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Résumé (4)

Suivant un processus de recherche d'ordre empirico-formel, la réversibilité des énoncés explorés nous permet à terme d'obtenir un modèle représentatif de l'intégralité des données recueillies. Au-delà de la saturation à laquelle doivent aboutir nos allers-retours entre théories et données de terrain, la qualité du modèle théorique ainsi construit réside dans sa capacité à rendre compte des aspects les plus significatifs des réalités étudiées. Celui-ci doit non seulement être valide, mais encore "intéressant".

La flexibilité développée au niveau des méthodes nous permet de composer avec les contraintes du terrain et de tirer le meilleur parti des opportunités rencontrées. Les marges de manoeuvre ainsi négociées ne sont cependant acceptables qu'à condition de rapporter chaque donnée aux circonstances dans lesquelles nous l'avons recueillie.

Le fait de pondérer ces données en fonction des contextes dont elles sont issues nous permet une interprétation plus juste, tout en nous autorisant à comparer les différents cas de figures qu'elles constituent. Ces derniers sont traduits dans les termes de notre problématique, par l'intermédiaire de concepts agissant comme des opérateurs symboliques.

Introduction.

Les positions ontologiques et épistémologiques sont relativement déterminantes pour le reste de la recherche, mais elles n'épuisent pas, pour autant, la réflexion concernant les rapports entre la réalité et la connaissance scientifique. En effet, si les méthodes, utilisées pour recueillir les données, et les "techniques" d'interprétation, mises en oeuvre pour établir les "faits", relèvent d'un niveau a priori plus pratique, elles ne peuvent, cependant, pas faire l'économie d'une réflexion concernant la qualité des liens qu'elles établissent entre l'abstraction théorique et le réel. Ces méthodes et ces techniques ont pour fonction d'opérationaliser et de mettre en pratique les énoncés relativement généraux que nous avons jusque-là développés..

Certains chercheurs estiment qu'en mobilisant des méthodes dites "qualitatives", (par exemple, en recourant à des entretiens semi-directifs), ils s'orientent nécessairement dans les mêmes courants de recherche. Là encore, cette convergence au niveau des outils peut être trompeuse. Les méthodes dites "qualitatives" regroupent en effet un ensemble d'alternatives relevant de paradigmes fort différents. Le sens et la pertinence des outils ne sont pas donnés mais se développent en interaction avec les autres choix qui composent le projet de recherche.

Les méthodes de recueil des données et l'interprétation constituent deux vecteurs qui, peu à peu, façonnent le modèle d'analyse. On peut, tout d'abord, les envisager comme allant dans le même sens : les méthodes recueillent des données qui seront, dans un second temps, interprétées. Elles saisissent des fragments de la réalité questionnée, mais c'est l'interprétation qui les met, effectivement, en lien avec les concepts de la recherche.

Cette séquence vaut, dans une certaine mesure, pour la démarche hypothético-déductive mais elle ne rend pas compte du processus "véritablement" suivi dans le cadre de l'approche empirico-formelle que nous avons adoptée. Dans cette optique, il est, en effet, plus difficile d'établir l'antériorité de l'un ou l'autre des vecteurs cités : l'interprétation confronte les données recueillies à une problématique et des concepts sans cesse réactualisés par ces dernières. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que le modèle soit saturé, autrement dit, jusqu'à ce que les nouvelles données s'y intègrent sans qu'il soit nécessaire de le modifier. Ce modèle doit, à terme, être en mesure de rendre compte de l'ensemble des faits interprétés sur la base de des données rassemblées tout au long de la recherche.

La partie suivante décrit d'abord la démarche de recherche dans sa globalité : le processus effectivement suivi pour construire le modèle exposé dans les chapitres suivants. Nous faisons valoir le caractère émergent de ce travail et la "technique" du "bricolage" telle que nous nous la sommes réappropriée.

Nous revenons ensuite, plus en détail, sur les deux séquences qui composent le processus empirico-formel suivi pour établir les faits mis en relation par le modèle : nous commençons par décrire les méthodes employées pour recueillir les données, puis nous exposons nos modes d'interprétation.

1. Une démarche empirico-formelle.

Compte tenu des pratiques établies au sein des Sciences Humaines et Sociales, nous avons jugé souhaitable de rappeler, dès à présent, le caractère conventionnel de l'association de la démarche hypothético-déductive avec le paradigme positiviste et des méthodes quantitatives. De même la mise en relation de l'approche empirico-formelle avec le paradigme constructiviste et des méthodes qualitatives ne relève pas de la nécessité mais de l'habitude. Nous tenons ainsi à faire la part des choses entre les champs d'opportunités et de contraintes respectivement ouverts par les options paradigmatiques, les choix méthodologiques et par la chronologie de recherche adoptée.

Le caractère structurant du paradigme.

"Les questions de méthodes sont secondaires aux questions de paradigmes, que nous définissons comme le système de croyances de base ou une façon de voir le monde qui guide l'investigateur, non seulement au niveau du choix des méthodes mais aussi aux niveaux fondamentaux de l'ontologie et de l'épistémologie."

Guba et Lincoln, (1994)

 

Nous considérons, l'instar de Guba et Lincoln (1994) le caractère structurant des choix paradigmatiques, ils définissent un champ d'opportunités et de contraintes dans le cadre duquel la problématique spécifie un projet de recherche précis. Partant de là, la procédure de recherche et les méthodes de recueil et de traitement des données constituent des voies possibles pour le mener à bien.

Nous aurions fort bien pu aborder ce même terrain et cette même problématique suivant une approche hypothético-déductive ou des méthodes quantitatives. Nous avons, d'ailleurs, souvent regretté le manque de statistiques et de connaissances validées sur le volontariat.

Le choix d'une démarche empirico-formelle répond à un projet de recherche visant à produire des connaissances relativement fouillées concernant les organisations étudiées et certaines des expériences dont elles sont le théâtre. Cette démarche nous permet, par ailleurs, de compenser des hypothèses qui, compte tenu du peu de connaissances existant à ce sujet, se fondent, pour la plupart, sur des connaissances premières, elle nous donne accès à certaines données sans que nous ayons nécessairement à les anticiper. Son association avec des méthodes qualitatives est, quant à elle, liée à une approche compréhensive des phénomènes relatifs au concept d'implication.

Nous explicitons, à présent, de façon plus approfondie, le processus emprico-formel mis en oeuvre, avec pour enjeu de donner un aperçu du travail effectué en amont des résultats présentés dans le cadre cet exposé.

1.1. La notion de "bricolage".

Compte tenu du caractère empirico-formel de notre démarche, le principe retenu pour construire le modèle théorique est le "bricolage". Ce terme signifie que le modèle ne résulte pas d'une suite d'étapes bien établie, mais qu'il émerge d'une suite d' "essais-erreurs". La chronologie suivie se caractérise par des formes de réversibilités mises en oeuvre dans le cadre d'un processus d'allers-retours mettant en interaction les données de terrain et les théories. A force de "bricoler" et de "rebricoler" le modèle, en fonction des données recueillies et des différentes théories essayées, nous avons fini par saturer notre modèle : il est ainsi, a priori, capable de rendre compte de l'ensemble des faits possibles à l'intérieur du type de situation étudiée.

Le bricolage est un terme légèrement provocateur. Il s'oppose au champ sémantique des "sciences dures", marquant ainsi une certaine spécificité des démarches qualitatives. Il fait valoir le fait que la démarche empirico-formelle fondée sur un paradigme constructiviste ne relève pas des mêmes cadres de références que la recherche hypothético-déductive empruntant des voies plus positivistes.

Ce terme signifie surtout une démarche pragmatique : il s'agit de construire un modèle capable de fonctionner. Il insiste sur l'intérêt de rester ouvert au réel et de savoir adapter ses théories. Il met en avant la dimension empirique du travail : le fait que le modèle ne résulte pas seulement de logiques rationnelles, définies a priori, mais privilégie aussi des formes d'improvisation favorisant l'ancrage dans les données recueillies.

De la "grounded theory" à un équilibre entre induction et déduction.

L'une des démarches les plus populaires dans le cadre de l'univers qualitatif est la "grounded theory" de Glaser et Strauss (1967). Celle-ci se donne pour principe de faire émerger les concepts et les théories sur la base des données brutes. La technique consiste à lire rapidement les milliers de pages retranscrites et à relever, à la fois, toutes les régularités et tous les phénomènes curieux. C'est un "processus émergent" qui consiste à définir, peu à peu, des concepts et à formaliser leurs relations dans le cadre d'un modèle. Ces derniers sont réactualisés tant que de nouveaux cas s'en écartent. Le processus s'achève lorsque que les concepts et le modèle sont saturés, autrement dit, lorsqu'ils sont capables de répondre de l'ensemble des cas possibles.Nous intégrons cette approche tout en considérant un minimum de déductions.

Comme le soulignent Miles et Huberman (1991, 1994), le choix d'un sujet et la sélection d'un terrain constituent d'ores et déjà une réduction des données et donc un travail d'interprétation a priori, qui ne peut être directement fondé sur des données empiriques. Nous retenons du travail de Glaser et Strauss l'importance d'ancrer le modèle théorique dans les données de terrain. Au delà, nous considérons, dans le cadre de notre travail, une déduction plus ou moins égale à l'induction.

Nous concevons le modèle théorique comme le résultat d'un processus mettant en interaction la problématique, les concepts, les positions paradigmatiques et les données de terrain.

La problématique correspond aux problèmes et aux questions que nous nous posons par rapport à la réalité étudiée. Elle constitue une réduction importante des données ; elle interprète et répartit les données en deux catégories : les données ayant un rapport avec la question et les données hors sujet.

Nous avons élargi la question autour de laquelle se construisent les entretiens non seulement pour limiter "l'effet de halo" mais aussi pour dépasser nos préjugés concernant les données susceptibles d'avoir un rapport avec la problématique. Bien que plus déductif que la "grounded theory", nous accordons une grande valeur à l'induction. La problématique peut ainsi être élargie, réduite ou modifiée en fonction des contraintes et des opportunités des données recueillies.

Les concepts constituent une opérationalisation du problème. Il s'agit de définitions approfondies des catégories de phénomènes qu'elle implique. Ils structurent le questionnement en faisant le lien entre la problématique et l'analyse des données.

Les concepts s'ajustent, plus directement encore que la problématique, aux données de terrain. Leur pertinence dépend non seulement de leur capacité à formaliser la problématique mais également de la mesure dans laquelle ils parviennent à contenir l'échantillon. C'est surtout au niveau des valeurs prises par le concept générique qu'intervient l'induction. Suivant une logique comparable aux histogrammes mathématiques, l'un des enjeux consiste à former des sous populations qui ne soient pas trop disproportionnées. Le choix de "la largeur des classes" se fait en interaction entre leur pertinence analytique et la répartition de la population. Nous avons, par exemple, décidé après coup de fusionner l'implication normative et l'implication affective dans la mesure où les données recueillies ne permettaient pas de les distinguer de façon satisfaisante.

Nous admettons des principes de réversibilité et d'ajustement, mais nous considérons l'utilité, pour ne pas dire la nécessité, pour pouvoir aborder le terrain, d'une problématique et de concepts à peu près définis. C'est, selon nous, le seul moyen de ne pas être totalement submergé par la multitude et la diversité des situations. Nous intégrons, ce faisant, une vision relativement nuancée de l'approche empirico-formelle, nous l'associons au fait de mettre en interaction les orientations de départ avec les données de terrain.

Concernant cette recherche, nous sommes partis, la première fois, dans l'idée de tester les connaissances ordinaires existant à propos des associations et c'est, finalement, sur la base de leur réfutation que s'est mise en marche l'induction. Ces orientations de départ n'étaient en fait qu'une façon de démarrer : elles n'ont pas valeur d'hypothèse, juste une utilité heuristique.

La mise en relation de variables dans le cadre du modèle suit une logique du même ordre : ces relations sont à la fois induites par les données et déduites de certaines théories ; l'enjeu étant d'obtenir un modèle à la fois cohérent et capable d'intégrer l'ensemble des valeurs recueillies. Notre "bricolage" mêle ainsi des proportions relativement équilibrées d'induction et de déduction.

 

Le "bricolage" est décrit, par le professeur Vankatesh, comme un "on going process", c'est-à-dire un processus se réalisant de façon continue, tout au long de la recherche. Cette expression met en avant une sorte de réversibilité permettant d'adapter les principes théoriques, les concepts, la problématique et éventuellement les paradigmes aux réalités mises à jour.

Le modèle théorique, ainsi produit, s'avère non seulement capable de rendre compte de l'ensemble des faits relevés, mais il est, par ailleurs, parfaitement adapté aux spécificités des phénomènes étudiés, compte tenu des enjeux de gestion pris en charge. Alors que, dans le cadre d'une réalité encore peu connue des scientifiques, telle que les associations humanitaires, une démarche hypothético-déductive risquerait de vérifier une hypothèse portant sur des aspects "relativement" anecdotiques de la situation, l'approche empirico-formelle garantit la prise en charge de ses aspects les plus pertinents, compte tenu des attentes exprimées par les partenaires professionnels.

Nous soulignons là l'un des principaux avantages de cette démarche empirico-formelle : elle n'est pas généralisable comme peut l'être la démarche hypothético-déductive mais elle est suffisamment flexible pour évoluer et intégrer les aspects inattendus et ceux qui se révèlent, en définitive, les plus intéressants, du point de vue de la gestion. Tous les aspects du projet de recherche restent ainsi plus ou moins réversibles, y compris la problématique.

Cette possibilité d'improviser s'appuie sur une faible structuration de la démarche dans sa dimension technique. Les libertés prises à ce niveau restent, cependant, parfaitement cadrées par les énoncés ontologiques et épistémologiques. Le recueil des données et l'activité interprétative ne sont peut être pas complètement déterminés mais ils sont conceptualisés.

L'objectif du modèle est de donner une unité à des cas relativement hétérogènes. Il ne s'agit pas, dans cette perspective, d'un résumé, mais d'une production de sens. Ce modèle permet de regrouper une population autour d'un nombre de cas de figures limités et, ce faisant, de trouver une logique commune permettant de mieux caractériser et de saisir ses comportements.

Le "bricolage" ne suit pas des procédures parfaitement déterminées, mais se réfère plutôt à des principes, des orientations et des dynamiques. Parmi ceux-ci, l'un des plus importants consiste à recouper et à confronter les données. La démarche consiste à comparer les cas et à mettre en perspective des corpus issus de différentes sources

Un modèle issu de la comparaison.

"L'étude comparative des organisations est un champ très négligé. Son développement nécessite des théories des organisations à moyenne portée se situant entre un haut niveau d'abstraction, des caractéristiques des organisations en général et des observations détaillées de cas isolés."

(Etzioni, 1961)

 

Le cadre d'analyse que constitue notre modèle permet d'ordonner la réalité. En l'absence de connaissances préalables susceptibles de servir de repère, la situation de notre échantillon par rapport à ce modèle ne peut être relativisée et évaluée. La solution à ce problème réside dans l'analyse comparative, celle-ci visant à situer les situations les unes par rapport aux autres.

L'objectif est de relativiser les comportements des variables dans un cas donné par rapport à leurs comportements dans les autres cas composant l'échantillon. Nous pouvons ainsi situer un individu donné par rapport à l'ensemble de la population ou à celle de l'association dont il est issu ;. nous pouvons aussi comparer nos trois associations entre elles.

La taille de notre échantillon ne nous permet pas d'effectuer de statistiques précises mais nous pouvons, néanmoins, relever certaines tendances. Nous avons ainsi pu noter que les volontaires MSF développaient, plus que les deux autres populations, des formes d'implications exclusives dans l'organisation. D'un autre côté, leur avancement, dans le cadre du processus implicationnel, se révèle relativement inégal : une part importante d'entre eux ne parvient pas à dépasser les phases de projection et de confusion. Nous avons ainsi pu chercher à repérer, en plus des variables individuelles, certaines variables organisationnelles.

L'objectif de notre modèle est de proposer une logique cohérente permettant d'intégrer à l'intérieur d'un même cadre d'analyse la diversité des configurations possibles. Nous considérons ainsi les variables sur lesquelles les volontaires se retrouvent, mais aussi celles sur lesquelles ils divergent. Ce modèle ne se limite par ailleurs, pas aux tendances dominantes, il vise à expliquer l'intégralité des cas de figures rencontrés.

Le type-idéal

"Schéma opératoire permettant de comprendre et de donner un sens à la réalité. Modèle abstrait construit à partir de traits caractéristiques et singuliers : il ne s'agit ni de décrire ni de constituer un profil moyen, mais de trouver une structure logique, en ordonnant et en enchaînant des phénomènes isolés et diffus pour former un tableau de pensée homogène (...) Il importe donc de ne pas les interpréter de manière réaliste. " Pour Max Weber, ils sont purement heuristiques."

Max, Werber, type idéal

in Ferréol, "Dictionnaire de sociologie", 1991

 

Entre les cas se regroupant autour de certaines tendances et les cas particuliers, nous aboutissons à un certain nombre de configurations que nous restituons sous la forme de types idéaux.

Le type-idéal constitue à la fois, un mode d'interprétation, une façon d'analyser et une manière de présenter les résultats obtenus. Il répond particulièrement bien aux problèmes posés par la démarche qualitative : il permet de dépasser les diversités et l'unicité de chaque cas sans avoir à recourrir à des logiques de moyennes. A l'instar des différents aspects de notre recherche, il est producteur de sens.

La dynamique comparative sur laquelle se fonde notre démarche ne se limite pas à la mise en perspective de différents cas ; elle est, en quelque sorte, systématisée dans le cadre de triangulations touchant à différents aspects de notre travail.

Les limites des méthodes qualitatives, en termes de validité externe, se réfèrent à la loi des grands nombres, c'est là une réalité "objective" que nous admettons sans difficultés.

On leur associe, par ailleurs, d'autres limites, au caractère plus incertain. Certains leur reprochent une validité scientifique fragile, fondant cette objection sur la subjectivité des données recueillies. Cette subjectivité se retrouve à tous les niveaux, ou presque, de la recherche : au niveau de la nature des données, de la façon dont elles sont recueillies et de leur interprétation.

Face à ce type de remarques, Denzin (1994) préconise la mise en oeuvre de différentes formes de triangulation, avec pour objectif de réduire au maximum la subjectivité de leur travail. Cette triangulation consiste, simplement décrite, à multiplier les approches du réel et à les recouper de façon à les relativiser les unes par rapport aux autres. Le travail, ainsi défini, correspond à une sorte d'investigation dans le cadre de laquelle on tente de mettre à jour des faits.

L'épistémologie retenue dans le cadre de cette recherche intégre cette subjectivité comme un élément inhérent et nécessaire à toute connaissance, même scientifique. Les cadres de références construits à cette occasion définissent des critères de validités scientifiques adaptés à cette caractéristique. Partant de là, le seul problème que nous pose cette subjectivité réside dans le caractère partiel des perceptions que nous développons dans ce cadre.

Dans cette perspective, le principe de triangulation auquel nous nous référons, nous aussi, ne vise pas à faire disparaître la subjectivité de la recherche, mais à multiplier les sources de données afin d'accéder à la situation à travers le plus grand nombre d'aspects possibles.

Ainsi, seuls les éléments de triangulation mis en oeuvre au niveau de l'interprétation des entretiens et ceux concernant l'évaluation des résultats contribuent à réduire la partialité des sens produits.

Les triangulations visant à réduire la partialité des interprétations.

La triangulation des chercheurs interprétant les entretiens. Le fait de confier un certain nombre d'entretiens à un partenaire permet d'évaluer le degré de vraisemblance des interprétations. Il s'agit de voir si sa compréhension d'un texte donné converge avec la nôtre. Nous avons mis en oeuvre ce type de triangulation à l'occasion d'un article rédigé en collaboration avec M. Glady (socio-linguiste), dont l'objectif était de confronter l'interprétation traditionnelle avec l'analyse socio-linguistique du discours ;

La triangulation des acteurs auxquels est restitué le modèle. La restitution aux acteurs du terrain participe activement à la validation de la vraisemblance du modèle, il s'agit de voir dans quelle mesure ils y retrouvent leur propre expérience de la situation. Nous l'avons ainsi soumis à un certain nombre de volontaires ainsi qu'à des responsables de l'encadrement ;

La triangulation des instances évaluatrices. Le fait de soumettre, à plusieurs instances, l'évaluation des résultats permet de relativiser les enjeux que ceux-ci projettent sur la situation et/ou les connaissances produites. Cette démarche s'inscrit dans une approche multidimensionnelle de la "performance" de notre travail.

 

Concernant la partie méthodologique de ce travail, la triangulation ne vise pas à accroître l'objectivité et, ce faisant, la validité des données recueillies, mais constitue un moyen de multiplier les approches de la situation et d'intégrer ses diverses composantes. Elle contribue à la prise en considération et à la mise en relation des différents niveaux des réalités étudiées. Dans cette perspective, la confrontation des données d'entretiens et des données d'observations n'a pas pour objectif de réfuter les idées fausses que pourraient avoir nos interlocuteurs mais vise à mieux comprendre la façon dont l'individu intègre la situation : comment il la réduit, la structure et la rend signifiante.

Les formes de triangulation mises en oeuvre dans le cadre du dispositif méthodologique sont multiples :

- triangulation des entretiens et des observations ;

- triangulation des modes d'insertion sur le terrain ;

- triangulation des terrains (analyse comparative) ;

- triangulation des acteurs pris en considération ;

- triangulation des relations établies avec les acteurs ;

- triangulation des intervenants mobilisés dans le recueil des données ;

La triangulation des entretiens et des observations.

La triangulation entre données d'entretiens et données d'observations est une option qui nous est directement dictée par la nature de notre démarche. Nous cherchons à mettre en lien les caractéristiques objectives des situations, avec le sens que leur donnent les volontaires, afin de comprendre comment ces derniers s'y positionnent : comment ils se définissent par rapport à elles.

Partant de là, il nous est nécessaire de développer des dispositifs méthodologiques appropriés aux types de données impliqués par chacun de ces deux niveaux de réalités. Les données d'entretiens nous permettent d'accéder aux représentations des volontaires ; les situations pratiques et sociales sont, quant à elles, appréhendées dans le cadre d'observations directes.

La triangulation des acteurs pris en considération.

La triangulation des acteurs pris en considération est, elle-aussi, une conséquence directe de la problématique : la situation n'est pas exclusivement substantielle, elle est aussi humaine et sociale. La compréhension de la relation que le volontaire établit avec la situation n'est possible qu'à condition d'intégrer le point de vue des acteurs auxquels il est confronté et se réfère. Il s'agit, tout d'abord :

- par recoupement, d'établir les éléments de consensus sur lesquels s'accordent les acteurs ;

- sur la base des écarts entre les représentations, de mieux cerner la subjectivité du volontaire ;

Cette triangulation contribue, par ailleurs, à l'évaluation des contributions en termes de performance. Comme le soulignent Bournois (1993) et Igalens (1994), le chercheur en Sciences de Gestion ne peut se limiter aux points de vue affichés par la direction ou le Service Ressources Humaines. La "valeur ajoutée" de ce travail se situe, entre autres, au niveau de l'exploration de certaines potentialités : de certaines voies possibles pour l'association.

La triangulation des terrains.

La triangulation des terrains permet d'enrichir le corpus de données en multipliant les cas de figures possibles. Par exemple, le fait d'avoir ajouté à notre échantillon Médecins Sans Frontières nous a permis d'intégrer des cas d'implication inconditionnelle et exclusive dans l'organisation qui n'apparaissaient pas de façon aussi évidente dans le cadre des deux autres organisations. Mais l'apport le plus important de ce type de triangulation concerne l'interprétation : l'analyse comparative constitue, compte tenu de l'absence de repères scientifiques, la base de cette activité .

La triangulation des modes d'insertion sur le terrain.

La triangulation des modes d'insertion du chercheur sur son terrain répond à deux enjeux distincts :

- le premier enjeu correspond à ce qu'on a coutume d'appeler "l'opportunisme méthodologique". Nous nous positionnons par rapport à la situation, en fonction des contraintes et des opportunités qu'elle offre. L'observation directe n'est pas toujours possible et nous avons dû, par exemple, lors de la préparation au départ de l'AFVP, recourir à l'observation participante. Ce mode d'insertion nous a permis d'accéder au terrain en intégrant les exigences des animateurs ; ceux-ci craignaient, en effet, que notre présence ne perturbe le déroulement de l'exercice ;

- le second enjeu était d'obtenir des données variées. En fonction de l'identité que nous adoptions, les données obtenues étaient sensiblement différentes. C'est ainsi que, dans le cadre des entretiens, nous nous présentions, suivant les cas, soit comme novice, soit comme relativement introduit dans ce milieu.

La triangulation des relations établies avec les acteurs.

La triangulation des relations établies avec les acteurs fait référence au degré d'association de l'interlocuteur à notre réflexion.

Concernant les volontaires, nous ne donnions, dans la plupart des cas, qu'une vague idée de ce que nous cherchions : "Nous essayons de comprendre l'expérience vécue par les volontaires." (introduction de la recherche auprès des volontaires). Il nous est également arrivé, avec certains volontaires, d'exposer plus précisément notre problématique et nos concepts, afin de voir quels pouvaient être leur point de vue et leurs analyses en ces termes.

La relation avec les Responsables Ressources Humaines des trois associations étudiées s'inscrit, quant à elle, dans une forme de recherche-action les associant à la production de connaissances. Nous nous référons à leurs enjeux pour questionner la situation et évaluer les différents types d'implication identifiés. La relation est une relation d'échange mettant en interaction leurs points de vue et nos modèles. Nous décrivons ce dispositif de recherche-action au tout début de la troisième partie, c'est en effet, à cette étape de la réflexion, que nous évaluons les types d'implication, en fonction des enjeux des RRH, en termes de performance.

La triangulation des intervenants participant au recueil des données.

La triangulation des intervenants (Adler & Adler, 1994, Denzin, 1994) constitue l'un des moyens les plus efficaces que nous ayons trouvé pour enrichir notre corpus de données. Cette triangulation s'appuie sur la prise en charge de rôles distincts :

          . - le premier intervenant occupe un rôle relativement classique de chercheur. Nous avons pris le parti de nous impliquer dans notre relation avec les volontaires, attendant en retour un certain degré de réciprocité.

          . - l'autre intervenant n'est pas directement impliqué au niveau académique. Présenté comme extérieur à la recherche, sa relation avec le volontaire est généralement assez différente de celle établie par le chercheur.

Cette triangulation constitue une opportunité à de multiples points de vue :

          1. Généralement le discours adressé au chercheur est plus sérieux, le volontaire fait un effort d'introspection et cherche à complexifier sa pensée. Avec l'autre interlocuteur, il se détend, il est moins conscient (self-conscious) de ce qu'il dit. Ce dispositif donne ainsi accès à des éléments de discours différents

          2. Il permet, ce faisant, de mesurer l'influence de la relation sur le discours et de relativiser les contenus recueillis. Les écarts entre les discours recueillis par le chercheur et ceux adressés à sa collaboratrice permettent de mesurer la façon dont le contexte de recherche influence les contenus.

          3. Ce dispositif contribue à une observation efficace : plus de choses peuvent être observées mais aussi et surtout, des choses différentes. Il réduit les problèmes liés à la sélectivité du chercheur.

          4. Une vertu de ce dispositif est qu'il permet au chercheur de prendre du recul par rapport à ses pratiques. Par exemple, la présence de la collaboratrice dans le cadre de certains entretiens, lui permet d'observer l'interaction entre les deux personnes et de situer la façon dont il s'est positionné, l'influence qu'il peut avoir. Il peut alors, d'une part, corriger ses défauts et, d'autre part, mieux intégrer le contexte de l'entretien pour interpréter le sens du discours développé dans ce cadre.

          5. Un autre intérêt de ce dispositif réside dans la confrontation des points de vue. Ayant une expérience commune, les deux intervenants peuvent discuter, échanger sur les faits observés afin de les reconstituer. L'observation directe, dans le cadre de laquelle il n'est que rarement possible de prendre des notes, pose des problèmes au niveau de la mémoire. La reconstitution des faits par la confrontation de deux mémoires permet de décupler les contenus restitués.

          6. S'agissant de l'analyse, la confrontation des points de vue permet d'avancer plus vite et mieux qu'un chercheur travaillant seul. Les interactions introduisent des associations d'idées qui décuplent la créativité. Cette confrontation peut, par ailleurs, prendre la forme d'une critique visant à débattre de la pertinence de certaines idées.

Ce dispositif est encore peu pratiqué. Il nous semble pourtant un moyen d'accroître l'efficacité et la qualité de la recherche.

 

1.2. De la chronologie de la recherche à l'ordre de l'exposé en passant par la logique du modèle.

La dynamique de la démarche empirico-formelle est un processus qui aboutit à un modèle théorique permettant d'ordonner les données de la réalité. L'une des caractéristiques spécifiques de cette démarche est que la dynamique de la recherche ne recoupe pas la logique de l'exposé.

La démarche hypothético-déductive suit une logique identique à sa chronologie. Le temps de la conception des données est parfaitement distinct du temps de recueil, lui même antérieur à l'analyse et aux conclusions. Partant de là, l'exposé présente simultanément les deux.

Concernant la démarche empirico-formelle, l'exposé correspond à une reconstruction a posteriori des résultats de notre recherche. Il expose bien entendu le modèle auquel nous avons abouti : chapitre 6 à 10. Le chapitre 5 constitue un intermédiaire, il présente des données semi-structurées, il tente de donner un aperçu de la situation telle que nous avions pu la percevoir avant d'aboutir au modèle, mais il est cependant structuré de façon à mettre en évidence l'intérêt du modèle, il pose des questions auxquelles nous répondons.

Les trois premiers chapitres de cet exposé présentent quant à eux, les cadres, les fondements, les prémisses de ce modèle. Ces prémisses ont une antériorité logique sur le modèle mais ne l'ont, cependant pas précédé au niveau chronologique. Il s'agit, là aussi, d'une reconstruction présentant des résultats ayant eux-aussi émergé du processus de recherche.

Cette partie tente de rendre compte de la dynamique de la recherche, de la façon dont nous avons procédé pour aboutir aux résultats finalement exposés. Les allers-retours correspondent effectivement à des temps, les interactions des différents éléments recueillis, l'interprétation qui mettent en interaction les données, les cadres ontologiques et épistémologiques, les théories, les concepts et la problématique sont, en fait, simultanés. Nous composons ici entre la nature systémique du processus suivi et la linéarité du texte. Nous présentons successivement différentes séquences correspondant à des relations entre les éléments mais nous considérons leur simultanéité.

Cette dynamique décrit la logique du fonctionnement de la démarche de recherche, mais elle ne rend toujours pas compte de son historique. Cet historique correspond à l'ordre suivant lequel se sont succédés les évènements intellectuels qui ont jalonné cette thèse et qui ont peu à peu conduit à l'accumulation de matériaux théoriques et empiriques suffisante pour construire le modèle. Nous considérons comme évènement intellectuel la découverte d'un élément empirique ou théorique contribuant à la compréhension de la situation étudiée.

Nous avions toujours pensé que la connaissance et la compréhension des choses étaient instantanées ou n'étaient pas. L'expérience de la recherche nous a permis de découvrir et de ressentir un phénomène de maturation de la pensée : le développement d'une idée peut prendre un certain temps. Cette maturation peut prendre la forme d'une idée qui peu à peu se précise et s'affine ou, au contraire, d'un labyrinthe qui semble bien souvent sans issue. Face à ces impasses, la pensée stagne et s'enlise et puis, tout à coup, par une confrontation avec une idée, a priori, sans rapport ou par une mise en perspective résultant parfois d'un simple hasard, trouve une commune mesure, là où à l'instant le chercheur ne voyait qu'hétérogénéité et indétermination. La sensation d'évidence alors ressentie est évoquée par Thompson et Tuden (1959) sous le terme plus évocateur de "aha experience".

Cette sensation peut être en partie expliquée par la théorie de Watzlavick : la pensée stagne à l'intérieur d'un cadre de références celui-ci restant le plus souvent implicite. Le chercheur peut l'aborder suivant différentes perspectives, elle reste "toujours plus de la même chose". Son développement soudain correspond à un changement de cadre. C'est ainsi qu'une idée isolée peut prendre une toute autre dimension lorsque, projetée dans un cadre de références différent, elle se connecte à d'autres.

Nous définissons donc les évènements intellectuels qui jalonnent la recherche comme des changements de cadre de références.

Le recadrage.

"En termes très abstraits, en effet, recadrer signifie faire porter l'attention sur une autre existence de classe, tout aussi pertinente, d'un même objet, ou surtout introduire une nouvelle existence de classe dans le système de la personne."

Watzlavick (1975)

 

Au delà, d'une tendance générale à la progression et à l'accumulation des connaissances, nous considérons le processus de recherche comme une suite de conjonctures irrégulières liées aux constructions, aux déconstructions et aux reconstructions des cadres de références à l'intérieur desquels furent envisagées les données et les théories utilisées. Suivant une perspective plus positive, elle peut être présentée comme une suite de rebondissements provoqués par des confrontations de différentes natures :

- confrontation des données entre elles ;

- confrontation des théories entre elles ;

- confrontation d'une théorie et d'un phénomène.

Sans reprendre l'intégralité des évènements qui ont marqué cette thèse, nous illustrerons par quelques exemples, les rebondissements évoqués.

De l'absence de pouvoir formel à la dépendance : la théorie d'Emerson (1962).

Le premier exemple est celui avec lequel nous avons débuté l'introduction, la réfutation des présupposés au niveau d'une part de l'implication : il s'agissait d'admettre que les cas d'absence d'implication intrinsèque dans l'organisation n'étaient pas des accidents pour les considérer comme représentatifs. Concernant le pouvoir, l'intégration de son existence nous fut possible dans le cadre de la définition d'Emerson qui l'associe à la notion de dépendance.

Des "incidents" répétés au problème de la post-urgence et de l'assistance technique chez MSF.

Le second exemple est celui de MSF. Nous nous étions la première fois rendu sur deux de leurs missions à la fin du voyage de Juillet 95, ces données devenaient constituer la base du corpus sur lequel appuyer cette recherche suivant une logique d'affinement du modèle. Nous avions rencontré huit volontaires. Nous étions déçu car les deux missions étudiées ne fonctionnaient pas bien, l'ambiance dans l'équipe n'était pas bonne, les volontaires s'ennuyaient et se querellaient. Ces données nous semblaient d'autant plus atypiques que les descriptions que nous donnaient les volontaires expérimentés et les anciens volontaires de leurs autres missions nous semblaient très différentes de celles dont nous venions d'être témoin.

          "Au Kurdistan, on a vécu quelque chose d'un idéal de travail en équipe. On avait des journées de plus de 12 heures, on était harassé de travail. C'était assez intéressant de voir à quel point nous étions pris par quelque chose de très fort par le fait qu'on travaillait toute la journée. Toutes les différences entre nous étaient complètement estompées . Je crois me souvenir qu'il n'y a jamais eu de conflit." (volontaire)

Même si ils idéalisaient quelque peu leurs expériences passées, les situations semblaient quand même bien différentes. Insatisfait des données recueillies, nous sommes reparti en Février 1996 en Ouganda, afin d'étudier deux autres missions MSF plus deux équipes de "capitale". Nous fûmes à nouveaux déçu : à chaque fois, il y avait un problème quelque chose n'allait pas entre les gens.

Nous regrettions de ne pouvoir accéder à l'urgence, la vraie. Et c'est de façon assez soudaine que nous avons réalisé que les difficultés observées étaient peut-être tout simplement caractéristiques de la post-urgence. Elles étaient représentatives. Comme le précisait une volontaire expérimentée, dans les situations d'urgence : "Les petites différences individuelles et les tensions ont rejailli quand le travail a décru."

Partant de ce constat, les choses se sont enchaînées, nous avons compris que certaines personnes n'arrivaient pas à admettre la nature de l'intervention, que ces écarts provoquaient des tensions avec celles qui avaient compris. Nous avons rapproché le passage de l'un à l'autre de la confusion que traversent tous les volontaires, ce terme de confusion était celui de Watzlavick pour désigner la phase entre deux cadres de références. Nous avons compris également les différences entre des volontaires tenant plus ou moins le même discours, la congruence entre l'expérience vécue et l'idée que l'on s'en fait.

Des théories de Ducrot (1980) et de Dubet (1993) à la convocation et au discernement.

Le troisième exemple est celui de la convocation et du discernement. Nous sentions des différences au niveau des volontaires dans la façon de fonctionner. L'engagement signifié nous semblait plus ou moins "réel". La combinaison des deux théories nous a permis de formaliser ce sentiment. Nous travaillions alors à la réalisation d'un article avec M. Glady. Celui-ci nous initiait dans ce cadre à la socio-linguistique. Il nous parlait entre autres de Ducrot et de son concept d'interdiscursivité du discours : le locuteur convoque des discours des autres et se les approprie ou s'en distancie. Nous avons alors fait le rapprochement avec la convocation des énoncés définissant l'engagement. Cette convocation pouvait se faire dans le discours mais également dans la façon de formaliser et de poser un problème.

Nous sentions encore une différence entre ceux qui avaient des sortes d'automatismes et ceux qui semblaient réflechir davantage. La réponse nous est venue de Dubet et de "l'expérience sociale", celui-ci évoque une subjectivité émergeant de la multiplication des identités, l'individu se trouvant aux prises avec de multiples déterminations retrouve la possibilité de décider. Le rapprochement avec des engagements multiples nous est apparu évident.

 

La démarche empririco-formelle se caractérise, en tant que telle, avant tout, par le caractère émergent des connaissances théoriques produites. Les deux parties suivantes ne constituent pas les étapes de cette démarche, mais les deux principaux vecteurs du processus suivi. Nous commençons par les méthodes de recueil qui nous ont mené des théories aux données du terrain. Puis nous présentons les "techniques" qui nous ont permis de revenir des données du terrain à la théorie : l'interprétation.

2. Méthodologies : entretiens semi-directifs et observations ouvertes.

Cette recherche implique, suivant les termes définis dans le cadre de la partie "Ontologie", des représentations conscientes et des substances objectives. Plus concrètement, nous étudions les engagements signifiés par les volontaires, leurs comportements au travail et les situations autour desquelles s'organisent les projets de développement. Notre problématique, enfin, questionne, tour à tour, la place qu'occupe l'engagement dans les représentations de la situation et la façon dont il pèse sur les comportements.

L'objectif de cette recherche est de constituer un modèle capable de rendre compte des situations étudiées de façon à la fois exhaustive et conforme aux cadres d'analyse admis à l'occasion de la partie ontologique. Ce modèle se développe conjointement à la mise à jour de faits concernant les différents phénomènes impliqués. Ces faits sont établis sur la base de données recueillies par différentes méthodes. Ces dernières, quelle que soit leur diversité, ne donnent finalement accès qu'à deux types de données :

- des fragments de pensées : ceux-ci passent par des discours saisis dans le cadre d'entretiens  ;

- des fragments de situations : ceux-ci sont appréhendés dans le cadre de dispositifs d'observation. Ces observations sont, entre autres, conditionnées par l'insertion du chercheur dans la réalité sociale étudiée.

Ces deux activités peuvent être caractérisées en fonction de leur degré de préstructuration :

- soit le chercheur intègre des grilles relativement fermées, lui permettant de sélectionner des données définies en fonction de critères établis a priori ;

- soit il reste relativement ouvert, assimilant le plus possible ce qu'il voit ou entend.

Les terrains étudiés n'ayant pas encore fait l'objet de suffisamment de recherches, nous avons opté pour une approche ouverte qui caractérise traditionnellement les démarches exploratoires. Les méthodes développées dans ce cadre sont d'inspiration qualitative : elles saisissent les données de la situation de façon relativement brutes et exhaustives. La densité du corpus ainsi constitué se trouve, par ailleurs, renforcée par une multiplication des sources, assurées par la mise en oeuvre de triangulation à différents niveaux de recueil. Paradoxalement, le principal enjeu des phases méthodologiques consiste à optimiser la quantité et la diversité des matériaux recueillis.

2.1. L'échantillon.

Nous avons, dès le départ, admis le caractère relativement réduit de l'échantillon que nous pouvions construire. Partant de là, sa constitution impliquait un certain nombre d'arbitrages. Le premier d'entre eux a trait au nombre d'organisations retenues :

- nous aurions pu travailler sur une seule. En effet, étudiant l'expérience du volontaire, il eut été tout à fait concevable de se limiter aux variations existant à l'intérieur d'un contexte unique ;

- nous aurions, à l'inverse, pu intégrer un échantillon composé d'une dizaine d'organisations. La recherche en aurait alors été considérablement modifiée : l'enjeu n'aurait plus été de faire ressortir les caractéristiques de l'expérience individuelle mais la façon dont le contexte détermine cette dernière. Car, en effet, ne pouvant intégrer, pour chaque association, qu'un petit nombre de volontaires, nous n'aurions pas pu dégager la moindre tendance. Il aurait, par contre, sans doute, été possible de faire ressortir un modèle commun.

- nous avons finalement choisi de mener notre recherche sur la base de trois organisations. Un tel échantillon permettait une étude approfondie de chacune d'entre elles tout en autorisant l'analyse comparative. Ces trois associations ne peuvent, en revanche, être retenues comme représentatives, d'un point de vue statistique, ni des associations humanitaires, ni des associations en général ; elles ne constituent rien d'autre que trois cas possibles.

Les trois organisations choisies sont L'Association Française des Volontaires du Progrès (AFVP), le Service de Coopération au Développement (SCD) et Médecins Sans Frontières (MSF).

 

 

L'AFVP.

La première association que nous avons étudiée est l'AFVP, nous lui avons consacré notre mémoire de DEA. Il s'agit, sans doute, de l'association de solidarité internationale française la plus connue.

L'AFVP envoie des volontaires sur des projets qu'elle réalise elle-même. Son objet social consiste à "envoyer des volontaires pour réaliser des projets de développement". Il met en tension les enjeux technico-économiques liés à la réalisation de ces derniers et leur dimension humaine. Cette dimension humaine comprend, d'une part, l'expérience des volontaires en termes de rencontre interculturelle et, d'autre part, les changements culturels et sociaux introduits dans les sociétés Africaines par l'intermédiaire des projets.

Le choix de cette association est, au départ, lié à une opportunité : nous connaissions des volontaires partis avec elle et nous nous étions rendu sur leur projet, au Bénin en Août 1993. C'est à la suite de cette visite que nous sommes entrés en relation avec J. P. Gaignard : le responsable des RH.

Le SCD.

Le choix du SCD s'inscrivait, quant à lui, dans une volonté d'aborder une organisation relativement semblable. Le principal critère en dehors de l'étiquette "solidarité internationale" était la taille de l'organisation. L'AFVP est, en fait, compte tenu du nombre de volontaires qu'elle envoie, la deuxième organisation de ce type ; la première étant la Délégation Catholique pour la Coopération. Cette dernière se caractérise par le fort engagement religieux qu'elle exige de la part de ses volontaires. La variable religieuse, à ce point mené, nous a paru trop difficile à gérer : elle nous semblait pouvoir modifier l'expérience sans que nous soyons véritablement en mesure de la saisir.

Le SCD est la troisième organisation en termes d'envoi de volontaires. Elle se présente, elle-aussi, comme un organisme chrétien mais, dans les faits, sa philosophie se caractérise par une ouverture d'esprit et par une volonté d'intervenir dans le respect des cultures locales dans laquelle se retrouvent des individus aux profils idéologiques et spirituels relativement différents. La religion n'est en aucune mesure imposée, elle constitue, simplement, une dimension à laquelle peuvent accéder les volontaires.

Avec le recul, le SCD nous apparaît comme un cas particulièrement précieux. N'étant pas opérateur, c'est-à-dire ne réalisant pas, lui-même, les projets de développement mais envoyant ses volontaires sur les projets de partenaires locaux, son travail se concentre sur la préparation des volontaires au départ. Sa démarche se révèle en phase avec les orientations développées dans le cadre de cette recherche : comprendre et accompagner l'expérience vécue par le volontaire. L'importance accordée au vécu et au sens de ce dernier n'est pas très éloignée de nos préoccupations en termes de gestion de l'implication.

Emancipé des problèmes techniques liés à la réalisation des projets, le SCD propose des réponses pour le moins intéressantes aux ambiguïtés et aux contradictions qui caractérisent le développement. Il se révèle, au niveau de la prise en charge de certains aspects de l'expérience, le plus avancé.

MSF.

MSF est l'association que nous avons contactée en dernier. Notre projet initial, en la sollicitant, était de comparer l'urgence et le développement. Nous voulions une organisation très différente afin de faire ressortir les similarités des deux autres.

Finalement, nous n'avons pas pu, pour des raisons de sécurité et de disponibilité des volontaires, accéder aux terrains d'"urgence". Les quatre cas que nous avons pu étudier correspondent à des interventions de post-urgence et d'assistance technique. Les situations ainsi désignées sont en fait des opérations de développement.

Son activité de développement représente en fait plus de la moitié de son activité mais l'association se définit encore et toujours comme une organisation d'urgence. C'est là que se situe l'essentiel du problème identifié dans le cadre du dispositif de recherche-action : les pratiques et la culture sont parfaitement adaptées à l'urgence mais rencontrent quelques problèmes au niveau des opérations de développement. Ces problèmes restent d'autant plus difficiles à gérer qu'ils ne sont pas encore assumés comme tels.

Suivant une logique comparable à celle des incidents critiques et conformément à l'analyse comparative, les difficultés rencontrées par les équipes de MSF face aux problématiques de développement nous ont aidé à mieux comprendre l'expérience des volontaires. MSF s'est, effectivement, révélé comme l'élément atypique de l'échantillon, mais pour des raisons différentes de celles préssenties.

 

C'est donc, finalement, un principe d' "échantillon raisonné" qui a prévalu à la sélection de ces trois associations. Nous craignions, en effet, qu'un choix fondé sur un tirage au sort, réalisé, par exemple, parmi la trentaine d'associations correspondant aux caractéristiques recherchées en termes d'activité et de taille, n'aboutisse pas à un ensemble aussi satisfaisant. Précisons que la qualité de cet échantillon ne réside pas dans la qualité intrinsèque des organisations qui le composent, mais dans ses potentialités en termes de comparaison. Le principe de la sélection "raisonnée" vaut, dans la mesure où nous ne prétendons pas à la représentativité de l'échantillon par rapport à l'ensemble de la population.

Nos relations, avec les trois associations retenues ont été, dans chacun des cas, établies avec les Responsables des Ressources Humaines :

- SCD : Nuno Fernandez qui s'occupe, entre autres, du suivi des volontaires et Mutualé Balomé, le délégué général de l'association.

- AFVP : Jean-Pierre Gaignard, Directeur des Ressources Humaines et Béatrice Trichet responsable de la formation ;

- MSF : Jean-Marc Chardon le directeur des Ressources Humaines et son équipe, composée d'une dizaine de personnes dont certaines ont, au cours de notre travail, été remplacées.

Nous avons travaillé avec ces personnes pendant près de trois ans. Nous les rencontrions à peu près tous les trois mois, à l'occasion de nos visites aux sièges des associations. A chacune de ces visites, nous rendions compte de nos résultats, ceux-ci servant ensuite de base aux entretiens et aux réunions.

Nous avons mené nos relations avec les Responsables Ressources Humaines des trois associations parallèlement. Nous ne les avons réunis qu'une fois, lorsque nos modèles ont été à peu près saturés. La réunion alors organisée avait pour objectif de valider les résultats obtenus, mais les débats ainsi initiés se sont révélés être une excellente base de données.

En dehors des échanges avec les Responsables des Ressources Humaines, nous profitions de ces visites pour collecter différents documents ainsi que pour avoir des entretiens avec les salariés des autres services. Nous avons, pour chacune des trois associations, rencontré le dirigeant et lui avons soumis nos résultats en vue de les valider.

Ces visites étaient, par ailleurs, l'occasion d'observer la vie de l'association et de nous faire une idée plus directe de la façon dont elle fonctionnait, des problèmes qu'elle se posait et de ce qu'elle valorisait. Nous avons ainsi assisté à diverses réunions.

Concernant le terrain proprement dit, nous nous sommes rendu quatre fois en Afrique, nous avons visité plus de cinquante postes de volontaires répartis dans huit pays différents. A chaque fois, les lieux étaient décidés en collaboration avec les Responsables Ressources Humaines.

Les sessions de terrains.

1. La première fois que nous sommes parti, ce fut à l'occasion d'un mémoire de licence en 1993. Nous avons passé une quinzaine de jours sur un projet de développement de la culture attelée, à Badjudé dans le nord du Bénin.

2. Nous sommes ensuite reparti, dans le cadre du DEA, pour un séjour d'une durée de trois mois. Nous travaillions alors sur une problématique un peu différente de celle développée dans le cadre de cette thèse : nos préoccupations portaient alors sur les logiques de pouvoir. Nous nous étions, pour cette étude, limité à l'AFVP. Nous avons visité trois de ses délégations : le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée Conakry.

3. Le travail réalisé dans le cadre du DEA fut bien entendu réutilisé dans le cadre de la thèse : même si la problématique adoptée n'était plus tout à fait la même, les situations étudiées restaient identiques. Reste que l'essentiel des données sur lesquelles se fonde cette thèse est tiré des deux mois de voyage effectués en 1995 entre le Sénégal et la Côte d'Ivoire via le Mali. Nous avions alors intégré les trois associations qui composent l'échantillon et défini les objectifs de la thèse dans leurs versions quasi-définitives.

4. Nous nous étions rendu, dans le cadre de ce voyage, à la frontière entre la Côte d'Ivoire et le Libéria afin de visiter deux missions MSF. Nous avions ainsi pu recueillir les propos et observer le travail d'une dizaine de volontaires. Les choses ne se passaient pas très bien au niveau de l'équipe et nous restions sur l'idée que cette mission n'était pas très représentative. C'est pourquoi nous avons décidé, l'année suivante, en 1996, de repartir une dizaine de jours en Ouganda, là encore, sur deux missions différentes. C'est après ce dernier travail de terrain que nous avons compris que les difficultés que rencontraient ces équipes n'étaient pas forcément fortuites mais pouvaient être symptomatiques de problèmes relativement profonds liés à ce type de missions telles que les aborde MSF.

 

Lieux

personnes et postes

  

Sénégal

 
Dakarle délégué régional de l'AFVP

AFVP, poste information-formation

AFVP poste animation socio-culturelle

KaolakSCD : enseignant

SCD : développement des quartiers spontanés (bidon-villes)

Tamba-KundaAFVP : projet santé
GoudiriAFVP : construction de puits

AFVP : culture maraîchère

  

Mali

 
Bamako AFVP : responsable financier

Côte d'Ivoire

 
Korogo SCD : fabrication et entretien de matériel agricole

SCD : santé

AFVP : aménagement "de terroir"

BouakéAFVP : pisciculture
GagnoaSCD : santé

SCD : développement pastoral

AFVP : pisciculture

Abidjanle délégué régional AFVP

coordinatrice MSF

TabouMSF mission de post-urgence réfugiés de guerre Libérians.

- coordinatrice ;

- infirmière ;

- laborantine ;

- logisticien.

KassiMSF mission post-urgence, réfugiés de guerre Libérians :

médecin ;

2 infirmières.

  

Ouganda

 
Campalla MSF antenne régionale :

- responsable administratif ;

- 2 logisticiens ;

OmugoMSF, mission maladie du sommeil :

- coordinatrice ;

- médecin ;

- infirmière ;

- 2 logisticiens

AdjumaniMSF, mission maladie du sommeil :

- coordinatrice ;

- logisticien ;

- laborantine.

2 volontaires AICF

1 volontaire MSF suisse.

  

Kenya

 
NaerobiMSF, antenne régionale :

- coordinatrice régionale ;

- volontaire responsable administratif.

 Pour chaque projet, nous passions de deux à trois jours chez le volontaire. Nous commencions par faire l'entretien puis nous le suivions dans son travail en échangeant de façon plus informelle. Aux rencontres avec les volontaires, il faut ajouter les entretiens menés avec les salariés locaux, les paysans, les représentants des autorités locales, les villageois et bien entendu, ceux qui bénéficiaient directement du projet.

En dehors des sièges sociaux et des projets de développement proprement dits, nous avons pu intégrer une troisième série de terrains : les préparations au départ. Ces préparations furent l'occasion de voir comment les associations préparent les futurs volontaires à ce type d'expérience ainsi qu'une opportunité de rencontrer les volontaires avant leur départ. Nous avons ainsi assisté deux fois à la préparation de l'AFVP, deux fois à celle de MSF et un fois aux deux sessions qui composent celle du SCD. Ces préparations nous ont, par ailleurs, permis de rencontrer d'anciens volontaires venus témoigner. En dehors de ces occasions, nous rencontrions ces derniers dans le cadre de rendez-vous donnés à l'extérieur des associations.

Qualiténombre d'entretiens
  
volontaires en postes :

- AFVP :

- SCD :

- MSF :

24

11

17

Anciens volontaires8
Futurs volontaires15
  
Responsables Ressources Humainesune dizaine d'entretiens avec chacun des responsables
Salariés services Ressources Humaines :

- AFVP :

- SCD :

- MSF :

7

0

12

Présidentsau moins un entretien avec le président de chacune des trois associations
salariés au siège social :

- AFVP :

- SCD :

- MSF :

8

6

7

Salariés expatriés, encadrement :11
Salariés locaux (Africains) :

- cadres :

- non cadres :

5 + informel

9 + informel

  
  
  
Populations locales :

- représentants des autorités locales :

- bénéficiaires :

- non-bénéficaires :

3

8 + informel

6 + informel

Nous abordons à présent plus en profondeur la façon dont nous avons procédé pour recueillir les données en ces différentes occasions.

2.2. L'entretien.

L'entretien, et plus précisément l'entretien semi-directif, est la méthode que nous avons retenue en vue de recueillir des "fragments de pensées" concernant la façon dont les volontaires voient la situation et vivent cette expérience.

On oppose bien souvent les méthodes qualitatives et les méthodes quantitatives. Dans cet ordre d'idée, on oppose le questionnaire à l'entretien non directif en introduisant l'entretien semi-directif comme intermédiaire. La différence n'est, selon nous, pas tant une question de nature que de degré. Elle réside dans le nombre et la taille des fragments recueillis, dans le degré de standardisation des questions posées ainsi que dans le degré de préstructuration des espaces accordés aux réponses.

Le questionnaire recueille des fragments relativement réduits dans le cadre de questions plus ou moins fermées. L'entretien non directif cherche, quant à lui, à recueillir les fragments les plus larges possibles qu'il réduit ensuite dans le cadre de l'interprétation. Il reste que, dans les deux cas, il s'agit de "fragments de pensées".

La grille d'entretien que nous utilisons tend à nous classer du côté de l'entretien semi-directif. Nous ne posons, cependant, au départ qu'une seule et unique question approximativement formulée de la façon suivante :

"Peux-tu décrire ton parcours à partir du moment où tu as décidé de partir ?"

Une fois cette question posée, nous improvisons nos questions en rebondissant sur les propos de notre interlocuteur, l'objectif étant de l'aider à expliciter et à mettre en forme et en ordre ses pensées.

La question de départ, pour le moins ouverte, a, entre autres objectifs, de limiter, autant que possible, l' "effet de halo". L' "effet de halo" correspond à la tendance du répondant à aller dans le sens de ce qu'il pense être les attentes du chercheur. Notre question de départ est, a priori, suffisamment large pour "noyer" nos préoccupations.

Le second objectif présidant à sa formulation était d'obtenir des "fragments de pensées" ouvrant à des contenus dépassant ceux qui nous préoccupaient au départ et "submergeant" nos concepts. L'espace que cette question laisse au volontaire lui permet d'exprimer librement ce qu'il a vécu et ressenti.

"Interviewing, the art of science.", Fontana & Frey, 1994

"Les techniques traditionnelles nous disent que le chercheur est impliqué dans une conversation informelle avec le répondant. Ainsi, il doit maintenir un ton amical, bavarder tout en restant proche des lignes directrices de son sujet de recherche. Le chercheur commence par briser la glace avec des questions générales et va graduellement vers des questions plus spécifiques, pendant qu'aussi, discrètement , il pose des questions destinées vérifier la véracité des propositions faites par le répondant. Le chercheur, toujours suivant les techniques traditionnelles, doit éviter de s'impliquer dans une conversation dans laquelle il répond aux questions du répondant ou fournit une opinion personnelle sur le sujet discuté. Il évite en disant que son opinion n'a pas d'importance ou en feignant l'ignorance.

Le chercheur peut refuser ces techniques traditionnelles et descendre au niveau du répondant et engager une réelle conversation avec du "donné" et du "pris" et une compréhenson empathique. Ceci rend l'entretien plus honnête, plus moral, plus fiable parce qu'elle traite le répondant comme un égal, l'autorise à exprimer des sentiments personnels et de cette façon présente une photo plus réaliste que celle présentée en utilisant les méthodes traditionnelles.L'usage du langage et de termes spécifiques est trés important pour créer le partage du sens."

Fontana & Frey, 1994

 

L'entretien est habituellement décrit comme une conversation feinte, ponctuée de reformulations visant à montrer à l'interlocuteur que le chercheur suit ce qu'il dit. L'enjeu est de ne pas l'influencer.

Nous adhérons à ce point de vue, dans la mesure où nous évitons soigneusement de montrer, à notre interlocuteur, les questions qui nous préoccupent, nous évitons ainsi de lui faire dire ce que nous avons envie d'entendre. Ce biais menace le chercheur mais il touche aussi le répondant : ce dernier peut avoir tendance à abonder dans le sens du chercheur. La question relativement large, que nous avons retenue, ne nous empêche pas de rester vigilant quant à ce que nous pouvons dire et faire par la suite. Au delà de la gestion de ce biais, la neutralité absolue du chercheur nous semble un objectif difficile à atteindre et ne nous apparaît pas forcément souhaitable.

De nombreux écrits décrivent longuement les règles à suivre pour que les données obtenues dans le cadre des entretiens puissent être considérées comme fiables. L'un des objectifs visés est de réduire l'interaction afin d'atteindre une neutralité telle qu'on puisse accéder à ce que pense vraiment le répondant. A l'instar de Fontana (1994), nous croyons que la subjectivité de la relation est inéluctable et qu'il vaut mieux l'admettre et la gérer plutôt que de chercher coûte que coûte à la réduire.

D'une façon générale, les "techniques" ne nous semblent pas pouvoir garantir, à elles seules, la qualité de l'entretien, et peuvent même, si elles sont mal utilisées, devenir préjudiciables. Un chercheur trop préoccupé par sa technique et sa neutralité peut introduire une atmosphère froide et "coincée". Le répondant peut sentir cette distance et réagir au fait que son interlocuteur ne soit pas vraiment là, "ici et maintenant", dans la relation.

Venkatesh (1995) prend le contre-pied de cette approche. Il invite, par exemple, le chercheur à accepter le café que lui propose le répondant. Cette implication dans la relation : le fait de partager quelque chose et de se détendre, contribue à la confiance et permet aux deux protagonistes de se sentir à l'aise dans la relation.

Notre conviction est que l'entretien repose avant tout sur une relation interpersonnelle. Ce qui est en jeu, c'est la capacité du chercheur à entrer en relation et surtout à écouter. Les techniques telles que la reformulation ne suffisent généralement pas pour établir la relation ; de plus, étant désormais connues du grand public, elles peuvent être confondues.

Dans un autre registre, nous croyons préférable d'improviser plutôt que de systématiquement chercher à formuler exactement les mêmes questions au même moment. L'entretien est un processus non déterminé que le chercheur gère sans pour autant chercher à contrôler. Ce qui compte, de notre point de vue, c'est une écoute véritablement sincère du chercheur, un intérêt "authentique" (Rogers, 1961) pour l'expérience de l'autre. Cette sincérité "transpire" par des comportements non verbaux qui invitent naturellement le répondant à se confier.

Cette relation demande cependant, en dépit de ces quelques remarques, le respect d'un certain nombre de conditions pratiques :

- un magnétophone, il nous semble totalement impossible de mener un entretien en prenant des notes. Celles-ci rendraient la relation impossible ;

- l'isolement et la certitude de ne pas être dérangés. La relation est quelque chose de subtil qui se construit peu à peu. Elle est aussi très fragile et peut être anéantie par le moindre dérangement. L'entretien amène souvent le chercheur et son interlocuteur à se déconnecter de la situation présente pour s'investir complètement dans les idées échangées. Nous avons, à plusieurs reprises, fait l'expérience de relations gâchées par une visite imprévue.

Au matériel nécessaire, nous ajoutons un bloc-notes. Celui-ci sert à noter les idées sur lesquelles il serait intéressant de revenir en vue de les soumettre au répondant, un fois son propos achevé. Ce bloc-notes permet également de retenir un certain nombre d'éléments relatifs à la situation d'entretien, au contexte matériel et subjectif dans lequel et par rapport auquel le répondant s'exprime.

Girin (1986), à l'instar de Fontana (1994), réfute l'idée selon laquelle si on interagit avec la réalité, les données recueillies deviennent obligatoirement inexploitables.

L'interaction sociale est inévitable, c'est une contrainte et une opportunité qui doivent être gérées.

En dépit de ses efforts de neutralité, le chercheur ne peut raisonnablement pas espérer être perçu comme asexué, sans âge et asocial. A ces données objectives, s'ajoute la façon dont le répondant les interprète. Girin rapproche les projections du répondant sur le chercheur : le type de personnes auquel il l'identifie, du phénomène de "transfert" observé dans le cadre des psychanalyses.

Partant de là, une qualité essentielle du chercheur impliqué dans l'entretien est sa capacité à "sentir" la relation : à comprendre le type de lien établi, la catégorie dans laquelle le situe son interlocuteur et le registre sur lequel il place la rencontre. Il s'agit, autrement dit de cerner le contexte tel qu'il est défini par le répondant, celui dans lequel il inscrit son discours. Le recueil de telles données nous semble nécessaire pour que, par la suite, le chercheur soit en mesure de véritablement comprendre et interpréter le sens du discours qui lui a été adressé.

Au delà de ces projections, nous croyons qu'il est possible d'interagir avec le répondant. Le chercheur peut, par exemple, émettre une opinion, formuler une question tendancieuse ; la réponse de l'interlocuteur devra alors être interprétée en tant que réaction face au stimulus introduit.

Concernant la gestion du "transfert", il nous est apparu qu'une certaine proximité sociale avec le répondant pouvait, dans certains cas, contribuer à l'acceptation du chercheur et favoriser l'échange. Face à une personne d'un âge à peu près identique, habillée suivant des normes sociales relativement proches, les répondants sont, d'une certaine façon plus enclins à partager leurs expériences. Dans cette perspective, un minimum d'expériences communes leur garantit que le chercheur est en mesure de comprendre certaines choses, autrement que de façon strictement intellectuelle. Autrement dit, certains aspects de l'expérience débattue peuvent être tenus pour acquis et il devient possible, sur cette base, d'aller plus loin.

Le langage verbal et non verbal fait partie de ces codes qu'il est absolument nécessaire de posséder pour échanger avec le répondant. Il s'agit d'une forme de synchronisme généralisé qui permet au répondant de sentir qu'il y a compréhension et relation à un niveau assez poussé.

Paradoxalement, nous trouvons, par ailleurs, souhaitable, voire nécessaire, de maintenir l'anonymat du chercheur. Le chercheur peut, à travers la gestion d'un certain nombre de codes sociaux, apparaître, aux yeux du répondant, comme quelqu'un d'a priori, proche de son univers, mais il ne doit être encore, au moment où démarre l'entretien, qu'un parfait inconnu.

Nous avons fait l'apprentissage de cette nécessité à l'occasion de nos premières expériences de terrain : lorsque après un ou deux jours, une relation est établie, le répondant se sent obligé de se conformer au rôle implicitement défini dans ce cadre. Alors que si la relation est vierge, il peut réagir de façon plus congruente à ce qui se passe dans l'entretien ; il peut décrire son expérience sans chercher à se conformer à une image de lui qu'il aurait donnée avant. De cette façon, le répondant a, en face de lui, quelqu'un qui l'écoute, le comprend mais il ne sait pas précisément qui il est. Le chercheur est, paradoxalement, à la fois familier et inconnu.

Le fait d'effectuer l'entretien le plus rapidement possible après la rencontre facilite, par ailleurs, la spontanéité. Les énoncés doivent être prononcés pour la première fois, à défaut de quoi, le répondant a rapidement le sentiment de se prêter à un exercice artificiel. C'est pour ces deux raisons que nous avons pris l'habitude de faire l'entretien le plus tôt possible, tout en gardant ouverte la possibilité d'y revenir.

Cette approche de l'entretien nous affilie aux travaux de Girin. Elle intègre la dimension sociale de l'échange. Girin insiste sur la nécessité de prendre en considération le contexte social dans la mesure où l'individu tend à répondre en fonction de son rôle, en interaction avec celui attribué à l'interlocuteur. Ce contexte délimite le champ d'opportunités à l'intérieur duquel il s'exprime. Cependant, n'existant pas entre eux au moment où démarre l'entretien, de relations interpersonnelles, l'individu peut librement se situer à l'intérieur de ce champ, il peut se réapproprier de façon personnelle, son rôle social.

Partant de là, nous intégrons comme l'un des principaux enjeux de l'entretien la réduction de l'interaction symbolique au profit de l'expression d'une pensée personnelle. Nous garantissons, pour ce faire, à notre interlocuteur, deux conditions :

- que nous sommes, un tant soit peu capable de le comprendre et, en tout cas, disposé à le faire ;

- que, dans le cadre de cet entretien, il ne se joue, pour lui, aucun enjeu pratique ou social. Plus précisément, nous lui faisons valoir que le seul enjeu de l'échange est d'expliciter et de comprendre son expérience.

Dans cette perspective, l'entretien apparaît comme une activité que les deux prennent en charge conjointement dans le cadre de rôles complémentaires. C'est sans doute pourquoi certains chercheurs préfèrent se placer à côté plutôt que face au répondant.

L'entretien : un lieu d'expression pivilégié.

"J'ai quelques images du Kurdistan. .... c'est des choses que je n'ai jamais dites ailleurs. C'est un moment où je me suis toute donnée dans mon travail. " (volontaire)

 

L'entretien est un outil plus dangereux qu'on ne le croit ; il est parfois, effectivement, très loin d'être neutre. La démarche mise en oeuvre est, en effet, très proche de celle développée dans le cadre des psychothérapies "rogeriennes" : elle amène l'individu à formaliser sa pensée, à structurer son expérience et à produire du sens là où il n'y avait auparavant que de vagues charges affectives, normatives et cognitives. L'entretien peut ainsi amener des "prises de conscience". Celles-ci peuvent être bénéfiques : elles peuvent aider le répondant à prendre du recul par rapport à son expérience et à mieux l'intégrer ; ce cas se produit le plus souvent lorsque le répondant sort d'une phase de confusion. Mais le chercheur doit également être conscient des effets déstabilisateurs que peut avoir la prise de conscience : elle peut amener le répondant à questionner certaines idées sur lesquelles il croyait pouvoir définitivement s'appuyer ; elle peut, ce faisant, le plonger dans la confusion.

La première conséquence de ces effets est que les données recueillies ne reflètent pas complètement l'état de l'individu au début de l'entretien. Elles correspondent à une formalisation plus poussée de l'expérience jusque là vécue.

La seconde implique la responsabilité du chercheur. Celui-ci doit être vigilant et s'assurer que l'entretien ne dérive pas vers des lieux où existe une trop grande fragilité du répondant. La relation qui se développe, peu à peu, fait que l'interlocuteur se sent parfois enclin à parler de ses problèmes personnels. Le chercheur doit savoir résister et recentrer l'entretien. A ce niveau comme aux autres, nous croyons que l'expérience occupe une place au moins aussi importante que la technique.

Nous inscrivons dans ce cadre, les données issues de la réunion effectuée en Novembre 1996 avec les responsables des trois associations. Destinée à la validation des résultats de la recherche, les échanges dont elle fut le théâtre figurent parmi les plus riches de notre corpus. (Fontana & Frey, 1994)

Nous intégrons, comme données d'entretiens, certaines conversations informelles développées spontanément au cours des quelques jours passés avec chacun des volontaires rencontrés. Le problème est, qu'aussi intéressantes soient-elles, leur utilisation est difficile dans la mesure où la mémoire sélectionne et limite les compte-rendus possibles. Ce qui reste de ces conversations se borne souvent à quelques idées et quelques formules frappantes.

L'analyse de documents est habituellement introduite comme une technique de recueil de données à part entière. Nous la considérons, à l'instar de Venkatesh, comme un fragment de pensée au même titre que l'entretien. Il s'agit d'un texte déjà retranscrit dans le cadre duquel un individu s'exprime à propos d'un sujet donné. L'essentiel, pour que ce document puisse être analysé, est de bien saisir le contexte dans lequel il s'inscrit : qui l'a écrit, au nom de qui, pour qui, dans quel cadre et à quelle fin. Sur cette base, il pourra être utilisé au même titre qu'un entretien.

Certains textes se réclament de l'association et ne sont, à cet effet, pas signés. Nous croyons, cependant, qu'en dehors de certains éléments de consensus, d'un fond (background) commun ressortant de la confrontation de plusieurs textes, le discours officiel émane toujours d'un individu précis qui se le réapproprie dans le cadre d'un rôle donné.

Les documents utilisés

Titre du document

Source

  
"SCD : Origines, Objectifs, Organisation"Service de Coopération au Développement

Livret d'acceuil

"Devenir volontaire à l'AFVP"Association Française des Volontaires du Progrès
"Dossier Info Médecins Sans Frontières" Médecins Sans Frontières
"Volontaires et développement : une coopération en mouvement."Acte du colloque organisé par le DESS Développement et coopération, Paris 1 - Sorbonne,

24 Mars 1994

"Témoignages"Association Française des Volontaires du Progrès
"Evaluation du volontariat"Audit réalisé par MP conseil / ICEA pour le compte du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de la coopération, fev. 1995
"Associations : textes législatifs et règlementaires"Journal Officiel, 1992
"Lettres sans frontières"Job R., éd. Complexe, 1994
"Volontaires et Développement : une coopération en mouvement."Acte du Colloque

DESS Développement et Coopération

24 Mars 1994

"Dernier souvenir d'un pays perdu"Médecins Sans Frontières

2.3. L'observation.

L'observation consiste à relever un ensemble de faits relatifs à une situation donnée, le plus précisément possible. On peut, partant de là, distinguer, d'une part, l'approche hypothético-déductive et, d'autre part, l'approche empirico-formelle de cette méthode.

La différence entre les deux se situe, tout comme pour l'entretien, au niveau du degré de structuration a priori de la grille utilisée :

- dans le cadre de l'approche hypothético-déductive, le chercheur sait précisément ce qu'il va observer. Il a établi des indicateurs précis qui lui permettront de considérer exactement les mêmes faits d'une situation à l'autre.

- dans le cadre de l'approche empirico-formelle, la démarche consiste à rapporter le plus de détails possibles concernant la situation étudiée. Le chercheur ne s'impose aucune censure, la sélection se faisant lors de l'interprétation.

Dans les deux cas, les observations portent sur les caractéristiques de la situation mais aussi sur les évènements qui s'y déroulent.

Relever le plus grand nombre de fragments possible contribue à réduire la sélectivité du chercheur. La triangulation des intervenants reste, cependant, dans cette perspective, la solution la plus efficace que nous ayons trouvée.

Conformément aux principes de P. Louart, nous valorisons la notion d'anecdote : autrement dit l'idée d'évènement singulier. La démarche consiste à repérer les acteurs impliqués, le problème posé et la façon dont ils interagissent pour le résoudre.

Ainsi, si nous nous sommes efforcés de rester ouvert à tout ce que la situation pouvait donner à voir, nous avons, cependant, focalisé notre attention sur la façon dont le volontaire posait les problèmes et les résolvait. Nous lui demandions ensuite de relater ce qui venait de se passer afin de voir comment il rendait ces évènements signifiants.

D'un point de vue "technique", l'observation ouverte consiste à retranscrire par écrit, le plus précisément et le plus exhaustivement possible, l'ensemble des faits et des évènements mémorisés. Dans un premier temps, les notes se caractérisent par une absence totale de censure.

Mais, tout comme pour l'entretien, les données d'observation doivent, pour pouvoir être interprétées et exploitées de façon satisfaisante, être restituées dans leur contexte. Le contexte en question correspond ici à l'état physique, affectif et normatif du chercheur.

En effet, la neutralité du chercheur reste, de notre point de vue, un objectif difficile à atteindre : comme tout individu, ses émotions peuvent "contaminer" ses perceptions. Plutôt que de nier ce fait, nous l'assumons et le gérons. C'est ainsi, qu'en marge du carnet de bord, nous avons cherché à exprimer notre "ressenti". Cette base de données contribue à deux enjeux distincts :

- elle permet, tout d'abord, de restituer les données d'observation dans le contexte qui a pu les influencer. Celui-ci a pu, d'une part, orienter la sélection des données et, d'autre part, introduire des éléments de sens sous la forme d'appréciations plus ou moins implicites. La référence à son état affectif (ses sentiments) et normatif (ses jugements) permet au chercheur de mieux comprendre pourquoi et comment il a privilégié tel ou tel aspect de tel ou tel évènement ;

- elle aide le chercheur à formaliser son expérience et à s'en distancier. Sorte de journal intime, l'expression écrite de ses sentiments et de ses jugements permet au chercheur de mettre à jour certains éléments affectifs et normatifs qui hantent sa vision des choses. La prise de conscience permet de gérer ces biais, de pondérer les données recueillies de façon à les neutraliser. Au delà, ce retour sur soi permet de dépasser certains états et de retrouver une distance plus conforme à la démarche scientifique.

L'exemple de la saturation.

Il nous est, par exemple, arrivé de saturer, d'être lassé des volontaires, voire irrité par certains de leurs comportements. Prenant conscience de cet état à la fois affectif et normatif, nous avons pris la décision de nous isoler, quelques jours durant, afin de retrouver une distance suffisante et de ressourcer notre curiosité. Il nous semble plus raisonnable d'écouter son état affectif plutôt que de s'imposer, de façon normative, un positionnement qui n'est pas véritablement ressenti. Se répéter : "Je dois rester objectif, je ne dois pas juger mes interlocuteurs." facilite le refoulement de certaines émotions mais ne les empêche pas d'agir à l'insu de la conscience.

 

En dehors des contenus recherchés, les différentes techniques impliquées dans l'observation se positionnent par rapport au type d'insertion sur le terrain que le chercheur tente de négocier. Les alternatives possibles se répartissent le long d'un continuum allant de l'observation directe à l'observation participante.

L'observation participante consiste à être acteur et à dissimuler l'activité de recherche, par ailleurs, menée. Cette position permet d'observer les évènements sans interagir sur eux. C'est là le principal reproche adressé à ce type d'observation. Mais, l'observation participante n'est pas toujours possible et pose, par ailleurs, un certain nombre de problèmes d'ordre éthique : principalement des problèmes d'honnêteté par rapport aux personnes avec qui le chercheur entre en relation.

L'expérience de l'observation participante.

Nous avons expérimenté ce dispositif à l'occasion de la première session de préparation au départ que nous avons effectuée : nous nous étions présenté comme stagiaire partant faire une étude de trois mois sur le terrain à propos du fonctionnement de l'association. Le malaise que nous avons ressenti à lier des relations et à développer des affinités tout en trompant nos interlocuteurs fut tel que nous ne sommes plus jamais revenu à ce type de démarche.

 

Suite à cette expérience, nous nous sommes orienté vers le second pôle du continuum : l'observation directe. Celle-ci, contrairement à l'observation participante, admet que l'identité du chercheur soit connue des participants. La démarche développée est à rapprocher de la façon dont nous avons appréhendé les entretiens. Nous avons opté pour une identité assumant notre statut de chercheur tout en négociant une certaine légitimité. Cette légitimité se négociait, avec les volontaires, par la mise en avant d'une véritable curiosité dépassant leur seule expérience mais portant sur l'Afrique et le développement en général.

En effet, nous avons cru pouvoir noter que les individus se méfiaient des analyses de type motivationnel. Ils ont en tête des études de type "behavioriste" les réduisant à l'état de cobayes et ne connaissent pas vraiment les approches compréhensives. Partant de là, il nous a semblé souhaitable de valoriser une motivation, par ailleurs authentique, à découvrir l'Afrique et à comprendre le développement. Le volontaire, saisissant mieux nos motivations, était plus enclin à nous faire découvrir comment les choses se passaient. Cette façon de nous présenter évitait de poser la recherche comme seule fin de notre présence. Nous ne définissions pas les volontaires comme des cobayes mais comme les initiés d'une situation qui nous intéressait personnellement.

Nous avons ainsi cherché à recueillir les données nécessaires à notre étude tout en respectant un minimum nos interlocuteurs. Ce respect passait, entre autres, par la négociation d'une identité nous permettant d'accéder à un certain nombre de contenus tout en restant relativement "authentique".

Au delà des données d'entretien et d'observation directement liées à l'expérience du volontaire, il nous est apparu essentiel d'accéder à une expérience plus personnelle des différents contextes qui la touchent. Nous avons, pour ce faire, cherché à dégager des phases de terrain nous menant en dehors de leur univers, avec pour objectif de découvrir le tiers monde par l'intermédiaire d'autres acteurs.

Nous intégrons l'expérience personnelle comme une part intégrante du dispositif méthodologique. Les données recueillies à ce niveau contribuent à de multiples utilités :

- les faits relevés à l'occasion d'expériences personnelles peuvent être intégrés au même titre que l'observation, les deux étant d'ailleurs difficilement dissociables. Le "ressenti" du chercheur peut, quant à lui, être rapporté par écrit et faire l'objet d'un traitement comparable à celui des entretiens.

- l'expérience personnelle contribue, par ailleurs, à la maturation de la relation entre le chercheur et son objet d'étude. Elle permet au chercheur, à l'issue d'un processus comparable à celui que réalisent les volontaires, de dépasser certaines formes d'anticipations et de retrouver une certaine distance par rapport aux situations étudiées.

- enfin, cette expérience modifie le champ d'opportunités dans lequel se réalisent les deux principaux dispositifs méthodologiques que sont l'entretien et l'observation. Elle permet, d'une part, de mieux comprendre les expériences relatées par le volontaire, et d'autre part, de négocier une identité d' "insider", d'initié à la situation. Concernant les Africains, la maturation précédemment évoquée peut aider à dépasser les formes de condescendance que tendent à développer nombre d'Européens ; ce dépassement contribuant, croyons-nous, à la qualité des entretiens.

Conclusion sur la méthodologie.

Nous considérons les techniques associées aux différentes méthodes comme utiles mais soulignons la nécessité d'une réflexion épistémologique. Ces techniques risqueraient à défaut, d'instrumentaliser les relations avec l'objet. Aux techniques, finalement nous préférons l'idée d'orientation, de ligne de conduite intégrant les contraintes de faisabilité et les opportunités du terrain.

La flexibilité et l'adaptabilité du chercheur face à ses terrains d'étude n'excluent en rien la rigueur. Cette rigueur s'exprime, suivant la perspective adoptée, au niveau de la reflexivité qu'il cherche à mettre en oeuvre par rapport à ses pratiques. Ainsi, l'improvisation évoquée n'assume pas les connotations péjoratives du "bricolage", dans la mesure où elle s'inscrit dans un questionnement permanent à propos de la relation entre le chercheur et son objet.

Certaines techniques ont pour enjeu de garantir l'homogénéité des données en vue de pouvoir comparer les différentes situations. Nous considérons, à l'instar de Girin, que l'homogénéisation des données peut, tout aussi bien, être prise en charge dans le cadre de l'interprétation. La démarche consiste à les restituer dans leurs multiples contextes afin d'en tenir compte dans le cadre de l'analyse. Il s'agit, en quelque sorte, de pondérer les données afin de les comparer.

3. De l'interprétation des données à la construction des faits.

L'interprétation constitue, dans le cadre de l'approche qualitative, le fondement de l'activité de recherche. Elle constitue l'interface entre les données de terrain, autrement dit, la réalité et le modèle théorique construit.

3.1. L'interprétation : une activité difficile à expliciter.

Miles et Huberman (1991, 1994) dénoncent le fait que l'interprétation reste une activité dont les voies ne sont que très rarement explicitées. Partant de ce constat, ils ont consacré à ce sujet, un volumineux ouvrage qui s'est peu à peu imposé comme une référence incontournable.

"L'analyse des données qualitatives" : Miles & Huberman (1991, 1994).

Ils considèrent l'analyse des données qualitatives comme une activité visant à réduire les données afin d'aboutir à un volume gérable, compte tenu des capacités cognitives du chercheur et de ceux qui auront à le lire. Ils insistent sur la nécessité d'expliciter et de formaliser l'activité menée dans ce cadre et proposent, dans cette perspective, un certain nombre d'outils (matrices, systèmes d'indexation, etc.)

La contribution de Miles et Huberman est intéressante dans la mesure où elle explicite parfaitement les questions qui se posent au chercheur, dans le cadre de cette activité. Les réponses apportées sont, en revanche, de notre point de vue, plutôt incertaines. Les techniques et les outils qu'ils proposent contribuent, certes, à la gestion des données mais ils n'intègrent pas l'activité interprétative en tant que telle : ils ne précisent pas les critères de sélections des énoncés étudiés, ni les modalités suivant lesquelles le chercheur leur attribue un sens.

Cet aspect du traitement des données nous semble difficile à expliciter et à formaliser au sens où l'entendent Miles et Huberman. De façon relativement logique, l'interprétation relevant de la compréhension des énoncés, il n'est pas possible, selon nous, d'en rendre compte sous la forme d'un schéma causal. Ainsi, plutôt que de chercher à expliquer comment le chercheur détermine le sens des énoncés, le lecteur peut essayer de comprendre le mode d'interprétation auquel se réfère le chercheur. Ce dernier doit, pour que cela soit possible, exposer :

- les questions qu'il se pose ;

- les unités d'analyse auxquelles il se réfère, autrement dit ses concepts ;

- les principes sur lesquels se fonde son interprétation, la nature conférée aux données recueillies et leurs rapport avec la réalité étudiée.

Nous retenons donc, de l'ouvrage de Miles et Huberman, l'invitation à la rigueur en matière de gestion des données. Dans cette perspective, l'explicitation des différentes étapes évite, les traitements implicites. Par contre, la normalisation de ce processus ne nous semble pas souhaitable : elle permettrait, certes, de comparer plus facilement les recherches, entre elles, mais comme le souligne le "Handbook of Qualitative Research", les méthodes qualitatives sont plurielles. La diversité des paradigmes et des techniques aboutit à des modes d'interprétation sensiblement différents. Les normes que réclament Miles et Huberman devraient, selon nous, se limiter à la recherche qualitative post-positiviste dans laquelle ils s'inscrivent.

 

L'activité interprétative varie sensiblement suivant la nature du projet de recherche et le statut attribué au discours. Différentes approches sont ainsi possibles..Nous définissons notre façon d'interpréter comme une activité consistant à attribuer un sens aux données étudiées. Nous nous référons pour ce faire à nos propres catégories. Nous cherchons, par exemple, à caractériser l'engagement signifié par le volontaire en termes d' "implication" ; il ne s'agit pas là, forcément du sens visé par le volontaire au moment de l'entretien.

L'interprétation a pour objectif d'établir des faits. Nous considérons deux types de faits :

- nous désignons sous les termes de "fait substantiel", les faits établis sur la base de fragments de réalités substantielles (ou objectives) ;

- nous appelons "fait symbolique", le sens attribué aux propos du volontaire.

Afin de mieux expliciter les choix effectués à ce niveau, nous revenons sur un certain nombre de modes d'interprétation possibles.

Les modes d'interprétation privilégiant le sens de l'acteur.

Les entretiens étudiés peuvent, tout d'abord, être interprétés suivant une approche compréhensive telle que l'a définie Max Weber. Ce type d'interprétation saisit le texte au premier degré, il cherche à comprendre le sens visé par le locuteur ; l'objectif étant de comprendre les messages qu'il a voulu faire passer, le sens qu'il a intentionnellement voulu transmettre. La réduction de l'entretien se fait alors en référence aux catégories utilisées par la personne.

La compréhension de ce qu'a voulu dire le locuteur est, avant tout, un exercice de communication qui met à l'épreuve les qualités d'empathie du chercheur. Cet exercice demande un effort de décentration dans le cadre duquel le chercheur cherche à mettre de côté ses propres questionnements et s'efforce de se mettre à la place du locuteur. Ce qui différencie le chercheur de l'individu ordinaire est ici très mince : il s'agit seulement d'une capacité d'ouverture à la pensée de l'autre.

Une seconde étape dans l'interprétation du sens visé par le locuteur consiste à intégrer les éléments de contexte, le sens d'un énoncé dépendant, en effet, très largement de ce dernier. Girin prend l' exemple de l'ironie. Le second degré qui caractérise ce registre de communication ne peut être saisi en dehors du contexte. D'une façon générale, la démarche consiste à saisir comment le locuteur perçoit le contexte de l'entretien, quelle relation il établit avec le chercheur. Le discours peut, dans cette perspective, être conçu comme une action symbolique (Chicago, 2nde génération) socialement située.

Le troisième niveau d'interprétation du sens de l'acteur est celui de l'analyse linguistique. Celle-ci s'intéresse à la façon dont le locuteur utilise le langage pour produire le sens de son discours. Elle part du principe que le sens ne réside pas uniquement dans le signifié mais aussi dans le signifiant : la façon dont est exprimée une idée est en elle-même productrice de sens. Bien que visant des objectifs différents des nôtres la socio-linguistique peut contribuer à l'interprétation du discours quelle que soit l'approche retenue.

Le travail réalisé avec Marc Glady (AGRH 96) ne nous a, certes, pas permis d'acquérir toutes les techniques de cette science mais nous pensons avoir développé, dans le cadre de cette expérience, une vision un peu différente du discours. Nous sommes désormais plus sensible aux significations implicites qu'introduisent certaines formes langagières. Nous avons, par ailleurs, intégré le caractère interdiscursif du discours : le fait que le locuteur convoque des énoncés qu'il attribue à d'autres et par rapport auxquels il se positionne. Cette caractéristique du discours est particulièrement importante dans le cadre des phénomènes qui nous préoccupent : l'implication conçue comme une façon de se définir par rapport à la situation (pratique et sociale).

Le seul moment où nous nous référons directement au sens visé par l'acteur est la troisième partie. Nous cherchons à comprendre les Responsables Ressources Humaines des trois associations étudiées afin d'interpréter les données recueillies en fonction de leurs enjeux. Nous nous référons au sens qu'ils visent lorsqu'ils se positionnent par rapport aux catégories de performance que nous leur soumettons.

 

3.2. Du sens de l'acteur au sens du chercheur.

La démarche que nous venons d'évoquer se caractérise par la neutralité du chercheur. Celui-ci met en suspend ses propres pensées pour s'imprégner de celles de son interlocuteur. Notre façon de concevoir l'interprétation constitue, plus ou moins, l'antithèse de ce principe.

Nous ne nous intéressons pas directement à ce que le locuteur a eu l'intention de nous dire. Ce qui nous préoccupe ce sont les cadres de références sur lesquels il s'appuie pour ce faire. Nous abordons l'entretien et la personne dans leur globalité. Nous considérons son discours comme un tout mettant en oeuvre des représentations de soi, des représentations de la situation et des représentations de la relation entre les deux. Nous partons du principe que le discours présent s'appuie sur un certain nombre de conceptions relativement stables que le locuteur tient pour acquises. Ces éléments stables de la pensée constituent des sortes de prémisses sur la base desquelles est déduit tout ou partie du discours.

Le sens que nous conférons à un énoncé correspond à la réponse qu'il apporte dans le cadre de notre propre questionnement. Nous interprétons les entretiens, non plus en fonction du sens visé par le locuteur, mais par rapport à nos propres concepts, ces derniers constituant des catégories structurées en fonction de notre problématique. Notre concept de base, l'implication, questionne ce que nous considérons comme un cadre de références essentiel du discours : la façon dont l'individu se définit par rapport à la situation. Il s'agit là d'un concept générique se déclinant en une série de concepts décrivant des phénomènes précis, ces deux catégories de concepts amenant des actions interprétatives sensiblement différentes.

Lorsqu'il s'agit d'un concept définissant un phénomène précis, comme, par exemple, l'implication calculatrice dans l'organisation, celui-ci agit un peu comme un repère : la démarche consistant à mesurer les écarts entre le sens produit dans le discours et le sens du concept. Il s'agit, tout d'abord, de sélectionner les propos du locuteur relatifs au sujet introduit par le concept, puis, dans un second temps, de les situer par rapport à celui-ci en termes de "plus ou moins". Il serait parfaitement concevable d'évaluer ces écarts sous la forme de chiffres. A la différence du questionnaire, la position du répondant serait quantifiée par le chercheur.

Lorsqu'il s'agit d'un concept générique tel que l'implication, celui-ci agit d'une façon comparable aux formules mathématiques. Lorsque nous questionnons les différents entretiens, c'est un peu comme si nous appliquions à différentes bases de données une formule identique. Le concept joue un rôle déterminant dans la mesure où il modifie le sens des données. Les sens produits à propos d'un même entretien ne seront pas identiques suivant qu'on le questionne en termes d'implication ou en termes de pouvoir.

Dans le cas des concepts génériques, il n'est pas possible d'établir d'écarts. Il s'agit d'une variable discrète non ordonnée, comme par exemple la couleur des yeux. Les données qualitatives ont pour objectif d'obtenir les contenus les plus précis et les plus nuancés possibles et chaque réponse est a priori unique. La démarche consiste, dans un second temps, à rapprocher les résultats obtenus d'un certain nombre de catégories correspondant aux types de concepts précédemment évoqués. Dans cette perspective, l'objectif n'est pas d'évaluer les écarts entre les énoncés retenus et le sens des concepts mais d'inscrire ces derniers dans la catégorie dont ils se rapprochent le plus. Ces concepts peuvent être établis a priori mais évoluent, le plus souvent, en fonction des données recueillies.

Ce type d'interprétation s'applique également aux données d'observations et aux documents. D'un point de vue strictement pratique, ces données sont d'une nature identique à celle des entretiens : comme le souligne Venkatesh (1995), il s'agit de textes. Partant de là, les nombreuses pages qui composent nos carnets de bord peuvent être réduites en questionnant ce qu'elles signifient par rapport à nos concepts.

C'est ainsi que nous avons, par exemple, analysé nos anecdotes en termes de "problème" (chapitre 7), que nous avons défini comme une situation dont l'issue est incertaine, dont l'issue touche aux enjeux du volontaire et dont l'issue peut être modifiée par ses comportements.

D'une manière générale, la façon dont nous analysons les entretiens apparaît à travers les exemples que nous sélectionnons tout au long de l'analyse pour illustrer les différents arguments. La plupart des interprétations que nous avons effectuées nous semblaient relativement évidentes : les énoncés pouvaient être affectés, de façon relativement univoque, dans les différentes catégories.

Enoncés

Interprétations.

Ce qui compte d'abord, c'est l'intérêt du projet qu'on me propose... là, c'est un projet tout à fait...dans ce que j'attendais et un peu l'idée de ce que je pensais que je pouvais faire.

Fin, déjà ce qui m'a semblé intéressant, c'est dans le projet qu'on m'a proposé...c'est qu'il y a une grande partie du projet qui est fait de façon à ce que je travaille directement avec les Sénégalais...tant au niveau urbanisme qu'au niveau contact avec la population...je pourrais répondre aux attentes réelles de la population...que je sois pas complètement parachuté...

La plupart des volontaires développent des formes d'implications mixtes. En l'occurrence, le volontaire met en avant le caractère conditionnel de sa motivation, il calcule sa participation en fonction de critères qu'il a établis de façon assez précise.

Son intérêt pour le projet dépend des contacts qu'il peut établir avec les populations envers lesquelles il développe une implication finale.

Je me le cache pas... je me le suis caché pendant longtemps mais j'ai fini par m'avouer que je voulais faire de l'humanitaire avant tout pour voyager.

Oui... au départ, je voulais aider l'autre et en fait je me suis rendue compte que c'était pour moi même...

Implication calculatrice par rapport à l'expérience en général.
L'idée d'MSF, tu l'as pas. On te dit par exemple qu'on est un truc neutre impartial fin une ONG sans distinction de races, de religions, de politiques, c'est dans la charte fin, tu l'as pas au départ. Tu vois des militaires dans un hôpital, ça te viens pas à l'idée de dire ben non. Tu l'apprends au fur et à mesure ou par exemple quand il y a des journalistes qui viennent pour t'interroger, tu sais pas toujours ce qu'il faut dire. Et ça si ça peut se faire tout de suite, c'est au recrutement. Implication morale dans l'organisation

 

Une partie des interprétations se fonde sur des éléments de sens, au départ, plus implicites et plus indirects dans la mesure où ils ressortent autant de la façon de s'exprimer que des contenus.

EnoncésFaçon de produire le sensSens produit, interprétation en termes d'implication.
ex. la négation : "... comme j'avais pas fait l'école par vocation ni par dévouement..."La négation convoque un discours pour le nier.Le discours convoqué est interprétable comme une norme par rapport à laquelle se positionne la locutrice.

=> Impl. calculatrice

ex. "c'est vrai que..."

suivie de : "enfin, pour moi, ça m'enlève du truc humanitaire."

Prise en charge d'un énoncé antérieur,

puis distanciation.

Illustre la complexité interne de l'individu : des positionnements contradictoires pris en charge par des instances différentes de sa personnalité.

=> impl morale

+ impl affective

 

Cette première étape de l'analyse des données a pour objectif d'établir des faits. Ceux-ci, compte tenu de nos cadres d'analyse paradigmatiques, n'existent pas comme tels. Ce sont des perceptions directement liées au sens produit dans le cadre de nos concepts. Le fait que tel individu s'implique de façon finale dans l'organisation ou que tel évènement constitue un "problème" résultent de la façon dont nous les interprétons.

Ceci ne signifie pas pour autant que nous puissions interpréter la situation à notre guise. L'un des reproches adressés à l'interprétation qualitative est qu'elle ne suit pas de procédures constantes, contrairement à l'approche quantitative qui applique les mêmes formules à l'ensemble des données. Nous rejetons cette critique ; les formules mathématiques sont ici remplacées par des concepts, ces derniers pouvant être définis comme des "opérateurs symboliques". Ces concepts sont précisément identifiés, dans la mesure où nous leur avons consacré deux chapitres, ils restent, par ailleurs, parfaitement égaux d'un texte à l'autre.

De plus, comme nous l'avons fait valoir dans le cadre de la partie épistémologique, les faits observés peuvent être réfutés de la même façon que les faits symboliques invraisemblables peuvent être rejetés.

Nous pensons ainsi que les interprétations conceptuelles et les calculs mathématiques ont des valeurs différentes mais, néanmoins, égales.

Conclusion.

Au delà des techniques proprement dites, l'une des principales différences entre les approches quantitatives et les démarches qualitatives se situe au niveau de la forme des résultats proposés. Alors que les conclusions des méthodes quantitatives donnent des situations abordées une image aux contours relativement précis, les approches qualitatives en peignent un tableau plus impressionniste.

Les deux partent de nuages de points relativement comparables. Mais, alors que le "quantitatif" les rapporte à des droites, le "qualitatif" tend à conserver l'ensemble des points. Le modèle construit par ce dernier consiste, en quelque sorte, à accentuer certaines proximités et à marquer certains écarts, afin de mieux souligner les formes qui structurent, compte tenu du type de problématique projetée, les caractéristiques de la population composant l'échantillon. Chaque point peut être abordé isolément, mais la valeur ajoutée par le chercheur réside dans les formes à l'intérieur desquelles il situe celui-ci.

Le chapitre suivant rassemble les extraits d'entretiens que nous reprenons par la suite pour illustrer le modèle issu de notre recherche. Chacun de ces extraits reste en soi intéressant, mais leur lecture, les uns à la suite des autres, peut permettre au lecteur de se faire une première impression de l'univers abordé, avant que nous ne lui en proposions nos propres interprétations.

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