Chapitre 5
Les contingences de l'implication
Cette partie intègre différentes variables susceptibles d'expliquer les contingences constatées au niveau des liens entre implication et comportements, liens questionnés par notre problématique.
La première série de variables concerne le processus d'émergence du mode d'implication finalement adopté par le volontaire. Ce processus est, entre autres, marqué par les résistances de celui-ci face aux nécessités d'actualiser des anticipations inadaptées aux données de la situation. Les phases qui le composent se caractérisent par des formes d'implication intégrant des propriétés cognitives différentes.
La seconde catégorie de variables touche à la convocation de l'implication ainsi mûrie, dans le cadre des problèmes rencontrés en situation. Nous constatons ainsi que, face à des enjeux plus concrets, le volontaire tend, de façon plus ou moins marquée suivant le type de convocation adopté, à sélectionner les engagements auxquels il se réfère.
Les enjeux pris en considération pour ordonner les différents types d'implication ne sont pas encore ceux de l'organisation, mais se limitent au développement et au maintien des fonctions d'unité, de continuité et d'intégrité que nous avons attribuées à la conscience. Nous faisons ainsi valoir l'action que cette dernière peut, ce faisant, produire au niveau des comportements.
La thèse défendue est que cette action dépend, essentiellement, de l'avancement du processus implicationnel et du mode de convocation adopté à l'issue de celui-ci.
Chapitre 5
Présentation des données
Les données présentées dans le cadre de ce chapitre sont organisées en trois groupes : le contexte, l'implication des volontaires et leurs contributions. Le contexte est, tout d'abord, défini par les modalités du travail volontaire. Le volontariat est un engagement à temps complet sans contrat de travail. Il n'est pas rémunéré, mais indemnisé. La situation du volontaire est structurée par un projet de développement ayant vocation à améliorer de façon durable la qualité de vie des populations. Par exemple, l'introduction de la culture attelée permet de cultiver une surface plus grande qu'avec une simple houe. Le développement est une notion relativement ambiguë. Elle questionne la notion de pauvreté et de niveau de vie décent. Au niveau pratique, les actions entreprises génèrent parfois des effets pervers. Par exemple, la distribution des excédents de l'agro-alimentaire européen peut faire chuter les cours des marchés locaux. Au niveau culturel, les sociétés traditionnelles se caractérisent souvent par de fortes résistances au changement. La seconde partie de ce chapitre expose la vision et les engagements à travers lesquels les volontaires se définissent. Compte tenu des nuances et de la diversité des engagements que peut développer un même volontaire, nous avons préféré présenter des extraits d'entretiens plutôt que de les réduire aux catégories développées pour les analyser. La troisième partie intègre le second terme de la problématique : la contribution. Nous analysons trois de ses aspects : - la réalisation des objectifs du projet ; - les efforts effectués, évalués dans le cadre de la relation entre le volontaire et son responsable (l'enjeu, à ce niveau, consiste principalement à établir la responsabilité du volontaire par rapport aux écarts constatés entre les objectifs et sa contribution) ; - et la façon dont les objectifs sont atteints (un des aspects les plus qualitatifs de la contribution; nous considérons, sur ce point, la capacité du volontaire d'intégrer la complexité du projet et de produire des significations et des actions acceptables pour tous les acteurs). Nous constatons qu'aucun des différents aspects de la contribution ne semble, a priori, corrélé à une forme d'implication particulière. Les efforts sont quasi-systématiques, mais la qualité des moyens mis en oeuvre donne lieu à une plus grande dispersion de l'échantillon. Introduction. Ce chapitre consiste, simplement, à décrire les situations étudiées et à donner au lecteur les faits sur lesquels se fondent nos analyses et nos modèles théoriques. Cet exercice nous est cependant apparu aussi difficile que les autres : la présentation des données intègre, à l'instar des autres chapitres, sa part de dilemmes par rapport auxquels il nous a fallu trancher. L'origine des difficultés rencontrées réside dans le fait que nous ne pouvons raisonnablement présenter au lecteur l'intégralité des milliers de pages dont nous avons disposé pour réaliser nos analyses. Celui-ci est donc condamné à percevoir la situation étudiée, par l'intermédiaire de la subjectivité du chercheur. Partant de là, la question est de savoir ce que nous lui communiquons, et la façon dont nous le faisons. Nous considérons un certain nombre d'options possibles que nous situons sur le long des continuums suivants : 1. le degré d'abstraction de la description. Doit-on d'entrée interpréter la situation et les phénomènes dans les termes relatifs à la problématique et aux concepts ou plutôt en rapporter une connaissance ordinaire s'appuyant sur des données relativement brutes ? 2. le rapport entre les données présentées et la problématique. Doit-on d'entrée focaliser sur les phénomènes étudiés ou doit-on plutôt chercher à produire une vision d'ensemble de la situation, mettant provisoirement de côté nos préoccupations ? ; 3. la façon de réduire le corpus de départ. Doit-on chercher à résumer l'ensemble des données ou à construire un échantillon composé d'extraits originaux plus ou moins représentatifs ? 4. le degré de structuration des données présentées. Doit-on chercher à structurer les données, les organiser autour d'une logique intégratrice ou doit-on rester sur le registre de l'inventaire ? Les trois parties qui composent ces chapitres relèvent de différents arbitrages, intégrant des finalités complémentaires mais, du reste, différentes : - la présentation du contexte opte pour une analyse dont la validité se situe à mi-chemin entre connaissance ordinaire et connaissance scientifique ; - la revue des engagements signifiés par les volontaires s'appuie sur des données brutes issues des entretiens ; - l'évaluation des contributions suit une approche plus interprétative fondée sur la triangulation des sources. La première partie introduit les données du projet tout en analysant les enjeux et les difficultés qui le caractérisent. Elle revient en particulier sur les réserves des populations à son sujet, en explorant un certain nombre de facteurs : pratiques, culturels et symboliques susceptibles de les expliquer. La seconde partie présente les points de vue des volontaires. Son objectif est de rendre compte des positionnements possibles par rapport aux divers aspects de cette expérience. La matrice présentée dans un premier temps inventorie les fréquences des différentes formes d'implication au sein de notre échantillon. Elle n'apparaît pas, compte tenu du caractère compréhensif de notre démarche, très signifiante et reste, en soi, très insuffisante. C'est pourquoi, nous avons tenu à restituer une partie de ces positionnements sous leurs formes originales. Le type de présentation retenu correspond à une forme de "zapping" compilant, les uns à la suite des autres, des extraits d'entretiens. L'objectif de cette technique est de faire émerger, par "petites touches", un peu à la façon des peintres impressionnistes, une vision d'ensemble. Au delà des quelques thèmes autour desquels sont rassemblés ces extraits, nous n'avons pas cherché à introduire d'ordre précis, ce afin que le lecteur développe ses impressions, uniquement en fonction des contenus produits par les volontaires. Ces extraits sont donnés sans commentaire, ou presque, pour ne pas induire de sens, afin que le lecteur soit amené à faire sa propre expérience de l'ensemble ainsi constitué. Les commentaires situés en introduction de chaque thème ne portent ainsi pas directement sur les entretiens, mais présentent un certain nombre de données sociales qui, compte tenu des caractéristiques de l'entretien semi-directif, n'apparaissent pas directement dans les extraits. Au delà, chaque extrait peut être abordé isolément en tant que référence à un ou plusieurs engagements. La troisième partie évalue la contribution du volontaire. Elle passe, pour ce faire, en revue différents critères possibles. Elle commence par des critères technico-économiques relatifs à la réalisation des objectifs. Elle envisage ensuite le cas où ces critères ne sont pas remplis, l'évaluation s'inscrit alors dans une relation intersubjective entre le volontaire et les responsables de l'association dont l'enjeu est d'apprécier les efforts fournis par celui-ci. Nous questionnons ensuite suivant une démarche inspirée de celle des "incidents critiques" (Flanagan, 1954), les rares cas dans le cadre desquels l'association et les volontaires ne s'accordent pas. Ce détour, mis en perspective avec les réserves exprimées par les populations à propos du projet ainsi qu'avec les aspirations exprimées par les responsables Ressources Humaines, nous amène à considérer la manière dont le volontaire réalise les objectifs du projet. Nous constatons ainsi qu'il est plus ou moins conscient de la complexité de la situation, que ses comportements et ses attitudes sont plus ou moins respectueux du point de vue de ses hôtes et qu'il est plus ou moins capable d'innover et d'adapter le projet aux caractéristiques de la situation. Ces trois parties ne constituent qu'une première étape, elles ont pour objectif d'introduire un certain nombre de contenus, afin que nous puissions ensuite les reprendre, au fur et à mesure des chapitres suivants. Nous restituerons ainsi l'ensemble de ces contenus dans le cadre du modèle afin de les rendre plus signifiants compte tenu des relations établies entre les trois corpus. |
1. Ambiguïtés et contradictions des projets de développement.
Cette première partie présente les différents aspects de la situation, en mettant l'accent sur les contradictions et les ambiguïtés qui la caractérisent. Elle se centre, tout d'abord, sur le projet, celui-ci constituant, rappelons-le, notre unité d'analyse. Elle revient sur les données du volontariat, en situant ses caractéristiques par rapport au salariat et au bénévolat. Elle aborde les contenus et les finalités des projets de développement à travers quatre exemples correspondant à trois secteurs d'intervention relativement différents :
- l'agriculture avec la pisciculture et la culture attelée ;
- l'intervention en milieu urbain avec le développement des quartiers spontanés ;
- la santé avec la lutte contre la maladie du sommeil.
Nous situons ces interventions de développement par rapport aux opérations d'urgence, ces dernières constituant, pour le grand public, des références plus familières.
Cette partie aborde ensuite un certain nombre d'incertitudes concernant les critères relatifs à la notion de développement : nous questionnons la nature du besoin auquel il répond, en soulignant son caractère relatif. Nous abordons, ce faisant, certaines des difficultés et des contradictions auxquelles le volontaire doit faire face, dans le cadre de son projet : nous évoquons ainsi les effets pervers de certaines initiatives, les résistances au changement qui caractérisent les sociétés traditionnelles (Mendras et Forsé, 1983).
Nous terminons avec ce qui constitue, pour nous, l'un des problèmes majeurs de l'intervention des volontaires : les appréciations contrastées des populations, face à l'utilité du projet et au désintéressement du volontaire, ces "réserves" résultant, en partie, d'un refus de la misère que leur attribue la notion "d'aide humanitaire".
Cette première partie préfigure une série de développements qui étayeront au fur et à mesure des différents chapitres la description de ce contexte, avec comme fil conducteur, la façon dont le volontaire s'y confronte dans le cadre de son expérience. Il s'agit de restituer l'expérience du volontaire, par rapport au contexte dans lequel elle s'inscrit.
Ces descriptions du contexte intègrent, compte tenu de la posture épistémologique retenue, une production de sens. Celle-ci se différencie partiellement de celle des acteurs sans pour autant avoir fait l'objet d'une validation scientifique en bonne et due forme. Nous situons les connaissances ainsi présentées comme des produits intermédiaires à mi-chemin entre connaissances ordinaires et scientifiques. Elles correspondent à une mise en perspective des points de vue des différents acteurs et de notre propre expérience. Elles constituent avant tout un moyen de mieux comprendre les phénomènes étudiés.
1.1. La situation de base : volontaire dans un projet de développement.
1.1.1. Le projet de développement.
Les associations que rejoignent les volontaires sont des associations de "solidarité internationale", autrement désignées sous le terme d'Organisations Non Gouvernementales (ONG). Ces organisations intègrent deux types d'objet social : l'urgence et le développement. L'Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP) et le Service de Coopération au Développement (SCD) se consacrent exclusivement au second. Médecins Sans Frontières (MSF) opérait à l'origine sur le terrain de l'urgence, mais, suivant une stratégie de diversification de ses activités, elle se répartit aujourd'hui équitablement entre les deux types d'intervention. Cette recherche s'attache exclusivement aux données du développement.
Le développement, par opposition à l'urgence, s'inscrit à moyen et longs termes. Il vise à introduire des changements capables de garantir une amélioration durable des conditions de vie des populations.
Cette amélioration commence par des secteurs clés tels que ceux de l'agriculture, de l'élevage, de l'hydraulique et de la santé. Ces secteurs sont les premiers abordés parce qu'ils sont, tout simplement, vitaux. Le développement commence en effet par une réduction de la précarité et des incertitudes liées à la survie des individus. Mais il ne s'agit là, que d'une première étape, l'objectif, à terme, est de contribuer au développement de structures et de susciter des comportements capables de prévenir les dangers. Il s'agit, par exemple, d'accroître la production agricole de façon à constituer des réserves plus importantes, capables de faire face à une saison sèche prolongée. Ces opérations s'achèvent, normalement, lorsque les populations sont en mesure de prendre, elles-mêmes, en charge les changements apportés.
Mais la subsistance n'est pas le seul objectif du développement, on considère d'autres besoins, dont la satisfaction participe à l'amélioration des conditions de vie. Ces associations prennent, ainsi, aussi, en charge des opérations de construction. Ces constructions sont parfois liées au projet précédent : c'est le cas des dispensaires et des puits, mais elles abordent aussi d'autres secteurs comme, par exemple, celui de l'éducation. Les bâtiments construits ont le plus souvent une utilité sociale, le développement vise à initier une dynamique de changement à la fois collective et sociale. La construction d'une école, par exemple, n'est en fait que l'aspect pratique d'un projet de développement de la scolarisation ; elle doit être associée à la venue d'un instituteur.
Ces associations interviennent également, depuis plusieurs années, en milieu urbain. L'un des principaux problèmes des grandes villes du tiers monde est l'exode rural et l'urbanisme sauvage qu'il engendre. Les populations arrivent des campagnes et s'installent là où elles peuvent, construisant leurs habitations à partir des matériaux qu'elles récupèrent. Les secteurs ainsi constitués sont qualifiés, suivant leur plus ou moins grande précarité de bidonvilles et de quartiers spontanés. Face à ce type de contextes, les projets visent, par exemple, à mettre en place des structures permettant l'acheminement de l'eau et l'évacuation des déchets.
L'action des associations n'est pas seulement matérielle, elle est aussi sociale. Les grandes villes du tiers-monde rencontrent des problèmes comparables aux nôtres : des problèmes de chômage, de drogue et de délinquance. C'est ainsi que des projets d'animation socioculturelle sont mis en place. Les associations participent également au développement de petites entreprises.
Les associations de solidarité internationale fondent une part importante de leur identité sur ce qui différencie leurs actions de celles menées par les gouvernements et les organismes internationaux comme l'ONU ou la Banque Mondiale. La principale différence est qu'elles traitent directement avec les populations, les volontaires sont envoyés au coeur des grandes villes ou au fin fond de la brousse de façon à travailler directement avec elles. Les projets sont, pour la plupart, des micro-projets : ils se limitent à un ou plusieurs villages. Cette petite échelle permet de garantir, d'une part, que les populations bénéficient bien de l'aide visée et, d'autre part, que celle-ci est adaptée à leurs besoins.
Chaque projet est unique mais s'inscrit dans une catégorie de projets définie par l'association. Celle-ci développe, en effet, des compétences et des savoir-faire par rapport à différents types d'interventions dont peuvent bénéficier les nouveaux projets. Elle capitalise, ainsi, des techniques et des méthodologies qui ont fait leurs preuves.
Les associations fonctionnent assez différemment les unes des autres, certaines intègrent un financement global qu'elles affectent aux projets en fonction des opportunités qu'elles considèrent : c'est le cas de MSF et des associations d'urgence. D'autres financent chaque projet au cas par cas, avec un interlocuteur précisément identifié : c'est le cas de l'AFVP, du SCD et des associations de développement.
Au delà du financement, le projet met en réseau différents acteurs qui, à différents niveaux, contribuent à sa réalisation. Il peut s'agir d'interlocuteurs institutionnels, locaux, de personnes ressources, de fournisseurs, de personnels etc. Le montage minimum comprend toujours un financeur, une association et un acteur local.
1.1.2. Le volontariat.
Le développement du volontariat résulte selon J. P. Gaignard, Responsable des Ressources Humaines à l'AFVP, d'un vide juridique : c'est un statut hybride à mi-chemin entre le bénévolat et le salariat, mis en place pour répondre aux besoins spécifiques des associations de solidarité internationale. Il a en fait fallu attendre le 30 janvier 1995 pour voir ce statut faire l'objet d'un cadre juridique introduisant un minimum de contenus.
Histoire du volontariat. 1812 : premiers volontaires intervenus dans des opérations de solidarité internationale. Ils furent ceux envoyés par le Congrès Américain suite au tremblement de terre qui eut lieu en 1812 au Vénézuéla. Ils furent à nouveau mis à contribution durant la guerre gréco-turque en 1821, et au cours des famines du Cap-Vert en 1822 et d'Irlande en 1846. 1859 : création, par Henri Dunant, de la Croix Rouge, première institution internationale privée. Elle intervint en Europe au cours de la première Guerre et la seconde guerre mondiale. 1946 : création du Secours Populaire Français et du Secours Catholique, premières ONG Françaises. 1949 : définition, par la Convention de Génève, d'un droit humanitaire. Le Comité international de la Croix Rouge est chargé de l'appliquer. 1951 définition, par les conventions de Génève, d'un statut de réfugié et création du Haut Commisariat aux Réfugiés. Années 50 : le volontariat est explicitement associé à l'aide au développement et se déplace à l'extérieur de l'Europe. L'aide publique des pays occidentaux au développement des pays du tiers-monde commence. Elle concorde avec la conférence de Bandoeng, en 1955 qui marque l'émergence de pays aspirant à la maîtrise de leurs propres ressources. C'est à cette époque qu'apparaissent les notions de "tiers-mondisme" et de "développement", elles induisent entre autres, l'idée d'économie nationale orientée vers la satisfaction de leurs propres besoins. D'une façon générale, la coopération apparaît dans le contexte de la décolonisation comme un instrument de l'aide publique au développement, mis en oeuvre par les pays du Nord au profit des pays du Sud. Elle recouvre à la fois une aide financière et une assistance technique. Début des années 60 se créent les premières associations de développement, parmi elles l'AFVP et "Jeunes et Monde qui deviendra le SCD". 1968 : Biafra, début du volontariat humanitaire d'urgence. 1971 : Médecins Sans Frontières introduit la première aide d'urgence indépendante des Etats. 1979 : MSF intègre des programmes de développement avec la formation de paysans locaux comme animateurs de santé. Années 70 : les associations de développement formalisent la notion de programmes de développement intégrés. Elles prônent le partenariat avec les popualtions et attribuent au volontaire le rôle d'accompagnateur. Fin des années 70, les associations humanitaires envoyant des volontaires de plus en plus nombreux créent un comité de liaison interONG (CLONG) Années 80 : montée en puissance des associations humanitaires. Leurs interventions de plus en plus en nombreuses sont soutenues et financées par les Pouvoirs Publics. Entre 1980 et 1992, les subventions sont multipliées par deux. Le "sans-frontièrisme" continue de se développer, sur une base principalement professionnelle (vétérinaire, kinésithérapeutes, pharmaciens...) 1983 : naissance de Bioforce, formation spécialisée dans le développement 1985 : mise en place du programme Volontaire Européen du développement. 1986 : le Décret du 15 Mars 1986 établit des garanties sociales pour les volontaires longue durée (> 2 ans). 1987 : naissance de la coordination d'Agen qui réunit la plupart des ONG d'urgence et de développement. 1990 : le Ministre de la Coopération, J. Pelletier annonce différentes mesures en faveur des volontaires : - aide de l'Etat à la préparation au départ ; - prise en compte des charges de familles et de couverture sociale des enfants ; - versement d'une indemnité de retour ; - mise en place d'un fonds de solidarité pour des volontaires en difficulté. Ces mesures ne seront que très partiellement reprises par les Pouvoirs Publics. 1994 : création d'un congé légal de solidarité internationale. 1995 : le Décret du 30 janvier introduit les éléments d'un statut volontaire plus consistants. Décret du 30 janvier 1995 relatif aux volontaires et aux associations de solidarité internationale de volontariat pour la solidarité internationale. Art.1. - La qualité de volontaire pour la solidarité internationale est accordée par les ministères compétents à toute personne physique majeure possédant la nationalité française ou celle d'un Etat membre de l'Union Européenne et qui remplit les trois conditions suivantes : - s'être engagée par contrat de volontariat avec une association pour la solidarité internationale reconnue par le ministère des affaires étrangères, le ministère de la coopération ou le ministre délégué à l'action humanitaire et aux droits de l'homme ; - participer dans ce cadre à une action de solidarité internationale; - accomplir une ou plusieurs missions d'intérêt général dans un des pays figurant sur la liste fixée par arrêté ministèriel et dans les limites de durée précisée à l'article 2 Art. 2. - Les volontaires pour la solidarité internationale bénéficient des dispositions du présent décret pour des missions d'une durée totale minimum supérieure ou égale à un an et limitées à six années (...) Art. 3. - Les associations de volontariat pour la solidarité internationale doivent garantir aux volontaires : - une formation préalable à leur affectation ; - une indemnité de subsistance et des avantages en nature susceptibles de leur assurer des conditions d'installation et de vie décentes compte tenu des situation locales ; - la prise en charge des frais de voyage et de rapatriement ; - une assurance en responsabilité civile ; - une couverture sociale pour eux-mêmes et leurs ayants droit présents sur le lieu de mission, dans le cadre des dispositions relatives à l'assurance volontaire des français expatriés et dans les conditions précisées par l'article 4 ; - un soutien technique pour leur réinsertion en fin de mission (...) Art. 5. - En outre, les volontaires de solidarité nternationale qui, à leur retour en France, ne remplissent pas les conditions d'attribution du revenu minimum d'insertion prévu par la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 modifiée et sont inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi de l'Agence nationale pour l'emploi reçoivent une prime forfaitaire de réinsertion, conformément aux dispositions de l'article 11. Art. 11. - L'Etat prend en charge la prime forfaitaire de réinsertion prévue à l'article 5 du présent décret. Le versement de cette prime est effectué dans le limite d'une durée maximale de neuf mois ; son revenu est exclusif de toute autre aide liée à la situation de recherche d'emploi. Les volontaires de solidarité internationale dont le contrat est rompu avant terme ne peuvent prétendre au bénéfice de la prime de réinsertion, à l'exception des cas de force majeure ou de rupture de contrat du fait de l'employeur. Journal Officiel |
Le travail du volontaire est, comme celui du salarié, à temps complet et constitue son activité principale. Ce choix est lié à sa situation d'expatrié, dans ce cadre, le temps partiel et secondaire du bénévolat n'était, en effet, pas envisageable. Certaines associations font venir des bénévoles dans le tiers-monde pour des durées de l'ordre d'un mois, mais la brièveté de ces interventions les cantonne dans des réalisations pratiques. La prise en charge des aspects sociaux et culturels ne peut se faire que dans le cadre d'un séjour prolongé.
Comme le bénévole, le volontaire ne reçoit pas de salaire et n'a pas de contrat de travail. Il reçoit une indemnité de subsistance dans le cadre d'un engagement moral. L'indemnité de subsistance correspond aux moyens nécessaires pour que le volontaire puisse bénéficier, sur place, de conditions de vie décentes. Dans les faits, ce niveau de vie varie sensiblement : il va de 1000 FF pour le SCD à 3000 FF pour l'AFVP. Les volontaires de MSF reçoivent un per diem relativement réduit mais ils bénéficient, à l'instar des volontaires de l'AFVP, de nombreux avantages en nature : logement, nourriture, véhicule. Ce "per diem" peut être complété avec une partie des 4500 FF que
MSF verse chaque mois sur le compte de ses volontaires. Les volontaires du SCD se présentent souvent comme les volontaires les plus pauvres d'Afrique, mais les 1000 FF dont ils disposent les situent cependant bien au-dessus du salaire moyen des Africains. Les 3000 FF reçus par les volontaires de l'AFVP correspondent, quant à eux, au salaire d'un sous-préfet en Afrique de l'Ouest.
En plus de l'indemnité de subsistance, le volontaire a droit à une couverture sociale et à un pécule de retour lui permettant de se réinstaller. Son billet d'avion aller-retour est, également, pris en charge. Il dispose d'un mois de vacances par an. Les obligations et les droits du volontaire sont spécifiés dans le cadre d'un document écrit, mais les associations prennent soin, aujourd'hui plus que jamais, que cet écrit ne ressemble pas trop à un contrat de travail. En effet, très récemment, un volontaire d'AICF a réussi à faire requalifier son engagement moral en contrat de travail et à percevoir des indemnités de licenciement. C'est l'une des ambiguïtés de ce statut : différent dans l'esprit, il ressemble parfois, en pratique, à un contrat de travail.
Dans le cadre du développement, le volontaire travaille, le plus souvent, seul, on lui confie un projet spécifique, isolé ou s'articulant à d'autres dans le cadre d'un ensemble plus vaste. La plupart des volontaires de l'AFVP et du SCD habitent à deux, parfois seul, rarement à plus de trois ou quatre. Concernant MSF, les volontaires travaillent en équipe de deux à dix.
Le volontaire se voit confier son projet ou sa mission sous la forme d'objectifs quantitatifs et/ou qualitatifs associés à un ensemble de moyens financiers et/ou matériels. Il gère ces derniers de façon relativement autonome (ch. 10.1) afin de réaliser, dans le temps qui lui est imparti, le projet. Les objectifs sont plus ou moins bien définis et le volontaire dispose de plus ou moins de marge, par rapport à l'orientation de son intervention. Il est, cependant, tenu de rendre des comptes sur l'avancement du projet, tous les trois ou six mois. Avec un responsable de l'association ou, dans le cas du SCD, avec l'opérateur, ils évaluent comment les choses se passent : la réalisation des objectifs et les problèmes rencontrés et ils envisagent les actions à venir. Le volontaire bénéficie d'un appui technique mais reste, d'une façon générale, relativement autonome.
Ses responsabilités sont multiples : elles concernent, bien entendu, la réalisation du projet mais aussi les rapports avec les bailleurs de fonds et les autorités locales, la négociation avec les fournisseurs, la gestion des moyens matériels et financiers ainsi que la gestion des salariés locaux associés au projet.
Tous les projets emploient un personnel local parfois en nombre important, ces salariés se trouvent sous la subordination hiérarchique du volontaire. Il leur verse leur salaire et définit leur travail. Ces salariés ne comprennent pas le personnel de maison, ce dernier correspond à une ligne budgétaire différente. Ce personnel local est structuré suivant une hiérarchie définie par le volontaire, il désigne des chefs et des sous-chefs. Les erreurs, à ce niveau, sont fréquentes : l'organigramme peut, en effet, inverser la hiérarchie sociale en vigueur dans la société dont sont issus les salariés.
Le volontaire AFVP est, par ailleurs, associé à un homologue : un ressortissant de la population dont les connaissances du milieu social, économique, politique et culturel complètent les compétences du volontaire. Ils sont sensés être sur un pied d'égalité, mais nous avons constaté que très souvent, pour ne pas dire dans la plupart des cas, le volontaire tend à s'approprier le leadership du projet.
Vivant dans le village ou le quartier où il travaille, le volontaire voit sa vie privée se confondre avec son cadre de travail. Il reste toujours un volontaire, quel que soit le moment de la journée ou de la semaine. Partant de là, il est difficile d'estimer les durées de travail réellement effectuées. Certains volontaires semblent vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre par et pour le projet.
1.1.3. Quatre exemples de projets.
1. Un exemple de pisciculture. Le projet de Didier a pour objectif de promouvoir la pisciculture auprès des paysans. Ce travail consiste tout d'abord à trouver des terrains présentant les caractéristiques requises pour ce type d'exploitation. Il s'agit le plus souvent de bas-fonds se trouvant en aval d'une dénivellation afin de pouvoir concentrer l'eau des pluies. Les premiers terrains ont été repérés par les volontaires et la mise en place de l'exploitation a été proposée aux paysans à des conditions relativement favorables. Après quelques opérations de ce genre, le bouche à oreille prend le relais, les paysans voyant leurs voisins, rapidement, prospérer, viennent solliciter les volontaires. Ces derniers se rendent sur les lieux et réalisent une étude topographique visant à évaluer l'ampleur de la dénivellation. Si le terrain répond aux conditions requises, on construit trois retenues d'eau, les deux premières séparées par une sorte de barrage et une troisième un peu à part. La première constitue la réserve d'eau, elle alimente la deuxième, celle qui contient les poissons, par un système de canalisations permettant de contrôler le niveau de l'eau. Cette dernière dispose, par ailleurs, d'une seconde série de canalisations ouvertes vers l'extérieur permettant de vider le bassin. Le troisième bassin est plus simple, c'est un simple étang. Une fois la réalisation terminée, on introduit les premiers alevins. On gère, ensuite, la population en séparant les alevins des adultes : on laisse les alevins dans le petit étang afin qu'ils se développent en sécurité. Le projet est financièrement attractif : si tout va bien, le paysan est en mesure de rembourser le prêt que lui a consenti le volontaire, au bout de deux ou trois ans. Ce dernier sélectionne les candidats en fonction des qualités des terrains dont ils disposent, de leurs motivations et de leurs compétences. Le projet implique en effet une formation concernant à la fois les techniques piscicoles et des éléments de comptabilité. Le volontaire forme, par ailleurs, quelques personnes à la topographie afin qu'après son départ, ils puissent reprendre le projet. C'est là l'objectif final du projet, le plus difficile à atteindre. Contrairement à Alain son projet ne marche pas très bien. Il se contente de proposer le projet sans construire de relations ni de sens. Seuls quelques riches rentiers ont vu là une opportunité de s'enrichir. 2. L'exemple d'introduction de la culture attelée. Bruno et Nathalie ont réussi à partir en couple, ce n'est pas toujours possible mais l'AFVP tente de répondre à ces demandes, l'expérience a, en effet, prouvé que le couple pouvait garantir une certaine stabilité face aux difficultés de l'expérience volontaire. Bruno a, par ailleurs, pu faire valider seize des vingt-quatre mois de son engagement au titre de son VSNE, autrement dit à l'issue de son engagement, il sera libéré des obligations militaires. Ils se retrouvent à Badjudé, un village de la Takora, région située au nord-ouest du Bénin, à dix kilomètres de la frontière Togolaise. Le projet que leur a confié l'AFVP se compose de deux volets plus ou moins indépendants : Bruno a pour mission de diffuser la culture attelée et Nathalie initie les femmes du village à la culture maraîchère. Une grande partie des habitants sont paysans et plus précisément cultivateurs. Ils cultivent différentes plantes : le sorgho, l'ingname et l'arachide. Chaque paysan se limite traditionnellement à une surface d'un hectare, cette faible surface s'explique par la dureté du sarclage, traditionnellement effectué à la houe : le paysan retourne la terre avec un outil ressemblant à une petite pioche au bout assez large. Le projet de Bruno consiste à leur proposer de remplacer la houe par un attelage composé de deux boeufs et d'une charrue. Ainsi équipé, le paysan peut normalement passer sans difficulté à une surface de trois hectares. Bruno dispose pour ce faire d'un fond de roulement de 100 000 francs qu'il utilise principalement pour accorder les prêts permettant aux paysans de faire l'acquisition de la charrue et des boeufs. Le prêt doit normalement être remboursé en deux ans. Le projet de Bruno concerne, compte tenu de la répartition des rôles dans cette région de l'Afrique, les hommes. Le projet de Nathalie est quant à lui destiné aux femmes du village, il consiste à promouvoir la culture maraîchère. L'objectif est d'une part d'améliorer l'alimentation ordinaire des familles et d'autre part, de permettre aux femmes de disposer d'un revenu qui servira surtout à acheter les ingrédients nécessaires à la cuisine la sauce qui accompagne traditionnellement le riz, comme par exemple, les épices. Les femmes sont déjà organisées dans le cadre d'un groupement. Nathalie intervient pour les former à la culture maraîchère et à la gestion et s'occupe d'aller acheter les semences. Le projet de Nathalie fonctionne. Au delà des intérêts que représente, pour les femmes, la culture maraîchère, les réunions hebdomadaires donnent au groupement une activité, elles constituent l'occasion de tisser des liens. Leur projet marche bien, les objectifs ont été dépassés. Ce succès s'explique, entre autres, par le scénario décrit par Mendras et Forsé, les paysans ont adopté le procédé suivant une courbe exponentielle, elle constitue désormais la norme, mais Bruno a parfaitement su se positionner, convaincre les bonnes personnes et imposer l'innovation dans les attributs sociaux. Il a, en fait, travaillé avec des hommes comme Ali, celui-ci a une trentaine d'années mais il figure déjà parmi les notables du village. Celui-ci était à la fois le plus ouvert à l'innovation et le plus influent. Les jeunes de sa génération ont tout d'abord suivi puis les vieux, voyant les résultats, s'y sont mis. De son côté, Ali a renforcé sa place et sa légitimité, il remplacera bientôt les anciens deviendra sans doute chef du village. A chaque évènement ayant lieu autour de la culture attelée, comme par exemple les formations ou le concours annuel, Ali est au centre et constitue la référence. Dans les deux cas, Bruno et Nathalie ont su trouver leur place dans le village. Ils sont restés très européens tout se situant parmi les notables. Ils ne bénéficient pas d'affiliation, mais leur métier, la fonction qu'ils occupent leur donne les bases d'une identité sociale. Participant aux différentes manifestations et fêtes, ils cultivent leur intégration de façon très naturelle. 3. Un exemple de projet de santé : la maladie du sommeil. Cécile et Malika sont toutes deux volontaires sur une mission de MSF en Côte d'Ivoire, précisément à Tabou, à 600 km d'Abidjan et à 10 km de la frontière du Libéria. Cette mission est une mission de post-urgence. L'urgence à laquelle elle fait suite concernait les réfugiés du Libéria, il s'agissait d'assurer leur survie. Ces réfugiés de guerre arrivaient en masse, le plus souvent après avoir marché des centaines de kilomètres. La mission mobilisait, alors, plus de trente volontaires. Depuis, les choses se sont améliorées, les réfugiés se sont installés dans le village et constituent désormais 80 % de la population. La mission de post-urgence se répartit sur trois villages, elle se charge d'accueillir les enfants souffrant de malnutrition. C'est la phase qui précède le départ de MSF. Les camps sont organisés autour de différentes tentes correspondant à des états différents de malnutrition. On a également mis une tente pour les malades que l'on a pris soin de séparer. La principale préoccupation de cette mission, comme de toutes les missions MSF, est l'organisation : il s'agit de traiter le plus efficacement possible un très grand nombre de gens. Cette organisation est plus ou moins la même partout, le matériel et l'organisation sont les mêmes, les techniques de "sanitation" sont identiques. Les volontaires s'ennuient sur ce projet, les anciens trouvent qu'il ne s'y passe rien, ils regrettent l'urgence de leurs missions passées. Les "premières missions" ne voient pas très bien de quoi retourne la mission, ils tentent de rechercher une urgence qui leur permettrait d'être débordés. 4. Un exemple de projet urbain Le projet de Jérôme est assez typique des activités développées dans ce domaine : il s'agit d'animer le développement d'un quartier d'une ville de taille moyenne du Sénégal. Ce projet est typique en termes de contenu, il s'agit de susciter une action commune de la part de différents acteurs. Il l'est également dans sa réussite : le projet fonctionne et lui donne satisfaction malgré des débuts difficiles. C'est un projet urbain, il s'intitule : assainissement de quartiers spontanés. Il s'agit de terrains que se sont appropriés des populations. Les terrains étaient là, disponibles et les gens venus pour la plupart de la campagne s'en sont emparés et ont construit leurs maisons. L'objectif du projet est de permettre à ces populations de rendre ces quartiers conformes à certaines règles : il s'agit d'assurer un minimum de points d'eau, d'amener l'électricité, d'aménager des voies d'accès pour désenclaver le quartier, des systèmes de prêts, afin d'organiser la vie du quartier. Dans ce projet comme ce devrait être le cas dans tous, la méthode, la façon de faire compte au moins autant que ce qui est fait. Il ne s'agit pas de faire, il ne s'agit pas de faire faire mais de susciter des initiatives. A Yamagen, il existe déjà différentes associations et c'est à elles d'introduire ces changements. L'association de jeunes est particulièrement active. Partant de là, le travail de Richard consiste à faire travailler ensemble différents acteurs, il constitue une sorte de médiateur face aux difficultés de l'action collective. |
Ces projets sont, de prime abord, des situations bien définies : leurs objectifs sont clairs, les moyens semblent appropriés et leur sens, en particulier leur utilité, apparaît pour le moins évident. L'action collective des différents acteurs impliqués semble, a priori, facilitée par une convergence d'enjeux et des motivations identiques.
Les deux premiers cas sont repris dans la troisième partie de ce chapitre en vue de faire valoir la qualité des positionnements adoptés par certains volontaires.
1.2.1. Définition : de l'urgence au développement.
Nous définissons la notion de développement par rapport à la notion d'urgence dans la mesure où cette dernière constitue, pour le grand public, un repère plus familier. La différence de notoriété entre ces deux types d'intervention s'explique en partie par la nature des financements sur lesquels elles s'appuient : alors que les associations humanitaires d'urgence recourent massivement aux dons des particuliers et mettent, pour ce faire, en place des campagnes d'information/publicité largement relayées par les média, les associations intervenant dans le domaine du développement ont, dès leurs origines, marqué une préférence pour des dons reçus d'institutions telles que les ministères, notamment le Ministère de la Coopération, la Communauté Européenne, le Fond Monétaire Internationale ou encore la Banque Mondiale.
Nous intégrons de façon tout à fait accessoire les logiques de l'urgence pour les besoins de l'analyse de l'expérience vécue par les volontaires de MSF. Il apparaît en effet que ceux-ci tendent souvent, pour des raisons dont nous rendons compte dans le chapitre 10, à projeter ce type de logiques sur les projets de développement sur lesquels ils peuvent être affectés. Ils sont, eux aussi, victimes des malentendus dont souffre le développement : forçant quelque peu le trait, nous dirons qu'un grand nombre d'Occidentaux restent, aujourd'hui encore, persuadés que les populations du Tiers-Monde sont pratiquement toutes à l'agonie et tendent partant de là, à considérer toute opération menée sur ce terrain comme visant les "sauver". La présente partie part de situations relevant effectivement de cette logique, pour peu à peu introduire les problématiques fondamentalement différentes sur lesquelles se fonde en fait la notion de développement..
Les questions d'urgence se posent, pour la plupart, en termes de vie ou de mort : de dangers et de contingences touchant des populations relativement nombreuses. Différents types de dangers sont ainsi envisageables :
- la famine : les populations ne disposent plus des ressources nécessaires pour assurer leur survie ;
- la maladie : on pense, en premier lieu, aux phénomènes épidémiques. De nombreuses maladies, chez nous, disparues continuent de faire des ravages dans le tiers-monde ;
- les catastrophes naturelles comme, par exemple, les tremblements de terre. Ces catastrophes tuent et blessent. Elles ont aussi pour effet de démunir les populations, en introduisant ou en exacerbant les deux problèmes précédents ;
- les guerres : elles sont comparables, dans leurs conséquences, aux catastrophes naturelles.
L'urgence se caractérise donc par un besoin d'action immédiate visant à infléchir le cours des évènements qui se jouent dans le cadre de la "situation présente". Elle se fonde sur de fortes évidences : lorsqu'un nombre important de personnes sont en train de mourir, "à la limite, tous les moyens sont bons pour leur venir en aide". Par évidence, nous signifions que même si le caractère intolérable d'une telle situation et la nécessité d'intervenir ne sont, par principe, jamais objectifs, ils font cependant l'objet d'un très large consensus.
Le développement commence, a priori, là où s'arrête l'urgence. L'objectif n'est plus de sauver des vies menacées à court terme, mais de réduire la précarité et d'assurer la survie des populations à moyen et long termes.
La limite entre urgence et développement reste, cependant, souvent difficile à établir. R. Brauman, ancien président de MSF, propose, dans cette perspective, une vision plutôt restreinte de l'urgence : celle-ci est bien liée à une question de vie ou de mort, mais elle se fonde, par ailleurs, sur le caractère exceptionnel du fléau. Il introduit là, une ambiguïté fondamentale de l'intervention solidaire : à partir de quand les dangers et les fléaux qui pèsent sur une population deviennent-ils "anormaux" et, ce faisant, "intolérables" ? A partir de quand retrouve-t-on une situation "normale" ?
Les pays du tiers-monde présentent, de façon systématique, une espérance de vie plus brève qu'en Occident, ainsi qu'une mortalité infantile plus élevée. Dans quelle mesure ces données peuvent-elles constituer les indicateurs d'une situation d'urgence ? Doit-on intervenir le plus rapidement possible ? Doit-on chercher à atteindre les niveaux occidentaux ? Certains fléaux sont, en fait, profondément ancrés dans certaines sociétés : "ils font partie de la vie".
Ce que R Brauman cherche, par sa définition, à mettre en évidence, c'est le fait que l'urgence ne peut être considérée qu'à court terme : c'est un problème exceptionnel, auquel il faut répondre immédiatement. Il s'agit principalement de soigner ou d'atténuer les symptômes d'un "évènement" donné. Au delà, lorsque le "mal" s'enracine dans la société, c'est au niveau des causes, qu'il devient utile, voire nécessaire, d'agir. L'action envisagée s'inscrit alors dans le moyen et long termes, passant par des changements de fond. C'est à cette seconde catégorie d'action que correspond le développement.
Un exemple frappant, permettant de mettre en évidence le caractère quelque peu incertain des frontières entre urgence et développement est celui de la famine. La famine est, depuis la médiatisation des problèmes de l'Ethiopie, le problème du tiers-monde auquel le grand public est le plus attaché. Nous rejoignons R. Brauman sur l'idée que toute famine ne relève pas systématiquement de l'urgence :
- une famine résultant d'une saison sèche anormalement longue constitue sans doute un cas d'urgence, et il peut être utile d'aider la population concernée, à traverser cette épreuve, en lui donnant des vivres, en quantité suffisante, pour attendre la nouvelle récolte ;
- par contre, lorsque la famine se reproduit chaque année, qu'à chaque fois les greniers sont vides plusieurs semaines avant la saison des pluies, on peut considérer que la population n'est pas ou plus adaptée au milieu dans lequel elle vit. L'aide alimentaire n'est pas appropriée à moyen et long termes, ce qu'il faut, c'est apporter, à cette population, les moyens de produire plus ou plus longtemps. Dans cette perspective, on peut envisager l'introduction, par exemple, de systèmes d'irrigation, la construction de silos permettant de mieux protéger les réserves de nourriture, ou encore le développement de cultures propices à l'exportation, ceci permettant de dégager un profit susceptible de financer l'achat de vivres pendant la période de "soudure". L'urgence peut, dans ce cas, être utile pour garantir la survie des populations à court terme, mais le "véritable" problème se situe à moyen et long termes.
Une partie des Occidentaux, suite aux actions médiatiques d'organismes tels que l'Unicef ou le Band Aid, restent persuadés que l'Afrique est à l'agonie et que tous ses enfants sont squelettiques. Une telle vision ne permet pas d'envisager "sereinement" la notion de développement ; toute forme "d'aide" ou de coopération se trouve, dans ce cadre, plus ou moins dramatisée : "on n'a pas le droit de rester indifférent face au malheur de ces pauvres petits Africains."
Les projets de développement apparaissent, dans ce cadre, "presque" aussi nécessaires que les opérations d'urgence : il s'agit d'intervenir pour que les gens puissent bénéficier de "conditions de vie décentes". Partant de là, la question consiste à définir ce que recouvrent des "conditions de vie décentes".
1.2.2. "Conditions de vie décentes" et légitimité du développement.
Le développement vise donc à introduire des changements de fond visant à garantir une amélioration durable des conditions de vie des populations du tiers-monde. Ces actions sont, a priori, nécessaires : la plupart des Européens conviennent aisément que tout individu a le droit à un "niveau de vie décent".
Le problème et les ambiguïtés commencent lorsqu'on cherche à établir, de façon plus précise, les critères et les indicateurs permettant de définir ce à quoi correspond un "niveau de vie décent". Nous retrouvons là un débat introduit dans le cadre de l'étude des "motivations" : il s'agit de définir la notion de besoin par opposition à la notion de désir, autrement dit de faire la part des choses entre le nécessaire et le superflu.
Quelles que soient les définitions retenues, les réalités dans lesquelles interviennent les organismes de développement sont très différentes de celles relevant de l'urgence. Pour aborder la question de l'utilité et de la pertinence des actions de développement, il est, avant tout, nécessaire d'abandonner les images de misère que nous ont, depuis fort longtemps, transmises les médias.
En effet, l'Afrique n'est pas aussi pauvre et misérable que ne veulent le croire les Occidentaux. Malgré une vie souvent dure, ils ne sont pas malheureux. La meilleure comparaison pour se faire une idée de leur niveau de vie consiste, selon nous, à la comparer, avec toute la prudence de mise, à celui des générations européennes ayant précédé les "Trente Glorieuses". Leur pauvreté et leur misère dépendent pour beaucoup de la comparaison avec le niveau de vie des générations actuelles.
"Un dollar par jour..." Une étude de l'ONU, reprise par tous les médias, évaluait, récemment, la pauvreté des pays du tiers-monde en se référant au "nombre de gens obligés de vivre avec moins d'un dollar par jour". Cette donnée nous semble typique d'une certaine approche des questions relatives au niveau de vie des populations du tiers-monde. Ce qu'un individu peut faire avec un dollar varie du tout au tout en fonction du pays dans lequel il vit. Il est des pays, comme l'Inde ou le Népal, où il est possible d'acheter un repas à moins de 50 centimes, alors qu'en France il est difficile de trouver un sandwich à moins d'un dollar et demi. L'OCDE définit, quant à elle, la pauvreté sur la base d'un revenu inférieur à la moitié du salaire moyen du pays. |
Nous avons naturellement tendance à nous référer au niveau de vie qui caractérise les sociétés dans lesquelles nous vivons. Mais l'extention des niveaux de vie accessibles en Europe, à l'ensemble de la population mondiale, ne constitue pas forcément un objectif très réaliste : il n'y a pas, actuellement, sur terre, suffisamment de ressources. Le nivellement des niveaux de vie passe, a priori, par un partage. En attendant, l'enjeu consiste, pour les promoteurs du développement, à permettre à ces pays d'accéder à un "minimum".
Un minimum, a priori, raisonnable pourrait être l'accession à des formes d'autosuffisance. Cette dernière prête peut-être moins à confusion, elle peut se référer, de façon relativement objective, à la ration calorique et nutritive nécessaire à la vie d'un individu. Mais, on peut, suivant des principes du même ordre, considérer que tout individu a le droit de disposer d'une médecine capable de lui éviter une "mort prématurée".
Ces principes relativement évidents, se révèlent, ainsi, difficiles à opérationnaliser. A partir de quand, peut-on considérer que la maladie est intolérable ? Dans nos sociétés, de nombreuses personnes meurent encore de maladies telles que le sida. Partant de là, la maladie devient intolérable à partir du moment où il existe, quelque part, un moyen de la guérir. Mais peut-on, partant de là, ambitionner d'amener les taux de mortalité infantile ou les espérances de vie de toute population au delà d'un seuil minimum ? Qui fixera ce seuil ? L'Organisation Mondiale de la Santé ?
Il en va plus ou moins de même au niveau des différents contenus susceptibles d'être abordés par des actions de développement. La scolarisation des enfants peut apparaître utile, voire nécessaire, au développement d'une société ; d'un autre côté, elle ne contribue, que de façon très indirecte, à l'amélioration des conditions de vie de la population. De même, certains considèrent la démocratie comme une condition du développement, en même temps qu'un Droit de l'Homme. D'autres, encore, affirment que le développement des sociétés traditionnelles passe, nécessairement, par une transformation des structures leur permettant de s'intégrer aux "lois du marché".
Il apparaît ainsi très difficile, voire impossible, d'aborder la notion de "niveau de vie décent" en dehors d'un certain nombre de références culturelles, qui tendent à imposer le caractère relatif et subjectif de cette idée. Ce faisant, c'est finalement la question-même de développement qui, dans le cadre de la rencontre interculturelle, semble inévitablement devoir prêter à confusion. Suivant des perspectives pratiques, le fait que les volontaires considèrent les populations auprès desquelles ils interviennent comme "pauvres" et "misérables", alors qu'elles-mêmes jugent leur niveau de vie "décent", peut poser certains problèmes concernant la réalisation du projet.
1.2. Conclusion sur la notion de développement : agir quand même ?
Renonçant à définir, de façon définitive et absolue, les critères et les objectifs sur lesquels se fonde la notion de développement, nous pouvons la considérer comme, socialement et culturellement, construite. Nous retenons, entre autres principes, l'idée que la pauvreté d'un individu reste, en partie, dépendante de son environnement culturel. Partant de là, la légitimité d'un projet de développement n'est pas acquise, mais reste à négocier avec les intéressés.
Ces ambiguïtés ne s'opposent, cependant, pas à toute intervention ; l'un des défis du volontaire consiste à agir malgré tout.
1.3. Cadre symbolique, idéologique et social du développement.
Le constat publié par l'ONU en Avril 1997 pose, parfaitement, les limites du développement : seulement 1 à 5 % des sommes mobilisées à cette fin seraient utilisées de façon effective et efficace. Ce chiffre est, certes, particulièrement marqué, mais il n'est pas vraiment surprenant. Les associations étudiées ne disposent pas de données estimant précisément le pourcentage de leurs projets qui aboutissent et, surtout, perdurent. Elles ont, semble-t-il, en partie, pris conscience des nombreux échecs passés, mais elles ne sont pas en mesure de connaître l'état de la situation actuelle.
Sans doute faudrait-il faire la part des choses entre les investissements institutionnels et les projets réalisés par les associations, mais il est clair que les échecs sont particulièrement nombreux. Au delà de la réalisation des objectifs assignés au volontaire, peu de projets perdurent après le départ de ce dernier, il faut, dans ce cas parler d'échec dans la mesure où l'objectif final d'un projet de développement consiste à être repris de façon plus ou moins définitive par les populations.
Ces résultats, plutôt décevants, s'expliquent par les difficultés de tous ordres qui s'opposent à l'aboutissement du projet. Nous avons évoqué les ambiguïtés de la notion de développement, nous abordons ici, d'autres difficultés telles que :
- les effets pervers que génèrent des moyens qui ne sont pas toujours appropriés, dont certains sont dictés par des financeurs aux intentions, parfois, incertaines ;
- les malentendus qui accompagnent la rencontre interculturelle ;
- des résistances au changement d'ordre culturel.
Nous prolongeons cette réflexion dans le cadre de la troisième partie de ce chapitre, en explorant les problèmes plus directement imputables aux volontaires.
1.3.1. De la difficulté de bien faire.
Le développement des pays du tiers-monde relève d'une complexité égale à celle de la gestion économique et sociale des pays occidentaux. Les sociétés traditionnelles qui les caractérisent reposent, par ailleurs, sur des équilibres, sociaux et culturels, fragiles, que l'introduction du "progrès" technique tend souvent à bouleverser (Mendras et Forsé, 1983). Partant de là, il apparaît particulièrement difficile d'initier des changements sains et durables.
Face aux erreurs, parfois, commises, la phrase clé des volontaires est "Les chemins qui mènent en Enfer sont pavés de bonnes intentions." Mais tel n'est pas toujours le cas, les projets de développement ne sont pas faits que de bonnes intentions : des intérêts supérieurs, économiques ou idéologiques, peuvent entrer en jeu.
Tel n'est, a priori, pas le cas des particuliers et des entreprises. A l'exception de quelques multinationales, c'est derniers n'ont tout à la fois pas d'intérets autres que celui de donner et pas de véritable pouvoir sur les orientations de l'association.
Le volontaire peut, bien sûr, prendre en charge les attentes des donateurs, particuliers ou entreprises, qui souhaitent contribuer à sauver de la misère, les populations du tiers-monde. Dans la mesure où leurs dons ne sont pas directement affectés sur un projet précis, mais participent au financement de l'association et de ses activités dans leur globalité, l'influence de ces financeurs repose exclusivement sur la considération que leur accorde le volontaire, Le relais de leurs intentions, par le volontaire, constitue un devoir d'ordre moral qu'il s'assigne plus qu'une obligation pratique.
Le volontaire doit, aussi, de façon, cette fois, plus contraignante assumer les projets des "bailleurs de fonds institutionnels" (Les Etats, ONU, CEE, Banque Mondiale, FMI) qui financent directement le projet.
Les intentions des bailleurs de fonds institutionnels ? Officiellement, les grands "bailleurs de fonds" financent les projets des associations parce qu'ils complètent leurs actions macro-économiques au niveau "micro". Dans les faits, leurs actions intègrent, parfois, une dimension politique convoquant, des enjeux extérieurs au développement proprement dit. Il arrive ainsi que le financement d'un projet s'inscrive dans des jeux de pressions et d'échanges ayant pour vocation d'influencer la politique du pays : - les gouvernements des pays occidentaux peuvent, par exemple, récompenser les pays méritants en termes de processus de démocratisation. Le Président Mitterrand avait, en son temps présenté, de façon relativement explicite, la politique de la France en matière de développement : l'aide consentie irait en priorité aux pays dont les gouvernements manifestent clairement leur volonté d'aller vers plus de démocratie ; - plus récemment, les gouvernements de Balladur et Juppé avaient laissé entendre que le durcissement de la politique de la France en matière d'immigration pourrait être, en quelque sorte, compensé par le financement de projets de développement ; - dans un autre registre des bailleurs institutionnels tels que le Fonds Monétaire International (FMI) ou les Banques Mondiales peuvent, par le biais du financement de projets, chercher à peser sur les politiques économiques des gouvernements du tiers-monde. Ils peuvent, par exemple, de cette façon compenser des budgets nationaux privilégiant le remboursement de la dette au détriment d'investissements plus directement productifs. Partant de là, la question se pose de savoir si la démocratie, la restriction de l'immigration ou encore la réduction de la dette nationale contribuent effectivement au développement des pays du tiers-monde. |
Même en excluant de telles intentions, il peut arriver que certains projets de développement aboutissent à des conséquences négatives : les bénéfices obtenus à travers la réalisation des objectifs se font, parfois, au détriment d'autres domaines. On peut ainsi parler d'effets pervers.
Deux exemples d'effets pervers. Le don des excédents agricoles de la Communauté Européenne et les lignes aériennes mises en place par cette même institution au profit des associations humanitaires constituent deux exemples particulièrement intéressants d'effets pervers liés au développement. L'idée que "nous", pays occidentaux, prenions la peine de faire parvenir aux pays du tiers monde notre "trop plein" de certaines richesses, en particulier nos excédents agricoles, constitue une solution souvent suggérée face au problème de la "faim dans le monde", une "évidence" devenue lieu commun. Mais les choses sont loin d'être aussi simples : l'excédent ainsi envoyé a pour effet de faire s'écrouler les cours des matières premières et des biens en question, ruinant, ce faisant, les producteurs locaux. Le cas est, entre autres, arrivé avec la viande bovine. La Communauté Européenne a décidé, il y a quelques années, de mettre à la disposition des associations humanitaires, dans différents pays, de petits avions, afin d'assurer gratuitement l'acheminement des volontaires sur leur lieu d'intervention. Cette généreuse initiative a eu pour effet de faire disparaître des petites compagnies locales qui s'étaient constituées pour assurer ce service. Les projets de développement se retrouvent ainsi souvent en concurrence avec des acteurs locaux. La question est alors de savoir s'il faut répondre directement à la demande ou s'il ne vaut pas mieux appuyer ces derniers. |
D'une façon générale, les changements introduits ont des conséquences qui dépassent souvent, les seuls objectifs visés. Au delà des effets explicitement pervers, ils ont des impacts difficiles à évaluer, mais néanmoins certains sur les structures sociales, culturelles et politiques (Mendras et Forsé, 1983).
Ces différents effets illustrent la complexité des problèmes abordés. Face à ces derniers, les associations humanitaires et leurs volontaires doivent, pour malgré tout continuer à agir, arbitrer dans le cadre de dilemmes auxquels il n'est pas possible de donner de réponses définitives.
Deux dilemmes auxquels doivent faire face les projets de développement. Parmi les dilemmes auxquels doivent faire face les projets de développement, l'un des principaux est de savoir s'il vaut mieux favoriser l'autosuffisance ou la compétitivité sur les marchés mondiaux : - l'autosuffisance implique des formes d'autarcie. Elle tend à isoler la communauté de la mondialisation, préservant ainsi certains équilibres sociaux et culturels ; - d'un autre côté, l'insertion de cette communauté dans l'économie mondiale lui permet d'accéder à des formes de modernité auxquelles les jeunes aspirent et peuvent légitimement prétendre. Ce dilemme se pose, par exemple, au niveau de la production agricole : la question est de savoir si l'association doit inviter les paysans à produire pour eux ou pour l'exportation. Des projets de développement de toutes origines ont, par exemple, poussé les pays du tiers monde à produire des denrées faisant l'objet d'une forte demande de la part des marchés mondiaux (ex.cacao, café). Ils ont ainsi favorisé une croissance qui a pu, dans certains cas, permettre d'atteindre des niveaux satisfaisants d'autosuffisance et de compétitivité. Mais ces taux sont, par la suite, redescendus, parallèlement aux cours des matières premières en question. Un dilemme d'un autre ordre consiste à savoir comment se positionner par rapport aux structures de l'état. De nombreuses associations ont, pendant longtemps, agit dans l'ignorance totale de ces structures. La question se situe au niveau technico-économique : elle revient souvent à considérer s'il vaut mieux privilégier l'efficacité du projet ou l'association avec un gouvernement qui, bien que n'étant pas forcément aussi compétent que ne le souhaiteraient les volontaires, est, après tout, souverain. Cette question peut être amenée sur le terrain de la politique : certains états n'ont pas été démocratiquement élus et ne correspondent pas aux principes de développement défendus par l'association. La question est de savoir si une telle contestation relève de ses compétences. |
Le dilemme le plus important de tous est, peut-être, celui concernant le départ de l'association. En effet, le but de toute intervention est de permettre d'aider les structures locales à être plus autonomes et de permettre aux populations de mieux se prendre en charge. Le départ du volontaire et la transmission du projet aux acteurs locaux représente toujours, compte tenu des résultats évoqués en introduction de cette partie, un risque. Certaines associations ont ainsi tendance à repousser ce moment, de même leurs volontaires restent très souvent persuadés qu'il reste encore beaucoup à faire. Savoir partir est, ainsi, peut-être, aussi important que de savoir s'intégrer.
1.3.2. De la confrontation de deux cultures.
1.3.2.1. La rencontre interculturelle : une source de malentendus.
La rencontre interculturelle constitue, pour les projets de développement, une source difficultés finalement pas très éloignées des précédentes : les problèmes qu'elle induit découlent directement de la relativité de certaines notions que les acteurs tiennent cependant pour acquises. Dans cette perspective, la question du "niveau de vie décent" aurait très bien pu être abordée dans le cadre de cette rubrique.
Cet exemple nous semble représentatif dans la mesure où il vérifie l'idée que les problèmes de la rencontre interculturelle ne se limitent pas, comme on le sous-entend parfois, à des problèmes de communication, mais touchent à des questions de fond. Comme le souligne Carrolls, d'une culture à l'autre, les gens tendent à se positionner différemment par rapport à des réalités dont la valeur et le sens leur semblent pourtant universels.
Des blessures de la rencontre interculturelle. Anthropologue d'origine française, mariée à un confrère américain, Raymonde Carrolls a profité de son expatriation pour conceptualiser et modéliser les frustrations vécues dans le cadre de son expérience. L'ouvrage de R. Carrolls permet à travers une multitude d'exemples suivis d'une analyse à la fois simple et efficace de percevoir la nature et la portée des différences de positionnement existant à propos de sujets aussi ordinaires que l'amitié, les conversations téléphoniques, les enfants, le couple, la recherche d'informations. Sa thèse est qu'une grande partie des malentendus entre ressortissants de cultures différentes résultent de points de vue et de valeurs différentes associés à la certitude qu'ils sont identiques. Les indicateurs retenus pour saisir ces malentendus sont l'énervement, les vexations, les peines et les blessures ressenties face aux réactions de l'autre. Ces dernières apparaissent, en dehors des cadres de références de la culture dont elles émergent, inappropriées, voire souvent grossières, choquantes ou humiliantes. Parmi les exemples évoqués, on peut retrouver : - les signes sociaux à travers lesquels les individus définissent leur relation : deux individus peuvent ainsi respectivement se sembler, d'un côté, froid et distant et, de l'autre, grossièrement familiers alors qu'ils signifient à peu près le même degré de proximité amicale ; - Carrolls évoque la place et le sens de l'enfant : les Américains apparaissent souvent impolis dans la mesure où ils sont capables de brusquement abandonner une conversation pour écouter l'enfant venu les solliciter, alors que les Français leur semblent pour le moins sévères, exigeant du même enfant qu'il se taise, en attendant que les adultes aient fini de parler. |
D'une culture à l'autre, on n'exprime pas forcément, les mêmes choses, de la même façon et certains comportements peuvent irriter l'Autre. R. Carolls a étudié, de façon approfondie, ce type de phénomène entre Français et Américains. Ces deux cultures qu'on aurait pu penser, dans le fond, assez proches, se révèlent en fait souvent contradictoires. Elle a cherché à savoir ce qui, chez l'autre, pouvait énerver. Elle s'est ainsi aperçue que les façons de réagir face à un événement étaient sensiblement différentes. Ces différences expliquent pourquoi les comportements de l'autre, plein de bonnes intentions, pouvaient apparaître choquants. Elle évoque ainsi des éléments très ordinaires comme la façon de lier connaissance ou la façon d'inviter l'autre : ce qui dans une culture constitue une marque de sympathie peut dans une autre constituer une familiarité. Nous nous retrouvons là, face à un problème bien connu : la difficulté d'interpréter le comportement de l'autre lorsque celui-ci s'inscrit à l'intérieur de cadre de références que nous ne maîtrisons pas.
Les exemples d'incompréhension et de malentendus sont, dans le cadre de la rencontre entre volontaires et populations locales, très nombreux.
Les volontaires ne comprennent pas toujours, par exemple, les formes de solidarités qui existent au sein des familles africaines : toute personne gagnant un salaire est tenue de le partager avec une famille élargie. Nous avons été sollicité, à ce sujet, par les salariés locaux de la mission MSF où nous nous trouvions. Ces derniers avaient décidé de faire de nous leur représentant, pour expliquer aux volontaires qu'ils devaient prendre en charge une famille élargie et que, dans ce contexte, leur salaire actuel ne pouvait suffire. Sans chercher à intervenir, nous avons soumis le problème aux volontaires. Ceux-ci sont partis du principe que les locaux cherchaient toujours à en avoir plus et qu'ils "se foutaient bien" du développement. La discussion était close : leur salaire suffisait à assurer leurs dépenses quotidiennes.
Souvent, le malentendu n'est pas perçu par celui qui le provoque. Nous en avons fait une expérience particulièrement marquante à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Nous étions là en transit entre deux bus. Le prochain n'arrivant que le soir, nous avons décidé de visiter un peu la ville. Nous nous sommes rapidement retrouvé mal à l'aise parce que les gens ne se comportaient pas comme d'habitude, nous les trouvions particulièrement désagréables, voire, pour certains, vraiment agressifs. Nous nous étions même fait chasser de certains endroits. Ce n'est qu'à la fin de la journée que nous avons eu la clé de ce phénomène. Ce jour était jour de carême, et le fait que nous puissions manger devant des gens en train de jeûner constituait pour eux une provocation insupportable.
C'est parfois sur le contenu-même du projet que porte le malentendu. L'exemple qui suit nous a été rapporté par un médecin africain. Travaillant dans un hôpital à proximité de la mission, il a côtoyé des générations de volontaires. Il nous explique qu'au début, les choses ne se sont pas très bien passées. Les volontaires ont installé leur camp pour soigner la maladie du sommeil. Ils ont commencé par faire le tour des villages aux alentours afin de recueillir les personnes les plus touchées. La population était ravie, les "Blancs" allaient pouvoir sauver ces personnes. Mais bientôt, une rumeur contraire se répandit : les "Blancs injectaient un produit dans les veines des malades et ces derniers mouraient les uns après les autres. La rumeur s'amplifia et la population ne tarda pas à se mobiliser pour exiger que cela cesse. Les relations entre les volontaires et les populations s'envenimèrent, les altercations devenaient de plus en plus fréquentes. Les autorités locales se mirent de la partie, on fit venir le responsable de l'association pour le pays. Les discours adressés intégraient une phrase : "Your people kill my people." L'explication fut donnée mais certaines relations étaient irréversibles. Il fallut remplacer une part importante des volontaires présents par un nouveau contingent afin de repartir à zéro.
Une difficulté souvent évoquée par les volontaires est celle de se faire des amis. Ils témoignent tous arriver à un stade où les conversations se limitent, ils manquent de références communes. Ils ont l'impression de ne pas être compris.
De leur côté, les locaux ne comprennent pas que le volontaire abandonne son pays, sa famille, ses amis pour venir les aider. Ils doutent et le suspectent d'avoir des arrières pensées.
Même si le volontaire rencontre quelques problèmes, il finit toujours par s'adapter. C'est ainsi que les Occidentaux qui viennent lui rendre visite, se trouvent, à leur tout, choqués par ses comportements. Ils s'étonnent, par exemple, qu'il ait à sa disposition un cuisinier, un gardien, une femme de chambre. Ce personnel illustre le niveau de vie dont il privilégie sur place mais ce n'est, au delà, pas choquant. En effet, le volontaire serait très mal vu s'il n'embauchait pas un certain nombre de personnes, s'il ne leur donnait pas du travail. C'est ainsi que le volontaire ayant plus d'argent que les locaux, est appelé à créer des emplois.
1.3.2.2. Des résistances au changement d'ordre culturel.
La demande nécessaire, pour que le projet puisse avoir un minimum de légitimité, n'émerge pas facilement. La tendance qui caractérise les populations du tiers-monde, et plus particulièrement les populations villageoises, est à la reproduction de ce qui s'est toujours fait.
En dépit des avantages objectifs que présente l'innovation proposée par le volontaire, les populations tendent à opposer un refus qui, bien que n'étant pas toujours directement exprimé, s'avère bien souvent définitif. C'est là, pour le volontaire, à la fois une frustration et une énigme : il ne comprend pas le manque de motivation et d'enthousiasme de ses interlocuteurs, face à la mane qu'il leur propose.
Comment, par exemple, peuvent-ils refuser de recourir à la culture attelée, alors que ce mode de sarclage leur permettrait de produire beaucoup plus à moindre effort et au moindre coût?
Claire Michalon, donne à ce phénomène une explication intéressante : elle explique que, dans les sociétés traditionnelles, caractérisées par une vie précaire, la principale preuve de sagesse réside dans le fait de survivre, et donc, tout simplement, de vieillir. L'ancien est celui qui a toujours fait les bons choix ; il a survécu : il sait comment s'en sortir. Partant de là, le meilleur moyen d'assurer sa propre survie consiste à faire exactement la même chose que lui.
L'innovation que propose le volontaire est, sans doute, intéressante, mais elle constitue une prise de risque qui, compte tenu de la précarité décrite, signifie, en cas d'échec, la famine et la mort. Cette prise de risque apparaît d'autant plus grande que le volontaire est jeune : il n'a pas encore fait ses preuves. C'est ainsi que les villageois tendent, depuis toujours, à résister à toute forme de changement.
Mais face à la précarité, certains jeunes issus de sociétés rurales préfèrent quitter le village pour rejoindre la grande ville. Ces derniers s'ouvrent, alors, à la modernité. Ils se trouvent à mi-chemin entre ces valeurs nouvelles et les traditions dans lesquelles ils ont grandi, ce qui les met souvent face de profondes contradictions.
Par exemple, le jeune qui réussit à trouver un emploi de fonctionnaire voit très rapidement arriver chez lui une famille de plus en plus nombreuse qu'il doit, par ailleurs, nourrir. Il a alors le choix entre se conformer à son devoir de solidarité ou émigrer pour ne plus jamais revenir. Nous avons rencontré à Abidjan (Côte d'Ivoire) de jeunes Sénégalais qui avaient fait ce choix.
Ces jeunes partis vivre à la ville peuvent, lorsqu'ils reviennent au village, constituer pour le volontaire, des interlocuteurs privilégiés. Ce sont eux qui sont les plus disposés à intégrer les innovations proposés. Ils constituent, ainsi, les traditions à venir.
Conclusion sur le contexte
Le contexte des projets de développement se caractérise par l'hétérogénéité des points de vue et des enjeux impliqués. Cette hétérogénéité peut être interprétée dans les termes définis par Boltansky et Thévenot (1991). On peut considérer que les différents protagonistes situent le projet dans des mondes différents :
- certaines associations, certains responsables, s'inscrivent dans un monde industriel dans lequel prime la performance ;
- d'autres associations sont plutôt dans un monde de l'inspiration dans lequel, seule compte la réalisation du projet qu'ils ont conçu ;
- les financeurs se situent, quant à eux, souvent dans un monde marchand, où quels que soient les motifs affichés, la démarche intègre des formes de transaction ;
- les donateurs se réfèrent à un monde civique (leurs dons doivent servir l'intérêt d'une collectivité et non pas les intérêts particuliers);
- les populations se trouvent habituellement dans un monde domestique fondé sur le respect des traditions, bien que certains individus tendent à aborder le volontaire dans un monde marchand. Le seul moment, où ces populations peuvent se retrouver dans le même monde que les autres, est l'urgence; dans ce contexte, le monde civique tend à s'imposer à tous.
L'hétérogénéité des points de vue et des enjeux impliqués sur le projet constitue, de notre point de vue, la principale difficulté que doit intégrer le volontaire. La partie qui suit questionne la façon dont il l'intègre dans le cadre de son implication signifiée, la suivante explore comment sa contribution peut composer avec pour construire un projet acceptable pour tous.
- les populations se trouvent habituellement dans un monde domestique fondé sur le respect des traditions, bien que certains individus tendent à aborder le volontaire dans un monde marchand. Le seul moment, où ces populations peuvent se retrouver dans le même monde que les autres, est l'urgence; dans ce contexte, le monde civique tend à s'imposer à tous.
L'hétérogénéité des points de vue et des enjeux impliqués sur le projet constitue, de notre point de vue, la principale difficulté que doit intégrer le volontaire. La partie qui suit questionne la façon dont il l'intègre dans le cadre de son implication signifiée, la suivante explore comment sa contribution peut composer avec pour construire un projet acceptable pour tous.
2. Un aperçu des engagements signifiés par les volontaires.
Cette partie cherche à faire ressortir la diversité des formes d'implication que développent les volontaires, tout en rendant parallèlement compte de l'univers qu'ensemble, ils construisent. Nous abordons ainsi différents aspects de leur expérience, en faisant à chaque fois précéder les extraits d'entretiens, des idées qu'ils développent à l'occasion des soirées qu'ils passent entre eux.
L'objectif est de permettre au lecteur de mettre en perspective la diversité des points de vue personnels avec les aspects correspondant de ce qui constitue leur culture.
Nous tentons à l'issue de cette revue de proposer une présentation synthétique des positionnements possibles. Cet exercice nous apparaît très limité dans la mesure où l'implication des volontaires est composée de multiples engagements constituant une configuration plus ou moins unique.
Nous commençons par une brève introduction sur l'univers social des volontaires.
2.1. Introduction la culture des volontaires.
"Une soirée chez les volontaires" L'arrivée d'un nouveau volontaire, le départ d'un autre, les anniversaires, les mariages et les fêtes nationales constituent, pour les volontaires, autant d'occasions de se retrouver, exclusivement, entre eux. Des fêtes de ce type ont lieu, en moyenne, une fois par mois. Leur fréquence dépend, en fait, de l'ambiance du groupe, à un moment donné, celle-ci pouvant, compte tenu du turn-over, changer très rapidement. En fonction des personnalités présentes à un moment donnée, l'ambiance peut évoluer de façon importante. Les arrivées et les départs, étalés sur l'année, permettent cependant une certaine continuité du groupe. Ces fêtes sont, pour les volontaires, très importantes, certains parcourant même des centaines de kilomètres en un week-end, simplement pour y participer. La distance qu'est prêt à parcourir le volontaire peut s'expliquer par une forte implication intrinsèque dans le groupe, mais il ne s'agit, sans doute, pas là de sa seule motivation. Ces fêtes occupent, selon nous, des fonctions importantes dans la construction de leur implication. Ces soirées sont, au départ, l'occasion de s'amuser. Elles permettent de faire une pause dans le cadre d'une expérience éprouvante à tout point de vue. Elles constituent également la possibilité de partager leur expérience avec leurs pairs. Elles permettent aux volontaires de s'exprimer conformément à leurs aspirations. Même si chacun vit au fond une expérience très personnelle, les volontaires partagent cependant un certain nombre d'aspirations et de représentations communes. Ils partagent, par exemple, une certaine idée du "volontaire". Ils le voient comme un aventurier, "à l'aise", il a confiance en lui. Fort de ses expériences, il a su développer une certaine sagesse et des points de vue personnels sur les différents aspects de la situation. Ces éléments d'identité partagés se manifestent au niveau du langage. Comme ils ont "duré" fort longtemps en Afrique, les volontaires parlent un peu différemment des autres. Ils parlent lentement, articulent avec beaucoup d'emphase et utilisent une multitude d'expressions locales. D'une façon plus générale, l'ancienneté, l'expérience constituent, compte tenu du fait que tous les volontaires ont le même statut, l'unique source de différenciation. L'ancienneté introduit ainsi une forme de hiérarchie informelle. Celle-ci ne confère pas de privilèges particuliers, si ce n'est de la reconnaissance. L'ancienneté se compte en mois et figure parmi les premières questions que se posent les volontaires lorsqu'ils se rencontrent pour la première fois. Une partie des échanges dont ces soirées sont le théâtre semblent ainsi avoir pour fonction de réaffirmer un certain nombre d'évidences partagées à propos de la légitimité du volontaire. Ils consistent à partager ses expériences et à les analyser de façon à trouver les interprétations et les opinions les plus "justes". Le consensus auquel ils arrivent leur permet de se prouver le bien fondé de leurs certitudes. Ils construisent et reconstruisent ainsi le sens de leur présence, leur rôle et la place qu'ils occupent dans le cadre de situations comparables. Même si au fond chacun vit une expérience spécifique marquée par une sensibilité et des aspirations spécifiques, ces fêtes constituent des environnements plus favorables que d'ordinaire, leur permettant de réduire une partie des ambiguïtés auxquelles ils se trouvent tous confrontés. D'une façon générale, les opinions exprimées dans le cadre de ces soirées apparaissent, de loin, plus homogènes que celles que nous avons pu recueillir dans le cadre des entretiens. Journal de bord |
2.2. Introduction à l'expérience des volontaires.
2.2.1. Fragments de vécus.
Une expérience coupée du temps. Ces soirées commencent toujours par des échanges concernant "leur projet". Ils sont suffisamment au courant de ce que font les autres pour que la discussion porte sur un aspect particulier, par exemple ce qui est ressorti d'un rendez-vous avec le représentant du Ministère de la Santé ou comment s'est passée la réunion avec les chefs de village. Le projet constitue l'identité du volontaire. Ils reviennent, ce faisant, sur les difficultés de leur situation, se plaignent, se soutiennent, protestent, défendent les idées pour lesquelles ils continuent, . C'est surtout l'occasion d'un partage, d'un échange sur un quotidien pas toujours facile. Ils ne savent pas toujours très bien où ils en sont, ils ont du mal à envisager ce qu'ils feront ensuite. Un bon nombre voudrait bien continuer, mais "réalise" que ce n'est pas vraiment possible. "On ne peut pas rester éternellement volontaire, il faut penser à sa carrière, aux amis et à la famille qu'on a laissés." Ils sont ainsi comme coupés du temps. Pour beaucoup d'entre eux, il ne s'agit que d'une parenthèse. Ils redoutent le moment où ils vont devoir se lancer dans une recherche d'emploi : ils redoutent un chômage qui a, sans doute, encore augmenté depuis leur départ et ne savent pas s'ils pourront valoriser leur expérience ou si elle ne va pas les handicaper. Ils réalisent, de cette façon, que leur vie, "ici", est, sans doute, par certains aspects, difficile, mais qu'elle se révèle, à d'autres niveaux, relativement confortable. Journal de bord |
Fragments d'entretiens à propos de l'expérience vécue :
- "C'est ça, c'est pour ça que je dis qu'il ne faut pas dissocier le volontaire du milieu et du projet dans lequel il évolue, il ne travaille pas tout seul, il travaille avec des gens et quand le projet marche bien, le volontaire va bien."
- "Alors, on est pris en sandwich entre des bailleurs qui veulent accélérer les choses et une population de base qui nous reproche d'aller trop vite."
- "Tu vois, l'année dernière c'était complètement bloqué de Tamba à Baquel. Et puis 200 jours par an, il n'y a pas d'eau, on est obligé de tirer l'eau du puits qui est dégueulasse. Ensuite, il n'y pas de clim, pas...de courant. Ouais, à partir de 6 heures ou de 7 heures moins le quart il n'y a pas de courant... Alors, tu vois, la vie ici, je veux dire, c'est pas facile de rester ici, et quand il y a beaucoup de problèmes par rapport au projet, tu te trouves rapidement déprimé."
- "En ce moment, je travaille avec des villages, avec des personnes qui sont super dynamiques. L'année dernière, j'avais trouvé personne de motivé et de dynamique. Là aussi, c'est quelque chose de super fatigant, de super énervant. Et en ce moment, il y a vraiment un changement, j'ai trouvé des villages avec des personnes carrément dynamiques. Et là, il y a, comme tu vois, possibilité de faire avec... ça coûte rien, des petits moyens ; je peux rester une année avec un budget d'un million, là je peux rester une année à faire des activités."
- "Et c'est vrai que tu dérouilles... tu sais, il faut avoir les reins solides. Bon, lui, il a énormément travaillé, c'est vrai, mais psychologiquement il a eu des moments assez difficiles. Il a peut être pas pris suffisamment de recul. Moi quand je suis arrivé ici et que je commençais à rencontrer les gens chez Annie. Donc forcément tu es nouveau on te demande un peu qui t'es. Et quand je disais que je remplaçais Laurent, tout le monde me disait : "Ouh attention, lui à la fin, il est devenu un peu fou."
- "Si, il y a des fois tu es complètement découragé, des fois où t'es complètement dégoûté. Oui, il a des fois de découragement, de fatigue...et puis c'est toujours pareil, il y a toujours des choses positives qui donnent envie de continuer, envie de foncer et des choses où vraiment on a l'impression que ça sert à rien, qu'on perd son temps."
- "Ce jour-là, elle m'a dit : si on s'arrête de travailler, si on se pose des questions, on va se mettre à pleurer."
- "Les premiers temps, quelque part, je m'attendais à ça dans le sens où c'était un travail difficile, où tu travaillais beaucoup, tu te reposais pas, où tu vivais dans un contexte difficile, tout ce contexte là je l'avais dans les images que j'avais. Mais, maintenant, les enfants malnutris... oui, j'en ai fait des cauchemars !"
- "Je pense que cette préférence que j'ai pour l'urgence, c'est lié à ma première mission. Parce qu'elle te donne déjà l'état d'esprit de ce que peut être l'humanitaire à travers... fin de ce que peut être l'humanitaire à travers MSF. Et je crois que c'est un conditionnement important."
- "Les premiers temps de mission sur le terrain ? Ouais, ouais, ouais déstabilisant parce que tu t'attends pas à ça, tu t'attends pas à autant ou pas de cette manière là. Mais ça dépend des personnes...ça dépend aussi du terrain, certaines missions sont peut-être plus difficiles que d'autres."
- "J'ai quelques images au Kurdistan, (c'est des choses que je n'ai jamais dites ailleurs), c'est un moment où je me suis toute donnée dans mon travail. Je me vois encore, c'est un moment précis, je l'ai fait et en même temps, j'en prenais conscience. Je faisais une perfusion à un petit enfant et je me sentais dans une position particulière, pas dans la technique, quoi ! bien sûr j'utilisais cette technique, mais je me sentais pleine d'empathie, alors vraiment oui, je me sentais prête à tout donner pour l'aider."
- "Franchement, nos déplacés ne sont plus vraiment frais : ils datent de 91-92 à peu près. Ils n'ont pas forcément besoin d'une grande couverture médicale. Au point de vue sanitation, on s'occupe d'eux, mais comme on pourrait s'occuper de n'importe qui d'autre. Il n'y a pas franchement une situation d'urgence au sens classique MSF."
- "Ç a, d'ailleurs, c'est ce qu'on réclame, au bout d'un moment on a l'impression qu'on s'écarte de plus en plus de l'huma. On technicise trop l'acte médical, le rapport soignant soigné...(silence)..."
- "Ben , ici déjà il y a beaucoup de premières missions, parce que comme par hasard Paris a décidé que la Côte d'Ivoire était un bon terrain pour envoyer les premières missions. Facile parce qu'on n'est pas stressé par les problèmes de sécurité donc les gens sont quand même un peu plus libres : ici, il n'y a pas de couvre feu, les gens peuvent sortir le soir et ça je pense que ça permet... c'est vrai que c'est des bonnes conditions pour commencer, pour te concentrer sur ton travail sans être... avoir la tête ailleurs pour des problèmes de sécurité, pour des problèmes de vie...enfin bonnes conditions de vie, enfin tu bouffes bien, tu dors bien, tu as l'électricité, tu as l'eau courante, toutes ces choses là qui font qu'tu t'dégages de ces problèmes là, qui font que tu peux te consacrer à ton poste, et acquérir une certaine expérience au niveau du travail. Ouais... Ouais... j'arrive pas à voir ça comme...fin pour moi ça m'enlève du truc humanitaire. Mais je sais, je comprends tout à fait, j'en suis tout à fait consciente... Mais moi, au départ c'était pas ça ! Moi au départ j'ai été parachutée dans un truc que je ne connaissais pas, je n'étais pas encadrée, j'étais mal briefée... enfin tu vois l'urgence, je suis un peu tombée dans la marmite."
- "On a repris un programme de MSF Espagne sur les clashs ethniques c'est un programme très, très sensible qui est dit "d'urgence". On s'occupe de déplacer dans les zones qui sont très focalisées par le gouvernement donc on n'est pas dans une position très facile et on ressent depuis que je suis arrivée un besoin urgent d'étayer un peu notre présence par un programme médical à plus long terme qui nous permettrait de justifier notre présence et d'avoir un discours très très clair vis-à-vis des autorités."
"Oui, en plus des heures de travail, c'est difficile de consacrer suffisamment de temps... ça nous demande de gros efforts parce que c'est en plus de notre travail. Mais pour que ça avance, il faudrait que ça soit suivi, il faudrait faire, je sais pas... un courrier tous les mois, en plus de la famille, en plus des amis..tu vois (rire)."
- "Bon, au début je me suis dit bon je vais pas rester deux années ici, c'était vraiment clair. Mais vers le quatrième mois, il y a des choses qui m'ont un peu calmé, je me suis dit "bon, finalement, c'est pas si mal tout ça". C'est difficile, et j'ai vraiment eu besoin de quatre ou cinq mois pour changer d'esprit."
- "Il y a les deux, il y a une part où effectivement tu trouves ce qu'ils t'ont dit et puis il y a une part qu'ils te disent pas et que tu découvres par toi-même et qui peut t'étonner."
- "En plus, le soir, avec le groupe, on est bloqué, on a de la lumière jusqu'à dix heures. Pendant ce temps-là, on peut écrire mais on peut aussi repasser ; tout ce qui se fait avec la lumière, on le concentre pendant ce temps-là et petit à petit on s'aperçoit que la quantité de courrier diminue."
- "Ouais complètement, c'était... , la situation ici sur place ça avait rien à voir avec ce qu'on m'avait dit."
- "Non, pour moi c'est bien. Je suis pas quelqu'un qui a des gros besoins donc je m'adapte avec des conditions assez simples. Bon, c'est vrai au niveau des conditions de vie, j'aimerais bien voir ça s'améliorer. Ici, on a quand même très peu d'indépendance, j'ai une très petite chambre qui est mitoyenne avec plusieurs autres, donc si on veut respecter un minimum les autres on ne peut recevoir personne chez soi. En plus c'est difficile de tout faire dans la même chambre : de dormir, de faire son courrier, faire sa lessive et en même temps que ce soit correct pour inviter quelqu'un. De toute façon, j'inviterai personne pour ne pas déranger mes voisins. Ça pose des problèmes d'autonomie, tu peux pas rentrer et sortir sans que tout le monde sache où tu vas. C'est surtout ça, le reste..si par rapport à la nourriture c'est un peu juste mais c'est impossible de discuter. Donc c'est ambigu entre le projet et la vie privée."
- "Par rapport aux volontaires de l'AFVP, par rapport à tous les volontaires que j'ai vu, moi je suis le niveau le plus bas, au point de vue confort, au point de vue indépendance, à tous les points de vue. Bon moi j'étais pas venu pour retrouver le confort, mais c'est vrai que les premiers jours quand on compare la situation qu'on a et la situation des camarades, c'est vrai que ça remue un peu."
- "...mais ça, c'est un truc que tu acquiers sur le terrain, c'est pas un truc qu'on te dit voilà comment il faut faire"
- "....et puis en fait, c'est sur le terrain que tu apprends, que tu découvres au fur et à mesure ce qu'on attend de toi."
- "A la première oui, et tu as... Aussi, ça dépend du terrain parce que selon le terrain où tu es allé en première mission toi ça te sert de repère, ça sert de référence pour les autres qui viennent après. Parce que la première est assez déterminante je crois."
- "Le retour de mission, c'est un moment très important qui est beaucoup trop sous estimé à Paris."
- "Il y a toujours la mission de plus, la mission qui est de trop et qui révèle l'état de dépendance...Parce qu'au bout d'un moment, on ne sait plus faire autre chose, on ne sait plus s'adapter. C'est grave."
- "Moi je trouve que c'est une chance parce que dans toutes les missions même si on se donne beaucoup, on revient toujours enrichi d'une expérience humaine inestimable."
- "Moi, quand je serai rentré, je veux pouvoir me dire que le barrage est encore là et qu'il fonctionne, que les gens l'utilisent. Si je peux me dire ça alors je serai vraiment content, tu vois, c'est rien, mais je pourrai me dire qu'au moins ça n'a pas servi à rien."
2.2.2 Les aspirations.
Le chemin parcouru. Les volontaires se penchent souvent sur des questions plus générales relatives à leur présence, au sens de leur venue. Ils reviennent sur ce que les a poussé à venir et les rêves qu'ils avaient au départ. Ils se souviennent des semaines qui ont précédé le départ : le mélange d'appréhension, d'excitation, d'attente et d'espoir. Ils mesurent le chemin parcouru. Ils se voient changer. Les idées qui les avaient motivés à partir leur apparaissent, avec le recul, bien naïves. Journal de bord |
Fragments d'entretiens à propos des motivations, au départ, ressenties :
- "L'engagement de la première mission, moi je le vois surtout comme une curiosité, oui c'est pas un engagement comme maintenant je le conçois."
- "Ouais, c'était une envie de voyager mais aussi une envie de pratiquer une profession qui puisse vraiment aider les gens dans un pays où ils voient pas des infirmières à chaque coin de rue comme en France. Tu fais pas une rue en France sans trouver quatre médecins, trois kinés, cinq infirmières. Donc, je sais pas c'est moins utile quelque part ! Et puis je sais pas je trouvais ça exaltant, marrant comme idée, je trouvais que c'était sympa... qu'il y avait une certaine reconnaissance par rapport aux gens, fin ça me plaisait quoi et puis j'ai toujours été en admiration devant les gens qui sont partis alors..."
- "Moi, je suis déjà parti comme volontaire dans le cadre du service militaire coopération avec un organisme : la DCC. Et puis je voulais repartir comme volontaire dans un domaine plus en relation avec mon domaine professionnel. C'était pas du tout le cas la première fois. Donc cette fois je veux mettre...donc plus en adéquation avec mes compétences...Parce que mon idée, au départ, c'était d'utiliser mes compétences en participant au développement."
- "En fait, j'ai cherché autant au niveau des entreprises, au niveau du ministère, qu'au niveau des associations. et... et j'ai pris la première que j'ai trouvée."
- "Ce qui compte d'abord, c'est l'intérêt du projet qu'on me propose d'abord...là, c'est un projet tout à fait...dans ce que j'attendais et un peu l'idée de ce que je pensais que je pouvais faire.
Fin, déjà ce qui m'a semblé intéressant, c'est dans le projet qu'on m'a proposé...c'est qu'il y a une grande partie du projet qui est fait de façon à ce que je travaille directement avec les Sénégalais...tant au niveau urbanisme qu'au niveau contact avec la population...je pourrais répondre aux attentes réelles de la population...que je sois pas complètement parachuté..."
- "Ben moi ce que je voulais retirer de cette expérience c'était surtout voir comment ça se passait sur place...essayer de comprendre pourquoi une région est pauvre ou pas pauvre et est-ce qu'on peut y changer quelque chose. C'est ça qui m'intéressait d'apprendre. Donc ça, il suffit d'oberver pour se faire une idée. Sinon sur le projet lui-même, oui j'ai du réviser à la baisse beaucoup d'ambitions que j'avais au départ. Parce que justement je suis pris au quotidien et que le travail de fond j'arrive pas à le faire."
- "Déjà le Secours Populaire, j'ai mis de côté parce que... c'était parce que c'était surtout en France et que je voulais voyager donc... Et puis ça a aussi un petit côté catho ! Ouais c'est un petit peu genre Abbé Pierre... C'est communiste tout en étant catho. C'est les catho, gauchaux, style Abbé Pierre ! Moi je voulais surtout pas m'engager un peu plus à gauche ou un peu plus à droite. ...Ou avec une religion, ça c'était hors de question. Hors de question que je parte avec une mission, avec des soeurs et des choses comme ça !"
- "Je me permets d'avoir l'action que j'ai parce que je crois en certaines valeurs. Je crois en quelques valeurs fondamentales qui sont universelles. Là où ça m'inquiète, c'est qu'au moins ils me permettent d'exprimer ça."
- "Moi, j'imagine bien les choses mais il faudra que je sois patient. Il ne faut pas que j'arrive tout frais moulu, que je vais organiser en quinze jours les choses comme je veux les voir, je me donne six mois pour proposer. C'est seulement comme ça que je pourrai vraiment aider les gens."
- "Mon action sur place je la vois dans un rôle éducatif, dans un sens de donner de l'espoir."
- "Là une fois de plus je me suis dit : "Je m'en fous, si ça marche pas je rentre, je démissionne."
- "Pour moi, c'était pas juste une expérience comme ça, c'était pas non plus une sorte de test pour la suite. Non pour moi, mon projet, c'était déjà quelque chose... quelque chose en soi."
- "Je n'ai pas honte, aujourd'hui, de dire que ce n'est pas uniquement dans un élan de générosité je suis partie la première fois, en tous cas c'est quelque chose dont j'avais envie."
- "Je me le cache pas... je me le suis caché pendant longtemps mais j'ai fini par m'avouer que je voulais faire de l'humanitaire avant tout pour voyager."
- "Oui... au départ, je voulais aider l'autre et en fait je me suis rendue compte que c'était pour moi même... un jour quelqu'un m'a fait remarquer : "Si il y avait pas des gamins qui crevaient de faim tu ne pourrais pas voyager... c'est vrai que ça m'avait un peu choquée qu'elle m'ait dit ça, j'étais découragée, j'étais déçue quelque part. Et puis l'envie de continuer a pris le dessus."
- "Donc moi j'avais bien anticipé sur le caractère complexe des choses, je m'étais pas trop fait d'opinions, j'ai pas trop voulu idéaliser. Je savais que je voulais partir, je m'étais mis dans cette démarche là mais je me donnais toute l'année de Bioforce justement pour me préparer au départ au mieux. Et toute l'année de Bioforce m'a permis, non pas de mûrir mon projet parce que mon projet je l'ai eu en tant que tel à la fin de l'année, mais de mûrir mon départ. C'est vrai que si j'avais pas fait Bioforce je serai pas du tout parti de la même façon, j'aurais eu peut-être de bonnes intentions mais j'aurais eu plein de choses qui me seraient passées au-dessus de la tête. Je dirais aussi que les deux stages SCD ça a été dans la continuité, comme je te disais il y avait pas mal de choses qui avaient été vues et revues mais qui n'auraient pas été des évidences si je n'avais pas fait cette formation."
- "Et je suis partie... a priori pour six mois. Je me sentais déterminée : au moins six mois, après on verra."
- "Certains prolongent, je pense surtout par souci du retour, ils prolongent pour rester sur la mission parce qu'il veulent retarder le retour."
- "Moi, j'ai été très frappée par des gens qui vivent très mal psychologiquement, qui sortent d'une dépression, qui n'en sont pas encore sortis et qui veulent partir."
- "A la limite, je pense que la générosité existe quand même, mais s'il n'y avait pas ce côté voyage je ne sais pas ce qu'on ferait. Je pense que quand on en parle avec les gens, on s'aperçoit qu'il n'y a pas que ça, y a pas avoir honte de dire qu'on part aussi pour soi."
- "Ce que je voulais, c'était une expérience de vie. J'aurais pu choisir de faire un grand voyage, le tour du monde, mais ça aurait correspondu à rien du tout. Ce que je souhaitais, c'est une expérience de vie au coeur de la population. Vivre avec des gens, travailler avec eux, je pense que c'est le moyen de vraiment les connaître."
- "Non, je suis reparti un an après. J'ai mis un an à repartir parce que je pensais arrêter. Je pensais au départ que çà n'était qu'une expérience et j'ai d'abord essayé de retravailler en France."
- "J'ai rencontré une amie qui revenait de Thaïlande où elle avait travaillé neuf mois avec MSF, et je sais que le soir même... après avoir très peu discuté avec elle, parce qu'elle parlait très peu... elle disait à ce moment là que c'était pas facile de parler. Donc, c'était pas grand chose, mais il avait quelque chose qui émanait de son témoignage. C'est en imaginant ce qu'elle avait pu vivre, ce qu'elle avait pu retirer de cette expérience que ça a fait une sorte de déclic."
2.3. Positionnement par rapport aux différents acteurs.
2.3.1. Le groupe.
Affinités et promiscuité. L'importance des autres volontaires, la prise en considération du groupe constitué par les volontaires varie d'un volontaire à l'autre. Certains cherchent délibérément à s'isoler des autres : "ils ne sont pas venus en Afrique pour rester entre Blancs !" Ils privilégient une immersion plus complète. Pour la plupart, le groupe reste un repère important. Ils ressentent le besoin, de temps à autre, de se retrouver entre eux, de retrouver, au sein de cette expérience sans commune mesure avec leur environnement d'origine, des choses familières. Les autres volontaires constituent des opportunités de retrouver des relations "normales" et d'oublier le caractère parfois laborieux de la rencontre interculturelle. Les positionnements développés par rapport à ce référentiel hésitent entre identification et différenciation. Ils sont conscients que leurs motivations et leurs aspirations ne sont pas forcément les mêmes. Mais la promiscuité et des expériences comparables favorisent ainsi les affinités. Journal de bord |
- "Au Kurdistan, on a vécu quelque chose d'un idéal de travail en équipe. On avait des journées de plus de 12 heures, on était harassé de travail. C'était assez intéressant de voir à quel point nous étions pris par quelque chose de très fort par le fait qu'on travaillait toute la journée. Toutes les différences entre nous étaient complètement estompées . Je crois me souvenir qu'il n'y a jamais eu de conflit. Les petites différences individuelles et les tensions ont rejailli quand le travail a décru."
- "euh... au début.. eu.. mais les trucs qui m'ont surpris c'est plutôt par rapport aux relations d'équipe : tu t'attends pas à ce que les gens puissent se prendre autant la tête sur le terrain, alors que dans ma tête on était venu pour la même chose."
- "C'est à dire que...ils nous fournissent l'adresse des autres volontaires mais comme on est tous un peu pareils, on n'ose pas aller embêter les autres. On ne se connaît pas, personne ne fait le premier pas. Alors moi j'ai jamais rencontré de volontaires SCD. Même quand on va voyager, c'est rare qu'on ose aller forcer la porte chez quelqu'un. Bon, on va dans une ville, on sait qu'il y a des volontaires, mais on trouve un autre moyen pour s'héberger. C'est pour ça, si ça vient des volontaires, ça me paraît difficile parce que personne n'ose faire le premier pas alors que si l'association pousse un peu et décrète " Tel jour il y a réunion de tous les volontaires de Côte d'Ivoire à tel endroit", rien que ça, ça suffirait pour que les gens aillent se voir mais sinon si c'est laissé au volontaire... Comme je te dis, on est pris dans le quotidien, rajouter ça à tout ce qu'on a à faire, si il y a pas une motivation forte et puis personne n'ose prendre l'initiative, le temps et la volonté."
- "Mais je pense qu'on a tous quelque part une idée commune de l'humanitaire. Mais, plus concrètement, j'ai l'impression que chacun fait ça selon son propre chemin, que tout le monde n'a pas les mêmes objectifs, les mêmes envies "
- "Dès le départ, on s'était retrouvé dans un même élan de générosité parce qu'on avait tous été très très imprégnés par toutes ces images. C'était peut être l'une des premières situations où l'humanitaire est intervenu qui avait été très très médiatisée."
- "MSF, c'est des gens qui ont une cohésion ! C'est à dire tu peux parler avec un et un mois après parler avec un autre, tu auras les mêmes idées."
- "Bon, maintenant ce que je cotoie, ouais c'est le même langage, c'est le même langage, mais pas au début. Mais moi maintenant après toutes mes missions quand je vais à Paris, j'ai le même langage avec les gens du siège ou alors avec les gens d'expérience."
- "Moi, quand j'étais première mission, quand j'allais à Paris , j'avais du mal à en parler, fin à discuter avec eux."
- "Au début, c'est marrant, tu vois les volontaires, ils ont cette façon particulière de parler, tu sais un peu africaine et surtout un peu lente. Maintenant, je trouve ça un peu ridicule mais quand je suis arrivé, ça me paraissait génial. Et alors, j'essayais de parler pareil. (rires) Et après quelques jours, tu vois, je m'en sortais pas trop mal, quoi. "
- "Oui, dans l'ensemble on a de très bonnes relations, on est sur la même longueur d'onde parce qu'on a les mêmes motivations : on n'est pas centré sur notre confort personnel, on a des idées sur ce qu'on voudrait faire."
2.3.2. Les bénéficiaires.
Des positionnements marqués par l'ambivalence. Dans les soirées entre volontaires, il arrive toujours un moment où les volontaires en viennent à raconter quelques anecdotes dont ils ont pu être les acteurs ou les témoins, mettant en scène des Africains. Ces anecdotes ironisent souvent sur la paresse ou les mensonges de ces derniers. L'exercice se poursuit ensuite par un débat sur la façon dont ils "fonctionnent". Les positionnements exprimés dans ce cadre se révèlent parfois ambigus. Il n'est pas rare d'entendre des volontaires dire que : - "les Africains sont voleurs" (il semble que tous les volontaires en aient, un jour, fait l'expérience) ; - "lorsqu'ils viennent te rendre visite, c'est pour te demander quelque chose, le plus souvent de l'argent", - ils sont menteurs, ils ne sont pas toujours "très fins" (pour ne pas dire bête), ils sont "fainéants" ; - ils sont toujours en retard, que quand on les connaît mieux, on comprend pourquoi ils n'arrivent pas à se développer. D'un autre côté, les volontaires cherchent à se démontrer, les uns aux autres, le niveau et la qualité de leur intégration. Ils aiment faire valoir les amitiés qu'ils ont a su développer, ainsi que les habitudes qu'ils empruntent à la culture locale. Ces propos illustrent, selon nous, l'ambivalence de leurs relations avec leurs hôtes : relations mêlant le désir de s'enrichir de la culture de l'autre et les frustrations qu'engendrent très souvent la rencontre interculturelle. Journal de bord |
Fragments d'entretiens et du journal de bord à propos des relations avec les populations.
- "La rencontre avec les gens, ça vient pas forcément tout de suite, il faut du temps... pas tout de suite parce que tout de suite tu n'as pas l'envie. Pas tout de suite ou alors uniquement sur le plan professionnel. Au niveau personnel avec les gens ça vient beaucup plus tard."
- "Il y a des gens que j'aime sincèrement bien mais ça ne peut pas aller trop loin ; par exemple s'ils viennent à une soirée les discussions resteront toujours superficielles. Les seuls trucs que l'on discute longtemps c'est quand on parle de la France ou de l'Afrique. Mais ils ne me confient pas leurs problèmes, je ne leur confie pas mes problèmes parce que c'est hors d'atteinte pour eux, et leurs problèmes sont un petit peu hors d'atteinte pour moi."
- Nous accompagnons Manu dans un village. Nous rencontrons le chef, puis les différents anciens. La réunion commence. Manu explique qu'il prévoit de collecter des fonds pour construire le grenier dans lequel il entreposeront les céréales afin que celles-ci ne soient plus exposées aux rongeurs et insectes de toutes sortes. Tout le monde acquiesce et applaudit. L'idée est adoptée à l'unanimité. A la sortie, nous félicitons Manu. Celui-ci est sceptique, c'est la troisième fois qu'il fait ce genre de réunion et aucun argent n'est encore rentré. (Journal de bord)
- "Des amis ? Je ne suis pas sûre qu'on puisse se faire des amis en Afrique."
- Sur le chemin du retour, Alain a cherché à nous démontrer, une heure durant, de nombreuses anecdotes à l'appui, que les Africains étaients menteurs et fainéants. (Journal de bord)
- "Moi, je regrette de ne pas assez connaître la population locale, je suis déçue que les gens qui sont ici restent toujours dans le cadre MSF, qu'ils ne veuillent pas sortir voir les gens ".
- Arrivés sur place, les volontaires réalisent qu'ils ont oublié de prendre le repas préparé par le cuisinier de la mission. Les chauffeurs indiquent alors un "maquis". Nous entrons. Les volontaires regardent partout, s'émerveillent. Ils demandent la carte. Nous réalisons alors qu'ils mangent pour la première fois à l'extérieur de la mission. Cet incident nous a permis de réaliser à quel point ces volontaires peuvent être coupés du monde extérieur. Ils ne sortent de leur maison que pour se rendre sur leur lieu de travail. Le chef de mission à ce sujet nous explique que ça ne se fait pas, qu'il s'agit probablement d'habitudes héritées des problèmes de sécurité existant en situation de conflit. (Journal de bord).
- "Ah ben ouais, c'est sûr, ici tu arrives... je veux dire c'est ton dispensaire. Bon on va le laisser en partant, on va les laisser se débrouiller mais je veux dire, si du jour au lendemain, on décide de tout raser, on rase tout. C'est quand même, c'est nous les patrons, c'est nous qui avons mis du fric là-dedans pour tout construire, c'est nous qui les payons, bon ben voilà quoi!"
2.3.3. L'association
L'association comme repère. A un moment ou un à autre de ces soirées, les volontaires finissent toujours parler de l'association. Ce sujet part, à chaque fois, d'une nouvelle ou d'une information la concernant : "Tiens, tu savais qu'ils vont mettre en place une formation à la conduite sur piste ?" ou "Alors le DR (délégué régional) est rentré en France..." Les positionnements développés à son encontre intègrent, là aussi, certaines formes d'ambivalence. Ils opposent des aspirations à s'identifier, à développer des sentiments d'appartenance, et une volonté de se démarquer. Les volontaires affirment leur autonomie dans le cadre de la gestion du projet, tout en attribuant à l'association la plupart des problèmes rencontrés. Ils lui reprochent souvent des projets "mal ficelés". En dehors des questions liées aux projets, ils débattent de son fonctionnement. Ils critiquent sa bureaucratie. Ils confrontent leurs convictions aux choix effectués par les responsables de l'association, et dissertent sur sa politique de développement. D'une façon générale, elle constitue un repère par rapport auquel les volontaires se positionnent. Elle fait, en quelque sorte, office de définition officielle de la situation. Journal de bord |
Fragments d'entretiens à propos des relations avec l'association :
- "Mais si on essaye de me fagociter, je me barre ! Je me bats pour mon projet ! Voilà, c'est comme ça que je me positionne. L'association ? Oui j'appartiens à l'association dans le sens où ils m'ont... ils me logent, ils me nourrissent et ils m'ont donné le projet. Mais je suis là essentiellement pour le projet ! Pour le projet ! Je défends mon projet."
- "L'idée d'MSF, tu l'as pas. On te dit par exemple qu'on est un truc neutre impartial fin une ONG sans distinction de races, de religions de politiques, c'est dans la charte fin, tu l'as pas au départ. Tu vois des militaires dans un hôpital, ça te viens pas à l'idée de dire ben non. Tu l'apprends au fur et à mesure ou par exemple quand il y a des journalistes qui viennent pour t'intérroger, tu sais pas toujours ce qu'il faut dire. Et ça si ça peut se faire tout de suite, c'est au recrutement."
- "Par exemple au début c'était très difficile parce qu'on avait aucun contact avec l'autre côté, on avait des problèmes de communication entre le Zaïre et puis Paris, on avait une population de trois cents à quatre cent milles habitants complètement affamés, on avait pas tout le matériel qu'il nous fallait et quand j'ai commencé à mettre en place le programme nutritionnel, j'ai mesuré les limites qu'on avait... d'ailleurs j'ai beaucoup râlé, j'en ai beaucoup voulu à "Paris" dans le sens où bon de m'avoir mis là dedans en simple, fin presque en simple spectateur sans pouvoir agir."
- "De toute façon je crois qu'il y a toujours un rapport de force entre l'association et le projet. Si tu veux mon prédecésseur était peut-être plus "volontaire" que moi, il était chaud et il tirait plus sur l'association. Tout ce qu'il pouvait tirer de l'association pour l'atelier, il le faisait, donc il y avait un déséquilibre en faveur de l'atelier. Le mieux serait de séparer les deux que les intérêts entre les deux ne soient pas simplement liés à des rapports de force."
- "Ton engagement devient plus profond quand tu commences à connaître ce que c'est MSF. Là tu es d'accord ou tu n'es pas d'accord et tu ne veux plus t'engager. Et puis tu as aussi le fait qu'au fur et à mesure l'engagement devient important parce que tu participes. Au bout d'un moment, tu peux participer à telle ou telle décision qui peut faire changer complètement l'orientation de telle ou telle mission. Et donc là quand tu as cet aspect-là en tant que volontaire forcément l'engagement a une autre dimension."
- "Des fois, ce qui me semble motiver leur attitude, c'est pas franchement la finalité de l'asso. mais plutôt, d'un certain côté, leur intérêt personnel. Il y a des tas de petits problèmes à régler par rapport à des gens qui cherchent à gruger, qui touchent deux fois le per diem : une fois ici, une fois dans un pays, quand ils sont à l'étranger, qu'ils essaient de faire passer leurs factures personnelles dans les factures de l'asso... Ce genre de choses, moi ça m'irrite. Et quand ces mêmes personnes donnent l'impression de rechercher la situation du moindre effort, la plus cool pour eux, ça me crispe un peu."
- "Je pense qu'il y a un clivage : il y a ceux qui disent qu'on est devenu trop professionnel et qu'on a perdu le sens humanitaire justement et puis il y a ceux qui disent au contraire il faut qu'on devienne plus performants, qu'on s'améliore, qu'on crée plus de spécialités, plus de techniques, pour être encore plus efficaces."
- "L'association s'est tellement organisé vis-à-vis de ses volontaires qu'ils partent d'emblée dans un petit cocon et qu'ils deviennent à la limite de plus en plus exigeants. L'association leur donne un certain confort au niveau travail parce que maintenant les choses sont bien cadrées. Le siège est trop gros, il y a toujours quelqu'un de responsable de ceci ou cela. Moi je pense que ça perd en esprit d'initiative des volontaires. Même ici, quand je les pousse pour essayer de trouver des solutions à nos problèmes, ça ne vient pas assez vite. Moi, je pense qu'il y a cinq ans ils seraient peut-être en train de pousser pour faire ceci ou cela."
- "La philosophie de l'AFVP me convient parfaitement. Parce que...bon, c'est quand même important pour partir avec...une certaine adéquation avec les buts...sinon je vois pas comment tu peux partir !"
- "Déjà quand les gens arrivent au Bureau à Paris, ils sont un petit peu écrasés par la grosseur du bureau, par la renommée de MSF. Ensuite on les bride, on leur donne pas mal de directives "tu verras le programme c'est çà, sur le terrain tu as ton coordinateur" donc en fait ils sont sur un rail."
- "Maintenant, il y a les week-end d'information qui permettent aux gens de se faire une idée sur l'AFVP et de décider en connaissance de cause s'ils sont prêts à partir avec nous."
- "Moi, je me sens moi avec mes idées et c'est tout. Même par rapport à l'association, je ne me sens pas de liens particuliers. Non, je me sens volontaire de mon projet, patron de mon projet. Je suis là pour faire le travail que je voulais faire et que j'ai à faire."
- "La différence c'est que tu travailles d'abord avec l'AFVP sur un projet pour aider les populations locales alors que avec le SCD tu travailles pour la population."
- "C'est un stage pour créer un peu l'idée d'équipe, de la vie associative, de la culture de l'association, davantage que pour leur apprendre quelque chose sur leur métier. C'est plus pour qu'ils voient comment fonctionne la maison. Mais, bon... finalement chacun en retient ce qu'il peut et ce qu'il veut."
- "Comme je te disais il faut pas s'interdire des moyens mais ça c'est ok, si tu gardes en ligne de mire cet idéal. Nous par exemple, ce qu'on fait à Youmo, c'est très professionnel, en tout cas il faudrait que ça soit professionnel."
- "Et puis il y a les médias qui donnent une autre image de ce que peut être MSF."
- "Oui, mais le développement, je prends plutôt ça comme mode. Moi, je crois qu'ils retourneront tôt ou tard à l'urgence... Parce qu'ils sont fait pour ça : ils ont développé toutes leurs techniques , tous leurs stages, toutes leurs formations, tous les kits d'intervention, tout ça a été créé, amélioré pour ce genre d'interventions . Et maintenant ils savent très bien le faire et c'est vrai qu'on leur a souvent reproché ça mais partout ailleurs , des interventions directes, en urgence, ciblées, adaptées et vraiment efficaces et c'est vrai qu'après ça, ils ne savent plus faire."
- "Chez MSF, là depuis quelques années, on a quand même vu un mouvement très profes-
sionnaliste surtout en matière d'administration comptable. En termes pratiques, c'est un peu justifié au niveau compta-finances parce qu'on manipule quand même des grosses sommes d'argent, on a des donateurs qui sont de plus en plus exigeants, ça n'est pas toujours facile, tout ça c'est un peu compliqué. Mais, je ne suis pas convaincu qu'au bout du compte on y gagne beaucoup en termes de motivation spontanéité. Moi j'aimais bien l'époque à MSF où l'on avait des logisticiens qui se prenaient pour des administrateurs et qui d'ailleurs pour beaucoup d'entre eux sont maintenant coordinateurs. Je pense qu'il y a un côté évolution par l'expérience qui est quand même intéressant chez MSF et qui à a priori diminue de manière inquiétante parce qu'on met en place des gens pleins de diplômes à des postes à responsabilité et que quelque part ça crée quelques interférences. Il y a un niveau effectivement très haut, mais il y a en ce qui concerne l'esprit de bagarre dont on a besoin chez MSF pour être dans certains endroits, pour continuer à y être, je crois que l'on y a perdu un peu de ce côté là. On a des trucs très carrés mais finalement on se rend compte aussi maintenant qu'à certains endroits difficiles, on ne sait plus par quel côté prendre le problème et on y est pas. Les gens qui montent à MSF (certains autodidactes) je ne crois pas que c'est par hasard, ce sont des gens qui ont du punch et qui croient et qui ont envie d'aller toujours plus loin. Je crois je pense qu'il en faut et si on en manque on va perdre beaucoup de dynamisme."
- "Après tu arrives à reconnaître des trucs : ça c'est MSF, ça c'est pas MSF, même dans ton langage tu es MSF. Ç a MSF peut pas le faire, c'est pas notre mandat; Tu vois tous ces truc là que tu acquiers."
- "D'ailleurs ça se voit, autant tu peux te prendre la tête contre MSF autant quand tu te retrouves avec d'autres ONG tout le monde est solidaire pour défendre MSF. Et puis on parle tous le même langage, c'est rare un groupe MSF qui dit des choses différentes."
- "Il y a aussi des gens qui rentrent aigris. Par rapport à l'association, par exemple. Ils ne comprennent pas les choix qui sont fait. Comme la décision de fermeture de mission, ces mecs pensent qu'il y a encore à faire."
"C'est vrai que la relation pourrait être, devrait être plus suivie. Moi je trouve depuis qu'on est sur le terrain, l'association ne s'occupe pas assez de nous. Le sentiment d'appartenance qu'on avait pu avoir pendant le stage, ça disparaît, justement parce que ils interviennent très peu dans notre vie quotidienne. "
"
Ben, je leur ai dit : "j'aimerais bien partir et ce serait encore mieux si je pouvais le faire avec vous."- "La première fois que je suis partie, j'appartenais à aucune organisation reconnue là-bas, et c'est là où j'ai découvert que c'était important d'appartenir à quelque chose. Pour l'autre française, Médecins Sans Frontière tout le monde connaissait. Moi j'étais un peu on ne sait pas. Après, j'ai vu une très nette différence. On appartient à quelque chose, a fortiori à MSF . Et là où on est c'est particulièrement reconnu."
- "Le problème c'est l'application des règles, il y a des règles, dans le contrat, il y a écrit voilà des conditions de vie décentes, une nourriture en quantité je sais plus comment c'est marqué...mais juger de ça c'est sujet à appréciation, qu'est-ce que c'est "le volontaire est nourri, alors si c'est simplement le côté énergétique, je suis nourri il n'y pas de problème mais ça j'ai rempli un gros dossier pour le SCD. Loger, bon d'accord, mais la chambre quelles dimensions, il y a du ciment par terre, quand je suis arrivé je trouvais ça vraiment pas appétissant, pas agréable. Est-ce qu'avoir de ciment par terre c'est un maximum ou un minimum...est ce qu'une case en banco ça serait encore suffisant ? Est ce que les condition d'hygiène serait encore assez bonnes. Ç a c'est sujet à appréciation."
Conclusion.
La confrontation entre la situation décrite dans la partie précédente et la façon dont les volontaires l'intègrent, met en évidence un travail de réappropriation consistant pour le volontaire à ajouter du sens.
On peut ainsi voir se dessiner, en amont de ces propos, toutes sortes d'engagements touchant à différents référentiels s'inscrivant dans des logiques implicationnelles relativement variées.
Les référentiels concernés vont de l'association aux populations, en passant par les responsables, le projet, le métier, le développement, les financeurs, le groupe de volontaires, etc... Les modes d'implication peuvent, quant à eux, être rapprochés des catégories établies dans le cadre du chapitre 1 : ils peuvent être de types calculateurs, aliénants ou intrinsèques. Il est aussi parfois possible de distinguer, dans le cadre du mode intrinsèque, des positionnements fondés sur les valeurs de ceux prenant une tournure plus affective.
Implication Intrinsèque | Implication Calculatrice | Implication Aliénante | |
Référentiel lié à l'Organisation | "Ton engagement devient plus profond quand tu commences à connaître ce que c'est MSF." "La philosophie de l'AFVP me convient parfaitement. Parce que...bon, c'est quand même important pour partir avec...une certaine adéquation avec les buts...sinon je ne vois pas comment tu peux partir !" | "L'association ? Oui, j'appartiens à l'association dans le sens où ils me logent, ils me nourrissent et ils m'ont donné le projet. Mais je suis là essentiellement pour le projet ! Pour le projet ! Je défends mon projet." | "Ils avaient prévu un programme incroyable. Sur le document, il y avait écrit chaque objectif que j'avais à atteindre, et derrière l'objectif, ils avaient marqué "non réalisation". "Non réalisation", ça veut dire quoi ? Que je travaille plus, que je reste dans un hamac. Non, ça m'a dégoûté de l'association." |
Référentiel Extérieur à l'organisation. | "Je me permets d'avoir l'action que j'ai, parce que je crois en certaines valeurs. Je crois en quelques valeurs fondamentales qui sont universelles. | - "Je ne me le cache pas... Je me le suis caché pendant longtemps mais j'ai fini par m'avouer que je voulais faire de l'humanitaire avant tout pour voyager." | "Il y a toujours la mission de plus, la mission qui est de trop et qui révèle l'état de dépendance... Parce qu'au bout d'un moment, on ne sait plus faire autre chose, on ne sait plus s'adapter. C'est grave." |
D'une façon générale, ces positionnements sont uniques. Leur rapprochement, par rapport à nos catégories, tend à réduire les nuances qui les caractérisent. Ils se situent souvent, comme le conçoit Thévenet à propos de "l'impliqué", à mi-chemin entre deux modes : par exemple la dépendance, ci-dessus évoquée à propos de l'activité volontaire, mêle des éléments d'implication intrinsèque et d'implication aliénante.
Par ailleurs, la plupart des volontaires intègrent de multiples positionnements. Nous distinguons, à ce sujet, deux cas de figures : le cas où l'ensemble des engagements qui composent l'implication sont dérivés d'un même positionnement et celui ont ils sont indépendants.
. Il peut arriver qu'un engagement domine l'implication. Les autres positionnements constituent alors la traduction de celui-ci en fonction d'autres référentiels. Nous considérons cette traduction comme une forme de dérivation au sens mathématique du terme : ces positionnements dérivés reste très relative, ils demeurent avant tout l'expression d'un engagement de base en fonction duquel le volontaire aborde la situation et se définit par rapport à elle.
. La plupart des volontaires sont cependant capables de développer des engagements plus ou moins indépendants les uns des autres. Il arrive ainsi très fréquemment que le volontaire intègre les exigences de l'association dans le cadre d'une véritable loyauté, tout en développant par ailleurs une réelle volonté de servir les intérêts des populations. Ces engagements sont dans l'absolu et en général tout à fait compatibles, mais ils risquent toujours, face à un problème donné, de se contredire.
La mise à jour des liens existant entre les engagements qui composent l'implication du volontaire et sa contribution, passe, entre autres, comme le formalise le chapitre 7, par une compréhension de la façon dont il gère leur multiplicité et leur diversité.
La plupart des volontaires sont cependant capables de développer des engagements plus ou moins indépendants les uns des autres. Il arrive ainsi très fréquemment que le volontaire intègre les exigences de l'association dans le cadre d'une véritable loyauté, tout en développant par ailleurs une réelle volonté de servir les intérêts des populations. Ces engagements sont dans l'absolu et en général tout à fait compatibles, mais ils risquent toujours, face à un problème donné, de se contredire.
La mise à jour des liens existant entre les engagements qui composent l'implication du volontaire et sa contribution, passe, entre autres, comme le formalise le chapitre 7, par une compréhension de la façon dont il gère leur multiplicité et leur diversité.
3. La contribution des volontaires.
Des contraintes imposées par la linéarité de l'exposé aux opportunités de voir les connaissances se construire. Cette partie nous confronte aux difficultés induites par l'exposé, par nature linéaire, d'une pensée à caractère systémique. La contribution des volontaires constitue le second terme de la problématique et la variable par rapport à laquelle nous cherchons à lier l'engagement signifié. Son évaluation se réfère, compte tenu du paradigme constructiviste adopté, aux enjeux que prend en considération et ceux que pourrait intégrer l'association. Ces enjeux n'arrivent, compte tenu de la structure donnée au document, qu'en troisième partie. C'est à ce stade, seulement, de la réflexion que nous conceptualisons ces derniers à travers différents registres de performance. Partant de là, la présentation, dans le cadre de ce chapitre, des faits relatifs à la contribution des volontaires ne constitue qu'une première étape visant à asseoir, dès à présent, la problématique, mais dont les contenus ne seront, véritablement, validés que plus tard, à l'occasion, en particulier, du chapitre 9. Cette contrainte nous donne, cependant, l'opportunité de faire partager au lecteur un peu plus de la chronologie ayant présidé à la construction des connaissances développées dans le cadre de cette recherche : celui-ci pourra ainsi observer le passage des connaissances intermédiaires à des connaissances scientifiques fondées sur des concepts mieux établis. |
La notion de contribution nous apparaît, à l'instar de l'implication, plus ou moins caractéristique des Sciences de Gestion : nous l'interprétons comme une mise en perspective des comportements des individus par rapport aux enjeux de l'organisation.
Contribution .n.f. (lat. contributio) ¨ 1. Part que chacun donne pour une charge, une dépense commune. V. Cotisation, écot, part, quote part, tribut ;¨ 2. Collaboration à une oeuvre commune. V. aide, appoint, apport, concours, tribut. |
Compte tenu de la définition ci-dessus, nous abordons la contribution du volontaire comme ce que ses comportements apportent à la réalisation des projets entrepris par l'association. Les comportements en question sont pris au sens large du terme : nous considérons aussi bien les actions substantielles que celles portant sur la "matérialité langagière" (Glady, 1996) par l'intermédiaire desquelles l'individu interagit sur la perception et le sens des représentations sociales qu'il partage avec les autres.
Ne disposant pas encore des catégories nous permettant d'intégrer les enjeux de l'organisation, notre démarche se limite ici à passer en revue les aspects de la contribution susceptibles d'intervenir dans l'évaluation que peuvent en faire les responsables de l'organisation. Nous nous référons ainsi à tout apport susceptible de contribuer à la réalisation d'un objet social défini comme l'amélioration durable des conditions de vie des populations du tiers-monde.
1. Cet apport peut, tout d'abord, être évalué sur la base des caractéristiques par rapport auxquelles il se définit comme tel : il peut être mesuré en termes de concordance avec les objectifs fixés. Cette approche intègre des critères construits, mais se réfère à des résultats plus ou moins observables, plus ou moins objectifs.
2. Ce repère, relativement, évident n'est pas toujours suffisant, dans la mesure où les résultats obtenus n'atteignent pas systématiquement les objectifs escomptés. L'évaluation se réfère alors à une obligation de moyens considérant les intentions et les efforts produits par le volontaire, ceux-ci pouvant être évalués en termes de satisfaction des différents interlocuteurs.
L'un des principaux enjeux de cette appréciation est l'attribution des responsabilités concernant les écarts observés entre les résultats et les objectifs, et, dans certains cas, l'échec du projet. Ces écarts sont ainsi répartis entre le volontaire et les contraintes extérieures. Il s'agit d'une modalité d'évaluation impliquant, entre autres, la relation intersubjective liant le responsable et le volontaire et mettant en oeuvre un "processus d'accordage" (Beaucourt, 1991).
3. Le troisième niveau d'analyse tente de discerner, au delà de la quantité d'efforts que les différents interlocuteurs veulent bien attribuer au volontaire, des critères plus qualitatifs qui prennent en compte les évaluations de la contribution ainsi que les aptitudes et les qualités qu'ils impliquent.
Nous explicitons ces critères par une "technique" inspirée de "la méthode des incidents critiques" (Flanagan, 1954) : nous tentons de les mettre à jour à partir de l'ensemble des griefs retenus, pour une raison ou pour une autre, contre le volontaire.
Cette revue nous amène à une acception élargie de la contribution : elle intègre non seulement la réalisation des objectifs, mais aussi des comportements plus symboliques. intervenant de façon plus indirecte sur cette dernière. Ces comportements intègrent des aspects plus qualitatifs de la contribution, mettant, entre autres, en jeu le sens du projet.
Ces critères impliquent des aptitudes et des qualités que nous regroupons autour de trois catégories :
- la capacité du volontaire à intégrer la complexité de la situation. Cette capacité est essentielle pour que celui-ci soit en mesure de poser les problèmes et d'envisager les solutions. Il s'agit par exemple de pourvoir la diversité, les ambiguïtés et les contradictions des points de vue possibles sur le projet ;
- les savoir-être. Il s'agit d'une réponse possible, ce peut par exemple être une attitude démontrant une certaine humilité, une ouverture face à des points de vue contraires ;
- la capacité à innover : il s'agit d'une capacité à adapter les objectifs ou les moyens mis en oeuvre dans le cadre du projet afin d'intégrer les contradictions, de construire des réponses appropriées.
Alors que la plupart des volontaires semblent, par leurs résultats et leurs efforts satisfaire l'association, les contributions apparaissent, au niveau de ces critères plus qualitatifs et de ces aptitudes et qualités, plus dispersées.
3.1. L'atteinte des objectifs.
Le premier repère pour évaluer la performance du volontaire consiste à comparer les résultats de son travail aux objectifs par rapport auxquels se définit son projet.
Nous avons d'ores et déjà mentionné, lors de la partie consacrée au contexte du développement, les résultats d'une enquête récente de l'ONU selon laquelle, seul un très petit pourcentage des projets entrepris contribuent effectivement à une amélioration durable des conditions de vie des populations. Ces données contredisent, plus ou moins, la proportion de succès que revendiquent les associations étudiées : si elles ne calculent pas précisément leurs résultats à ce niveau, la plupart des responsables estiment que la majorité des volontaires atteint des résultats conformes aux objectifs qui leur sont fixés. Cet écart entre les deux sources s'explique par le fait que la plupart des échecs dénoncés par l'ONU se révèlent à long terme, autrement dit après le départ du volontaire.
L'objectif ultime de tout projet de développement est, en effet, que celui-ci puisse fonctionner sans le volontaire, les villageois ou les habitants du quartier auxquels il est destiné se le réappropriant. Il semble ainsi que, si un grand nombre de volontaires atteignent leurs objectifs, très peu de projets survivent à leur départ. Ces échecs peuvent s'expliquer, comme le démontrent Mendras et Forsé (1983) ou Michalon (1997), par le rapport que ces sociétés entretiennent avec le progrès. Compte tenu de ces données socioculturelles, la mission du volontaire consiste non seulement à introduire l'innovation mais aussi et surtout à s'assurer que les bénéficiaires se l'approprient.
Les associations de développement semblent avoir, peu à peu, appris des échecs des années soixante-dix. Elles ont fait d'importants progrès au niveau de la prise en charge de la dimension humaine et culturelle du développement. L'identification préalable du projet est plus approfondie, les méthodologies d'introduction sont plus complexes. L'évaluation des résultats est depuis longtemps l'objet de débats internes. Tout le monde s'accorde à en reconnaître la nécessité mais les dispositifs susceptibles d'y répondre ne sont en définitive jamais mis en place.
Cette évaluation demanderait, en effet, une étude sociologique approfondie réalisée dans le cadre d'un suivi mené sur plusieurs années.
Evaluer "l'avancement humain". "On nous demande d'évaluer ! D'évaluer en termes de combien de paysans viennent à la réunion ? On nous demande de créer des outils d'évaluation au même titre que le travail social. On est dans la même problématique que le travail social. C'est un peu l'apport des réalités techniques et économiques. Mais encore, toute la difficulté est d'évaluer l'avancement humain quoi. Comment évaluer quelque chose d'aussi imperceptible ?" |
Aux difficultés intrinsèques de ce travail s'ajoutent des arbitrages financiers dans un contexte difficile ne permettant pas de dégager les fonds nécessaires à leur mise en oeuvre.
Un rapport plutôt réservé. Caroline Houziaux, chargée, il y a trois ans, de mettre à jour les critères auxquels se réfèrent les volontaires de l'AFVP, pour évaluer la qualité des projets, concluait ainsi son rapport : "Les volontaires chiffrent systématiquement les actions qui s'y prêtent, comme le nombre de plants en cas de reboisement, les surfaces maraîchères cultivées. Il est souvent plus difficile aux projets de mesurer un impact plus qualitatif car ils ne disposent que de faibles ressources humaines et ce type de travail nécessite du temps et de la main d'oeuvre. Il faudrait pourtant au moins donner une approximation afin de pouvoir suivre l'évolution des actions." Selon elle, les questions à poser pour évaluer les projets pourraient être : - La mentalité paysanne évolue-t-elle grâce à la présence des projets ? - Les populations s'approprient-elles les actions ? - Allons-nous vers la maîtrise de la gestion de terroir par les villageois, but de ce type de projet ? |
Les associations se limitent à l'évaluation de ce qui est mesurable, l'évaluation est faite par l'encadrement de proximité et ne fait pas l'objet d'une comptabilité systématique. Partant de là, nous ne sommes pas en mesure de vérifier les approximations des acteurs rencontrés :
- la plupart des volontaires interrogés lors de la seconde moitié de leur expérience, estiment avoir contribué à des résultats concrets.
- de même, les responsables de l'association quel que soit leur niveau considèrent que la plupart des volontaires répondent aux attentes de l'association. Ils s'appuient pour cela sur le fait que d'une part les échecs au niveau des projets sont peu nombreux et que, d'autre part, les renvois sont infimes.
Cette estimation reste cependant compatible avec notre approche de la contribution et de sa performance, elle n'existe pas en soi mais résulte d'une estimation subjective. L'atteinte des objectifs constitue un critère. Nous approfondissons les exigences et les attentes de l'association ainsi que les résultats obtenus en envisageant les cas où les objectifs ne sont pas atteints.
3.2. L'évaluation des efforts effectués du volontaire.
3.2.1. Les difficultés du début : un apprentissage "normal".
Il faut tout de suite se prouver aux autres et à soi-même qu'on est là pour réussir. "Tu es là pour deux ans alors tu veux un peu t'imposer. Et puis il y a des clichés, même si tu fais une préparation sur dix jours au SCD, où on va essayer de casser les clichés, il reste des clichés : "Bon j'arrive, je suis le toubab qui arrive en Afrique, c'est pauvres Africains tout ça, j'apporte ci, ça. Et puis on est pressé, il faut tout de suite se prouver à soi-même et aux autres qu'on est là pour réussir certaines choses. Il y a tout un état d'esprit qui à la base est pas foncièrement mauvais mais qui est pas toujours dans le sens des populations et des projets qui eux sont à long terme." |
L'un des faits sur lequel s'accordent les volontaires et les responsables de l'association est la fréquence relative des difficultés rencontrées dans les premiers temps de l'engagement. Nos données de terrain se recoupent avec ces témoignages, tous les volontaires que nous avons rencontrés au début de leur engagement n'étaient pas en difficulté mais la majorité de ceux que nous avons trouvé en difficulté n'étaient là que depuis quelques mois.
Dans le cadre de la préparation au départ, les formateurs invitent les volontaires à prendre le temps de comprendre, à ne pas chercher à aller trop vite. Malgré cette recommandation répétée, la plupart des volontaires cherchent, à l'instar de Jérôme, à montrer tout de suite de quoi ils sont capables. Compte tenu de leur manque d'expérience, ils commettent de nombreuses erreurs. A l'inverse, d'autres volontaires ne parviennent pas à se lancer, ils ne se sentent pas à la hauteur et ne savent pas trop par où commencer.
Les responsables de l'association considèrent ces erreurs et ces manques comme tout à fait normal. Pour l'AFVP et le SCD, on considère que le volontaire n'est pas opérationnel avant plusieurs mois. Pour MSF, compte tenu de la durée plus réduite de l'engagement, les choses sont tenues de se mettre en place plus rapidement. Mais, comme le souligne un médecin africain, à peine sont ils prêts qu'ils doivent déjà repartir.
Les responsables reconnaissent la "normalité" de ces difficultés de départ mais restent partagés quant à la conduite à tenir au niveau de leur gestion : certains considèrent qu'il faut laisser faire le volontaire afin qu'il puisse apprendre de ses erreurs, d'autres objectent que son apprentissage ne doit pas se faire au détriment des populations et préconisent un encadrement serré. Ils requestionnent, ce faisant, les buts et les priorités de l'association : à savoir si les intérêts des populations doivent primer sur l'expérience du volontaire.
Quoi qu'il en soit, dans la grande majorité des cas, cette phase demeure provisoire. Le volontaire parvient à repartir et finit par prendre en main son projet. Il arrive néanmoins aussi que ces difficultés persistent.
3.2.2. Accords sur les efforts fournis, en dépit de difficultés persistantes.
Lorsque les difficultés persistent, l'enjeu consiste à négocier le sens des écarts entre les résultats obtenus et les objectifs. L'évaluation de la contribution passe alors sur un autre registre, on considère une obligation de moyens. Concernant notre échantillon, cette obligation s'est toujours, à une exception près, révélée parfaitement remplie : les volontaires manifestent leur volonté de travailler, relatent leurs investissements et leur persévérance dans ce sens. Ces dires se trouvent, par ailleurs, parfaitement confirmés par nos données d'observation : les volontaires que nous avons suivis avaient presque toujours un activité quotidienne particulièrement chargée.
Des périodes de travail particulièrement intenses. "Il y avait beaucoup de travail ! Tout le monde était débordé de travail. Plus il y a du travail, plus les gens sont actifs plus ils ont besoin de s'éclater. A la fin de la mission, tout le monde était complètement claqué !" "Mais je t'avoue quand même que j'ai beaucoup pris mon pied. J'étais complétement cassé j'ai perdu dix kilos. On a passé trois mois comme des dingues, on ne faisait que travailler, on n'avait pas un jour de repos. On était au chantier du matin jusqu'au soir. Si tu veux on travaillait toujours en collaboration. Tu vois, c'est que quand tu as vécu un an où tu te donnes à fond, que tu travailles avec les gens, que tu rentres vraiment dans les problèmes, que tu comprends pourquoi les gens veulent pas faire ça mais ça, que dans certains villages ça marche rien que par le fait de travailler avec les gens, quand l'ouvrage est fini et que tout le monde est super content, cela devient immense. Et cette année on l'a pas." volontaire. La priorité donnée à la réalisation du projet. "Mais sinon c'est difficile moi à mon niveau je suis logé nourri par la mission, c'est notre lieu de vie donc on est avec les frères, c'est nos seuls contacts sociaux, mis à part les week-end qu'on passe à l'extérieur et puis en plus c'est quand même la mission qui a lancé le projet, on est quand même dépendant d'eux puisqu'on est volontaire à leur service. Alors si je commence à faire palabre sur les conditions de vie ça ça va rejaillir sur le travail qu'on fait ici. Si tu commences à faire palabre sur la nourriture alors comment ça va se passer sur le projet, donc qu'est-ce que tu mets en premier ton projet ou ta vie personnelle. Donc il faut savoir dire bon la priorité c'est quoi, c'est mon projet, c'est ça qui m'intéresse donc je ferme un peu ma gueule comme ça je peux demander plus d'un autre côté, mais c'est pas vraiment tenable quoi." volontaire. |
Ce travail peut même, dans certains cas, devenir excessif...
L'art de trouver des problèmes sur lesquels travailler. "Il y a toujours ceux qui veulent en faire plus que nécessaire. Pour moi, je le vois, c'est trop. Ils ont un besoin de stresser mais tu vois je comprends pas. C'est pas contagieux mais leur stress est communicatif. Moi j'ai vu des gens qui sont partis parce que çà n'était plus possible, dès le matin à 8 heures (tu te lèves le matin à 7 H.00 ou à 7H1/2, tu prends le petit déjeuner) tu n'as plus d'énergie : on t'a pris la tête pour un truc insignifiant, un truc qui était tout-à-fait soluble. Mais il fallait, pour qu'ils se sentent bien, que ce soit insoluble. Je te parle de cas extrêmes. Je ne sais pas d'où çà vient et je ne comprends pas : un besoin de catastrophes, une catastrophe quotidienne pour se sentir bien. " "En Tanzanie, j'ai eu à faire à une personne comme ça. Elle est partie, heureusement, parce que moi j'aurais pas tenu. ... Une fille très gentille, très agréable, très compétente, mais d'un seul coup... : paf !...! ... besoin de stresser." volontaire. |
C'est ainsi que dans la plupart des cas, considérant l'obligation de moyens comme parfaitement remplie, les responsables de l'association et les volontaires s'accordent pour attribuer les écarts constatés entre la contribution de ces derniers et les objectifs qu'ils auraient normalement dû atteindre, à des facteurs extérieurs. Parmi ces facteurs, on trouve, par exemple : la culture des populations locales, la pertinence des objectifs par rapport à leurs besoins réels, la difficulté de ces objectifs, les entraves des autorités locales.
Partant de là, on réajuste les objectifs et on demande aux volontaires de faire au mieux. Mais il arrive aussi qu'un tel consensus ne puisse être établi. C'est ainsi que nous avons pu constater un certain nombre de cas étiquetés comme non performants.
Les responsables estiment avoir donné sa chance au volontaire et lui imputent la responsabilité de ce qu'ils considèrent désormais comme un échec.
3.2.3. Des échecs attribués au volontaire.
Dans la plupart des cas, les responsables de l'organisation reconnaissent les efforts fournis par le volontaire et s'estiment, en dépit du fait que les objectifs n'aient pas été atteints, satisfaits. Mais, il arrive aussi qu'ils attribuent les difficultés, et dans certains cas l'échec du projet, au volontaire.
Un exemple de "mauvaise volonté" ? Le cas de Cyril est, en définitive, le seul cas où les problèmes rencontrés par rapport à la réalisation des objectifs viennent, vraisemblablement d'un manque de volonté. Il semble, d'après l'entretien, mais aussi, et surtout d'après les propos tenus de façon plus informelle, par la suite, que sa conception du volontariat privilégie le mode de vie : le fait d'être libre, de pouvoir vivre à son rythme, d'échapper aux normes occidentales. Partant de là, sa "philosophie" consiste à en faire le moins possible. Il semble, cependant, que les choses ne soient pas forcément aussi simples. Cyril dort quatorze heures par nuit. Même s'il y a sans doute un certain plaisir à dormir aussi longtemps, ce comportement peut être l'indice d'une stratégie, plus ou moins consciente, d'évitement. L'alcool et les discothèques introduisent des ambiguïtés du même ordre. Cyril est au courant de l'insatisfaction croissante que génère une telle attitude chez les responsables de l'association, ceux-ci l'ayant déjà, plusieurs fois, rappelé à l'ordre. Il reconnaît qu'il sera tôt ou tard contraint de "s'y mettre", mais il ne semble pas, en attendant parvenir à se lancer complètement. Il se borne actuellement à proposer le projet mais n'engage pas encore une véritable politique de promotion. Les quelques individus ayant finalement adopté l'innovation qu'il propose sont de riches rentiers qui, sans qu'on ait vraiment eu à les convaincre, ont compris l'opportunité d'un tel investissement. Ces rares succès ne cadrent pas vraiment avec l'esprit du projet dans la mesure où ils ne concernent pas les catégories sociales visées : les paysans touchés par la précarité de cultures soumises aux fluctuations des marchés mondiaux et auxquels l'association serait prête à accorder un prêt. Ces derniers sont indirectement touchés par le projet dans la mesure où ils trouvent quelques revenus en travaillant comme "tâcheron" pour le compte des rentiers participant au projet. Cyril n'est pas le premier volontaire à intervenir dans cette région. Les habitants du quartier, en particulier ceux qui ont à voir avec le projet, prennent la situation avec humour. Ils trouvent, bien entendu, sa conduite étrange mais mettent celle-ci sur le compte de sa culture. Les mauvais résultats du projet ne les préoccupent pas plus que ça, ils semblent seulement concernés par leur travail et, comme, de toute façon, ils touchent leurs salaires, ils ne voient pas vraiment où est le problème. Un exemple d'insubordination ? Le cas de Gérard nous permet d'intégrer les exigences de l'association en termes de conformité de la contribution. Il s'agit, pour le volontaire, de fournir des efforts suffisants, mais aussi de les orienter dans le sens prescrit par l'association. Nous avons rencontré Gérard lors de notre deuxième voyage. Ayant appris que nous restions quelques jours en capitale, celui-ci avait en fait cherché à nous rencontrer afin de nous faire part de son ressentiment à l'encontre de l'association. Gérard allait en fait être "remis dans l'avion", autrement dit renvoyé dans deux jours. Il lui était reproché d'avoir utilisé les ressources du projet à d'autres fins que celles définies dans le cadre des objectifs. Plus concrètement, il avait décidé d'ajouter à son projet consistant à diffuser la culture maraîchère, un volet apiculture dont il comptait confier la responsabilité à son amie qu'il avait, entre temps fait venir. Dans sa version des faits, la sentence était totalement injuste, il considérait avoir agi dans le strict respect de l'intérêt des populations. Son projet de culture maraîchère ne marchant pas très bien, il avait enfin trouvé le moyen de mobiliser les populations, le groupement du village dans lequel il intervenait était, selon lui, prêt à investir financièrement dans le projet. Qui plus est, cet enrichissement du projet initial devait lui permettre de fournir à son amie un travail. Il avait, au départ, pensé que l'association la prendrait comme volontaire mais elle était prête à travailler bénévolement. La version du responsable de l'association était tout autre : pour lui, il avait rompu son engagement en utilisant de façon inconsidérée les moyens qui avaient été mis à sa disposition dans le cadre du projet. Surtout, il avait agi sans consulter l'association et l'avait mise devant le fait accompli. Pour lui, par ce qu'il considérait comme une "faute grave", il avait rompu son engagement. Un exemple d'injustice ? Le troisième cas, celui d'Alex, est plus compliqué. Tout comme pour Cyril, les responsables de l'association lui reprochent de ne pas travailler assez. Lui, de son côté, explique la faiblesse des résultats obtenus par un contexte très défavorable. Il affirme que la population locale n'a absolument pas besoin de se convertir au type de culture qu'il propose dans la mesure où elle n'a pas besoin d'argent. Cette relative prospérité résulte en fait, de ce qui peut apparaître comme un effet pervers de l'émigration vers la France. La culture locale valorise un scénario suivant lequel tout jeune homme qui se respecte doit, avant de s'installer définitivement, de prendre femme et d'avoir des enfants, partir à l'étranger et y faire fortune. C'est ainsi qu'une part importante de la population travaille aujourd'hui dans les usines françaises. Logeant dans des foyers d'émigrés, ils parviennent à épargner une part importante de leur salaire qu'ils envoient au village et à leur famille. C'est ainsi que même le chef du village habite une partie de l'année en France où il est OS chez Renault. L'économie des villages alentour repose exclusivement sur les revenus de l'immigration, le signe de la prospérité générée peut être illustré par le fait que certains disposent d'une télévision branchée sur le satellite et alimentée par un groupe électrogène. Au delà de ces luxes, la prospérité du village peut être estimée sur la base des maisons en "dur" qui y ont été construites. Alex a vraiment souffert de cette situation, il vivait très mal cet échec. Les problèmes liés à son projet étaient d'autant plus difficiles à vivre qu'au village, il n'y a rien à faire. Sa stratégie a alors consisté à prospecter plus loin, c'est ainsi qu'il a découvert des concessions modestes mais, dans le cadre desquelles le projet trouve une utilité. L'une de celles où nous nous sommes rendus était un village nouvellement créé par deux familles. Elles représentent au total une quarantaine de personnes. Pour eux, la culture proposée leur a réellement permis de sortir d'une forte précarité. Alex est impliqué dans son travail, son engagement est orienté sur les populations. Il a un très bon contact avec les populations, sans doute, suite aux difficultés qu'il a pu rencontrer, il les aborde avec une humilité aboutissant sur une relation très saine. L'insatisfaction de l'association semble en fait liée à la relation entre le volontaire et le responsable, les deux sont en froid, ils s'attribuent réciproquement la responsabilité des problèmes, le responsable reproche à Alex de ne pas faire le nécessaire, Alex l'accuse de ne pas assez l'appuyer. Ce différend semble avoir dégénéré sous la forme d'une dispute ouverte. Les problèmes apparaissent, dans ce contexte, comme le résultat d'une relation interpersonnelle. Les arguments invoqués portent davantage sur la personnalité de l'autre que sur les efforts effectivement réalisés de part et d'autre. "Ils avaient prévu un programme incroyable. Sur le document, il y avait écrit chaque objectif que j'avais à atteindre, et derrière l'objectif, ils avaient marqué non réalisation. Non réalisation, ça veut dire quoi, que je travaille plus, que je reste dans un hamac... ça m'a dégoûté de l'association." Alex est très aigri par rapport à l'association, il s'estime blessé par ce qu'il considère comme une injustice. Le défi qu'il s'est donné est de montrer ce dont il est capable, de réussir en dépit des difficultés. Après une première année très difficile, il a aujourd'hui retrouvé courage grâce aux quelques familles auprès desquelles il intervient et pour lesquelles son travail a un sens. |
Ces quelques cas illustrent la dimension intersubjective des réalités ainsi négociées. Il s'agit en quelque sorte de trouver un compromis susceptible de satisfaire les deux parties en présence. Il nous semble ainsi que l'évaluation des efforts fournis par le volontaire dépend des relations interpersonnelles qui s'établissent entre lui et son supérieur, au moins autant que des efforts effectivement fournis.
Le principal fait objectif demeure l'ampleur des résultats obtenus au regard des normes définies dans le cadre des objectifs du projet. Partant de là, il s'agit d'attribuer les responsabilités de l'échec. Les intentions affichées par le volontaire jouent, sans doute, pour beaucoup dans le jugement qu'émet le responsable. La plupart du temps, il ne souhaite pas mettre en difficulté un volontaire déjà affecté par le fait de ne pas avoir pu mener à bien le défi qu'il s'était posé.
En effet, le projet constitue pour la plupart des volontaires un défi au sens où le définit Argyris, c'est-à-dire une situation de gestion dont les aboutissants reposent en grande partie sur les actions et les choix du volontaire. Argyris souligne les liens que l'individu tend, dans ces circonstances, à établir entre l'estime qu'il se porte et les résultats qu'il obtient. Un succès peut actualiser ce dont il est capable ; un échec tend à vérifier ses limites. De nombreux volontaires abordent le projet dans cette optique : ils veulent "se prouver quelque chose".
De leur côté, les responsables gèrent la responsabilité de l'association. Même si certains tendent à se décharger sur le volontaire, la plupart intègrent la part de responsabilité que peut avoir l'association dans ces échecs. Ils conçoivent parfaitement que tous les projets n'ont pas les mêmes chances d'aboutir, qu'ils ne sont pas tous "aussi bien ficelés". En effet, une part importante des données est définie par les responsables lors d'une pré-étude consistant à repérer les besoins et à définir la nature et les orientations de l'intervention. Certains projets apparaissent ainsi, en quelque sorte, dès le départ, voués à l'échec.
Le plus souvent le volontaire et le responsable ont ainsi tout intérêt à mettre les difficultés de l'échec du projet sur le compte de la fatalité et à invoquer des cas de force majeure.
Il reste cependant que cet accord n'est pas systématique. Les cas de litige semblent liés à des situations où le volontaire et le responsable développent des positions différentes sur les orientations à prendre, et tendent à se désolidariser. On entre alors dans des échanges conflictuels qui, au delà des désaccords portant sur les responsabilités relatives à l'échec du projet, impliquent des tensions d'ordre affectif, empruntant à des différends qui ne sont pas toujours directement liés au projet.
Argyris pose comme condition au succès psychologique l'existence d'un véritable risque d'échec. Par ailleurs, il est du devoir du responsable d'intégrer un minimum d'équité dans son évaluation. Il se doit de prendre en considération l'intérêt des populations face auxquelles, l'association et le volontaire restent solidairement responsables. Ses exigences à l'égard du volontaire ne sont pas seulement une question de principe mais mettent en jeu les intérêts des populations.
Mais, il reste que dans la mesure où le volontaire semble effectivement avoir cherché à assumer ses responsabilités, l'enjeu du responsable, au delà de la sanction et de l'équité, consiste à permettre au volontaire d'assumer un échec dont les conséquences sont susceptibles de gravement l'affecter.
3.3. Des critères plus qualitatifs impliquant des aptitudes spécifiques.
Nous sommes pauvres, mais nous sommes dignes et nous acceptons difficilement qu'on promène sur nous un regard parternaliste. Nous sommes pauvres, certes, mais nous sommes dignes et nous acceptons difficilement qu'on promène sur nous un regard paternaliste. En aucun cas, nous n'accepterons qu'on nous traite avec un mépris déguisé, en voulant nous imposer une vision qui n'est pas la nôtre. Nous voudrions qu'on prenne le temps de nous connaître avant de nous juger. Nous voudrions des gens qui ne dramatisent pas la situation à chaque instant et qui ne crient pas au découragement à la moindre contrariété. Nous savons ce que nous voulons. Les volontaires doivent savoir garder leur calme, penser que la panique n'a jamais arrangé une situation et que l'Afrique n'est pas à l'heure de l'Europe et qu'elle tient à garder son rythme. Mgr R. Sastre (Bénin) Opérateur SCD ... je suis le patron, c'est-à-dire qu'ils doivent faire ce que je leur demande... "Mais normalement, je suis le patron ici, je ne sais pas si je vais l'être bien longtemps, je sais pas du tout comment ça va se passer. Mais normalement je suis le patron, c'est-à-dire qu'ils doivent faire ce que je leur demande, tout en sachant que c'est toujours des réunions hein, ça doit être d'un commun accord mais ils doivent respecter tes décisions, faire bien leur travail et euh... avoir des horaires : ils viennent de telle heure à telle heure. C'est-à-dire nous ici on a un principe d'avertissement, au bout de trois avertissements, ils sont virés. Ils le savent. Ils le savent et là-dessus on ne badine pas parce qu'on va pas s'emmerder avec des gens qui font mal leur travail, qui arrivent une heure après oui qui font mal ce que tu leur demandes, fin des choses comme ça." volontaire |
Les volontaires qui s'expriment ainsi atteindront, sans doute, les objectifs que leur confie l'association. Pourtant, certains responsables et une partie des populations auprès desquelles ils interviennent ne seront pas satisfaits.
Ils nous amènent à intégrer une notion de contribution plus large que la réalisation des objectifs. Les griefs retenus contre eux touchent à des aspects plus qualitatifs mettant en cause la définition du projet, la présence du volontaire et la relation qu'il établit avec les populations.
Après avoir mis à jour certaines attentes d'une partie des responsables de l'association, après avoir analysé une partie des causes du mécontentement, discret mais néanmoins marqué, que manifestent parfois les populations, nous faisons valoir trois catégories de compétences clés impliquées dans les qualités de la contribution ainsi élargie.
3.3.1. "Incidents critiques" et attentes des interlocuteurs.
Cette partie met à jour certaines attentes que développent les populations et certains responsables des associations étudiées à propos de la contribution des volontaires. Suivant une démarche inspirée de la théorie des incidents critiques, nous analysons les cas où justement elles n'ont pas été satisfaites. Les griefs ainsi relevés permettent de déduire ce que les populations et les responsables apprécient dans le cadre des autres contributions.
Nous considérons ainsi deux types "d'incidents" :
- les "incidents" perçus par les populations ;
- ceux définis comme tels par certains responsables.
Ces incidents nous permettent d'aborder les questions que se posent la plupart des responsables à propos de la responsabilité du volontaire et de celle de l'association, ainsi que la façon dont ils se positionnent concernant ce qui peut et doit être gérer. Au delà, ils nous permettent de dégager un certain nombre d'attentes susceptibles de s'ajouter à celles relatives à la réalisation pratique des objectifs.
3.3.1.1. Les réserves exprimées par les populations.
Si, comme l'explique l'analyse développée en première partie de ce chapitre, le mécontentement des populations peut être, en partie, attribué à des malentendus résultant de la rencontre interculturelle ou à des résistances au changement, une autre partie peut être restituée dans le cadre des relations entre Africains et "Blancs" expatriés.
Nous sommes pauvres, mais nous sommes dignes et nous acceptons difficilement qu'on promène sur nous un regard parternaliste. Nous sommes pauvres, certes, mais nous sommes dignes et nous acceptons difficilement qu'on promène sur nous un regard paternaliste. En aucun cas, nous n'accepterons qu'on nous traite avec un mépris déguisé, en voulant nous imposer une vision qui n'est pas la nôtre. Nous voudrions qu'on prenne le temps de nous connaître avant de nous juger. Nous voudrions des gens qui ne dramatisent pas la situation à chaque instant et qui ne crient pas au découragement à la moindre contrariété. Nous savons ce que nous voulons. Les volontaires doivent savoir garder leur calme, penser que la panique n'a jamais arrangé une situation et que l'Afrique n'est pas à l'heure de l'Europe et qu'elle tient à garder son rythme. Mgr R. Sastre (Bénin) Opérateur SCD ... je suis le patron, c'est-à-dire qu'ils doivent faire ce que je leur demande... "Mais normalement, je suis le patron ici, je ne sais pas si je vais l'être bien longtemps, je sais pas du tout comment ça va se passer. Mais normalement je suis le patron, c'est-à-dire qu'ils doivent faire ce que je leur demande, tout en sachant que c'est toujours des réunions hein, ça doit être d'un commun accord mais ils doivent respecter tes décisions, faire bien leur travail et euh... avoir des horaires : ils viennent de telle heure à telle heure. C'est-à-dire nous ici on a un principe d'avertissement, au bout de trois avertissements, ils sont virés. Ils le savent. Ils le savent et là-dessus on ne badine pas parce qu'on va pas s'emmerder avec des gens qui font mal leur travail, qui arrivent une heure après oui qui font mal ce que tu leur demandes, fin des choses comme ça." Volontaire Les relations entre Africains et "Blancs", en général. "En Afrique, on les appelle "petit Blanc" (...) Quand on en voit arriver un, on sait que dans un an il sera riche (...) Ils se croient supérieurs (...) Moi, je les trouve très arrogants. "On a peur que le" Blanc" ne nous respecte pas (...) Moi, à 12 ans j'ai réalisé que c'était toujours eux qui avaient l'argent. J'ai demandé à mon père pourquoi c'était comme ça, il m'a répondu que quand tu nais noir et quand tu nais blanc, c'est pas la même chose. " "En fait, on a deux images : on a celle du "Blanc" qui fait du bien, qui est juste, qui dit toujours la vérité, c'est celle des missionnaires. Et puis celle du "Blanc" qui se sent supérieur, qui ne pense qu'à gagner de l'argent." |
La relation entre Africains et volontaires peut être, par ailleurs, restituée par rapport à la relation entre Africains et Européens, les "Blancs" en général. Celle-ci pourrait faire l'objet d'une recherche à part entière. Cette relation plonge ses racines dans la colonisation. A cette époque, elle se caractérisait par un rapport de forces asymétriques dans le cadre desquelles les blancs dominaient l'ensemble du pays. Les anciens ont grandi dans ce contexte et ont gardé une attitude déférante par rapport au "Blanc".
Après la décolonisation, une partie des "Blancs" est restée, d'autres sont arrivés. Qu'ils soient fonctionnaires ou hommes d'affaires, ceux-ci ont en commun un pouvoir d'achat exorbitant. Ce sont eux qui possèdent les plus grandes villas et les plus belles voitures. Leurs comportements, pour des raisons qui mériteraient elles-aussi une recherche approfondie se caractérisent par un arrivisme qui se traduit entre autres par un total mépris, teinté de formes de racisme. Ces comportements sont à situer dans des dérives de comportements généralisés.
Les difficultés de la rencontre interculturelle et les relations entre Africains et Blancs, en général, n'expliquent cependant, pas tout, une part du mécontentement des populations peut être attribuée aux volontaires eux-mêmes.
Des points concernant plus spécifiquement les volontaires. Des avis inconditionnels. "Les volontaires, ils sont vraiment formidables, vraiment ils nous apportent beaucoup." "Les VP, oui vraiment ils sont très très bien, on en est vraiment content." "Ils travaillent tout le temps, ils n'arrêtent pas. Des avis plus réservés. "Les volontaires, ils ont tous une voiture, et quand on leur demande de nous emmener quelque part, ils disent qu'ils n'ont pas le temps. Et puis, ils boivent du coca toute la journée. Et tu crois qu'ils nous en offrent ? C'est pas normal, parce que l'argent qu'ils dépensent, c'est notre argent : les gens en France c'est pour nous qu'ils l'ont donnée." "Moi, je trouve que les Blancs, ils ne cherchent pas à s'intégrer, ils restent toujours entre eux." "Les Badjulés, on sait pas bien ce qu'ils font, ils ne nous disent rien." "Philippe et Yannick, nous on les aime bien au village. Ils viennent à toutes nos fêtes. Ils sont même venus pour les funérailles d'Ignace. Et puis, ils disent qu'ils veulent nous aider." "Paul, il est vraiment bien, il écoute toujours ce qu'on lui dit." "Tu vois, je vois pas bien à quoi ça sert, tout ça." A :"Oui, ils sont volontaires, ils disent qu'ils sont venus nous aider." Q : "Tu sais ce qu'ils font." A : "Non, ça je sais pas bien." "Ben, pour moi, à mon humble avis, je crois qu'ils sont venus pour gagner de l'argent." "Ils sont venus parce qu'en France, vous avez trop de chômage." Des avis plus critiques. "Manu, personne ne l'aime, ici, il ne suit que son idée, il n'écoute personne." "Il se prend pour un petit chef, tu sais moi, normalement je suis au même niveau que lui sur le projet, en plus j'ai plus de diplômes que lui." "Ils disent qu'ils sont venus nous aider, mais on ne leur a rien demandé, nous !" "Moi, je trouve, personnellement, qu'ils exagèrent : ils se comportent comme s'ils étaient chez eux." "C'est pas possible... Franchement, j'ai du mal à croire qu'ils soient venus juste pour nous aider. Je suis sûr qu'ils ont d'autres raisons." "Je ne pense pas que les gens ici comprennent qu'ils sont des volontaires parce qu'ils sont beaucoup mieux que nous : Ils ont une belle voiture, ils s'achètent des cocas, de la bière tout ça... Ils sont plein d'argent, ça c'est clair." "Les volontaires ne se comportent pas toujours très bien. Ils pensent qu'ils savent tout et deviennent presque toujours autoritaires." "Vous les Mouzoungou vous vous croyez tout permis. Vous croyez qu'il faut qu'on se pousse pour vous faire une place. Vous ne nous respectez pas." Extraits d'entretiens réalisés avec des Africains vivant sur place. |
Certains lecteurs seront peut-être étonné que le volontaire arrivant avec des intentions aussi louables soit aussi mal accueilli. Paradoxalement, ce sont précisément ces intentions qui sont à l'origine de certaines formes de rejet du projet.
Le cas où les populations exprimaient quelques réserves étaient rares et pouvaient apparaître accidentels. Mais, au fur et à mesure que nous découvrions certaines ambiguïtés, nous les soumettions à l'appréciation de nos interlocuteurs. Un grand nombre restaient sur leurs position mais d'autres voyant que nous avions sur le développement une ouverture différente en profitaient pour exprimer leur "véritable" point de vue.
Nous situons un grand nombre des différends existant entre les Africains et les volontaires au niveau de la définition de la situation. Le sens qu'ils veulent, chacun de leur côté, donner au projet se révèle, pour l'autre, inacceptable.
Compte tenu de leurs origines, un grand nombre de volontaires sont, eux-mêmes, porteurs des visions de l'Afrique et du développement présentées dans la première partie de ce chapitre : des visions véhiculées par les médias en collaboration avec certains organismes tels que l'Unicef et des associations d'urgence présentant des populations africaines décimées par les sécheresses et les guerres civiles.
La gangrène du monde. "Moi, ce qui m'a le plus choquée quand je suis arrivée en France, c'est le décalage : l'image que vous avez de l'Afrique. Nous, on voit bien qu'on est pas tout à fait au même niveau par rapport à la technique, mais pour le reste on se considère comme un continent riche, on a la nature et les hommes. Vous, vous nous voyez comme la gangrène du monde. " Africaine étudiante en France, depuis deux ans |
Cette recherche analyse la façon dont le volontaire se définit par rapport à la situation avec, entre autres enjeux, de valider l'utilité, voire la nécessité, de sa présence. La représentation des populations induites par cette utilité met en avant leur misère. Partant de là, compte tenu de sentiments de l'ordre de la compassion et/ou de "principes moraux d'inspiration altruiste", le volontaire se sent obligé de les aider, voire de les sauver.
Ce scénario inspiré de certaines situations d'urgence se révèle, dans le cadre d'un projet de développement, pour les populations, plus ou moins incompatible avec l'image qu'elles ont de la situation : le fait de se voir qualifier de "pauvres" et de "misérables" constitue, pour les Africains, une définition d'eux-mêmes, tout à fait inacceptable.
Dans un autre registre, un scénario relativement fréquent consiste à justifier l'utilité du volontaire par la supériorité technologique de l'Occident. Cette définition de la situation induit une relation maître-élève dans le cadre de laquelle le volontaire peut se révèler parfois un pédagogue plutôt autoritaire. Cette relation asymétrique n'est pas plus acceptable que la précédente.
Dans cette perspective, la collaboration au projet reviendrait pour certains Africains une acceptation de cette définition. Pour eux, seule une définition faisant valoir la notion d'échanges et une relation fondée sur la réciprocité peut rendre la coopération tolérable.
Paradoxalement, un volontaire faisant valoir des formes de "calcul" mettant en avant, en contrepartie du travail effectué, le plaisir qu'il trouve à passer deux ans en Afrique a, a priori, plus de chances de faire accepter son projet que celui se prévalant des sacrifices qu'il consent.
Nous considérons ainsi que l'un des principaux enjeux du projet réside dans la définition de la situation, chacun essayant d'imposer des significations déduites de cadres de références, par bien des points, fondamentalement différents.
Significations et connotations pour les volontaires | <= | Mots & réalités | => | Significations et connotations pour les populations |
Volontaire Progrès Développement Altruisme Pauvreté Rétribution lui permettant de répondre à ses besoins Revenu inférieur au SMIC | <= <= <= <= <= <= <= | Volontaire Changement Projets Aide humanitaire Afrique Indemnité et avantages en nature (ex. voiture de fonction) 3000 FF (montant de l'indemnité perçue par les volontaires du progrès) | => => => => => => => | ? Risques Argent Condescendance Richesse Argent et dons envoyés par les donnateurs à leur attention et que le volontaire devrait normalement partager avec eux. Salaire d'un sous-préfet de région |
3.2.1.2 Les réserves exprimées des responsables.
Des dérives autoritariste et le paternaliste "Par contre, où il y a un problème par rapport à l'autoritarisme, paternalisme etc. On a intégré ça dans nos formations, on a essayé de trouver un spécialiste, on travaille sur le rôle du volontaire qu'il ne prenne pas trop de place, de lien avec la population. On a des volontaires qui sont extraordinaires, en action, d'autres qui sont d'horribles autoritaires." Des dérives racistes : "... les Blancs sont supérieurs." "Ce qu'il faut savoir ici, c'est que les Blancs, même dans les pays colonisés, les Noirs ont toujours l'impression que les Blancs sont supérieurs. Ouais, dans leur mental, tu es supérieur, même si tu l'es pas, mais dans leur mental, pour eux, tu es toujours quelqu'un qui a une culture plus développée, qui est plus intellectuel. Euh, donc, t'arrives ici, normalement t'es sensé être pour eux plus intelligent. Bon OK. Surtout, ici en fait, c'est que toi, tu arrives, tu as des sous dans la poche, tu vas pour leur donner du travail, tu vas pouvoir guérir leurs enfants, leur donner des médicaments sans qu'ils aient à payer. Tu vois pour eux c'est ça, c'est ça que tu représentes, tu représentes du travail, tu représentes un nouvel équilibre pour eux, la possibilité de se réhabiliter eux-mêmes, de pas avoir honte d'eux-mêmes, de pas avoir des choses comme ça. Voilà ce que tu représentes quoi." Des dérives vers des psychotropes. "Des dérives, c'est surtout ici, sur ce type de missions plus calmes que j'en ai vues. Dans les missions d'urgence, de ce que j'en ai vu, il y en a beaucoup moins, peut-être parce que les gens ne restent jamais très longtemps tu vois. Ici, les gens restent souvent jusqu'à un an. Il y en a, je ne sais pas combien ils prennent du vallium : quatre valliums dans la journée, sinon c'est la crise. Il y en a qui au matin à 10 heures sont au bistrot "whisky etc.." Pour moi, j'essaye de pas boire, premièrement ça me fatigue, pareil, de pas fumer parce que ça me fatigue aussi. J'essaie de me maintenir mais j'ai quand même du mal, tu vois. Là, par exemple, j'ai des abcès aux pieds, ça fait un mois que çà traîne, ça n'arrive pas à se soigner, c'est des petits trucs comme çà qui te fatiguent la vie. On a du mal à rester ici quand même, on est vachement bien ici, mais en même temps, c'est assez courant quand même, même avec l'expérience, moralement, çà faiblit, tu as moins de pêche! Le fait de se rendre en capitale, çà me regonfle un peu... Même si je suis content de revenir ici après. Tu vois des fois, on a trop envie de boire un coup, je n'ai jamais besoin de boire, il y a qu'ici que j'éprouve ça, ou alors si je bois..." |
En dehors de la réalisation des objectifs du projet et des efforts fournis dans ce sens, les responsables attendent du volontaire un "minimum de correction". Cette exigence, relativement vague, concerne, d'une part, ses attitudes à l'égard des autres acteurs et plus particulièrement des populations et, d'autre part, à ses comportements en dehors du projet.
Les responsables de l'association ne sont pas tous et pas totalement conscients du mécontentement parfois ressenti par les populations. Cette relative ignorance s'explique en partie, par le fait que ce mécontentement n'est que très rarement ouvertement exprimé. Nous l'avons mis à jour à l'issue d'une investigation relativement poussée. En dehors de ces difficultés d'accès, les problèmes liés à l'attitude du volontaire à l'égard des populations tendent à mettre les responsables face à certaines ambiguïtés. Le paternalisme et l'autoritarisme constituent des conséquences d'une relation dans le cadre de laquelle, les occidentaux attribuent à l'association et à ses volontaires, des rôles de "sauveurs" et de "parents protecteurs" (Berne, 1967). La remise en cause des excès des volontaires les obligerait ainsi à questionner le sens de la relation et la légitimité du projet.
Dans l'absolu, tous souhaiteraient voir le volontaire entretenir, avec les populations, des relations "correctes". Ils attendent qu'il fasse preuve de tolérance et de respect à l'égard des points de vue exprimés par les autres. Ils conçoivent parfaitement que l'attitude du volontaire peut rendre le projet plus ou moins acceptable.
Ils regrettent les excès de certains volontaires. Ils condamnent les déviances telles que la consommation de drogues. Ils considèrent que dans le contexte du projet, la vie privée du volontaire ne peut être véritablement séparée de sa vie professionnelle.
Ils sont cependant conscients que certaines de ces dérives sont directement liées aux difficultés de l'expérience et impliquent, de ce fait, la responsabilité de l'association. Ils assument leur devoirs à ce niveau et affirment leur volonté d'aider les volontaires traversant des périodes plus difficiles.
Ces dérives les mettent face à de fortes contradictions. Les comportements dénoncés ou regrettés, questionnent leur responsabilité. D'un côté, ils considèrent que l'association est solidaire des volontaires et que leurs comportements peuvent la compromettre. Ainsi, jugent-ils qu'il est de son devoir de les aider et de les protéger. D'un autre côté, ils souhaitent éviter un encadrement trop paternaliste. Ils font valoir le fait que les volontaires sont adultes et responsables de leurs comportements.
Au delà de ces questions de principe, la plupart des responsables admettent leur impuissance. Ces comportements sont difficiles à évaluer dans la mesure où les critères impliqués reposent sur des valeurs et restent, de ce fait, très subjectifs. Dans la pratique, les responsables interviennent seulement en cas de problème : lorsqu'il y a, par exemple, arrestation du volontaire par la police, ou encore, lorsque les populations demandent le renvoi du volontaire.
Dans ce contexte, une partie des responsables préfèrent s'en tenir aux aspects de la contribution directement liée à la réalisation des objectifs. Seule une minorité continue de dénoncer ces excès. Même s'ils admettent ne pas voir de prise sur leurs comportements, ils continuent, par principe, d'essayer de sensibiliser les volontaires à ces problèmes.
Ces aspects plus qualitatifs de la contribution donnent lieu à une plus grande dispersion de l'échantillon des volontaires étudiés, ce qui constitue, dans cette mesure, une variable utile à notre étude. Même si la plupart des responsables tendent à s'en décharger, nous considérons les excès constatés à ce niveau comme des problèmes. Au delà des freins que peuvent constituer ces comportements au niveau de la réalisation des objectifs, ils restent porteurs d'effets négatifs au moins à deux niveaux.
Le mécontentement des populations s'oppose, de toute évidence, aux objectifs et aux principes que définit l'association dans le cadre de son objet social. La concrétisation de l'aide apportée sous la forme d'objectifs précis n'empêche pas de considérer la satisfaction des populations comme un indicateur illustrant la réussite ou l'échec du projet.
D'un autre côté, les dérives à l'origine de ce mécontentement apparaissent souvent comme la manifestation d'une expérience mal vécue. L'autoritarisme, le paternalisme et le racisme, révèlent très souvent le malaise ressenti par le volontaire face aux ambiguïtés évoquées dans la première partie de ce chapitre. Ne parvenant pas à se positionner et ne saisissant pas bien le rôle qu'il doit jouer dans ce contexte, il "cherche à s'imposer". Ces dérives n'impliquent ainsi pas forcément la personnalité du volontaire, mais peuvent être l'expression de déséquilibres psychologiques directement ou indirectement liés à l'expérience présente.
La plupart des responsables se sentent, face à ces dérives, complètement désarmés. Ils sont tentés de se désolidariser de comportements sur lesquels ils ont le sentiment de ne pas avoir prise, sans pour autant pouvoir se résoudre à abandonner des volontaires dont ils soupçonnent parfois la détresse. Partant de là, nombreux sont ceux qui choisissent s'en tenir à une relation axée sur la réalisation des objectifs du projet.
En dehors de notre volonté de mettre en perspective, les principes et les pratiques de l'association et d'explorer des registres de performance qu'elle pourrait potentiellement prendre en charge, nous intégrons les "problèmes" évoqués dans le cadre de cette partie dans la mesure où ils préoccupent les Responsables Ressources Humaines. Ceux-ci sont, sans doute, ceux qui se sentent les plus concernés par ces dérives. Ces préoccupations figurent parmi les principales demandes qu'ils nous ont adressées, dans le cadre de la recherche-action menée à leurs côtés. Ils attendaient que cette démarche de recherche les aide à mieux faire la part des choses entre les responsabilités de l'association et les responsabilités du volontaire. Ils soulèvent, ce faisant, de "vraies" questions touchant au coeur de la relation association-volontaire.
Les réponses apportées par rapport aux problèmes éthiques et pratiques, liés aux responsabilités prises en charge de part et d'autre, constituent selon nous l'une des principales valeurs ajoutées produites par ce travail.
Dans l'immédiat, les regrets et les malaises exprimés par les responsables et la population, à propos des excès des volontaires, nous permettent de mettre à jour, par contraste, certaines de leurs attentes concernant la contribution du volontaire. Nous intégrons ainsi, parallèlement aux objectifs pratiques du projet, la capacité du volontaire de rendre le projet acceptable pour tous. Nous formalisons cet aspect de la contribution à travers une série d'aptitudes, illustrant la façon dont les volontaires peuvent le prendre en charge.
Certains volontaires démontrent, en effet, la possibilité de réduire une partie des contradictions associées aux projets de développement. Par leur façon d'aborder les problèmes, par leur manière d'être et de faire, ils contribuent à la construction d'une réalité plus homogène.
3.3.2. Les aptitudes contribuant à la qualité du projet.
Face aux limites idéologiques et pratiques de l'action des volontaires, certaines associations parmi les plus anciennes, comme par exemple Frères des Hommes, préfèrent désormais confier la réalisation de leurs projets aux bénéficiaires eux-mêmes. Nous pensons, quant à nous, que les excès et les erreurs jusque-là relevés ne sont pas une fatalité.
Cette recherche explore les possibilités de gérer l'expérience des volontaires de façon à limiter les dérives et à favoriser des contributions plus satisfaisantes pour l'ensemble des acteurs. Elle s'appuie pour ce faire sur les exemples donnés par une partie d'entre eux.
Certains volontaires démontrent en effet la possibilité de faire mieux et différemment. Ils parviennent à des "ajustements" induisant une définition de la situation acceptable pour les populations, tout en restant compatible avec les attentes exprimées par leurs autres interlocuteurs (association, financeurs du projet, donateurs, autorités locales).
La qualité de leur contribution s'appuie sur des compétences clés que nous regroupons autour de trois catégories :
- la façon dont ils perçoivent et abordent les problèmes, en fonction de la complexité, et, les ambiguïtés qu'ils intègrent à propos de la situation ;
- des savoir-être impliquant leurs capacités à communiquer avec leurs interlocuteurs et à s'impliquer dans le projet ;
- leur capacité à adapter le projet et à innover face aux données de la situation.
3.3.2.1. Capacité à percevoir la complexité de la situation.
La capacité à admettre des points de vue différents : l'exemple de la mort. "Maintenant, je les envoie promener. Au début j'essayais de suivre, de répondre à leurs attentes parce que j'étais nouveau. Maintenant, si je suis comme ça, c'est que je vois comment sont les Africains, il y a que nous qui nous affolons dans ces cas-là. C'est la mère, c'est son bébé qui meurt et elle ne bouge pas ; moi, j'ai pas envie de bouger plus que la mère. Je ferais n'importe quoi pour l'aider mais si je vois qu'elle bouge pas. Pour nous, c'est difficile à admettre, pour nous les Occidentaux, d'admettre qu'un enfant va mourir. Mais il faut aller plus loin que ça, tu vois, dans la façon dont on conçoit les enfants, je veux dire : on ne planifie pas, on fait des bébés... et malgré tout parmi la plupart des gens ici... Je ne parle pas de tous.. je rencontre des gens qui ont des femmes qui veulent un enfant, mais pas trop tôt, qui planifient, mais dans ces cas-là leur comportement vis-à-vis de leur enfant... elles le laisseront pas mourir celui-là. (...) ... Et ceux, par contre, la manière habituelle, ici la majorité, tu as des enfants..des enfants... le père s'en fou complètement, la mère quand ils sont petits, elle les protège complètement mais après quand ils se débrouillent... Et puis un jour il y a une maladie. Nous parfois, il y a des fois des adultes qui meurent, il y a toute la famille autour et on leur dit vous devriez faire ceci, vous devriez faire cela, il y a des fois il y en a qui s'en occupent et des fois ils ne s'en occupent pas. On ne sait pas pourquoi. La mort c'est quand même moins.. Tu vois j'en ai discuté avec Masson qui est Africain aussi, c'est pas si grave. A un moment donné pourquoi, je ne sais pas pour quelle raison ça ne sera pas si grave.."la mort on n'en meurt pas", qu'ils diront. Tu vois ce que je veux dire c'est pas quelque chose... c'est pas un drame. Il y aura toutes ces litanies, tous ces pleurs... c'est très paradoxal. L'idée de la mort c'est la même que la naissance. Tu vois on fait des gamins, ce n'est pas planifié du tout et après ça se répercute sur le reste de la vie. ...ça part du moment où on fait des gamins, la façon dont on le fait, dont il naît et dont on l'élève ça se répercute sur le reste de l'existence : il va mourir comme il va naître un peu n'importe comment.(...) ... ça c'est vachement différent chez nous. Les gens qui sont de première mission n'arrivent pas à comprendre ça. C'est un peu vache ce que je te dis. Je ne sais pas il faut être réaliste et les Africains te le diront aussi. Ils culpabilisent un peu peut-être, ils essaient de suivre un peu notre truc, mais ça sert à rien." |
Ce volontaire illustre parfaitement la capacité de certains à saisir la complexité de la situation induite par la diversité des points de vue et des enjeux des différents acteurs qu'elle implique. Cette capacité constitue, selon nous, une compétence clé, dans la mesure où elle permet d'aborder les problèmes posés par le projet suivant une perspective différente et d'envisager des solutions acceptables pa tous.
Le volontaire, ainsi disposé, ne se limite plus à des considérations pratiques, mais intègre, dans sa façon de formuler les problèmes et dans les solutions qu'il propose, le sens qu'ils peuvent prendre pour ses différents interlocuteurs.
Conscient de la complexité de la situation et des "mondes" (Boltenvsky et Thévenot, 1991) impliqués, le volontaire est en mesure de les gérer : de percevoir les "épreuves" (Boltenvsy et Thévenot, 1991) dans le cadre desquelles ils se confrontent. Partant de là, il peut les prendre en considération, tant dans sa façon d'être et de communiquer, que dans les solutions innovées pour adapter le projet aux données ainsi intégrées.
3.3.2.2. Les "savoir-être".
Trouver sa place. Jérôme, que nous avons suvi sur un projet de développement des quartiers spontanés nous est apparu comme très représentatif. Tout au long de la journée Jérôme est resté en retrait. Concernant les travaux de rénovation de l'école, malgré la demande insistante du directeur et des jeunes de l'association, il n'a donné aucun avis, il s'est contenté de récapituler le pour et le contre. Cette attitude semble porter ses fruits, car lorsque nous avons interrogé les jeunes de l'association, ils nous ont répondu qu'ils aimaient bien Jérôme mais que le projet c'était eux qui avaient tout fait, Jérôme n'etait là que pour les aider. Jérôme concède qu'il est souvent tenté d'intervenir, qu'il l'a fait un peu au début, mais qu'il a appris à rester en retrait et se trouve maintenant à l'aise dans ce rôle. Jérôme a su se positionner comme le préconisent les méthodes, il reste en retrait, il se contente de créer quelques évènements et aide les acteurs à mieux collaborer. Il sert de "traducteur". Ce recul ne lui est pas venu immédiatement, il admet sans difficultés être, au début, trop intervenu et avoir manqué de faire capoter le projet. "C'est vrai qu'au début tu as tendance à vouloir aller trop vite. Tu es là pour deux ans, alors tu veux, un peu, t'imposer. Et puis il y a des clichés, même si tu fais une préparation sur dix jours à l'association, où on va essayer de casser les clichés, il reste des clichés : "bon j'arrive, je suis le toubab qui arrive en Afrique, c'est pauvres africains tout ça, j'apporte ci, ça." Et puis on est pressé, il faut tout de suite se prouver à soi-même et aux autres qu'on est là pour réussir certaines choses; Il y a tout un état d'esprit qui à la base est pas foncièrement mauvais mais qui est pas toujours dans le sens des populations et des projets qui eux sont à long terme." |
La compétence clé ici abordée est la conséquence, en quelque sorte, la réciproque, de la précédente : nous la qualifions de savoir-être, mais pour être plus précis et plus juste nous devrions parler de savoir se positionner et de savoir trouver sa place.
Nous définissons ce "savoir être" par rapport aux "savoir-faire", il s'agit, suivant une perspective semblable à la compétence précédente, de dépasser la dimension instrumentale de sa fonction pour l'incarner, en intégrant une identité plus complexe et mieux adaptée aux enjeux du projet. Le volontaire peut ainsi tenter de s'écarter du cadre des relations d'ordinaire établies entre Blancs et Noirs, évitant ainsi de tomber dans les pièges de l'autoritarisme ou de la condescendance.
Il s'agit de donner un peu d'âme à sa fonction, de ne pas se limiter à un rôle prescrit mais d'investir des formes plus personnelles intégrant des formes de discernement contribuant à de meilleurs ajustements avec les interlocuteurs. Les "savoir être" en question commencent, même si cela ne sert à rien d'un point de vue strictement pratique, par le respect de ces points de vue.
Ce "savoir être" s'appuie, entre autres, sur des formes de réflexivité permettant de mettre en perspective ses pratiques afin, non seulement de questionner leur efficacité, mais aussi, de réfléchir sur sa place au sein du projet, dans la communauté dans laquelle il s'inscrit et du réseau d'acteurs qu'il implique.
Le volontaire ainsi disposé envisage son action au niveau pratique, mais aussi :
- au niveau social, à travers la définition de la situation qu'il construit avec ses interlocuteurs dans le cadre de leurs communications ;
- au niveau symbolique, à travers le sens qu'il donne, personnellement, à sa présence dans le cadre du projet.
Le "savoir être" ainsi défini constitue, en quelque sorte, une capacité à innover au niveau de son identité. Cette compétence-clé est en interaction avec les innovations introduites au niveau des contenus et de l'identité du projet.
3.3.2.3 Capacité à innover en fonction du contexte.
Innover en s'appuyant sur les données du contexte. Le projet de Bruno consiste à promouvoir la culture attelée dans un village du Burkina Faso situé au nord de Ouagadougou. Le démarrage du projet fut relativement lent : - habitué à "sarcler" à l'aide d'une "houe" ils ne voyaient pas l'intérêt de changer ; - cultivant d'ordinaire un hectare, ils ne percevaient pas vraiment l'avantage de pouvoir en travailler trois. La culture de ce village se caractérisait effectivement, comme l'explique Michalon (1997) et Mandras et Forsé (1983), par des résistances au changement fondées sur la conservation de pratiques ayant fait leurs preuves. Le premier, à avoir adopte la technique proposée par Bruno, fut Désiré. Il s'agissait d'un jeune ayant, au sein de sa classe d'âge, une certaine autorité. Dans les mois qui suivirent quatre autres jeunes se décidèrent également. L'année suivante vingt autres paysans firent l'acquisition d'un attelage. Enfin, l'année de notre passage, une trentaine d'autres s'étaient ou allaient se convertir. L'un des facteurs ayant, sans doute contribué à l'accélération de la diffusion du changement au cours de la seconde année fut introduit par Bruno. Son enjeu était que la culture attelée s'intègre dans les habitudes de la population. Pour ce faire, il eut l'idée de mettre en place un concours. Ce concours consistait pour les participants à sarcler une surface donnée en un minimum de temps, tout en respectant certaines contraintes au niveau de la qualité du travail, à défaut de quoi, ils pouvaient être pénalisés. Ce concours eut le mérite d' (ré)introduire le changement apporté sous la forme d'une fête à l'occasion de laquelle ceux qui disposaient d'un attelage furent les "héros du jour". Ce ne fut ainsi pas tant les qualités intrinsèques de l'innovation proposée qui motivèrent les suivants à investir, que ce qu'elle représentait socialement. journal de bord |
Cet exemple particulier illustre les liens possibles entre les aspects qualitatifs auxquels touchent les compétences-clé développées dans le cadre de cette partie et la réalisation des objectifs du projet.
Au delà de ces liens, la compétence que nous souhaitons ici mettre en avant a trait à la capacité du volontaire à adapter le projet que lui confie l'association aux données de la situation. Nous considérons ainsi la pertinence des initiatives permises par les deux précédentes compétences.
L'association définit un objet social et une charte relativement générale desquels elle déduit, face aux besoins des populations qu'elle identifie, les objectifs du projet. Compte tenu de la complexité et des ambiguïtés de la notion de développement, elle peut proposer une démarche et des méthodologies, mais elle ne peut raisonnablement pas proposer des solutions universelles.
Partant de là, c'est au volontaire de composer entre les données de la situation : les attentes spécifiques des financeurs, intégrer les exigences des autorités locales, les contraintes techniques et économiques, les contraintes sociales et culturelles et les besoins de la population, tout en respectant les principes de l'association.
Certains volontaires considèrent ces attentes comme les données d'un problème dont la réponse correspond à la possibilité de réaliser le plus efficacement possible les objectifs du projet.
D'autres, ceux dont nous voulons souligner les compétences, se donnent pour objectif de construire un projet dont les caractéristiques pratiques, mais aussi le sens seront acceptables pour tous. Différentes voies sont, pour ce faire possibles :
- le volontaire peut modifier les objectifs de façon à pouvoir obtenir un minimum de consensus autour de la définition du projet ;
- il peut ajuster le sens du projet, le modifier en fonction des interlocuteurs, ou mieux encore, le "traduire" (Callon, 1986) dans leurs cadres de référence, de façon à ce que chacun puisse se retrouver dans les objectifs visés.
Ces deux voies, parfois, s'opposent obligeant le volontaire à arbitrer.
Quelle que soit la voie retenue, la prise en considération de la diversité des points de vue et des enjeux impliqués, ainsi qu'un positionnement mûrement réfléchi, contribuent à l'intégration de problèmes plus complexes et à l'innovation de solutions susceptibles de recueillir l'accord des interlocuteurs.
Ce faisant, le volontaire reconstruit la réalité de l'association dans le cadre d'ajustements locaux, lui permettant ainsi d'exister tout en restant pertinente.
Analyse de l'innovation en termes d' "Economie des Conventions" (Boltansky et Thévenot, 1991) Le volontaire peut gérer l'hétérogénéité des "mondes" en présence : - soit en établissant un principe supérieur commun capable de réunir tous les acteurs dans le même "monde" ; - soit en considérant que ces mondes peuvent, la plupart du temps, cohabiter et trouver, lorsque, le cas échéant, se présente une épreuve, un arrangement. Dans cette perspective, on peut considérer que l'ensemble des acteurs occidentaux se retrouvent dans un monde civique construit autour du principe supérieur que constitue la nécessité d'aider les pauvres Africains. La population s'exclut, souvent, elle-même de ce monde dans la mesure où elle ne peut accepter la pauvreté considérée. Au delà du monde domestique dans lequel les populations évoluent habituellement, elles aspirent à un monde domestique dans le cadre duquel elles traiteraient d'égal à égal avec les Occidentaux venus échanger avec elles. Le volontaire peut au niveau de son projet trouver des arrangements situés dans ce monde marchand, il peut, par exemple, comme le font souvent les volontaires de l'AFVP, faire payer aux populations les prestations effectuées, en leur faisant, si nécessaire, crédit. |
Ces compétences-clés constituent des types idéaux nous permettant d'intégrer une acception élargie de la contribution. Elles s'ajoutent à la réalisation des objectifs et aux efforts effectués. Ces différents aspects de la contribution du volontaire seront par la suite repris et consolidés à travers une conceptualisation en bonne et due forme.
Les données présentées dans le cadre de ce chapitre constituent des connaissances intermédiaires visant à poser plus précisément les termes de notre problématique. Nous les reprenons au fur et à mesure des chapitres suivants. Nous les réintégrons et les faisons signifier dans le cadre de concepts et de modèles scientifiquement validés, avec pour objectif d'apporter quelques éléments de réponses aux différents problèmes que nous venons de soulever.
Le tableau qui suit nous permet, dans l'immédiat, de constater l'indépendance existant, a priori, entre les engagements des volontaires, interprétés en termes de modes et de référentiels d'implication, et leurs contributions.
Contributions
Réalisation des objectifs | Efforts et "bonne volonté" | Aspects plus qualitatifs (complexité, savoir-être, innovation) | ||||||||||||||||
satisf. | moyen | insuff. | satis. | moyen | insuff. | satisf. | moyen | insuff. | ||||||||||
Implication Intrinsèque Association | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||
Implication Calculatrice Association | X | X | X | X | X | X | X | X | ||||||||||
Implication Aliénant Association | X | X | X | X | X | |||||||||||||
Implication Intrinsèque Autre ref. | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||
Implication Calculatrice Autre Ref. | X | X | X | X | X | X | X | |||||||||||
Implication Aliénante Autre ref. | X | X | X | X | X |
Le tableau ci-dessus illustre l'indépendance existant, a priori, entre les engagements signifiés qui composent l'implication du volontaire et les différents aspects de sa contribution. En ce sens, il rend compte de la diversité des combinaisons possibles, et effectivement constatées, dans notre échantillon.
Ce tableau montre que :
- que le degré de réalisation des objectifs ne dépend pas nécessairement d'une forme d'implication donnée ;
- que la prise en charge des aspects qualitatifs de la contribution ne dépend pas nécessairement d'une forme d'implication donnée ;
- que tous les volontaires composant l'échantillon étudié, à l'exception d'un seul, manifestent la volonté de mener à bien leur projet, et pour ce faire, fournissent une quantité importante d'efforts.
Ainsi, les différents aspects de la contribution ne semblent pas, a priori, liés à une quelconque forme d'implication. Aucune d'elles ne semble pouvoir générer de façon systématique une contribution supérieure aux autres.
Suivant une appréciation plus qualitative, aucune tendance ne semble pouvoir se dégager concernant la supériorité de l'une ou l'autre des formes d'implication conceptualisées en terme de contribution.
Les deux chapitres suivants élucident les contingences existant entre les engagements signifiés et la façon dont les volontaires posent et résolvent les problèmes rencontrés en situation. Dans la troisième grande partie, nous aborderons à nouveau la problématique de l'implication, en termes de contribution et de performance.