric finit par reprendre la parole :

"Moi, je ne serai pas le chef. Mais, je vous propose que les chefs de village soient, chacun leur tour, coordinateur de projet. Chaque année, vous changerez. Je vous propose aussi de commencer par le plus ancien et d'aller comme ça jusqu'au plus jeune."

Tous acquiescent. La réunion se poursuit, mais les débats sont plus serins.

Journal de bord

 

Ces deux situations peuvent être qualifiées de "présentes" dans la mesure où elles attirent l'attention du volontaire. Mais elles sont, par ailleurs, très différentes : alors que la première se caractérise par des déterminismes externes, la seconde impose au volontaire un locus de contrôle interne (Heider, 1944) : celui-ci est en mesure, voire dans l'obligation, d'influer sur le cours des événements.

La première exige du volontaire qu'il se positionne, mais elle ne met pas en jeu sa responsabilité. Il n'est qu'un simple témoin, il n'a pas à se définir par rapport aux différents résultats possibles autrement qu'en termes de "victime" ou de "chanceux".

La seconde implique, en revanche, certaines qualités du volontaire, le choix qui lui est imposé met à l'épreuve ses capacités de discernement. Il peut, bien entendu, chercher à attribuer le locus de contrôle à des éléments extérieurs : il peut, par exemple, se retrancher derrière le fait que l'association lui interdit. Cette option demande, malgré tout, une activité résolutoire s'appuyant sur la conscience : il est, en quelque sorte, tenu d'argumenter le fait qu'il ne peut pas désobéir. En dehors, de cette alternative visant à cautionner une certaine passivité, le volontaire est tenu de prendre une décision concernant les comportements, ici discursifs, appropriés.

Nous faisons ainsi une distinction entre les "situations présentes", a priori, caractérisées par un locus de contrôle interne et celles intégrant un locus externe.

1.2. Fonctions de l'implication symbolique dans le cadre de la situation présente.

Nous interprétons ici les engagements convoqués comme une expression de la conscience. Compte tenu des principes énoncés dans le cadre de la partie "ontologie", l'action de ces engagements sur les comportements adoptés dans le cadre de la "situation présente" peuvent être de différents ordres :

- la définition du problème et la spécification d'intentions ;

- l'orientation des comportements ;

- l'attribution du locus de contrôle.

Selon Piaget (1971) la prise de conscience se produit à l'occasion d'une désadaptation des mécanismes inconscients. Nous considérons un premier palier de désadaptation au niveau de la définition de la situation.

Il arrive ainsi que le volontaire ne soit pas immédiatement en mesure de saisir les tenants et les aboutissants de la situation présente. La définition de ce qui se joue autour des événements en cours demande une analyse plus poussée. La conscience fait, dans cette perspective, office de support aux activités cognitives de l'inconscient, elle lui permet de formaliser un certain nombre de contenus. C'est dans ce cadre que peut intervenir l'implication symbolique à long terme.

Il s'agit, pour le volontaire d'évaluer les risques et les opportunités qu'engendrent les événements en cours, de définir les avantages et les inconvénients qui pourraient en résulter. Cette activité met en interaction :

- des éléments d'analyse visant à déduire les différentes conséquences possibles compte tenu des données initiales de la situation

- la référence à des enjeux permettant d'évaluer les avantages et les inconvénients des différentes alternatives possibles pour retenir la plus satisfaisante.

L'implication symbolique à long terme intervient au second niveau. Les engagements qui la composent étant définies comme la prise en charge des enjeux d'un référentiel donné, la convocation de l'un ou de plusieurs d'entre eux constitue un ou plusieurs repères permettant d'évaluer la "situation présente" et de définir les données du problème.

La définition du problème n'implique pas les mêmes questions suivant que le volontaire convoque un ou plusieurs engagements :

- s'il n'en convoque qu'un, le choix repose sur une comparaison entre les avantages et les risques que présente chacune des alternatives. Cette analyse peut être pondérée des chances que le volontaire a de mener à bien les comportements nécessaires et des probabilités d'obtenir le résultat souhaité, une fois ces conditions remplies (Vroom, 1964).

- s'il en convoque plusieurs, l'évaluation des différentes alternatives ajoute aux calculs de probabilité, la mise en concurrence de sentiments et de loyautés impliquant des arbitrages de nature plus subjective.

Ce second cas de figure est illustré par l'exemple de la réunion. Le volontaire est partagé entre le respect des principes de l'association, qui dans ce cas convergent avec les siens et la volonté de mener à bien le projet. Il a, dans ce cas précis, trouvé une solution intermédiaire, mais il arrive souvent que le volontaire ait à choisir entre deux alternatives insatisfaisantes, aucune ne lui permettant de répondre à l'ensemble des enjeux pris en charge. Ses intentions peuvent ainsi être le résultat d'arbitrages relativement complexes.

Considérant les conclusions de la partie "ontologie", les intentions ainsi spécifiées peuvent, dans certains cas, peser sur les comportements effectivement adoptés :

- les enjeux pris en charge dans le cadre des engagements convoqués peuvent faire l'objet de "véritables" motivations ;

- la possibilité d'exercer un certain libre-arbitre et de contrôler, un tant soit peu, le cours des événements contribue au sentiment d'intégrité qu'a pour fonction de produire la conscience. La vérification de ce libre-arbitre peut, en soi, être source de motivations.

C'est ainsi que lorsque les nombreuses autres motivations ne parviennent pas à se déterminer, la volonté de tenir ses engagements, qu'affiche la conscience du volontaire, peut faire la différence et emporter la décision.

En dehors de ce qui ne constitue, compte tenu des principes ontologiques retenus, qu'un cas de figure possible, le comportement adopté résulte des interactions et des motivations inconscientes face aux différentes alternatives mises à jour. L'influence de la conscience se limite à réintroduire certains enjeux, leur donnant ainsi une chance de faire l'objet de motivations.

Les engagements convoqués ont alors pour vocation de donner sens à ce que les comportements déterminés par l'inconscient donnent à voir. Les différentes alternatives possibles peuvent être réparties le long d'un continuum allant de l'attribution d'un locus de contrôle interne à un locus de contrôle externe (Heider, 1944) :

- l'individu peut tenter de rapprocher le sens donné aux comportements donnés à voir, des intentions, au départ, signifiées ;

- l'individu peut estimer avoir agi conformément à ses principes, mais ne pas avoir eu de chance. Il attribue ses comportements à son intention et le résultat aux contraintes extérieures ;

- l'individu peut, enfin attribuer ses comportements à ces mêmes contraintes extérieures, il interprète la situation de façon à ne pas avoir le choix.

Ces trois alternatives ont en commun de permettre au volontaire de respecter les engagements convoqués et les intentions qui en découlent. Les attributions du locus de contrôle sont, suivant les cas, plus ou moins crédibles. Pfeffer et Salancick (1978), font valoir le fait que l'individu ne peut nier les caractéristiques observables de ses comportements. Nous mettons, quant à nous, en avant les marges de manoeuvre relativement importantes dont il dispose au niveau des intentions qu'il peut leur attribuer. Des comportements a priori antithétiques peuvent faire l'objet d'intentions identiques.

La diversité des sens attribuables aux comportements donnés à voir.

ex. 1 Un volontaire marche dans la rue à Dakar, soudain un enfant court vers lui et lui demande de lui acheter un sac d'arachides. Considérant que ce volontaire convoque son engagement à contribuer au bien-être des populations, il peut faire valoir des intentions conformes de la façon suivante :

- il peut le lui acheter pour lui faire plaisir ;

- il admet que ce n'est pas lui rendre service mais qu'il ne pouvait pas refuser ;

- il considère que ce comportement est une exception à la règle ;

- il prétend avoir agi sans réfléchir et pense que si c'était à refaire il ne le lui achèterait pas.

ex. 2. Un volontaire vient de refuser de prendre dans sa voiture la femme d'un des villageois :

- "Je me suis engagé à aider ces gens-là mais je ne suis pas obligé de leur servir de taxi." Cette interprétation induit une interprétation du comportement d'autrui, en l'occurrence, qu'elle n'en avait pas réellement besoin ou plutôt qu'elle disposait d'autres alternatives :

- "De toute façon, mon prédécesseur m'avait prévenu, il ne faut pas céder parce qu'après ils considèrent ça pour acquis et tu es coincé." Le volontaire se justifie par rapport à une implication sociale, il ne convoque pas seulement la situation présente mais les situations à venir. Il assure là un positionnement par rapport à un poids plus lourd que ce qui semblait a priori se jouer dans la situation présente. Il s'appuie par ailleurs sur son prédécesseur, celui-ci lui sert de caution, c'était un volontaire qui avait de l'expérience et l'expérience c'est un critère de crédibilité.

 

L'attribution du locus de contrôle constitue une variable, selon nous, très flexible. Elle permet au volontaire de rattraper des comportements sensiblement différents des intentions qu'il avait anoncées et, ce faisant de rester fidèle aux engagements convoqués. Il peut de cette manière, d'autant plus facilement se réapproprier des comportements n'ayant pas fait l'objet d'une délibération préalable. C'est le cas, par exemple, lorsque le volontaire détermine son comportement dans le feu de l'action ou agit de façon automatique et inconsciente (Quéré, 1990, 1993).

La rationalisation a posteriori des intentions constitue l'un des sujets centraux de la psychologie sociale. Elle nous pose problème au niveau méthodologique, lorsque nous interrogeons, après coup, le volontaire sur les "raisons" qui ont motivé ses actes. Nous pouvons seulement considérer les engagements qu'il a en tête à ce moment là, autrement dit les engagements qu'il convoque en situation. Il ne nous est par contre pas possible de dire, dans quelle mesure ils ont, effectivement, pu peser sur les comportements.

Partant de là, la validité du modèle qui suit se limite aux modes de convocation. Nous considérons l'influence des engagements convoqués et les intentions affichées comme possibles, mais nous ne validons rien à ce niveau.

Quoi qu'il en soit, le simple fait de convoquer un engagement donné dans le cadre de la "situation présente", constitue d'ores et déjà une forme de concrétisation. Le volontaire considère la réalisation des enjeux du référentiel concerné comme un problème. Les engagements convoqués ne sont ainsi plus seulement des principes généraux, mais constituent des préoccupations concrètes, susceptibles d'influencer la façon dont il se définit par rapport à la situation présente, et d'orienter les comportements développés dans ce cadre.

Dans cette perspective, "l'impliqué" n'est pas tant celui qui signifie d'intenses engagements à l'égard d'un référentiel donné, que celui qui, en situation et en face de problèmes concrets, les convoquera systématiquement.

2. Quatre figures de convocation des engagements en "situation".

Ces différentes figures correspondent à différentes logiques présidant à la convocation des engagements composant "l'implication symbolique à long terme" dans le cadre de la "situation présente". Il s'agit, là encore, de types idéaux construits suivant les principes définis par Max Weber (1922).

Les fonctionnements ainsi repérés constituent une façon différente d'aborder des phénomènes ayant, d'ores et déjà, fait l'objet d'études approfondies, de la part des Sciences Humaines et Sociales. C'est ainsi que chacune des quatre formes ici présentées peut être rapprochée de modèles théoriques antérieurs distincts.

Type d'implicationThéorie
  
L'implication pragmatique"Le défi", Argyris (1970)
L'implication conditionnelleToutes les théories intégrant le contexte comme variable prégnante sur les attitudes
L'implication exclusive inconditionnelleThéories classiques de l'implication attitudinale. ex. Mowday (1982)
L'implication discernée"L'expérience sociale et l'émergence de la subjectivité." Dubet (1994).

Ces phénomènes représentent des formes pures au regard de certaines variables, en particulier, de la convocation. Elles mettent en évidence des types de relations entre l'implication symbolique à long terme et la façon dont les engagements qui la composent sont, en fait, convoqués face aux problèmes de la "situation présente".

Elles décrivent la façon dont l'individu gère ses multiples engagements et questionnent ce faisant, leur permanence et leur portée. La question est de savoir si les enjeux, que le volontaire affirme prendre en charge lorsqu'il évoque la situation en général, influent effectivement sur sa façon de poser des problèmes plus spécifiques et contribuent effectivement à "orienter" ses comportements.

2.1. Le pragmatisme.

Atteindre les objectifs du projet.

"Ç a sert à rien de se poser trop de questions, moi si je reste c'est uniquement pour réaliser mon projet, le reste ..." Le seul enjeu du volontaire consiste à mener à bien "son" projet.

 

Le volontaire "pragmatique" ne convoque, en "situation présente" aucun engagement, il se limite à la réalisation des objectifs du projet. Ce n'est que dans le cadre des "métacontextes", qu'il signifie les liens entre ses objectifs et les enjeux des acteurs auxquels il se réfère.

Afin d'achever son projet, le volontaire développe des stratégies intégrant les contraintes et les opportunités émergeant des différents intérêts en présence. L'achèvement de ce projet prend, ce faisant, la forme d'un "défi" (Argyris, 1964), dans le cadre duquel le volontaire s'engage à être le plus efficace possible.

L'un des aspects les plus délicats de l'expérience "volontaire" réside dans les contradictions et les ambiguïtés de la situation : les volontaires ont du mal à se négocier une place aussi légitime que celle anticipée. Mais, alors que les autres catégories de volontaires, afin de retrouver un niveau de légitimité satisfaisant, tendent à définir des positionnements relativement complexes, les "pragmatiques" décident de s'en remettre à des éléments à la fois plus simples et plus tangibles.

Le "pragmatique" focalise son attention et ses ambitions au niveau de la réalisation technique du projet et relègue au second plan les autres aspects de son expérience. C'est de cette réalisation qu'il tire sa légitimité : qu'il justifie le bien fondé de sa venue. Il cherche à démontrer l'utilité de ses compétences. Dans cette perspective, les phases de confusion ne portent pas tant sur l'utilité du projet que sur les chances d'atteindre ses objectifs.

Comme nous l'avons laissé entendre dans le chapitre précédent, la très grande majorité des volontaires, pour ne pas dire tous, cherchent, durant la phase de projection, à faire leurs preuves au niveau technique. Ils veulent montrer ce dont ils sont capables et ce qu'ils valent.

Par la suite, le projet reste, quelles que soit les options spécifiques caractérisant "l'ajustement", un point d'ancrage incontournable. Il reste l'un des principaux objets des interactions entre les autres participants, il constitue souvent un "intérêt supérieur" autour duquel ils se retrouvent pour définir le sens de la situation.

Mais les volontaires, que nous cherchons ici à comprendre, sont ceux qui, à l'issue de la phase d'ajustement, continuent à attribuer à la réalisation des objectifs du projet, une place centrale, voire exclusive. Cette place se manifeste surtout au niveau de la situation présente : la réalisation technique du projet constitue l'unique cadre à l'intérieur duquel sont envisagés les problèmes rencontrés. Les volontaires "pragmatiques" posent, analysent et réduisent les problèmes concrets dans un monde "industriel" (Boltansky & Thévenot, 1991) dans le cadre duquel seule la performance technique importe.

 

Le défi consiste à confier à l'individu, en l'occurrence au volontaire, un travail, en conditionnant les rétributions auxquelles il aspire, à des objectifs finaux ou intermédiaires définis de façon assez précise. Il s'agit de tenir le volontaire à une obligation de résultat.

La théorie d'Argyris (1970) spécifie ensuite deux conditions :

- la liberté laissée à la personne, au niveau des moyens mis en oeuvre, pour parvenir aux objectifs fixés. Cette liberté peut porter sur la quantité d'efforts déployés. Elle peut également être élargie aux voies empruntées, ouvrant alors sur des formes de créativité souvent recherchées par les organisations ;

- la difficulté réelle de l'exercice ainsi défini, le travail doit prendre le sens d'une épreuve dont l'issue reste incertaine.

L'idée d'Argyris est que la réalisation des objectifs demandés peut, dans ces conditions, devenir une source de motivations supérieure aux rétributions, au départ, définies. L'individu relie son estime de soi à la performance qui lui est demandée. Il actualise son image de soi en s'identifiant au "succès" que lui attribue l'organisation lorsqu'il atteint les objectifs qu'elle lui avait confiés.

La théorie d'Argyris (1970) s'inscrit, ce faisant, en contradiction avec la théorie de Vroom (1964) :

- selon la première, un objectif plus difficile à atteindre serait plus "motivant" qu'un objectif trop facile ;

- pour la seconde, au contraire, la propension du passage des motivations à l'action est proportionnelle à la probabilité de réussir.

Ce paradoxe se clarifie à partir du moment où on intègre que le travail, confié dans le cadre du "défi", introduit, parallèlement à la possibilité de réussir, une valence négative résidant dans le risque d'échec. Le fait de ne pas atteindre les objectifs, au départ, fixés ne se traduit pas seulement par une frustration concernant la récompense ratée, il signifie aussi et surtout un échec. Cet échec est lui-même interprété comme une impossibilité à réaliser la performance demandée et la vérification des capacités limitées. Ce risque d'échec réduit les possibilités d'abandonner le projet en cours de route ou de relâcher l'effort.

Nous avons constaté que ce risque d'échec fait hésiter le volontaire, il ne se sent pas capable de faire ce qu'on attend de lui et n'arrive pas à se lancer dans le projet. Mais une fois impliqué, le volontaire se trouve pris dans des formes d'irréversibilité comparables à celles évoquées à propos du départ. Son implication peut, en effet, combiner des aspects symboliques : il se définit par rapport au projet mais aussi :

- substantiels : lorsqu'il commence à agir ;

- sociaux : lorsqu'il se voit associé au projet, par les autres acteurs.

Le défi consiste à responsabiliser le volontaire. Nous interprétons la pensée d'Argyris à travers le concept de "locus de contrôle" (Heider, 1944) : le projet et son achèvement sont organisés de façon à ce que le "locus de contrôle" du volontaire soit "clairement" établi. Le volontaire ne peut faire autrement, que de s'attribuer la responsabilité de la réussite ou de l'échec du projet. La liberté dont il bénéficie au départ, l'enferme finalement dans un défi qui, une fois faits les premiers pas, ne lui laisse d'autre issue que "d'aller jusqu'au bout".

Le "défi" décrit ainsi certains aspects de l'implication de type "pragmatique". Il semble, d'ailleurs, favorisé par certaines caractéristiques de la situation du volontaire :

- les objectifs du projet sont généralement assez précis, et souvent même quantifiés ;

- il dispose d'une large autonomie par rapport aux moyens mis en oeuvre ;

- le risque d'échec est réel, certains projets n'aboutissent pas.

A ces conditions s'ajoutent les dispositions manifestées par les volontaires eux-mêmes, certains affichant ouvertement ces dispositions avant même de partir :

Le projet comme un "défi".

"J'y vais pour me tester, voir ce dont je suis capable." ;

"Je voulais me prouver que j'étais capable de le faire. "

 

Ces raisons de partir constituent un terrain pour le moins favorable, à l'appropriation du travail confié, sous la forme de défi.

Tous les volontaires ne sont, cependant, pas, dès le départ, disposés à se voir ainsi testés. Si certains acceptent le défi comme une fin en soi, d'autres l'acceptent par la force des choses. Ils sont motivés par les valences implicitement associées à la réalisation des objectifs, comme par exemple se sentir utiles, mais ils n'apprécient pas le risque d'échec. Le "défi", que valorise le "pragmatique", constitue pour les autres, soit un accessoire, soit un aspect négatif de l'expérience.

La portée de l'implication symbolique, lorsque la convocation des engagements qui la composent reste "pragmatique", varie considérablement d'un volontaire à l'autre. Au moins deux cas de figures sont en effet possibles :

- le cas du volontaire pour qui le "pragmatisme" tient lieu de philosophie.

- le cas du volontaire qui signifie de multiples engagements, mais ne les convoque pas en situation ;

Le premier cas correspond à ce qu'on pourrait qualifier de "philosophie de l'efficacité et du concret". Le défi s'inscrit ici dans une volonté délibérée de ne pas trop se poser de questions. Pour ce type de volontaires, les "longs discours n'apportent pas grand chose", ce qui compte, c'est le résultat. Ils se définissent comme des professionnels du développement dont la mission n'est pas de résoudre les contradictions inhérentes à ce type de situation, mais d'agir efficacement pour maximiser les "utilités" produites. Ils réduisent ainsi de façon efficace les ambiguïtés et les contradictions de la situation pour mener "vite et bien" les aspects technico-économiques du projet.

Le pragmatisme résulte ici d'une analyse rationnelle, mais le sens produit reste, finalement, limité. Il se limite en fait à fustiger les réflexions concernant les dimensions politiques, sociologiques et culturelles du développement et à mettre en avant la nécessité d'être pragmatique. Ce type d'implication peut, ce faisant, être rapproché des concepts d'éthique de travail ("Work Ethic Endorsement") ou du professionnalisme.

Eluder le "pourquoi ?" au profit du "comment ?".

Nous avons accompagné Paul pour voir avec lui en quoi consiste son travail. Il s'agissait ce matin de rendre visite à deux paysans :

- le premier, pour voir avec lui la modalité d'introduction des poissons dans l'étang qui vient d'être fini

- l'autre, pour évaluer la faisabilité d'un tel ouvrage, compte tenu de la topographie de son terrain.

Paul nous a expliqué avec beaucoup de détails la technique, les verins, les bassins, les espèces de poissons. Il nous explique que le terrain du paysan n'est pas assez incliné. Mais il n'a, à part ça, rien trouvé de particulier à dire. Ces visites sont de routine et n'appellent apparemment pour lui aucun positionnement particulier. Ce n'est finalement que dans l'entretien que nous avons pu mettre en perspective son activité et réalisé, par exemple, que ces étangs étaient souvent acquis par les notables de la ville. Ce qui ne cadre pas complètement avec les objectifs de développement du projet.

journal de bord

 

Le second cas de figure relève d'une logique sensiblement différente : au contraire du précédent, le volontaire produit effectivement un positionnement par rapport à la situation en général, mais il ne le convoque jamais en situation. Il se définit, tout comme les autres, par rapport à un ou plusieurs référentiels et reste attaché à son utilité et à sa légitimité. Il peut, ainsi, produire une symbolique relativement complexe, au moins aussi complexe que les autres. Il peut également intégrer une part importante des contradictions de la situation : il est par exemple capable de disserter sur les conflits d'intérêts entre les financeurs et les populations.

Il peut intégrer cette complexité et ces contradictions dans la mesure où il ne les convoque pas en situation. Lorsqu'un problème se présente, il refoule ces questions pour essayer de "s'en sortir" sans trop de problèmes. Il cherche à trouver une solution qui contribue à la réalisation du projet sans se préoccuper de la qualité des moyens employés.

Du "dire" au "faire"

Depuis deux jours que nous suivons Pascal sur son travail, celui-ci nous a tenu des discours très généraux sur le développement, les rapports Nord-Sud, la faim dans le monde, l'indifférence et la tolérance. Mais, nous ne savons rien de la façon dont il se situe par rapport à son projet.

journal de bord

 

L'implication symbolique reste ici un élément de recul qui sous-tend la représentation de l'ensemble de la situation. Elle définit le sens du projet, une fois réalisé. Ce cas de figure constitue, du point de vue de notre analyse, le degré zéro de la portée de l'implication symbolique en "situation présente". Les engagements signifiés par le volontaire ne disent absolument rien de la façon dont il envisage les problèmes en situation. La rupture introduite entre la "situation dans son ensemble" et la "situation présente" constitue une façon efficace de gérer, et surtout de réduire, la complexité et les contradictions qui les caractérisent. Mais cette efficacité se fait au détriment de certaines propriétés de l'implication symbolique.

Ce type de "pragmatisme" illustre parfaitement le propos général de ce chapitre : la portée des engagements du volontaire ne réside par tant dans leurs formes en termes d'implication (intrinsèques, calculatrices, aliénantes) que dans la façon dont ils sont convoqués en "situation présente".

Ces deux types de volontaires "pragmatiques" ont en commun de ne pas produire de sens en "situation présente". Ils sont, de ce fait, particulièrement efficaces. Cette efficacité est d'ailleurs renforcée par le défi qui se met en place, dans un cadre qui lui est particulièrement favorable.

Nous les distinguons cependant sur le fond :

- le second type de volontaire signifie des engagements, mais ne les convoque pas, l'implication symbolique devient, en quelque sorte, virtuelle et n'est que discours ;

- le premier réduit ses engagements à la volonté de produire des "choses concrètes". Il introduit un point de vue, certes contestable, mais le convoque systématiquement.

2.2. L'implication symbolique conditionnelle.

Tour à tour, satisfaire tout le monde.

"D'un côté, y a le représentant du Ministère de la Santé qui exige qu'on le consulte à chaque fois et qui voudrait bien s'associer au projet, de l'autre y a les infirmières qui demandent à être payées plus, le financeur qui veut qu'on ouvre neuf dispensaires d'ici la fin de l'année. A côté, tu as des gens qui croient qu'on est là pour soigner et qui viennent nous montrer tous leurs bobos. Fin, tu vois, c'est pas toujours évident de faire plaisir à tout le monde."

un volontaire

convoquant ses engagements de façon "conditionnelle"

 

Nous considérons ici le cas du volontaire qui se positionne en "situation présente", en privilégiant, de façon systématique, le référentiel présent. La performance ici visée n'est pas technique, mais sociale : le volontaire cherche à négocier le projet, avec les différents interlocuteurs auxquels il se trouve confronté. La priorité est donnée aux questions de légitimité. Le volontaire raisonne en ces termes pour répondre aux problèmes qui se posent à lui.

Le volontaire "conditionnel" ne convoque qu'une seule forme d'implication à la fois. Sa façon de voir les choses, les logiques d'action qu'il perçoit sont fonction de l'interlocuteur présent et du "monde" (Boltenvsky & Thévenot, 1991) dans lequel il a par le passé inscrit la relation.

La dynamique de cette forme de convocation repose sur le rattachement de la situation présente et des événements dont elle est le théâtre, à des situations ayant, par le passé, déjà fait l'objet d'un engagement. La compréhension de ce fonctionnement passe par une analyse des catégorisations auxquelles le volontaire se réfère. Elle ne repose pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, de prime abord, sur une improvisation : une implication "on line" (Anderson, 1981 ; Bassili, 1989) fonction des contraintes et opportunités immédiates. Elle intègre des formes d'opportunisme, mais ne peut être réduite à cela. Les engagements convoqués varient d'une situation à l'autre mais restent, pour un contexte donné, relativement constants.

C'est, de toute évidence, autour de "l'implication conditionnelle" que nous retrouvons le plus grand nombre d'auteurs. Cette forme peut, en effet, être rapprochée de tout un ensemble de théories considérant le caractère déterminant du contexte sur les logiques attitudinales et comportementales. Rappelons, cependant, que les logiques que nous considérons se situent avant tout au niveau symbolique.

Nous pouvons ordonner ces convergences autour de deux groupes principaux :

- un premier groupe constitué par des théories focalisant sur des stimulus d'ordre substantiel, à commencer par les théories béhavioristes. Il met ce fonctionnement sur le compte de mécanismes inconscients de l'ordre de l'implication substantielle ;

- un second groupe composé de théories s'orientant sur des stimulus d'ordre social. On retrouve dans ce cadre, tout un pan des théories directement liées à l'implication. Ce fonctionnement cognitif s'explique soit par les contraintes exercées par la situation sociale, soit par le poids des normes internalisées par le passé. Nous retrouvons dans ce cadre des éléments de l'implication sociale.

Les théories décrivant des "mécanismes" dans le cadre desquelles les logiques présentes sont "objectivement" déterminées par les aspects substantiels du contexte peuvent, elles-mêmes, être réparties entre des sous-groupes distincts : la dissonance cognitive et l'idée de réflexe conditionné.

L'idée introduite par la théorie de Festinger (1957) est que la cause, la raison ou le sens d'un comportement pourraient résider, non pas dans une rationalité immédiate, mais dans une rationalité de moyen et long termes que l'individu s'efforce de construire. Autrement dit, la logique du comportement pourrait, dans certain cas, être le prolongement de logiques ayant précédemment prévalu. Cette dissonance est ici envisagée comme une motivation négative individuelle, il s'agit, avant tout, d'éviter les dissonances.

Nous interprétons les pressions qui poussent l'individu à éviter les dissonances dans le cadre de phénomènes de l'ordre de l'unité, de la continuité et de l'intégrité de la conscience auxquels nous nous référons dans le cadre de cette recherche.

La réduction des dissonances cognitives n'épuise pas toutes les questions relatives aux rationalités conscientes ou inconscientes qui déterminent ou influencent les comportements, mais elle n'en reste pas moins un facteur explicatif auquel se réfèrent des auteurs de tout bord. La théorie de la dissonance cognitive constitue, sans doute, l'une des théories les plus fréquemment citées dans le cadre des Sciences Humaines et Sociales.

L'implication conditionnelle prévient les dissonances cognitives. L'engagement convoqué est sélectionné de façon à assurer la continuité des comportements entrepris dans un cadre identique. Le volontaire peut, toute fois, s'accorder quelques marges comportementales et discursives en définissant la situation présente comme une exception relevant d'une logique spécifique et requérant une réponse appropriée.

Il s'agit d'une théorie considérant un espace intermédiaire entre l'inconscient et la conscience : un espace de non-conscience dont les contenus peuvent être, moyennant certains efforts de concentration (Piaget, 1971), rapportés à la conscience. On situe dans cet espace tout un ensemble de comportements qui se répètent, de façon plus ou moins quotidienne, et qui deviennent, peu à peu, des automatismes. Cette capacité cognitive, consistant à exécuter un certain nombre de gestes sans même avoir à y penser, libère la conscience qui peut alors se consacrer à des problèmes inédits. Chaque séquence de gestes répond à un stimulus précis.

Certains auteurs prolongent ce principe à l'ensemble des comportements : l'individu expérimente des comportements dans le cadre de situations données, et sélectionne, peu à peu, "naturellement", les plus performants. Il conçoit ainsi des catégories de situations dans le cadre desquelles il reproduit les comportements qui lui ont permis de faire face, par le passé.

Nuttin (1965) considère que les structures qui composent la personnalité tendent à se fixer très rapidement sur des formes d'interaction précises intégrant des référentiels spécifiques. De même, Mucchelli (1981) développe l'idée que, peu à peu, l'individu tend à associer des types de motivations précis à des contextes donnés. Parallèlement, ces capacités à innover de nouvelles motivations, à travers de nouveaux comportements, diminuent. Ces deux auteurs conçoivent une période d'apprentissage d'une durée relativement limitée.

L'implication que convoque le volontaire de type "conditionnel" face à un contexte donné serait, ainsi le résultat d'un conditionnement. Il nous semble effectivement clair que dans le cadre de l'implication et de la convocation des engagements comme dans la plupart des activités humaines, certaines formes d'habitudes sont susceptibles de se mettre en place.

La seconde série de théories, susceptibles de rendre compte d'une convocation conditionnelle des engagements composant l'implication, focalise sur la dimension sociale de l'acteur. Une part importante de ses comportements se trouve, dans cette perspective, sous le joug des interactions avec cette dimension de l'environnement, autrement dit avec les autres individus.

Les distinctions possibles pour ordonner ce second groupe restent relativement classiques : on retrouve d'un côté des réflexions dérivées d'un paradigme faisant valoir des normes sociales internalisées (ex. Durkheim, 1895) et d'un autre côté un paradigme mettant en avant les interactions symboliques entre les acteurs (Weber, 1905).

Les paradigmes se référant à des normes sociales internalisées envisagent, pour la plupart, les phénomènes sociaux, tels que l'entreprise, plutôt comme un tout : une entité à part entière. Partant de là, la société, quelle qu'elle soit constitue le niveau d'analyse pertinent. Cette position définit un projet scientifique consistant à mettre à jour les lois en vertu desquelles les comportements individuels se trouvent influencés par leurs contextes culturels et sociaux.

Le passage entre la société et l'individu s'effectue par l'intermédiaire des normes internalisées par ce dernier. Ces paradigmes proposent ainsi, le plus souvent, une vision plutôt intrégratrice du social dans cadre de laquelle les individus trouvent généralement leur place dans un tout harmonieux.

Dans ce cadre, l'engagement convoqué face à un contexte donné serait celui que les normes internalisées jugent le plus approprié. Deux cas, au moins, sont ainsi envisageables :

- soit l'individu se conforme aux normes de chacun de ses interlocuteurs, mais il n'est pas certain qu'il soit ainsi en mesure de multiplier autant de socialisation ;

- soit il se conforme aux normes d'un seul référentiel, ces normes prescrivant différentes formes d'implication en fonction du contexte et de l'interlocuteur.

L'individualisme méthodologique est une expression qui date des débuts de l'Ecole de Chicago (années 1940). La forme la plus aboutie de ce courant de pensée est sans doute l'interactionnisme symbolique développé par la seconde génération de cette école, avec entre autres, les travaux de Goffman (1956) et Becker (1963).

Les principes de l'individualisme méthodologique sont cependant bien antérieurs, ils datent du début du siècle : parallèlement à l'école française initiée par Durkheim, se développait une école allemande (ex. Weber, 1902) vis-à-vis de laquelle l'Ecole de Chicago s'estime redevable.

Les prémisses de ce courant de pensée dotent l'individu d'une intention propre, indépendante de ce que les comportements qui en découlent engendrent. Weber distingue ainsi le sens que peut prendre un comportement donné, dans un contexte donné. Ce sens visé peut découler de différents types de rationalité qui ne sont pas forcément immédiatement accessibles à celui qui regarde l'action.

C'est précisément la négociation de ce sens que les tenants de l'interactionnisme symbolique se sont appliqués à étudier. Pour eux, le sens du comportement n'est pas seulement celui que vise l'individu, mais aussi celui qu'il parvient à négocier avec les autres. Ce sens se trouve ainsi influencé par le contexte social dans lequel s'inscrit le comportement. Quéré, Pharo et les théoriciens de l'action (1990, 1993) prolongent cette réflexion.

L'implication serait, dans cette perspective, le résultat des interactions symboliques qui ont marqué les précédentes rencontres entre le volontaire et son interlocuteur. Cette perspective ouvre, elle aussi, au moins deux cas de figures distincts :

- soit le volontaire se conforme à ce que les autres pensent et attendent de lui ;

- soit le volontaire impose sa façon de voir les choses.

La portée de l'implication symbolique dépend ainsi, pour partie, des marges de manoeuvre dont le laissent disposer les autres.

Chacune de ces explications théoriques détient sans doute une parcelle de vérité. Il est ainsi envisageable, que tous les volontaires donnant à voir une "implication conditionnelle", ne fonctionnent pas tous suivant les mêmes logiques.

De la même façon, nous considérons que tous les volontaires sont soumis, à des degrés divers aux variables mises en avant par ces différentes théories. Elles sont, sans doute, dans certains cas, capables de concurrencer les logiques que nous faisons valoir à propos des autres modes de convocation. Ces types idéaux sont des types purs dont la vocation est de dégager des tendances, au delà de la complexité et des contingences des réalités étudiées. Ces tendances nous permettent d'envisager les portées possibles de l'implication symbolique.

La portée de l'implication symbolique dans le cadre d'une convocation conditionnelle n'est pas évidente à établir. En effet, les différentes théories évoquées présentent ce type de fonctionnement comme une tendance "naturelle" et généralisée. Il apparaît, en revanche, du point de vue de cette recherche, plutôt incertain. La convocation des engagements, en fonction des caractéristiques du contexte, va à l'encontre d'une partie des propriétés que nous cherchons à mettre en évidence à propos de l'implication symbolique.

Cependant, tout comme pour le "pragmatisme", nous faisons la part des choses entre deux cas de figures distincts, qui, s'ils donnent à voir des modes de convocation semblables, relèvent de logiques quelque peu différentes. Nous distinguons ainsi le cas du volontaire qui se conforme aux exigences des individus présents, de celui du volontaire cherchant à gérer ses engagements en fonction des caractéristiques de la situation présente.

Le premier cas se caractérise par une confusion plus ou moins totale de l'implication symbolique et de l'implication sociale. Le volontaire se définit par rapport à la situation présente conformément à la définition proposée par les autres. Cette définition résulte des négociations symboliques qui se sont déroulées lors de leurs premières rencontres, sur la base des comportements donnés à voir par le volontaire. La portée de l'implication symbolique est ici limitée, elle constitue plus une variable déterminée qu'une variable déterminante.

Partant de là, les seuls contenus spécifiques de l'implication symbolique, sa principale valeur ajoutée résident dans la rhétorique que le volontaire met en oeuvre, à l'occasion des "métacontextes", pour relier entre elles les différentes implications sociales auxquelles il s'est conformé. Là encore, le sens donné par le volontaire constitue une source de flexibilité considérable. L'individu peut intégrer autour des mêmes intentions, des comportements très hétérogènes. Il peut rendre compatibles des engagements fort variés.

La principale fonction de ce mode de convocation est de pouvoir faire face aux différentes "situations présentes" : de "garder la face" (Goffman, 1956). Il rejoint la "dynamique des rôles" décrite par Bellini (1996) pour expliquer comment les "managers de proximité" évitent les "conflits de rôles" inhérents au "management participatif". (Je t'ai cité pour voir si tu avais bien lu tout le texte). Ce type de "convocation conditionnelle" relève ainsi d'une logique d'adaptation : une logique permettant "d'assimiler" la diversité des contraintes sociales associées aux différentes situations.

Ce type de "conditionnel" se retrouve souvent, durant la phase de projection, associé au "pragmatisme". La conjugaison des deux permet au volontaire de "s'en sortir" tant bien que mal, en dépit de situations face auxquelles il est plus ou moins dépassé. Il improvise ainsi, en tentant de répondre aux contraintes immédiates du projet et aux exigences des interlocuteurs présents.

Son maintien au delà de la phase de confusion tend à marquer une faiblesse de l'implication symbolique, celle-ci n'est pas en mesure de s'opposer à l'implication sociale et ne permet pas au volontaire d'imposer sa vision des choses.

La seconde forme consiste en une gestion de l'hétérogénéité et des contradictions des situations, que le volontaire intègre dans le cadre d'une implication symbolique à long terme composée d'engagements multiples intégrant de nombreuses dérivées. Le volontaire se positionne par rapport aux différents aspects de la situation et se définit comme ayant à faire face à un environnement particulièrement complexe.

Ce type de volontaire envisage ainsi la situation en général comme un ensemble composé de toute une série de situations possibles. Les implications convoquées face à la "situation présente" ont pour vocation de la caractériser et de la clarifier. L'implication symbolique à long terme prend dans ce cas de figure une portée essentiellement cognitive. Les formes qui la composent constituent autant de catégories auxquelles rattacher la "situation présente".

Contrairement au cas précédent, les formes convoquées ne sont pas déterminées par l'interlocuteur, mais correspondent à la façon dont le volontaire se définit par rapport au référentiel. Il s'agit de l'engagement le plus pertinent d'un point de vue cognitif, celui-ci ne se recoupant pas forcément avec les attentes des "Autres".

La dynamique de ce mode repose sur la qualité de "l'étiquetage", variable mise en évidence par Pratkanis & Turner (1994). Cette variable constitue pour eux le principal élément permettant d'expliquer la façon dont une attitude peut déterminer le comportement. Elle nous permet de comprendre certains aspects de logiques convocationnelles de ce type de "conditionnel".

La stratégie de l'exception.

Soit un volontaire ayant défini, pour principe, de ne pas répondre à la demande des villageois le sollicitant pour les emmener en voiture jusqu'au village voisin. Le chef lui demande d'emmener sa femme. De toute évidence, celle-ci relève de l'étiquette "villageoise". Le volontaire a le choix entre la considérer comme une femme "ordinaire" ou l'intégrer à une catégorie spécifique "femme de chef" impliquant un positionnement différent.

 

Face à un problème donné, l'implication convoquée dépend de la catégorie à laquelle se rattachent les caractéristiques de la situation. Pratkanis et Turner (1994) considèrent que la référence à une attitude dépend de la qualité de l'étiquetage : les catégories doivent être les plus explicites possibles, de façon à ce que les différents référentiels rencontrés puissent être identifiés de façon univoque. Nous admettons ce principe, mais considérons, par ailleurs, une activité interprétative donnant à l'individu certaines marges de manoeuvre.

La portée de l'implication symbolique "conditionnelle" reste limitée dans la mesure où le volontaire ne se réfère pas systématiquement aux engagements qu'il signifie. Elle n'est, cependant, pas négligeable : elle ne relève pas d'un opportunisme forcené, mais définit des lignes d'action, certes, multiples mais néanmoins consistantes, en référence à un type de contexte donné.

Ce second mode de convocation constitue un premier pas vers le phénomène que nous cherchons à mettre en évidence. Il combine une implication symbolique à long terme capable d'intégrer la complexité de la situation en général et un mode de convocation visant à réduire les contradictions des "situations présentes".

En effet, si la complexité reste dans l'absolu concevable, face à des enjeux concrets, les différents intérêts pris en charge risquent de se retrouver en contradiction. L'engagement auquel se réfère le volontaire face à une "situation présente" ne dépend pas seulement de ses contenus, il résulte également d'une fonction cognitive limitant la convocation à une forme unique. Ce mode de convocation permet au volontaire de garder des lignes d'action consistantes tout en s'adaptant aux situations.

2.3. L'implication inconditionnelle exclusive.

S'en remettre à un référentiel donné.

"Moi je m'en remets aux décisions de "X" ... mais tu sais il nous laisse vachement libres ..." (volontaire) Une autre façon, particulièrement efficace, de réduire les contradictions résultant des multiples points de vue convoqués sur le projet, consiste à privilégier l'un d'entre eux. Le volontaire s'en remet à lui pour définir le sens et les enjeux de la situation et attend sa reconnaissance pour valider sa réussite."

(volontaire)

 

Ce type de convocation se fonde sur une implication intrinsèque dominant l'ensemble des formes intégrées dans le cadre de l'implication symbolique à long terme. Cette domination s'exprime :

- par son degré de signification par rapport aux autres, la plupart d'entre elles en sont en fait "dérivées".

- par le fait qu'elle constitue le cadre de références dans lequel est pensée la situation dans son ensemble.

Cette domination se prolonge au niveau des "situations présentes" : elle constitue, là encore, le cadre de références retenu pour "poser, penser et résoudre" les problèmes dont elles sont le théâtre. Cette implication intrinsèque est ainsi convoquée de façon exclusive et inconditionnelle.

L'implication symbolique joue, ce faisant, un rôle beaucoup plus important que pour les deux précédentes formes. Elle constitue un contre-poids à la diversité des contextes et à l'hétérogénéité des enjeux qui s'y jouent. Elle permet de dessiner une ligne d'action, dépassant les "situations présentes", pour devenir plus ou moins continue.

Cette forme consiste à envisager toute "situation présente" en se référant à un seul et même engagement. Ce fonctionnement permet, entre autres, de réduire les contradictions et les ambiguïtés de ces situations

Il ne nous était pas possible, compte tenu des positions ontologiques et épistémologiques retenues, de mesurer et de valider son influence sur les comportements. Nous posons, cependant, l'hypothèse suivant laquelle, elle serait plus importante que pour les deux précédents cas de figures. En effet, ce type de volontaire s'identifiant plus profondément et plus complètement à cette implication, il est, d'une façon générale, plus motivé que les autres pour mettre en oeuvre des comportements la vérifiant.

Ce type de volontaire rejoint certains des stéréotypes que développe le "grand public" à propos des volontaires. Il signifie un engagement dans le cadre duquel il prend en charge les enjeux d'un référentiel donné, et le convoque, effectivement, de façon à la fois systématique et exclusive, quelles que soient les circonstances.

Cette forme fait bien évidemment penser à "l'implication attitudinale affective" : le "Commitment" (Mowday, 1982 ; Thévenet, 1992). L'implication exclusive correspond à la façon dont nous analysons les phénomènes conceptualisés par ces auteurs.

Les phénomènes décrits par le concept d' "implication attitudinale affective" sont ceux que la plupart des auteurs considèrent comme "l'Implication", le "Commitment". Cette forme d'implication est associée à des formes d'identification, dans le cadre desquelles l'individu internalise les valeurs et les buts de l'organisation, cherche à faire des efforts dans ce sens et souhaite en rester membre (Mowday, Porter, Steers, 1982).

Plutôt que de reprendre ces théories, nous préférons ici en introduire d'autres, modélisant les effets pervers de ce phénomène, apportant ainsi un éclairage sensiblement différent. Ces théories soulignent le fait que l'individu ainsi impliqué n'est plus capable de penser en dehors des cadres définis par l'organisation. Il en devient peu à peu dépendant.

Le premier, à notre connaissance, à avoir émis des réserves à propos de ce type d'implication est Etzioni (1961). Tout en lui reconnaissant des qualités certaines, il assimile certains de ses excès à de l' "endoctrinement". En France, suivant une prudence, voire une méfiance, du même ordre, Thévenet (1992) dénonce les risques d'altération des capacités de recul et Pailot (1996) évoque l'éventualité de phénomènes d' "emprise".

A travers le terme quelque peu excessif "d'endoctrinement", Etzioni souhaite attirer l'attention des aspects et des évolutions possibles du phénomène. L'endoctrinement sous-entend une action délibérée de la part de l'organisation, mais même si tel n'est pas forcément le cas, le résultat demeure identique : le volontaire n'est plus capable de penser par lui-même. Il pense par et pour les valeurs et les buts de l'organisation. C'est ainsi, peu à peu, l'ensemble de ses cadres de références qui sont conçus en ces termes. "Il pense toujours plus" de l'association !

La conséquence de cet "endoctrinement" est que le volontaire "n'a plus de recul" (Thévenet, 1992). Nous interprétons cette idée comme :

- le fait qu'il n'est plus capable de penser en dehors de ces cadres ;

- le fait qu'il ne perçoit pas non plus qu'il est pris dans ces cadres ;

Paradoxalement, l'individu garde l'impression de demeurer en pleine possession de son libre-arbitre.

Cet "endoctrinement" et la "perte de recul" qu'il génère ont des conséquences relativement profondes : ils touchent non seulement aux capacités du volontaire à évaluer l'environnement, mais aussi, à l'image qu'il peut avoir de lui-même. Nous définissons l'implication symbolique comme le fait de se définir par rapport à son environnement. Lorsque son implication se porte exclusivement sur l'association, l'individu n'est plus en mesure de se définir autrement que comme membre de cette dernière et porteur de son projet. L'organisation peut ainsi, comme souligne Pailot (1996), "capturer son idéal du moi" :

- l'individu se définit par rapport aux normes qu'elle définit ;

- il définit l'estime qu'il se porte en fonction des évaluations qu'elle porte sur sa capacité à se conformer à ses normes.

Sa réalisation de soi et son épanouissement passent désormais par et pour l'organisation

Certains volontaires que nous avons rencontrés présentaient, à des degrés plus ou moins élevés, des signes d'emprise. Nous avons ainsi séjourné avec des volontaires qui, trois jours durant, ne sont jamais sortis un seul instant des valeurs de l'association, de la mission, de l'équipe, des gens du siège et de leur avenir dans l'association.

L'association humanitaire constitue, sans doute, un milieu plus propice que d'autres à l'implication exclusive : face à un monde inconnu, un grand nombre de volontaires manifestent le besoin de disposer de cadres de références structurants. L'univers ainsi intégré peut être, par certains aspects, rapproché des "institutions totales" décrites par Goffman (1961)

Se définir entièrement à partir des attentes du référentiel.

"Dans le premier entretien, les ruptures énonciatives abondent et introduisent un constant positionnement de la répondante par rapport à la direction parisienne de l'association (je-tu<> ils-on-nous). Cette transaction nous semble d'emblée très importante sur le plan de l'implication, car elle marque un constant retour sur l'idéologie et les principes organisateurs de l'association pour expliquer les positionnements personnels et les orientations subjectives de la répondante. (...) C'est dans cette logique réappropriée qu'elle semble trouver les fondements de son rôle et de son statut ("ils ne trouvaient pas de responsable de terrain", "ils avaient besoin de quelqu'un de un peu expérimenté.")

(...) Plus loin, elle procède au récit de son expérience en parcourant la logique, puis le discours de l'Autre. Confronté à la narration de son activité professionnelle, elle se définit entièrement à partir des attentes de l'association : "Ensuite, ils m'ont fait venir, ils m'avaient sélectionnée pour faire un stage de perfectionnement en nutrition... Ils m'ont envoyée...ils m'avaient dit...""

Glady & Valéau (1996)

"Le discours : expression ou construction de l'implication."

 

Concernant les populations, l' "implication inconditionnelle exclusive" est possible, mais l'emprise reste très réduite. Il est rare, en effet, que le volontaire puisse internaliser les valeurs sur lesquelles se fonde la culture de ses hôtes. Les difficultés de la rencontre interculturelle font qu'il n'est pas en mesure de la saisir complètement. Cette distance, par ailleurs regrettable, se révèle, ici, salvatrice.

Le volontaire peut en revanche "s'aliéner" aux intérêts et aux enjeux qu'il leur prête. Il peut faire une fixation sur son intégration et/ou sur la contribution qu'il peut leur apporter. "L'idéal du moi" n'est pas capturé par les populations proprement dites, mais par les représentations que s'en fait le volontaire.

Devenir africain...

Christian, un Ivoirien, responsable de l'AFVP, nous explique qu'il y a quelques mois de cela, un volontaire avait obligé sa femme, française elle-aussi, à accoucher au village, à douze heures de route du premier hôpital et, à plusieurs heures du médecin le plus proche.

Ce choix s'inscrivait dans une volonté d'intégration touchant, aux dires de Christian, tous les aspects de sa vie quotidienne. Ce volontaire voulait à tout prix s'habiller, parler, manger, dormir, penser comme les locaux.

Il nous explique que les Africains tendent à ironiser sur ce genre de démarche. Pour eux : "Le tronc d'arbre peut rester des années dans la rivière, il ne deviendra jamais crocodile." (autrement dit, "L'habit ne fait pas le moine."). Les Africains peinent, selon lui, à comprendre ce qu'ils voient comme une trahison envers ses racines.

Christian

Responble AFVP

Africain, Ivoirien

 

L'implication intrinsèque faisant l'objet de cette "exclusivité" peut correspondre à différentes variantes, mais elle tend à privilégier des formes normatives, parfois associées à des éléments de nature plus affective. L'implication exclusive correspond, à peu près, au phénomène décrit par Mowday et ali (1982). L'adhésion aux buts et aux valeurs diffère, cependant, d'un volontaire à l'autre : suivant les cas, le degré d'internalisation est plus ou moins poussé. C'est ainsi que, comme pour les deux autres modes de convocation, nous considérons l'existence de différents cas de figures : nous distinguons, d'un côté, le cas où les normes du référentiel sont internalisées dans l'inconscient et, d'un autre, des cas où la prise en charge des enjeux du référentiel se fait de façon plus ou moins consciente.

Dans le premier cas, celui de l'internalisation, les trois formes d'implication conceptualisées dans le chapitre 2 : l'implication substantielle, l'implication sociale et l'implication symbolique convergent vers la prise en charge des enjeux du référentiel concerné. Ses motivations, ses interactions symboliques et le sens produit convergent vers la réalisation des valeurs et des buts du référentiel. La convocation n'est, dans ce cas, qu'un aspect d'un ensemble plus vaste, entièrement formaté dans ce sens. Les activités cognitives du volontaire sont ainsi systématiquement et intégralement déterminées par le même ensemble de normes inconscientes.

Mais, même lorsque cette implication dérive, l'emprise qui peut en découler n'est pas aussi définitive et aussi totale que nous aurions pu le croire. Certains phénomènes observés remettent, en effet, en cause l'irréversibilité de ce processus : certains des volontaires manifestant des symptômes de l'emprise démontrent, par ailleurs, une surprenante capacité de recul. Ils parviennent, en quelque sorte, à prendre conscience de l'état d'emprise dans lequel ils se trouvent.

Une dépendance consciente.

"... et y a un truc qui est important et qui n'est pas, comment dire... perçu par l'association : c'est la dépendance. Je pense qu'ils ne font pas trop attention parce qu'il y a de tels besoins dans l'association de tels besoins dans les missions . Je crois vraiment que l'on devient dépendant. Il y a toujours la mission de plus, la mission qui est de trop en fait qui révèle l'état de dépendance. Tu t'aperçois d'un coup que tu connais plus rien ni personne d'autre, tous tes amis sont de la maison".

volontaire expérimenté

 

Ils sont conscients de ne plus penser et voir que par l'association, mais restent, en même temps, satisfaits d'appartenir à l'association. Cette "prise de conscience" peut s'expliquer par une inadaptation de l'inconscient (Piaget, 1971). Cette inadaptation apparaît lorsque le volontaire envisage de quitter le volontariat pour se projeter vers des horizons plus classiques. Le sentiment alors ressenti se rapproche de celui évoqué par Penley et Gould (1988) pour décrire l'aliénation : la perte de contrôle. Cette prise de conscience peut également se faire lorsqu'un jour, pour une raison ou pour une autre, le volontaire réalise que "tous ses amis sont de la maison". Dans les deux cas, cette réflexivité donne accès à des ressources permettant de s'opposer aux déterminismes auxquels le soumet l'implication exclusive et les formes d'emprise qu'elle peut engendrer. Cet état les situe à mi-chemin entre implication intrinsèque et implication aliénante et introduit un mode de convocation mêlant exclusivité et discernement.

L'implication exclusive ne se prolonge pas forcément aux niveaux inconscients. Elle peut se limiter à une implication symbolique relevant, en principe, de la conscience. Les engagements sont alors formulés sous la forme d'une adhésion : une prise en charge des enjeux du référentiel fondée sur une empathie et des valeurs, dès le départ, identiques.

Ainsi, si ce type d'implication est souvent associé à des phénomènes de socialisation, tel n'est pas toujours le cas. Nous le concevons sur la base d'une mise en oeuvre systématique d'un seul et même cadre de références. Il repose sur des critères essentiellement cognitifs.

La convocation systématique d'un seul et même engagement constitue ainsi une option relativement efficace pour réduire les incertitudes et les contradictions des situations. Face à un problème concret, le volontaire peut hésiter quant à l'alternative la plus efficace, mais ne se pose de question quant aux enjeux impliqués.

L'exclusivité donne à l'implication symbolique une véritable portée : elle est susceptible de réduire l'hétérogénéité des situations et de s'opposer aux déterminismes contextuels caractérisant l'implication conditionnelle. Ce cas de figure se caractérise, dans le cadre de notre analyse, par une réduction des contingences du phénomène.

2.4. Le discernement.

Le discernement ou l'émergence d'une opinion personnelle.

"Tu vois maintenant je me fie à mon opinion personnelle. OK, j'ai commis quelques impairs mais au moins maintenant, je sais de quoi je parle".

volontaire

implication discernée

 

Ayant renoncé aux évidences sur lesquelles il fondait ses ambitions de départ, le volontaire s'ouvre à la complexité et aux contradictions du développement. Il étudie le point de vue et les enjeux de chacun des acteurs et prend position, en assumant le caractère arbitraire de ses choix. Ses arbitrages mêlent, à la réflexion et aux valeurs, l'expérience personnelle. De même, sa légitimité ne se fonde plus seulement sur l'ampleur de ses réalisations, elle fait désormais valoir la compréhension et le degré d'expertise qu'il a peu à peu acquis à propos du développement en général et de son projet en particulier.

Le type d'implication ainsi évoqué se caractérise par la convocation simultanée de plusieurs référentiels parmi lesquels le volontaire est très souvent tenu de trancher. Il peut être défini comme la convocation inconditionnelle de plusieurs engagements. 

La plupart des volontaires, y compris "les pragmatiques" et les "conditionnels", sont capables de produire une vision relativement complexe de la "situation en général". La rhétorique leur permet de réduire les éventuelles contradictions entre les enjeux des multiples référentiels considérés, à travers toutes sortes de complémentarités et de compromis. Il leur apparaît ainsi envisageable d'assumer tour à tour les objectifs quantitatifs qu'imposent les financeurs et une approche plus qualitative visant à impliquer les populations. De même, ils jugent absolument nécessaire de prendre en compte les enjeux à long terme, tout en répondant aux contraintes immédiates.

Respecter le règlement ou répondre à la demande des populations ?

Face à un groupe de villageoises le sollicitant pour qu'il les conduise en voiture jusqu'au prochain village, afin de leur éviter trois heures de marche, le volontaire se trouve face au dilemme suivant :

- son engagement par rapport à l'association le pousse à respecter le règlement, celui-ci interdisant formellement ce genre de pratique ;

- son engagement par rapport à la population, l'empathie qu'il peut ressentir face aux difficultés qui sont les leurs, l'encourage à les amener.

Le volontaire, convoquant simultanément ces deux engagements, ne peut, face à une telle situation, trouver de compromis. Il n'a pas d'autre solution que de privilégier l'un de ces deux engagements, au détriment de l'autre. Ce n'est pas tant la situation qui est contradictoire, que le fait de convoquer simultanément deux engagements.

Journal de bord

 

La convocation, dans le cadre de la "situation présente", des multiples engagements qui composent son implication pose au volontaire un problème d'une toute autre nature. Face à des enjeux concrets, les contradictions existant entre les différents intérêts pris en considération ne peuvent plus être réduites par la seule rhétorique. Elles appellent des formes d'arbitrages plus concrètes.

Les trois types de volontaires précédemment décrits ont en commun de ne convoquer qu'un seul référentiel à la fois. Les problèmes ne se posent, pour eux, qu'en termes d'optimisation. Il s'agit de satisfaire, le mieux possible, l'acteur privilégié. Le volontaire "discerné", convoquant plusieurs engagements, peut chercher des solutions lui permettant de respecter simultanément chacun d'eux. Mais une telle solution n'est pas toujours possible.

Convoquer les intérêts et, finalement, trancher.

"Disons, tu vois, je pourrais exiger plus pour moi, mais bon, d'un autre côté, je risque de moins avoir pour le projet. Alors tu vois, il faut savoir où sont tes priorités." (volontaire)

 

Face à un problème dans le cadre duquel aucune alternative ne semble en mesure de répondre à l'ensemble des enjeux convoqués, le volontaire n'a plus qu'à délibérer. Aux critères rationnels évaluant les avantages et les inconvénients des différentes alternatives, s'ajoutent alors des considérations plus affectives et "morales". Le volontaire se résout à choisir l'une des alternatives, sachant qu'elle reste imparfaite. Il assume le caractère arbitraire et subjectif de ses choix, mais considère, d'un autre côté, que la situation était telle qu'il était obligé de trancher.

Partant de là, le respect d'un engagement donné ne réside pas dans la satisfaction systématique des enjeux qu'il implique, mais dans sa convocation effective, face aux différents problèmes rencontrés. Cette convocation marque la prise en considération de ses intérêts et, même si l'alternative finalement retenue n'y contribue pas directement, le volontaire se sera au moins donné une chance de les satisfaire.

La convocation, "en situation présente", de plusieurs engagements complique, de toute évidence, la tâche cognitive du volontaire. Ce cas de figure permet de mieux prendre la mesure des trois formes précédentes : elles apparaissent comme des stratégies permettant de prévenir les contradictions et, face aux problèmes des "situations présentes", de ne jamais avoir à choisir.

Mêler différents intérêts, dont les siens.

"Ce qui compte d'abord, c'est l'intérêt du projet qu'on me propose d'abord...là, c'est un projet tout à fait...dans ce que j'attendais et un peu dans l'idée de ce que je pensais que je pouvais faire. Fin, déjà ce qui m'a semblé intéressant, c'est dans le projet qu'on m'a proposé...c'est qu'il y a une grande partie du projet qui est fait de façon à ce que je travaille directement avec les Sénégalais...tant au niveau urbanisme qu'au niveau contact avec la population...je pourrais répondre aux attentes réelles de la population...que je sois pas complètement parachuté..." (volontaire)

 

La convocation de multiples référentiels ne présente, cependant pas, pour le volontaire, que des inconvénients. Elle lui permet de tenir ses engagements, tout en assumant ouvertement, parmi les enjeux retenus, des intérêts personnels.

Mais, le principal avantage de ce mode réside, sans doute, dans la "subjectivité" (Dubet, 1994) que retrouve, ce faisant,le volontaire. Les choix qu'il est tenu d'effectuer lui permettent de, peu à peu, constituer ses propres opinions et de faire l'expérience d'un certain libre arbitre. Quelle que soit l'alternative retenue, la décision prise et les délibérations qui la précèdent constituent l'expression d'un point de vue personnel producteur de sens.

La subjectivité que permet de retrouver le "discernement" correspond assez précisément à celle décrite par Dubet (1994) à propos de l'identité, ou plus précisément des indentités. Selon lui, l'internalisation de multiples identités sociales amène l'individu à se distancier de chacune d'elles, retrouvant ainsi sa propre subjectivité.

Dubet constate que la société moderne oblige les acteurs à gérer simultanément plusieurs logiques d'action sociale. Partant de là, elles ne constituent plus un système, mais la coprésence de systèmes structurés par des principes autonomes...

Il caractérise ainsi cette société par un éclatement des identités résultant de la multiplicité des rôles. L'acteur n'y est jamais totalement socialisé non pas parce qu'il échapperait au social, mais parce que son expérience s'inscrit dans des registres multiples et non congruents. C'est sur cette base que se fonde l'autonomie de l'individu.

"L'expérience sociale", définie comme la combinaison de logiques d'actions multiples et hétérogènes, engendre, selon lui, des formes de détachement. S'éloignant de l'unité de l'acteur et du système, l'expérience sociale induit une perte de l'adhésion à l'ordre du monde en même temps qu'une distance à soi-même. Elle engendre une capacité critique et une réflexivité à travers lesquelles l'acteur retrouve sa subjectivité.

Celui-ci construit une expérience lui appartenant à partir de logiques d'action qui ne lui appartiennent pas. Il s'affirme comme sujet dans la critique et la distance. Son identité sociale apparaît ainsi comme un travail visant à mettre en relation des principes hétérogènes.

Dubet entend ainsi fonder une sociologie de l'expérience sociale dont l'objet serait la subjectivité de l'acteur.

Le phénomène décrit par Dubet répond assez justement aux besoins théoriques correspondant à la "convocation discernée" des formes d'implication. Les deux phénomènes se rejoignent dans une subjectivité émergeant des contradictions entre deux "cadres de références" distincts (Watzlavick, 1975).

La logique ainsi identifiée peut être rapprochée des travaux de Watzlavick (1975) concernant le "changement" de "cadre de références". Lorsque l'individu ne dispose que d'un cadre de référence unique, il est prisonnier d'une logique qui le pousse à penser "toujours plus de la même chose".

La possibilité d'en sortir passe par une information contradictoire engendrant, pour reprendre les termes de Dubet (1994), "une perte de l'adhésion à l'ordre du monde" jusque là admise. La confusion qui s'en suit constitue, pour Watzlavick, une étape nécessaire pour pouvoir envisager différemment la situation.

La confusion et la perte d'adhésion à un cadre de références donné ne permettent cependant pas systématiquement de retrouver une subjectivité. L'individu peut très bien sortir de la confusion en reconstruisant un nouveau cadre à l'intérieur duquel il s'emprisonne à nouveau.

Pour Dubet, si la notion "d'expérience sociale" est plus adéquate que celle de rôle ou de statut, c'est parce qu'elle évoque une hétérogénéité de "vécus", une diversité, là où la notion de rôle suggère d'abord la cohérence et l'ordre. Le thème des "conflits de rôles" ne convient pas non plus exactement car, dans ce cas, l'acteur passe d'un rôle à l'autre sans que l'unité de son expérience en soit forcément menacée..

Nous le rejoignons en considérant que la contradiction entre deux engagements n'est productrice de subjectivité que dans la mesure où elle est effective, c'est-à-dire reproduite en "situation présente" face à un problème concret impliquant des choix exclusifs.

Nous avons en effet pu constater qu' en l'absence de problèmes concrets, les volontaires développant des engagements potentiellement contradictoires parvenaient aisément à les articuler à travers une rhétorique relativement simple.

Partant de là, le "discernement" apparaît, a priori, comme le seul mode, producteur de subjectivité. Les trois modes précédemment évoqués correspondent à trois stratégies pour éviter la confrontation d'engagements différents :

- le pragmatisme se limite à une efficacité que l'on pourrait être tenté de rapporter à une implication au travail systématique, mais que nous préférons considérer comme une absence de convocation ;

- la convocation conditionnelle peut être rapprochée du fait de passer d'un rôle à l'autre évoqué par Dubet : l'unité de son rôle, ou dans notre cas, l'intégrité des différents engagements n'est pas menacée ;

- la convocation systématique et exclusive du même engagement. Ses excès que nous avons décrits en terme d' "emprise" (Pailot, 1996) correspondent à ce que Dubet considère comme l'antithèse de la subjectivité : une forme d'aliénation réduisant les acteurs à n'être que les supports des rôles et les agents d'intérêts limités imposés par les dominants ou par le système.

Ces trois modes ont en commun d'interdire à l'individu de retrouver sa subjectivité, en l'empêchant de convoquer et de confronter, face à des problèmes concrets, les différents engagements auxquels il est susceptible de se référer. Il n'est pas prisonnier d'un rôle (Dubet), mais d'un mode de convocation ne tolérant qu'un seul référentiel à la fois.

La subjectivité évoquée par Dubet et le discernement auquel nous nous référons peuvent être rapprochés de la prise de conscience évoquée par Piaget. Pour lui, lorsqu'une conduite est bien adaptée et fonctionne sans difficulté, il n'y a pas de raison de chercher à en analyser consciemment les mécanismes. La prise de conscience ne se produit, selon lui, qu'à l'occasion d'une désadaptation. Le besoin d'un "réglage actif" apparaît lorsque l'individu se trouve en présence de deux ou plusieurs possibilités, ce qui suppose des choix intentionnels.

Dans cette perspective, l'impossibilité, face à un problème concret, de respecter l'ensemble des engagements convoqués, permet au volontaire de prendre conscience des logiques sur lesquelles se fondent habituellement ses choix. De plus, ces dernières n'étant, dans ce cas précis, plus en mesure d'opérer, il se voit contraint de délibérer et de produire un point de vue personnel.

La portée de l'implication symbolique qui caractérise le "discernement" apparaît, par certains aspects, supérieure à celle produite dans le cadre des trois autres formes. Les multiples formes qui la composent peuvent, face aux différents problèmes que posent les "situations présentes", être systématiquement convoquées

Le "discernement" permet, contrairement aux trois autres types de convocation, d'intégrer la complexité perçue à propos de la situation en général, dans le cadre des problèmes que pose la "situation présente". Les contradictions et les ambiguïtés ne se limitent pas à une vue de l'esprit gérée par la rhétorique ; elles fondent les pratiques du volontaire.

En plus des acteurs présents, celui-ci est capable de considérer, des acteurs absents, ainsi que des considérations à la fois passées et à venir. Les dilemmes que les autres volontaires gèrent par la rhétorique et excluent des situations présentes, sont dans ce cas, effectivement posés et font l'objet de véritables arbitrages :

- les perspectives à court terme peuvent être confrontées aux avantages et aux risques existant à moyens et longs termes ;

- les aspects économiques peuvent être mis en perspective par rapport aux dimensions sociales et politiques du problème.

C'est ainsi qu'en multipliant les engagements convoqués, le volontaire perçoit la situation présente dans toute sa complexité.

L'implication du volontaire correspond à la façon dont celui-ci se définit par rapport à un référentiel donné. L'hétérogénéité des engagements, convoqués dans le cadre du discernement, menace l'unité de sa conscience. Elle exige un travail spécifique duquel émerge une "subjectivité" de l'ordre de celle décrite par Dubet (1994). Ce mode de convocation permet au volontaire de discerner au sein des "Moi" impliqués par les différents référentiels, un "Je" les transcendant. (Dubet)

Le volontaire assume le caractère arbitraire de son choix et prend, ce faisant, la mesure de sa subjectivité : il produit ainsi un point de vue en lien avec une vision personnelle du développement. Le sens ainsi "induit" (Beaucourt, 1996) lui permet d'adapter son projet aux données de la situation et d'actualiser la vision produite par l'association dans le cadre de son objet social.

Le "discernement" apparaît, d'un point de vue cognitif, aussi satisfaisant que les autres modes, tout en générant, par ailleurs, de multiples avantages tant du point de vue du développement du volontaire que de celui des acteurs impliqués dans le projet.

Conclusion.

Notre analyse des modes de convocation suit une approche essentiellement cognitive : nous questionnons leur contribution à la réalisation des fonctions conférées à la conscience : l'unité, la continuité et l'intégrité.

Dans cette perspective, nous distinguons les stratégies mises en oeuvre dans le cadre du "pragmatisme", du "conditionnel" et de "l'exclusif", du travail effectué par le "discernement".

Les trois premières maintiennent l'unité de l'individu, en évitant que les contradictions latentes entre les différents engagements ne deviennent manifestes, face à un problème concret. La convocation de l'implication symbolique, à long terme, reste, dans ces cas de figure, très partielle :

- le pragmatisme n'en convoque, pour ainsi dire, aucun ;

- le conditionnel, en sélectionne en fonction des données du contexte ;

- l'exclusif se réfère systématiquement au même type d'engagement.

Le "discernement" "consomme" les contradictions existant entre les différents engagements qui composent son implication symbolique à long terme. L'unité n'est pas maintenue, mais reconstruite. Elle est le fruit d'un travail, comme le précise Dubet, à propos de l'identité.

Ce travail participe à l'émergence d'une conscience qualitativement différente de celle qui accompagnent les autres modes. Le volontaire ne s'identifie plus aux relations qu'il développe par rapport aux différents référentiels, mais aux arbitrages qu'il effectue. Il se définit par distanciation et différenciation par rapport aux référentiels dans lesquels il s'engage. Il discerne ce qui, dans l'image qu'il a de lui, dépend de la relation et ce qui lui est propre.

Nous avons, dans le chapitre précédent, mis en évidence l'influence que pouvait avoir l'expérience du volontaire sur les formes d'implication finalement développées. De la même façon, nous pouvons questionner les facteurs qui poussent le volontaire à adopter un mode donné. Il s'agit, entre autres, de savoir si ce mode constitue plutôt une stratégie cognitive répondant aux contraintes et aux opportunités de la situation, ou s'il constitue une caractéristique plus permanente de la personnalité des volontaires.

Les variations mises à contribution à travers les quatre types de convocation retenus concernent :

- les logiques présidant aux choix des engagements convoqués ;

- le nombre d'engagements que le volontaire est en mesure de convoquer simultanément.

Partant de là, nous envisageons deux séries d'hypothèses. La première concerne les facteurs expliquant la convocation d'un engagement donné. La seconde porte sur les aptitudes du volontaire à en convoquer plusieurs de manière simultanée.

Hypothèses sur les variables déterminant la convocation d'un mode donné.

Concernant, la convocation d'un engagement donné (première série d'hypothèses), nous envisageons trois corps d'hypothèses :

- les hypothèses relatives au contexte. Nous retrouvons là le type de convocation que nous avons qualifié de conditionnel. Les profils que nous avons mis en évidence sont des types purs. En réalité, on peut effectivement faire l'hypothèse que tous les volontaires sont un tant soit peu influencés par le contexte, même s'ils intègrent, par ailleurs, d'autres modes.

- des hypothèses relatives aux caractéristiques de l'engagement. Concernant les caractéristiques intrinsèques de l'engagement, on pourrait ainsi évoquer l'intensité de l'engagement. Pratkanis et Turner (1994) intègrent à propos de l'attitude, la mesure dans laquelle elle implique l'image de soi. Cette variable se révèle, dans le cas de l'implication symbolique, plus ou moins inopérante, dans la mesure où nous la définissons comme la façon de se définir par rapport au référentiel. Partant de là, même l'implication calculatrice touche à l'image de soi. Cette variable se recoupe plus ou moins avec l'intensité du phénomène ;

- des hypothèses relatives à la personnalité. On pourrait concevoir le fait de convoquer ses engagements comme relevant d'un profil cognitif relativement établi. Certains auraient tendance à convoquer systématiquement leurs engagements alors que d'autres ne s'y réfèreraient jamais. Le rôle de la personnalité dans la convocation des engagements et des attitudes peut être illustré par le cas des Africains avec lesquels nous nous sommes entretenus. Dans un contexte relativement semblable et des positionnements plus ou moins similaires, certains adaptaient leurs discours à ce qu'ils pensaient être nos attentes, alors que d'autres étaient capables de nous faire part de leurs véritables opinions. Nous pouvons ainsi intégrer une variable s'apparentant à des formes d'intégrité.

Hypothèses sur les variables déterminant le nombre d'engagements convoqués.

Les facteurs influant sur les convocations d'un engagement donné peuvent être médiatisés par les capacités de l'individu à convoquer plusieurs engagements (deuxième série d'hypothèses).

Les variables contextuelles jouent, sans doute, là encore un rôle. On peut en effet supposer que la complexité et l'hétérogénéité des contextes liés au développement mettent, plus que d'ordinaire, à contribution des stratégies consistant à réduire les problèmes à nombre limité d'enjeux.

Au delà, face à des contextes comparables, nous constatons que certains convoquent plusieurs engagements pendant que d'autres n'en convoquent qu'un. Nous pouvons ainsi retrouver certains auteurs sur l'implication.

En marge des variables démographiques, la littérature sur l'implication suggère que la personnalité des individus constituerait un antécédent important. Luthan (1987) évoque, en particulier, des caractéristiques relatives à l'attribution du locus de contrôle (Heider 1948). Staw (1974) relie l'implication aux choix que fait l'individu, Spector (1982) suggère, par ailleurs, que les "internes" ("internal") perçoivent un plus grand nombre d'alternatives. Luthan en déduit que les individus considérant un locus de contrôle interne sont plus impliqués dans la mesure où, percevant d'autres alternatives, ils justifient ainsi leur choix.

Nous prolongeons les réflexions de Luthan, en précisant que ceux qui disposent d'un locus de contrôle interne sont non seulement plus engagés, mais sont également capables de gérer et de convoquer simultanément plusieurs engagements; ne recherchant pas les nécessités, ils sont alors capables de choisir. En effet, les convocations simultanées de plusieurs engagements induisent un locus de contrôle que ne peuvent pas forcément assumer tous les individus. Nous prolongeons le propos de Spector, en disant que si les individus, s'attribuant un fort locus de contrôle, voient plus d'alternatives, ils prennent surtout en considération plus d'enjeux.

 

Quels que soient les facteurs contribuant à la détermination du mode de convocation de l'implication adoptée par le volontaire, nous intégrons cette variable comme une réponse possible à notre problématique de départ. Les liens entre l'implication symbolique à long terme et la contribution sont fonction de la façon dont le volontaire la convoque dans le cadre de la "situation présente".

Dans cette perspective, certains engagements semblent effectivement participer à la définition et à la résolution des problèmes concrets rencontrés dans ce cadre. D'autres restent des principes généraux, permettant de définir la situation dans son ensemble, mais n'ont, apparemment aucune portée pratique.

Nous avons jusque-là considéré les opportunités et les contraintes des différents types d'implications au niveau cognitif. La partie suivante les évalue en fonction de ces enjeux, autrement dit, du travail que peut ainsi apporter le volontaire.

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