Chapitre 2
De l'implication substantielle
à l'implication symbolique.
La nature des phénomènes décrits par l'implication fait l'objet d'un débat confrontant une version attitudinale, celle développée dans le chapitre précédent, et une version comportementale se référant aux conditions amenant l'individu à maintenir une ligne d'action consistante. La recherche d'une définition de la relation suffisamment générique pour comprendre l'ensemble des phénomènes susceptibles de relever de cette notion nous confronte à des formes d'incommensurabilité et d'irréductibilité entre deux niveaux de réalité ontologiquement distincts. Nous distinguons, d'un côté, une relation substantielle intégrant les interactions entre deux éléments, et de l'autre côté, une relation symbolique se référant à la façon dont un tiers observateur définit deux éléments l'un par rapport à l'autre. Nous intégrons la relation substantielle à travers le modèle de Nuttin. Elle apparaît dans ce cadre comme une "structure Moi-Monde" mettant en relation la personnalité et un référentiel extérieur. Cette relation a vocation à se concrétiser sous la forme d' "interactions satisfactrices", mais elle peut demeurer, en l'absence du référentiel, sous la forme d'un besoin continuant à orienter les comportements de l'individu. Dans cette perspective, l'implication substantielle permet d'envisager une prise en charge des enjeux de l'organisation en l'absence d'incitation immédiate. L'implication symbolique correspond à la façon dont l'individu et un référentiel donné se définissent l'un par rapport à l'autre ; elle précise entre autres leurs engagements respectifs. Cette implication intègre un second niveau d'irréductibilité entre : - d'un côté, une implication sociale correspondant à la façon dont les autres définissent l'individu par rapport à son environnement ; ils explicitent ainsi une partie de leurs attentes à son égard ; - et d'un autre côté, une représentation de cette même relation, définie par de l'individu lui-même. Nous réservons le terme d' "implication symbolique" à cette seconde dimension du concept. C'est autour d'elle que se construit cette recherche. Elle est, selon nous, capable de rendre compte des engagements signifiés par les volontaires. Elle met en avant les aspects cognitifs de ces phénomènes. Nous positionnons "l'implication symbolique" par rapport aux concepts des autres auteurs : elle se caractérise par une identification à la relation plus qu'au référentiel lui-même. La ligne d'action cohérente qu'elle intègre se situe plus au niveau des intentions attribuées aux comportements qu'aux caractéristiques objectives de ces derniers. Nous précisons ainsi ce qui constitue à la fois l'ambiguïté et l'enjeu de cette recherche : l'utilité d'aborder une implication issue du point de vue subjectif de la conscience. Nous faisons valoir la nécessité de considérer ces phénomènes, compte tenu du caractère quelque peu inaccessible pour le gestionnaire des logiques inconscientes. Au delà, la réponse concernant ce que peut connaître et faire la conscience, dépend en grande partie du paradigme retenu. Introduction. Afin de ne pas mêler des niveaux d'analyse différents, nous avons jusque-là pris soin d'omettre tout ce qui se rapportait à l'implication comportementale ("Behavioral Commitment"). Ce "type" d'implication se définit par rapport à celle présentée dans le chapitre précédent, cette dernière étant, dans le cadre de cette confrontation, qualifiée d' "attitudinale". "L'implication comportementale" peut être définie comme ce qui pousse l'individu à persévérer dans une "ligne d'action" donnée. Cet attachement trouve, suivant les auteurs, différentes explications possibles : - les investissements ("side bets", Becker, 1960) effectués, par l'individu, dans le passé. La poursuite du comportement constitue un moyen de récupérer les coûts ainsi engagés ; - la dissonance cognitive (Festinger, 1957). La cohérence de la ligne d'action entreprise constitue, dans cette perspective, une fin en soi. Staw montre comment cette volonté de rester cohérent peut, dans certains cas, devenir de l'entêtement et mener à des surenchères irrationnelles ; - les pressions sociales s'exerçant, sur l'individu, dans le sens d'une perpétuation des comportements que l'individu a, jusque-là, donné à voir (Pfeffer et Salancick, 1978). Le comportement s'inscrit alors, essentiellement, dans un "processus d'information sociale". Le débat introduit par ces deux approches porte sur la nature des phénomènes décrits par l'implication : - le concept d'attitude, tout comme le concept d'implication, fait l'objet de définitions hétérogènes et la relation peut, suivant l'acception retenue, relever de natures pour le moins différentes. Thévenet (1992) la conçoit comme "une disposition à agir". D'autres, comme Pratkanis et Turner (1994), la limitent à une évaluation de l'objet. Ces deux définitions convergent néanmoins sur des phénomènes relevant d'un "contexte intériorisé" (Neveu, 1996) ; - le point de vue de "l'implication comportementale" constitue, dans le débat actuel, une sorte de réaction face à une "implication attitudinale" perçue comme "relativement vague et peu spécifique" (Neveu, 1996). Suivant une démarche, par certains aspects, semblable au behaviorisme, il privilégie les aspects observables de la relation, ambitionnant ainsi de mettre à jour des régularités plus objectives. L'implication demeure, dans les deux cas, une relation spécifique, ou plutôt une évaluation spécifique, de la relation. Ces deux groupes de travaux dessinent, en revanche, des types de relations sensiblement différents. Ces différences ne sont pas facilement identifiables, la plupart des définitions restant, à ce sujet, relativement implicites. Neveu (1996) retient, des contributions produites de part et d'autre, une "implication attitudinale" située dans un "contexte intériorisé de nature affective" et une "implication comportementale" inscrite dans des processus d'extériorisation. D'une façon générale, la nature de l'implication, ou plus précisément des phénomènes qu'elle décrit, demeure, dans le cadre de la littérature anglophone, un sujet rarement approfondi. L'explicitation des caractéristiques attribuées aux relations décrites par l'implication nécessite, le plus souvent, un travail d'interprétation. Les éléments ainsi reconstitués se révèlent finalement relativement hétérogènes. Concernant les francophones, Thévenet, avec un chapitre sur la relation, et Neveu, avec un chapitre sur l'attitude, illustrent le besoin de situer le concept par rapport à un certain nombre de notions plus génériques. Ils s'emploient également, à l'articuler avec des concepts périphériques. Leur enjeu consiste, ce faisant, à définir, plus précisément, la nature spécifique des phénomènes décrit par l'implication. Ce chapitre entreprend un travail de cet ordre. Compte tenu de la typologie établie à l'issue du chapitre précédent, nous retenons l'implication comme un concept visant à décrire la relation individu - situation de travail.. Concept des Sciences de Gestion, elle questionne, plus particulièrement, dans quelle mesure et suivant quelle logique, l'individu intègre les enjeux d'un référentiel donné. Nous abandonnons, provisoirement, ce concept pour élargir notre questionnement au phénomène qu'il décrit : la relation. Nous empruntons, pour ce faire, une perspective plus "analogique". Nous commençons par explorer les caractéristiques de la relation en général, pour, dans un second temps, revenir sur les spécificités d'une relation impliquant l'individu. A défaut de définition capable d'intégrer l'ensemble des phénomènes relatifs à la relation, nous faisons valoir l'irréductibilité constatée entre deux catégories correspondant à des réalités de natures ontologiquement différentes : la relation substantielle et la relation symbolique. Cette irréductibilité se retrouve dans les relations impliquant l'individu : - la relation substantielle intègre les phénomènes en interaction avec les comportements. La spécificité de l'individu réside, dans ce cadre, au niveau de la motivation ; - la relation symbolique se réfère à la façon dont l'individu et un objet se définissent l'un par rapport à l'autre. Ce rapport peut être, tour à tour, établi par les autres ou par l'individu lui-même. Ces phénomènes sont pris en charge par de multiples concepts au sein desquels il nous faut situer l'implication. Ce travail vise à préciser la nature des relations dont relèvent les engagements signifiés par les volontaires et que décrit notre concept d'implication. De façon plus accessoire, il se positionne par rapport au débat concernant les rapports entre "l'implication attitudinale" et "l'implication comportementale". Cette partie intègre successivement les différents types de réalités que nous prenons en considération, elle constitue ainsi une transition destinée à amener notre réflexion sur le terrain de l'ontologie, de l'épistémologie et de la méthodologie. |
1. Interaction et interdéfinition : deux types de relations irréductibles.
1.1. De l'impossibilité de trouver une définition unique de la relation.
L'un des enjeux présidant à la définition de la relation est de mieux apprécier les différents concepts développés à son sujet : implication, attitude, motivation et identité. La question est de savoir :
- si ces différents concepts travaillent, effectivement, sur la même réalité ;
- s'ils découpent cette réalité de la même façon ou s'ils en formalisent des aspects différents ;
- s'ils appréhendent cette réalité suivant un même niveau d'analyse.
La définition de la relation n'aurait dû être qu'une simple formalité. Mais cette notion si commune, si indispensable à notre réflexion quotidienne se révèle, en fait, particulièrement difficile à expliciter. Il s'agit de définir à partir de quand et à quelles conditions, deux éléments peuvent être considérés comme étant "en relation".
Aspirant à une définition la plus générale possible, nous avons, tout d'abord, pensé à questionner les mathématiques.
La relation vue par les mathématiques. "Soient E et F deux ensembles. On appelle relation de E vers F toute combinaison (ExF) associant à un élément de E à un élément de F ; on note alors xRy. ex. Soit xRy une relation entre les ensembles E et F telle que y=2x ..." extrait de manuel scolaire niveau seconde |
A défaut de définition générique, les mathématiques proposent un certain nombre de synonymes : application, correspondance, fonction, rapport. Mettre en relation deux éléments correspondrait, dans cette perspective, à les comparer afin d'identifier une sorte de commune mesure. Au delà, les mathématiciens considèrent qu'il n'est, en fait, pas possible de donner une définition générale. Il est toujours nécessaire de préciser de quelle relation il s'agit : "Soit une relation xRy telle que...". Les mathématiques nous amènent, elles aussi, à questionner le caractère construit ou objectif des relations ainsi décrites.
Pour revenir à des acceptions à la fois plus concrètes et plus simples, nous avons consulté le dictionnaire.
Relation n. f. (1284 ; lat. relatio "récit, narration") 1. Philo. Caractère de deux ou plusieurs objets de pensée en tant qu'ils sont englobés dans un même acte intellectuel. V. Rapport, connexion, corrélation (...) Principaux types de relations, V. analogie, appartenance, causalité, coexistence, correspondance, identité. 2. Cour. Caractère de deux objets tels qu'une modification de l'un entraîne une modification de l'autre. V. dépendance. 3. (XVIè) Lien de dépendance ou d'influence réciproque (entre personnes). contact, liaison, rapport. |
Cette définition reprend un certain nombre d'usages possibles du terme, parmi lesquels nous avons retenu les plus directement liés à nos préoccupations. Entre les trois définitions ci-dessus, le seul terme un tant soit peu fédérateur est celui d'association, de réunion : la relation réunit deux ou plusieurs éléments. Mais les mêmes questions demeurent quant à la nature, aux propriétés et aux conditions de cette association.
L'un des synonymes possibles est la coexistence. La question est de savoir s'il s'agit là d'une condition ou d'une relation effective. Deux éléments coexistant à l'intérieur d'un même univers sont-ils, de fait, en relation ou peuvent-ils potentiellement le devenir ? Les deux premiers usages, énoncés ci-dessus, semblent, dans cette perspective, relever de deux types de coexistence distincts : le premier se réfère à une coexistence au sein d'un même énoncé, alors que le second intègre une coexistence plus "physique".
Nous considérons là, une irréductibilité ontologique à partir de laquelle nous développons deux concepts distincts, que nous désignerons, désormais, respectivement, sous les termes de "relation symbolique" et "relation substantielle". Nous commençons par l'analyse de la seconde.
1.2. L'interaction : une relation substantielle.
La relation substantielle : "Caractère de deux objets tels qu'une modification de l'un entraîne une modification de l'autre." (Rey, 1990). Nous admettons une relation substantielle entre A et B, dans la mesure où l'état et/ou le comportement de A dépend de l'état et/ou du comportement de B. |
La relation substantielle décrit des phénomènes "physiques", habituellement pris en charge par les Sciences de la Nature.
Cette relation peut être à sens unique. L'action s'inscrit alors dans un système de causalités linéaires telles que celles habituellement conçues par l'approche classique des phénomènes physiques. L'approche causale fait valoir l'antériorité de l'action sur la réaction. Elle considère, ce faisant, des lois déterministes, en vertu desquelles les mêmes causes engendrent nécessairement les mêmes effets. Elle tente de les mettre à jour avec pour objectifs, de pouvoir prédire les modifications susceptibles d'intervenir, dans le cadre d'une situation donnée, compte tenu de sa configuration initiale.
La notion d'interaction ne se réfère pas nécessairement à l'approche causale, elle peut également être étudiée dans le cadre d'une approche systémique. Suivant cette seconde perspective, tous les éléments composant un système se trouvent en interdépendance : la modification de l'un des éléments entraîne la modification du tout, qui, à son tour, modifie les autres éléments. L'approche systémique substitue, à la séquentialité des causes, la notion de processus. Elle considère, ce faisant, une complexité susceptible d'introduire des éléments de hasard au sein des déterminismes retenus par l'approche causale.
L'approche causale s'inspire, généralement, d'un paradigme positiviste, alors que l'approche systémique relève plutôt d'un paradigme relativiste (ou post-positiviste). Ces deux courants de pensée diffèrent quant à leurs ambitions épistémologiques, mais convergent, en revanche, sur une ontologie à dominante substantialiste. Ils privilégient l'étude des phénomènes objectifs et de leurs propriétés intrinsèques, autrement dit des phénomènes en soi, dont les caractéristiques existent indépendamment de celui qui les observe. Ils se réfèrent à des régularités objectives.
Dans cette perspective, la relation substantielle apparaît comme un ensemble d'interactions objectives résultant des propriétés intrinsèques des objets impliqués.
1.3. L'interdéfinition : une relation symbolique.
La relation symbolique : "Caractère de deux ou plusieurs objets de pensée en tant qu'ils sont englobés dans un même acte intellectuel." (Rey, 1990) Nous admettons une relation symbolique entre A et B à partir du moment où un observateur les définit l'un par rapport à l'autre. |
L'acte intellectuel évoqué ci-dessus consiste à associer deux ou plusieurs termes dans le cadre d'un même énoncé. La relation se situe au niveau des significations produites dans ce cadre : la façon dont deux éléments sont définis l'un par rapport à l'autre. Pour faire un parallèle avec la relation substantielle, on peut considérer la relation comme le caractère de deux objets tels qu'une modification du sens de l'un entraîne une modification du sens de l'autre.
La nature de la relation ainsi conçue n'est pas du tout la même que celle caractérisant la relation substantielle. Leurs conditions d'existence sont, selon nous, fondamentalement différentes. L'existence de la relation symbolique est subjective, elle dépend directement du tiers qui la conçoit. Elle introduit, de ce fait, une seconde relation : la relation entre l'observateur et les objets observés et mis en relation.
La relation "construite" entre les deux objets ne recoupe pas forcément une relation substantielle et ne se réfère pas nécessairement à leurs propriétés objectives. Elle peut être dans l'erreur. Elle intègre, par ailleurs, des caractéristiques que l'individu attribue aux objets, indépendamment de la réalité objective de ces derniers : il s'agit, principalement, de qualités affectives et de jugements de valeurs.
Cette relation peut également résulter des interactions symboliques entre plusieurs acteurs. Les chercheurs mesurent alors la dimension sociale de ce construit.
Cette relation est, le plus souvent, prise en charge par les chercheurs, dans le cadre d'approches compréhensives. Les critères alors considérés sont ceux de l'observateur. Le chercheur peut travailler sur le sens visé par ce dernier, il peut également explorer les prérequis (les croyances, les jugements, les sentiments) sur lesquels se fonde la relation ainsi construite.
La relation entre l'observateur et les objets mis en relation peut, quant à elle, faire l'objet d'une objectivation. La relation symbolique n'est alors plus étudiée en tant que telle, mais en tant que représentation résultant d'une activité cognitive. Cette dernière met en interaction les objets (en tant que substances) et les processus inconscients participant à leur perception et à leur mise en sens. L'étude de l'activité cognitive peut, dans cette perspective, être envisagée en termes de causes, de conséquences et de finalités de l'individu. Celui-ci est alors considéré en tant que système produisant la relation à des fins précises, sans doute, différentes de celles que sa conscience est capable d'énoncer.
L'approche compréhensive et l'approche cognitive forment un continuum allant du sens de l'acteur, à une objectivation des déterminismes auxquels il est soumis, en passant par l'étude des logiques suivant lesquelles il construit ses représentations. Quelle que soit l'approche, nous situons la relation symbolique, exclusivement au niveau du signifié.
Ayant admis l'existence de deux types de relations possibles entre deux "éléments quelconques", nous questionnons, à présent, les spécificités qu'intègrent ces mêmes relations lorsqu'elles impliquent au moins un individu. Nous abordons successivement la relation substantielle et la relation symbolique. Ce n'est qu'à l'occasion du chapitre suivant (épistémologie et méthodologie) que nous envisagerons la façon dont elles s'articulent.
2. L'implication substantielle : les déterminants des comportements
Nous avons défini la relation substantielle comme l'ensemble des interactions objectives entre deux éléments. Parmi les réalités qu'elle implique, nous nous intéressons plus particulièrement aux comportements.
Les comportements font l'objet d'une importante littérature dont une part importante est prise en charge par le concept de motivation. Ce concept est en effet, expressément formaté pour identifier ce qui pousse l'individu à agir et dans le cadre de la gestion à devenir plus performant. Parmi les différentes catégories possibles, nous retenons celles s'appuyant sur le lieu où se situent les origines des processus présidant à la mise en mouvement de l'individu.
Nous envisageons, dans cette perspective, trois séries de théories correspondant à des façons différentes d'en rendre compte :
- la première série, que nous affilions au behaviorisme, réunit des théories convergeant sur le principe d'une détermination principalement externe des comportements ;
- la seconde série situe leurs origines au niveau de déterminismes essentiellement internes parmi lesquels on retrouve une partie des phénomènes habituellement associés aux motivations ;
- la troisième enfin met ces deux types de déterminismes en interaction. Les comportements seraient le résultat de processus initiés par la rencontre des deux types de facteurs précédents.
Les mécanismes objectifs contribuant à la détermination des comportements ne constituent, dans le cadre de cette recherche, qu'un repère nous permettant de mieux situer l'implication symbolique. Partant de là, nous n'assumons qu'une prise en charge très partielle des champs conceptuels concernés. Les quelques théories finalement retenues ne sont par ailleurs aucunement représentatives de la littérature disponible à ces sujets ; les critères présidant à leur séléction sont directement liés aux paradigmes sous-tendant notre projet de recherche.
Nos paradigmes séparent les réalités symboliques des réalités substantielles. Ils ont pour vocation de contenir les éventuelles actions de la conscience sur les comportements aux niveaux cognitifs. Il s'agit pour nous de pouvoir rendre compte des contingences observées entre les engagements signifiés et les comportements à travers un nombre le plus réduit possible de variables, nous privilégions en l'occurrence celles relative à la cognition.
La séparation ainsi postulée passe notamment par la minimisation du libre-arbitre et du locus de contrôle objectif attribué à la conscience. Cette stratégie nous amène à privilégier les théories situant les origines des comportements dans l'inconscient au détriment de celles introduisant des formes d'autodétermination consciente.
En dehors de ces critères de séléction liés à nos orientations paradigmatiques, notre principal enjeu est de pouvoir disposer du modèle le plus efficace et le plus opérationnel possibles, autrement dit d'un modèle capable de concentrer, à l'intérieur d'un même cadre d'analyse, l'hétérogénéité des phénomènes impliqués. Le modèle de Nuttin (1965), moyennant quelques aménagements mineurs est celui qui nous a semblé le plus apte à répondre à ce besoin.
2.1. L'action de l'environnement sur les comportements.
Nous associons, à l'approche behavioriste, un certain nombre d'autres théories, en particulier des théories recourant explicitement au concept de motivation. Nous nous référons au fait qu'elles envisagent toutes, une détermination essentiellement extrinsèque des comportements. Ces derniers apparaissent, dans cette perspective, comme des réactions de l'individu aux stimulations de l'environnement.
La version de base du behaviorisme considère des lois universelles en vertu desquelles un stimulus donné engendre nécessairement les mêmes comportements. Cette théorie se vérifie, sans doute, dans un grand nombre de cas, mais le fait est que deux individus confrontés au même stimulus ne réagissent pas toujours de la même façon.
Les quelques théories explorées, à la suite du béhaviorisme classique, aménagent et complexifient la séquence "Stimulus-Réponse" en vue d'expliquer ces contingences. Elles considèrent, entre autres, des actions de l'environnement susceptibles d'altérer, de façon plus ou moins durables, les propriétés de l'individu. Nous regroupons ces théories autour de quatre types d'énoncés correspondant à différentes sortes d'actions environnementales.
2.1.1 Le behaviorisme et la séquence stimulus-réponse.
Les théories de l'école Behavioriste (Pavlov, 1963) se fondent sur des choix ontologiques et épistémologiques relevant d'un pragmatisme relativement marqué : ces théoriciens ne considèrent que ce qu'ils sont en mesure de directement observer. L'individu, leur objet d'étude, se trouve ainsi résumé à ses manifestations comportementales. Ils ignorent tout de son intériorité : de ses représentations conscientes comme de ses mécanismes inconscients.
Ils conçoivent ces comportements comme des réponses déterminées par les stimulus extérieurs. Partant de là, le programme de cette école est d'explorer les lois universelles qui régissent l'individu. On le soumet, pour ce faire, à différents stimulus en vue de mesurer ses réactions. Les résultats montrent qu'il cherche à reproduire les expériences associées à des stimulus positifs et à éviter celles caractérisées par des stimulus négatifs.
Une telle démarche peut, au premier abord, apparaître simpliste, voire tautologique. Nous interprétons cette approche des réalités humaines et sociales comme une volonté de couper court aux problèmes de l'intentionnalité et des caractéristiques attribuées aux comportements dans le cadre des représentations. Dans cette perspective, elle adopte un paradigme positiviste postulant l'existence de lois universelles. Partant de là, elle met en évidence des régularités sur la base des phénomènes observables. Les Behavioristes s'inscrivent, ce faisant, dans une démarche scientifique héritée des Sciences de la Nature et dont ils cherchent à démontrer la pertinence au niveau des Sciences Humaines et Sociales.
Les versions suivantes, assouplissant ou modifiant certains de ces énoncés, aboutissent à un niveau de complexité tout à fait comparable à celle des autres approches.
2.1.2. L'action de l'environnement immédiat.
La théorie behavioriste, dans sa forme de base (Pavlov, 1963), focalise son attention sur les régularités existant au niveau des réactions des individus, face aux différents stimulus que peut produire l'environnement. Cette démarche passe à côté de nombreux cas pour lesquels les réponses comportementales, face à un stimulus donné, s'avèrent différentes.
Une première réponse possible, pour rendre compte de ces cas, met en avant la diversité des stimulus qui composent un environnement donné. Nous qualifions ainsi de situationnistes, les conceptions suivant lesquelles les réactions de l'individu ne dépendent pas seulement d'un stimulus donné mais de l'ensemble des stimulus qui composent l'environnement immédiat.
Cette ouverture ne remet pas en cause le caractère inné de la réponse. Les différences observées au niveau des comportements résultent du fait que, bien qu'étant confrontés à un stimulus commun, les individus se trouvent, par ailleurs, de par la place qu'ils occupent dans l'environnement, soumis à des stimulus différents. Intégrant la notion de complexité, on peut considérer que tout individu observé, dans un environnement donné, à un moment donné, se trouve soumis à une combinaison de stimulus unique. Partant de là, les différences de comportements observées ne peuvent réfuter les principes behavioristes.
Suivant cette perspective, une partie des régularités observées pourraient être attribuées à la société dans la mesure où les individus qui la composent, se trouveraient, en permanence, soumis aux mêmes stimulus culturels et sociaux. Cette approche pourrait, de même, légitimer les propriétés que confèrent, par exemple Crozier et Friedberg (1977), aux acteurs : l'entreprise stimulerait des comportements d'ordre stratégique.
2.1.3. Le conditionnement : une modification durable des "propriétés" de l'individu.
L'approche précédente ne permet cependant pas d'expliquer les différences de comportements observées à l'occasion d'expériences cliniques. Même lorsqu'on prend soin de contrôler l'ensemble des variables, il arrive encore que deux individus ne répondent pas de façon identique. La réponse à ce problème passe par un assouplissement des énoncés, permettant d'admettre l'action des stimulus à moyen et long termes. C'est ce que font les théories empiristes à travers diverses notions relatives à l'apprentissage.
Certaines formes d'apprentissage ont été étudiés de façon expérimentale (Pavlov 1983) :
- la première étape réside dans le repérage d'un stimulus déterminant les comportements souhaités.
- la seconde étape consiste à introduire, de façon répétée, en même temps que ce premier stimulus, un second. L'individu les associe progressivement et peut, à terme, produire le comportement recherché en l'absence du premier.
Au delà de ces situations expérimentales, certaines théories considèrent l'apprentissage comme la façon dont l'individu acquiert la plupart de ses propriétés. H. Laborit (1976) considère, ainsi, que tous les individus disposent, à la naissance, de systèmes nerveux identiques. Bourdieu (1970) considère que les comportements de l'individu dépendent en partie de ses origines familiales.
Nombre d'auteurs, en particulier les psychanalystes (Freud, 1933), s'accordent sur l'idée que les expériences les plus marquantes se réalisent au cours de l'enfance. Mais, même à ce stade, toutes les expériences n'ont pas le même impact, les plus profondes sont qualifiées par les psychiatres d'expériences traumatiques.
L'expérience traumatique peut être décrite comme la confrontation avec un stimulus négatif très violent, susceptible d'altérer, de façon plus ou moins irréversible, les propriétés d'un individu. Cette expérience dépasse le simple apprentissage, elle induit les comportements face à l'objet traumatisant, mais modifie aussi ses réactions face aux autres stimulus.
Conclusion sur le behaviorisme.
Ces théories relativement hétérogènes ont en commun avec le behaviorisme, d'attribuer à l'environnement un rôle prépondérant dans la détermination des comportements individuels. Elles se différencient, par contre, au niveau du caractère plus au moins immédiat des stimulus agissant, ainsi que sur l'aspect plus ou moins durable de leur action.
L'implication de l'individu correspond, dans ce cadre, à sa définition la plus restreinte possible : l'individu est impliqué au sens d'être impliqué dans une série d'événements.
Ces théories expliquent, selon P. Louart (1992) : "Comment"(...) "motiver une personne ?" autrement dit comment l'amener à se comporter de la façon souhaitée. La série de théories que nous abordons à présent pose une question quelque peu différente : "Qu'est-ce qu'une personne motivée ?". L'idée que les processus comportaux pourraient être initiés par des mécansismes internes ouvre des perspectives radicalement différentes.
2.2. Des comportements initiés par des mécanismes internes.
Les quelques théories ici abordées se rejoignent sur l'idée que tout ou partie des interactions comportementales observables entre l'environnement et l'individu pourraient être intiées par des mécanismes internes à ce dernier. Dans cette perspective, les comportements ne constitueraient plus, comme le considéraient les théories précédemment évoquées, des réactions aux modifications d'un environnement extérieur ; les besoins ou encore les désirs pousseraient l'individu à agir en vue de modifier ce dernier de façon à établir les conditions nécessaires à leur réalisation..
L'introduction de déterminants internes induit une rupture ontologique relativement importante : ces facteurs amènent, voire obligent, l'individu à initier les processus interactionnels le liant à son environnement. Ce faisant, il oppose aux lois universelles de ce dernier, un ordre intérieur intégrant ses propres déterminismes.
Parmi ces déterminants possibles, les plus évidents semblent être les besoins physiologiques, ceux-ci apparaissant relativement objectifs. L'intégration de besoins dit "supérieurs" (Maslow, 1954) ou "psychologiques" (Herzberg, 1966) tels que la réalisation de soi, l'actualisation de l'estime de soi, l'autodétermination ou l'autorégulation nous amène, quant à eux, à préciser la nature et les logiques présidant à cette étape de notre raisonnement.
En effet, les connaissances produites à leur sujet les inscrivent dans des catégories sensiblement différentes de celles ici retenues : les besoins "psychologiques" sont habituellement définis par contraste avec les besoins physiologiques, ces derniers apparaissant alors relativement proches des logiques behavioristes. L'intégration des besoins physiologiques et des besoins psychologiques à l'intérieur d'une même catégorie exige ainsi quelques précisions.
Cette catégorie situe ces besoins à des niveaux esssentiellement inconscients. Là encore, nous empruntons une voie sensiblement différentes de celle suivie par les auteurs ayant contribué à l'étude des besoins psychologiques.
Enfin, l'inscription de ces besoins dans le cadre de logiques faisant valoir leur antériorité sur les processus comportementaux peut être confirmée par les travaux de Maslow, mais ceux de Herzberg et de Deci et Vroom semblent quant à eux considérer le caractère processuel de ces phénomènes. Ces auteurs s'attachent aux conditions environnementales nécessaires à leur réalisation. Il eut par conséquent sans doute été souhaitable de les introduire dans la partie suivante.
L'intégration de ces besoins psychologiques nous permet d'expliciter les logiques présidant à la sélection et à l'ordonnancement d'un ensemble de théories somme toute très partiel au regard de la littérature existante. Par ailleurs, l'explicitation des aménagements nécessaires à leur intégration dans le cadre de cette recherche constitue une occasion de préciser dès à présent certains aspects des paradigmes présentés dans le chapitre suivant.
Il s'agit pour nous de préciser si ces besoins peuvent être activés indépendamment des données environnementales ou si elles relèvent de la partie suivante. Elles nous amènent également sur un terrain aux limites de notre paradigme posant les questions de la conscience sur les comportements. Nous considérons ici les besoins inconscients et abordons les autres dans le chapitre suivant. Finalement, compte tenu des difficultés à établir si tel ou tel facteur peut initier la relation, nous considérons une catégorie par destination, nous intégrons comme déterminant interne du comportement tout facteur susceptible de permettre à l'individu d'initier la relation.
Nous commençons par préciser le registre dans lequel se situent la plupart des approches théoriques abordées à propos des déterminants internes. Nous passons ainsi en revue quelques inventaires se référant à des ensembles de causes plus ou moins étendues. Nous abordons la distinction entre besoins physiologiques et besoins psychologiques en questionnant tout d'abord la hiérarchie que Maslow établit entre eux (Maslow, 1954), pour finalement élargir l'ensemble des déterminants internes susceptibles d'initier les comportements à la notion de désir.
2.2.1. Des démarches visant à inventorier les besoins.
Les conceptions innéistes des motivations privilégient la notion de besoin. Elles font valoir des caractéristiques fondamentales et constitutives de la nature humaine. Leur démarche consiste notamment à inventorier, de la façon la plus exhaustive possible, l'ensemble de ces besoins, tout en les regroupant autour d'un nombre de catégories relativement restreint.
Les caractéristiques universelles recherchées dans ce cadre diffèrent de celles qu'intègrent les théories d'inspiration behavioriste quant à la place qu'elles occupent dans la chaîne causale présidant aux comportements. Alors que les propriétés étudiées par les behavioristes sont considérées comme des variables intermédiaires, celles qu'intègrent les théories ici abordées sont désignées comme les causes premières des motivations menant aux comportements. Elles constituent des déterminismes susceptibles d'initier les interactions entre l'individu et son environnement.
L'inventaire de ces caractéristiques diffère sensiblement selon les auteurs. Au delà de l'exhaustivité, l'un des enjeux de ces recensements semble être de réduire le nombre de catégories mises à jour afin faire ressortir quelques principes fondamentaux de la condition humaine. Mac Clelland (1953), par exemple, regroupe les facteurs motivants en deux classes : la recherche du succès et la peur de l'échec. Cette conception rejoint, en d'autres termes, celle de Laborit (1976) pour qui les comportements humains résultent de deux tendances : la recherche du plaisir et l'évitement de la douleur. Les catégories proposées par ces deux auteurs ont le mérite d'envisager la possibilité de facteurs motivants à caractères négatifs. Ils réintègrent ainsi nombre de phénomènes habituellement occultés.
Ces recensements ont ainsi pour objectif de structurer de façon efficace un ensemble de phénomènes hétérogènes.
L'inventaire le plus diffusé et le plus systématiquement utilisé, reste, aujourd'hui encore, la pyramide de Maslow (1954). Elle hiérarchise les besoins en cinq niveaux, en partant des besoins primaires, autrement dits vitaux, tels que la faim ou, dans une moindre mesure, la sécurité, pour aboutir aux besoins dits supérieurs. Ces derniers ne relèvent pas de l'absolue nécessité, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause la survie de l'individu. Ils contribuent cependant à ce que Nuttin (1965) nomme son "fonctionnement optimal" : ils lui permettent de réaliser les potentialités qu'il recèle.
Les deux derniers niveaux de la pyramide de Maslow : autonomie et réalisation de soi se retrouvent chez de nombreux auteurs. Pour Mac Grégor (1963) , la société moderne subvient à la survie et au confort des individus, saturant ainsi les premiers niveaux de la pyramide. Dans ces circonstances, les besoins de responsabilité et de réalisation de soi constituent désormais les principaux moteurs des comportements.
Paradoxalement, ces besoins dits "supérieurs" apparaissent, suivant l'ordre établi par Maslow, secondaires : ils ne seraient pas strictement nécessaires et ne se manifesteraient, selon lui, qu'une fois les niveaux inférieurs saturés. C'est précisément à propos de cette hiérarchie que cette pyramide se trouve le plus souvent remise en cause.
2.2.2. L'intégration des besoins "hygiéniques" et des besoins "psychologiques" à l'intérieur d'une même catégorie.
La plupart des théories que nous venons d'évoquer se réfèrent plus ou moins explicitement à la notion de nécessité vitale. Elles relèguent ce faisant au rang de besoin secondaire, ou tout simplement excluent, les phénomènes qui ne leur semblent pas directement contribuer à la survie de l'individu. Elles induisent ainsi une vision de la condition humaine : elles précisent ce à quoi tout individu peut prétendre et ce qui peut être considéré comme superflu.
L'idée de nécessité se réduit souvent à la notion de survie. La position développée par Laborit (1976) s'inscrit dans cette perspective : " La motivation fondamentale des êtres vivants semble donc bien être le maintien de leur structure organique". Ce type de considérations ne permet pas de distinguer l'être humain des autres organismes vivants, ce principe de conservation de la structure s'appliquant même à des organismes non-vivants tels que les organisations.
Mais, comme le fait remarquer Nuttin, "Les théories de la motivation ou des besoins ont tendance à partir de "l'intérieur" de l'individu. Le désir de définir les besoins en fonction d'un substrat physiologique tangible a eu pour effet que les psychologues ont insisté trop exclusivement sur l'aspect intra-organique du besoin." (1965) Sa théorie souligne, parallèlement aux nécessités physiologiques, l'importance de besoins à caractère plus psychologique.
Nous rejoignons Nuttin sur l'idée que les besoins psychologiques sont susceptibles d'orienter les comportements au même titre que les besoins primaires et peuvent être, par certains aspects, vitaux. Cependant, l'intégration de ces deux catégories de besoins à l'intérieur d'une même catégorie, qui plus est une catégorie les localisant dans l'inconscient, ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes.
Nous situons ces problèmes au niveau du fait que la plupart des connaissances scientifiques produites à leur sujet tendent à les opposer, ou dans une moindre mesure à les distinguer. Les besoins "primaires" désignés par Herzberg (1966) sous le terme de besoins "hygiéniques" apparaissent dans cette perspective plus proche des logiques behavioristes que des besoins supérieurs autrement appelés "psychologiques".
Par ailleurs, ces théories se réfèrent, semble-t-il, à des paradigmes admettant l'existence d'un libre-arbitre opérant depuis la conscience. Elles dessinent ce faisant des phénomènes abordant des réalités situées à la limite de celles que nous sommes en mesure d'intégrer dans le cadre des paradigmes que nous retenons. La prise en considération de besoins tels que "l'autorégulation" ou "la réalisation de soi" demande, dans le cadre de cette recherche, certains aménagements que nous entreprenons ici et poursuivons dans le chapitre suivant.
L'intégration des besoins "psychologiques" constitue notamment une occasion, pour nous, de clarifier dès à présent certains aspects des positions paradigmatiques développées dans le chapitre suivant.
2.2.2.1. L'intégration des besoins hygiéniques et des besoins psychologiques.
Les travaux à propos des besoins "psychologiques" qualifiés par Maslow de "supérieurs", notamment ceux de Herzberg (1966) et ceux de Deci et Vroom (1970) questionnent la possibilité de gérer les comportements individuels. Considérant le caractère quelque peu inopérant des systèmes de gestion "paternaliste" fondés sur des principes de "gratitude", ils analysent la pertinence des systèmes de contrôle extérieur fondés sur des jeux de récompenses et de sanctions tels que ceux proposés par Taylor (1947). Les travaux d'Herzberg vérifient cette possibilité à propos des besoins dits "hygieniques". Mais ceux-ci restent, selon Deci et Vroom, relativement limités. Ils restent un tant soit peu actifs dans le cadre du travail à la chaîne, mais deviennent plus ou moins inopérants lorsqu'il s'agit de fonctions plus complexes. Les possibilités de contrôler la motivation des individus décroissent au fur et à mesure que les liens qu'il est possible d'établir entre les efforts fournis et les récompenses obtenues s'atténuent (Vroom, 1964).
Inversement, Deci et Vroom (1970) dénoncent l'incompatibilité du travail à la chaîne avec la réalisation des besoins psychologiques. Cette seconde catégorie de besoins apparaît, en revanche, dans le cadre des emplois intégrant des responsabilités importantes, relativement plus accessibles
Les travaux de Deci et Vroom (1970) s'attachent à démontrer que les besoins "psychologiques" tels que la réalisation de soi, l'autodétermination ou la reconnaissance ne peuvent être directement intégrés dans le cadre d'un système de récompenses contrôlé par l'entreprise. Leur satisfaction reste essentiellement liée à la réalisation du travail en soi, la performance ne constitue plus, dans cette perspective, un moyen, mais devient un but en soi. La gestion des comportements associés à ces besoins passe, selon ces auteurs, par des formes de management plus participatif.
Suivant les perspectives de ces théories, les besoins "hygiéniques" apparaissent plus proches des logiques behavioristes que des besoins "psychologiques". Le système de récompenses et de punitions dans lequel ils s'inscrivent ressemble fort à la séquence stimulus-réponse évoquée dans la partie précédente.
La problématique en fonction de laquelle nous structurons cette partie sur les déterminants des comportements introduit des catégories suivant un découpage quelque peu différent. Nous cherchons à identifier les logiques présidant aux comportements. Nous ne questionnons pas la possibilité de les contrôler, mais nous revenons sur les chronologies mises en avant par les différentes approches théoriques en vue de trouver parmi elles un cadre d'analyse nous permettant d'intégrer l'ensemble des cas de figures a priori possibles.
Nous considérons une première catégorie intégrant des logiques que nous avons associées à celles des behavioristes. Ces logiques ont en commun de situer la cause première des comportements au niveau de l'environnement, soit par l'introduction d'objets spécifiques, soit par sa modification de leurs caractéristiques ou de leur agencement.
Notre seconde catégorie, actuellement abordée, se caractérise par l'antériorité attribuée à des mécanismes localisés dans l'intériorité de l'individu. Cette catégorie intègre des logiques situant à ce niveau les phénomènes déclanchant le processus comportemental. Une fois le besoin activé, qu'il soit hygiénique ou "psychologique", l'individu orienterait ces comportements vers la recherche d'objets susceptibles d'y répondre ou vers la modification de l'environnement actuel de façon à constituer les conditions nécessaires à sa réalisation.
Nous intégrons ainsi les besoins psychologiques au même niveau que les besoins hygiéniques. Nous privilégions une logique fondée sur la chronologie des évènements présidant aux comportements, indépendamment de celles considérant la possibilité de les gérer à travers un système de contrôle externe. Notre objectif est d'adopter un modèle capable de comprendre à l'intérieur d'une seule et même catégorie l'ensemble des phénomènes impliqués dans la détermination des comportements.
Nous occultons ce faisant une part importante des connaissances existant à propos de ces besoins psychologiques. Il eut, d'ailleurs, sans doute été souhaitable de situer ces besoins dans la catégorie suivante, celle considérant le caractère simultané des facteurs internes et externes, dans la mesure où Deci & Vroom (1970) de même que Kornhauser (1965) considérent que la réalisation de ces besoins reste liée à des conditions relativement strictes que le management participatif tente de mettre en place.
Nous situons les besoins "psychologiques" dans le cadre de cette partie en référence aux travaux de Maslow pour qui l'activation d'un besoin oriente les comportements de l'individu et le pousse à chercher les conditions de leurs réalisations. Celui-ci ne cherchera pas à réaliser d'autres besoins avant d'avoir saturé ceux-ci.
Nous assumons ainsi une approche relativement partielle de ces travaux en partie dictée par la problématique et les enjeux présidant à cette partie
2.2.2.2. Des besoins "psychologiques" au besoin d'équilibre psychologique.
La seconde difficulté introduite par l'intégration des besoins "psychologiques" réside dans le fait que les théories à leur sujet semblent intégrer l'existence et l'opérationnalité d'un libre-arbitre situé au niveau de la conscience de l'individu.
Les besoins hygiéniques par rapport auxquels Herzberg (1966), Deci et Vroom (1970) situent les besoins psychologiques ouvrent la possibilité d'un système de contrôle externe des motivations. Dans ce cas de figure une part importante du locus de contrôle réside en externe. Les réactions ainsi induites prennent un caractère systématique excluant a priori l'intervention d'un quelconque libre-arbitre.
Les besoins d'autodétermination et de développement psychologique sur lesquels s'appuie le management participatif semblent, d'après les théories de Herzberg (1966), Deci et Vroom (1970) mettre à contribution la volonté de l'individu. Ces auteurs précisent que, dans le cadre de ces besoins, l'individu décide ou non de s'investir, l'environnement notamment le système de management mis en place par l'entreprise ne peut intervenir autrement qu'en aménageant les conditions nécessaires à leur réalisation. Le locus de contrôle se situe dans ce cas en interne et semble en partie maîtrisé par la conscience.
Les besoins psychologiques nous amènent ainsi sur un terrain situé aux limites de notre paradigme. Celui-ci considère en effet la détermination des comportements par des logiques inconscientes visant à garantir des interactions satisfaisantes avec l'environnement. A cette première activité de l'inconscient, s'ajoute une seconde consistant à produire des représentations destinées à conserver l'intégrité de la conscience. Cette conservation passe notamment par la vérification d'un locus de contrôle interne. Nous intégrons ce faisant le caractère construit de ce phénomène, il s'agit pour nous d'une exigence représentationnelle : l'individu doit pouvoir reconstruire le sens de ce que la réalité lui donne à voir de façon à faire apparaître le rôle déterminant des intentions signifiées. Ces logiques ne se concrétisent pas forcément par une détermination effective des comportements.
Nous ne considérons ainsi pas directement le rôle du besoin d'autocontrôle sur les comportements, nous retenons seulement les besoins correspondant aux conditions nécessaires pour que l'inconscient puisse assurer des représentations conformes à la perception d'un locus de contrôle interne.
Notre réappropriation des besoins psychologiques repose sans doute sur des paradigmes différents de ceux retenus par les auteurs à l'origine des connaissances existant à leur sujet, notamment pour ce qui relève de la question du libre-arbitre.
Nous intégrons finalement des besoins liés à l'équilibre psychologique parmi lesquels nous considérons ceux présidant à la production de représentation compatibles avec les caractéristiques fondant l'intégrité de la conscience.
Ce type de besoin nous apparaît, finalement, aussi nécessaire que les besoins "hygiéniques". Nous considérons l'individu non seulement comme un organisme, mais également comme un psychisme.
Ainsi à l'instar de Nuttin, de nombreux auteurs contestent, la hiérarchie établie par Maslow (1954) et intègrent les niveaux dit "supérieurs" comme constitutifs de la condition humaine. Finalement, considérant ces multiples acceptions, la notion de besoin apparaît quelque peu relative.
De leur côté, un certain nombre de théoriciens considèrent différents types de besoins. Autrement dit la motivation ne reposerait pas sur des besoins en tant que tels mais sur un besoin d'autodétermination. Dans cette perspective, la motivation ne réside pas dans la correspondance de la valence avec le besoin activé, mais dans l'accomplissement du travail lui-même.
2.2.3. Le "quoi" des motivations.
La place qu'occupe le besoin au sein des débats sur la motivation, met en évidence un projet, par certains aspects, semblable à celui des béhavioristes. Tout comme ces derniers, Dichter (1961), le publiciste à l'origine du concept, avait pour ambition de substituer aux "raisons" subjectives que rapportent les individus, les véritables causes : les causes objectives de leur comportements. Cette focalisation sur la notion de besoin passe à côté du désir.
Le désir, constitue selon Freud (1933), l'un des principaux moteurs du comportement humain. S. Michel (1989) le définit comme l'envie de retrouver les premières expériences du plaisir. Elle rejoint Laborit (1976) lorsqu'il décrit une tendance à réitérer le plaisir et à fuir la douleur.
Les désirs, bien que superflus pour la survie, semblent néanmoins constituer une force motivationnelle au moins aussi puissante que des besoins dits vitaux. Le terme de pulsion (de vie ou de mort) employé par Freud nous évoque la force de ces phénomènes.
L'implication apparaît, dans le cadre de cette deuxième série de théories, comme une conséquence de la motivation. Elle se limite aux comportements par l'intermédiaire desquels cette dernière accommode son environnement.
La combinaison de cette approche avec la précédente nous oblige à considérer l'existence de deux phénomènes distincts, intégrant eux-mêmes certaines formes d'hétérogénéité. Leur intégration passe par un cadre de références différent.
Eluder le pourquoi de la relation substantielle. "Nous estimons que, pour une intervention dans les affaires humaines, l'approche la plus pragmatique n'est pas la question du "pourquoi" mais la question du "quoi". (Watzlavick , 1976) |
Conformément à l'invitation de Watzlavick, nous abandonnons "l'étude des facteurs motivants" et élargissons le champ de la motivation à "tout ce qui est moteur". (Michel, 1979). . Suivant cette perspective, la troisième et dernière série de théories aborde la motivation en tant que processus, en intégrant le caractère interactif des relations entre l'individu et son environnement.
2.3. - Des processus comportementaux résultant des interactions entre l'individu et son environnement .
L'approche interactionniste des mécanismes comportements fait désormais l'objet d'un relatif consensus de la part des chercheurs des Sciences Humaines et Sociales. Elle consiste, tout d'abord, à admettre la coexistence des deux précédents phénomènes, dans le cadre d'un processus interactif. Les motivations se trouveraient ainsi en interaction avec les opportunités de l'environnement.
Dans cette perspective, la contribution la plus aboutie nous a semblé être celle de Nuttin (1965). Pour lui, la motivation associe les structures mentales caractérisant le "Moi" à des contenus issus de l'environnement, dans le cadre d'une même entité : "la structure Moi-Monde". Nous développons cette théorie, plus en détail, à l'issue de cette partie. Nous intégrons auparavant un certain nombre d'autres approches allant dans le même sens.
2.3.1. L'approche cognitive.
Louart (1992) voit, dans le concept de motivation, une recherche d'explication de "ce qui relie, chez l'être humain, l'activation de l'énergie interne à son orientation vers des buts ou des objets particuliers." Les facteurs motivants sont à la fois des forces intérieures qui poussent à l'action (impulsions, besoins, tendances) et des événements externes présents ou projetés qui font agir par attraction (motifs, mobiles, intérêts). Suivant une perspective semblable, Michel (1989) considère tour à tour l'existence d'une force et son orientation. Cette orientation intègre, selon Nuttin (1965) des éléments spécifiques de l'environnement, à travers la construction de buts concrets
Outre le caractère interactif du phénomène, ces auteurs soulignent sa dimension cognitive. Les stimulus de l'environnement n'apparaîtraient, à l'individu, que dans la mesure où ils font l'objet d'une motivation manifeste. Inversement, on peut considérer qu'une motivation ne devient manifeste qu'à partir du moment où l'individu perçoit une opportunité de la réaliser.
La théorie de Vroom (1964), prolonge la dimension cognitive de la motivation au niveau de son action sur les comportements. Pour lui, le passage de la motivation à l'action n'est pas systématique, il cnstitue le produit de trois facteurs : la valence, l'expectance et l'instrumentalité.
La valence : elle correspond à la valeur que représente un objet par rapport à une motivation donnée. Cette valeur n'est pas une valeur absolue, mais dépend de la subjectivité de l'individu. Considérant, les travaux d'Emerson, nous traduisons cette valeur en termes de dépendance vis-à-vis de l'objet et de rareté, compte tenu des possibilités ou non de l'obtenir en dehors de ce contexte.
L'expectance : elle correspond à la relation qu'établit l'individu entre ses efforts et la performance qu'il réalise. On retrouve une logique semblable à celle énoncée par Olson (1978) dans le cadre de l'action collective : moins l'individu perçoit les effets de sa contribution, moins il est enclin à participer. L'individu peut également évaluer la probabilité qu'il a de mener à bien l'action entreprise compte tenu de ce dont il estime être capable. Une telle évaluation est avant tout subjective, elle met en jeu l'estime de soi. Cette dernière résultant de ses précédents investissements, des échecs et des succès rencontrés. (Argyris, 1970).
- l'instrumentalité : elle correspond au lien qu'établit la personne entre la réussite de l'action entreprise et la probabilité d'accéder à l'objet de la motivation. Ce lien doit être suffisamment explicite pour que les deux éléments puissent être associés.
L'efficacité de ce processus recueille un large consensus. Il rend compte de la motivation en termes de choix, tant au niveau de l'objet que des efforts accomplis. Nous souhaitons, cependant, insister sur la distinction entre le processus motivationnel et la motivation en tant que telle. Dans le cadre de ce processus, seule la valence relève directement de la motivation, les deux autres éléments constituent des variables intermédiaires entre elle et l'action.
Nous questionnons, par ailleurs, la caractère inconditionnel de cette formule :
- dans le cadre d'un défi tel que celui modélisé par Argyris (1970), plus l'expectance est faible, autrement dit, plus l'action à réaliser demande d'efforts et de compétences, plus l'individu s'investit dans l'action ;
- concernant les valences négatives, en dehors des cas de blocage, plus l'expectance et plus l'instrumentalité sont faibles, plus l'individu est susceptible d'agir, c'est-à-dire de fuir ou de combattre le danger.
Ces théories permettent de concevoir le caractère interactif qui préside à la détermination du comportement. Elles n'évitent pas, cependant, la question relative à l'initiative de la relation : à savoir si le processus commence suite à un "besoin" de l'individu ou à une opportunité de l'environnement. La notion de tension introduite par Lewin (1964) nous aide à dépasser ce reste de séquentialité.
2.3.2. L'approche en termes de tensions.
Pour Lewin (1964), l'ensemble des besoins de l'individu peut être rapporté à une seule et même catégorie : le "besoin d'équilibre". Partant de là, il définit la motivation comme le résultat d'une tension entre l'individu et l'environnement, il ne la conçoit pas comme une cause mais comme une composante de la relation.
Nous interprétons l'approche de Lewin, en situant ces tensions comme le résultat des écarts existant, à un moment donné, entre les caractéristiques de l'environnement désirées par l'individu et celles qu'il perçoit. Cet écart peut être dû à l'arrivée d'une valence négative que l'individu souhaite éviter ou à la présence d'une valence positive dont il souhaite se rapprocher. Les tensions que génère cet écart peuvent être assimilées à la motivation : elles constituent une force qui pousse l'individu à agir : à modifier son environnement de façon à le rendre plus conforme à ses désirs.
La notion de tension permet de ne plus considérer la motivation comme une caractéristique de l'individu ou une action de l'environnement. Elle est déterminée par la façon dont ils évoluent l'un par rapport à l'autre :
- un changement de désir peut créer une tension avec un environnement ; il était satisfaisant à un moment, mais ne l'est plus ;
- de même, la disparition d'un élément de l'environnement peut créer une tension dans la mesure où celui-ci faisait et fait encore l'objet d'un désir ;
- enfin, on peut parfaitement imaginer que l'individu développe un nouveau désir en même temps qu'apparaît la possibilité de le réaliser ; l'équilibre est alors maintenu.
Cette théorie situe la motivation au coeur de la relation entre l'individu et son environnement. Le problème est qu'elle décrit, en fait, une sorte de "métamotivation". Cette dernière ne vise plus la satisfaction de l'individu mais la réduction des insatisfactions liées à la non-réalisation du désir. La relation, n'apparaît plus que dans une forme quelque peu négative : elle s'intensifie dans la privation. Elle se concrétise par le manque des valences positives et la confrontation avec les valences négatives. L'accès à l'objet fait, en quelque sorte, disparaître la relation.
La théorie de Nuttin permet de dépasser ces limites : elle intègre le désir et sa concrétisation dans le cadre d'une même "structure Moi-Monde".
2.3.3. Les "structures Moi-Monde" (Nuttin).
La théorie relationnelle des besoins, développée par Nuttin (1965), s'appuie sur un concept de personnalité défini comme un ensemble de structures englobant deux pôles :
- le "Moi", qui correspond à l'ensemble des fonctions et des potentialités psychiques de l'individu ;
- le "Monde", qui en est l'objet.
Nuttin considère ainsi une "structure Moi-Monde" où ne préexiste aucun des deux termes.
La "structure Moi-Monde" comme donnée initiale. "La donnée initiale de la psychologie n'est donc pas, nous le répétons, la personnalité en face du monde, mais le processus comportemental (processus cognitifs & réactions motrices), c'est à dire une structure bipolaire dans laquelle la personnalité et le monde coexistent comme résultantes et potentialités actives d'interactions." Nuttin, (1965) |
Partant de là, l'existence et le développement de la personnalité passent par la multiplication des interactions comportementales entre le "Moi" et les objets de l'environnement. Ces interactions constituent en quelque sorte la condition humaine.
La personnalité de l'individu se développe, tout d'abord, suivant un processus dans le cadre duquel l'individu explore le monde et fixe ses structures sur "les interactions" les plus "satisfactrices". Elle se stabilise, peu à peu, sous la forme d'un ensemble de besoins d'interactions intégrant des objets spécifiques et ayant vocation à se concrétiser.
Partant de là, la relation, en tant que "structure Moi-Monde", peut ainsi prendre trois formes :
- la forme de comportements. La relation est actuellement réalisée ;
- la forme de perceptions. Compte tenu de processus cognitifs mettant en interaction les "structures Moi-Monde" et un environnement donné, l'individu perçoit les objets avec lesquels il peut entrer en relation ;
- la forme de besoins. Ils poussent l'individu à maintenir les interactions actuelles et à rechercher les moyens de réaliser les relations potentielles caractérisant la personnalité.
Ce modèle permet d'intégrer les interactions physiques et les besoins dans le cadre d'une seule et même entité. Avant et après les interactions physiques, l'individu entre en relation avec les objets sur lesquels se fixent ses structures, dans le cadre de perceptions. Lorsque ces objets sont absents de l'environnement immédiat, il peut rester en relation avec eux, par l'intermédiaire de besoins maintenant l'interaction à l'état de potentiel.
Ce modèle comprend ainsi les motivations et les attitudes, l'activité cognitive et les processus comportementaux comme les états d'une seule et même relation. Il nous apparaît, compte tenu de nos enjeux, à la fois relativement simple et efficace. Nous l'intégrons moyennant quelques précisions et aménagements mineurs.
Nous interprétons les "structures Moi-Monde" et les perceptions du monde auxquelles elles se réfèrent, non pas comme des représentations, mais comme des potentialités énergétiques (Piaget, 1971). Nous considérons, en effet, le caractère inconscient et non formalisé de ces structures. Nuttin fait, d'ailleurs, remarquer que la conscience les reconstruit en réintroduisant des formes d'altérité entre elles et les objets du monde.
Nuttin n'évoque pas les motivations négatives. L'intégration de ce type de phénomènes n'altère, cependant, en rien la logique, par lui, définie : "L'interaction satisfactrice" consisterait, dans cette perspective, à éviter, à neutraliser ou à détruire les valences négatives. La continuité de la relation, en l'absence de l'objet, s'exprimerait, dans ce cas, par la peur ou la colère à l'idée de le voir resurgir.
Nuttin décrit la façon dont l'individu intègre l'existence des autres, mais il n'intègre pas directement les normes sociales. Prolongeant sa réflexion, nous considérons ces normes comme un type de structures, ou une de leurs composantes, participant à la détermination des objets susceptibles de satisfaire l'individu. Elles amènent, ce faisant, un traitement différent des contenus environnementaux : comme le conçoit Michel (1989), elles orientent l'individu vers des relations socialement acceptables.
Nous ajoutons, par ailleurs, aux énoncés développés par Nuttin, ceux de Piaget (1971) concernant les structures cognitives inconscientes, celles-ci déterminant la façon dont vont être traités, d'un point de vue logique, les contenus de l'environnement. Nous ordonnons ainsi les "structures Moi-Monde" en fonction de la nature de ce qui peut constituer soit des composantes, soit des types de structures se combinant entre elles. Ces structures peuvent ainsi, tour à tour, être d'ordre cognitif, normatif ou affectif.
Ces aménagements et ajouts nous permettent d'intégrer plus pleinement la théorie de Nuttin. Celle-ci nous permet, entre autres, d'accéder à un concept d'implication substantiel plus homogène.
Conclusion sur l'implication substantielle.
La théorie de Nuttin nous amène à considérer l'implication attitudinale et l'implication comportementale comme les états d'une seule et même relation. La "ligne d'action consistante" (Becker, 1960) à laquelle se réfère l'implication comportementale est en partie déterminée par des besoins se concrétisant sous la forme d'interactions spécifiques.
Concernant notre recherche, le modèle de Nuttin répond parfaitement à notre besoin de concevoir la relation substantielle, en considérant le fait que cette dernière ne constitue, dans ce cadre, qu'un repère ayant pour vocation de mieux situer l'implication symbolique.
L'implication substantielle dans l'organisation correspond dorénavant, pour nous, à la façon dont l'individu intègre ses enjeux dans le cadre des "interactions satisfactrices" qu'il cherche à réaliser. Ayant pour objet la réalisation des enjeux de l'organisation, l'implication intrinsèque désignerait le cas où la relation avec l'organisation devient, en soi, satisfactrice. Cette relation devient, en tant que "structure Moi-Monde" constitutive de la personnalité et peut opérer en l'absence d'incitations immédiates. Cette implication apparaît effectivement, comme le conçoit Thévenet (1992), comme "une prédisposition à agir" : elle constitue une interaction potentielle ayant pour vocation de se concrétiser.
L'implication symbolique, en tant qu'ensemble des structures "Moi-Monde", nous permet d'intégrer tous les éléments extérieurs à l'implication symbolique : les motivations, les perceptions, les attitudes, les comportements et l'environnement. Elle ne comprend, par ailleurs, aucun des contenus que nous souhaitons attribuer à l'implication symbolique. Nous disposons ce faisant, d'une partition conforme au projet présidant à ce chapitre.
Ayant conceptualisé les réalités extérieures à l'implication symbolique, nous abordons à présent ses contenus.
3.1. Une définition de la relation individu-environnement
3.1.1. Composante cognitive et composante sociale.
Nous avons conçu la relation symbolique comme une relation construite entre deux éléments par un individu donné. Elle correspond, plus précisément, à la façon dont il les définit l'un par rapport à l'autre. Cette partie se propose, à l'instar de la précédente, de transposer ce concept d'une relation générique entre deux éléments quelconques à une relation impliquant au moins un individu.
Tout comme la motivation modifiait profondément les données de la relation substantielle, l'individu présente, dans le cadre de la relation symbolique, des caractéristiques spécifiques, susceptibles de rompre avec les logiques prévalant pour les objets ordinaires. Parmi celles-ci, la plus importante, nous semble être la réflexivité. Elle permet à l'individu de se mettre lui-même en relation avec son environnement, autrement dit de se définir par rapport à lui.
Cette définition, bien que, sur certains aspects, réfutable, reste relativement indépendante des caractéristiques des réalités objectives. Elle se trouve, par contre, souvent confrontée aux points de vue d'autres acteurs.
Le fait que d'autres acteurs puissent eux-aussi définir l'individu par rapport à son environnement rend la relation symbolique au moins aussi complexe que la relation substantielle. Elle mêle des aspects sociaux et psychologiques qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible d'étudier conjointement (Louart, 1990). C'est pourquoi, nous scindons le concept et distinguons tour à tour :
- relation symbolique sociale ;
- relation symbolique cognitive.
Ces deux relations s'interposent dans le cadre d'espaces communs tels que le discours, mais elles constituent, selon nous, des phénomènes distincts. Nous signifions cette distinction par une terminologie plus différenciée : nous réduisons la relation symbolique sociale à la relation sociale pour réserver l'appellation "relation symbolique" à la relation sociale cognitive.
C'est essentiellement autour de la seconde qu'est bâtie cette recherche. Cette abstraction, à l'origine fondée sur des considérations ontologiques, nous permet à la fois d'isoler, et de situer l'engagement signifié par les volontaires. La relation sociale apparaît à l'instar de la relation substantielle comme un repère permettant d'intégrer des réalités avec lesquelles cet engagement se trouve confronté.
3.1.2. L'implication symbolique sociale.
La relation sociale correspond à la façon dont les "Autres" conçoivent la relation entre l'individu et sa situation de travail. Partant de là, l'implication sociale décrit comment il peut ou doit se positionner par rapport à cette situation : les référentiels qu'il peut ou doit considérer et les logiques qu'il peut ou doit développer à leur encontre. Elle isole ce qui constitue, par ailleurs, un aspect de l'implication comportementale.
Implication sociale et implication comportementale : la théorie de Pfeffer et Salancick. "L'implication apparaît lorsqu'une personne, par ses investissements, relie des intérêts extérieurs à une ligne d'action consistante."(Becker, 1960) Les tenants de l' "Implication Comportementale" ont voulu répondre aux incertitudes et aux indéterminations de l' "Implication Attitudinale", ils passent d'un attachement subjectif s'exprimant essentiellement par des intentions à un attachement à une ligne d'action se manifestant, quant à elle, par des comportements parfaitement observables. Cette approche de l'implication se réclame du concept défini par Becker (1960), mais également des travaux de Pfeffer et Salancick (1978) sur le concept d'attitude. Le modèle des "processus d'information sociale" développé par Pfeffer et Salancick considère que l'individu est tenu de donner à voir une ligne d'action consistante. Il se voit ainsi plus ou moins contraint de poursuivre les lignes d'action initiées, par le passé, en présence de ce public. Les exigences des autres, à son sujet, sont fonction de : - la clarté de l'acte : l'univocité de ce qui a été produit ; - la révocabilité : la possibilité de le corriger ; - la volition : ce que l'individu contrôle ; - la publicité : l'importance que l'audience accorde au comportement. Paradoxalement cette théorie reprise comme composante de l'implication comportementale, était à l'origine, pour Pfeffer et Salancick (1978), une théorie de l'attitude. |
Pfeffer et Salancick (1978) considèrent le comportement comme porteur d'une "information sociale". Leur théorie semble, en cela, prolonger les travaux de l'interactionnisme symbolique (Goffmann, 1956 ; Becker, 1963).
"L'étiquetage" (Becker, 1963) est un concept particulièrement représentatif de ce courant de pensées. Il considère la capacité des autres à imposer, à l'individu, leur interprétation de ses comportements. Ce dernier peut cependant négocier avec eux et leur opposer son point de vue dans le cadre d' interactions symboliques. Le modèle de Pfeffer et Salancick met en évidence ce qui réduit les marges de manoeuvre de l'individu : par exemple, plus l'acte est clair, autrement dit, plus il fait l'objet d'une interprétation univoque, plus l'individu est tenu par une ligne d'action précise.
L'interactionnisme Symbolique est lui-même prolongé par les "Théories de l'Action", développées en France, entre autres, par Quéré (1990, 1993). Ces théories considèrent, parallèlement à l'approche explicative de l'action, une approche compréhensive la définissant comme un construit social. La spécificité de leurs travaux se situe au niveau de l'importance accordée au langage : ils approfondissent ainsi les interactions symboliques en faisant valoir le rôle structurant joué par l'énonciation de l'action.
L'implication sociale, telle que nous la définissons s'affilie à ces théories, tout en mettant en avant les marges de manoeuvre relativement étendues dont dispose l'individu. Il est, dans cette perspective, important de noter que ce n'est pas tant la matérialité des comportements qui est en jeu que leur sens. L'individu peut, en effet, par l'intermédiaire de son discours négocier le sens de ce que ses comportements "donnent à voir".
L'implication sociale permet aux "Autres" de formaliser certaines de leurs attentes, voire de leurs exigences, par rapport à l'individu. Elle se trouve, cependant, médiatisée par la compréhension que celui-ci peut en avoir. Il arrive ainsi qu'il se trompe à propos de ce que les autres lui permettent ou ne lui permettent pas.
Mais, quelle que soit la façon dont lui-même interprète ces attentes, ces dernières restent susceptibles de l'influencer, tant du point de vue de ses "attitudes" que de ses "comportements".
L'action de l'implication sociale sur les comportements. De nature symbolique, l'action de cette implication peut prendre un caractère substantiel. Nous avons admis que les comportements se trouvent "normalement" déterminés par les interactions entre l'inconscient et la situation. Compte tenu de ces prémisses, différents cas de figures permettent d'envisager l'action de l'implication sociale et, par son intermédiaire, des exigences définies par les "Autres", sur les comportements. 1. Les normes du groupe peuvent, tout d'abord, être internalisées en tant que telles. L'individu produit, alors, spontanément, des comportements conformes à ce qu'elles exigent. Nous considérons, dans ce cas, la confusion de l'implication sociale et de l'implication substantielle. 2. L'implication sociale peut également intervenir sur les comportements lorsque les normes sociales internalisées prescrivent à l'individu de se conformer aux exigences du groupe. C'est le cas, par exemple, lorsque l'implication substantielle est caractérisée par des besoins d'appartenances. La conformité des comportements par rapport aux exigences du groupe constitue, dans ce cas, un moyen, pour l'individu, de se faire accepter ; 3. De même, le conformisme de l'individu face aux exigences des autres peut constituer une stratégie visant à obtenir ou à partager des enjeux qu'ils détiennent, comme, par exemple, le pouvoir (Sainsaulieu, 1977). Ce peut être, également, le cas lorsqu'un employeur attend de ses salariés qu'ils donnent des signes de motivation ; pour ces derniers, l'accès aux promotions passe par l'intégration de ce registre (Brasseur, 1993) ; 4. D'une façon générale, la référence au rôle que le groupe lui attribue, constitue, pour l'individu, un mode de relation établi, définissant le cadre de ses communications ordinaires. |
Le concept d'implication sociale, ainsi défini, a pour fonction d'isoler la dimension sociale de la relation symbolique. Ce concept n'apporte pas, en tant que tel, de valeur ajoutée à la littérature existante, il cadre, simplement, un certain nombre de réalités ayant trait aux définitions que les autres conçoivent, à propos de l'individu. Il est en cela très proche de la notion d'identité, telle que la définissent les "interactionnistes symboliques".
L'objectif de ce concept est d'intégrer les phénomènes décrits par ces auteurs, tout en les reformatant de façon à assurer la continuité avec nos deux autres concepts. A l'instar de l'implication substantielle, l'implication sociale nous permet de mieux circonscrire le concept d'implication symbolique, à travers lequel nous souhaitons aborder les engagements signifiés par les volontaires.
3.1.3. L'implication symbolique cognitive.
Nous situons la spécificité de la relation symbolique impliquant l'individu au niveau de la réflexivité dont celui-ci est capable. Cette propriété particulière lui permet d'être, tour à tour, sujet et objet de la relation symbolique. Autrement dit, il peut de se définir lui-même par rapport à un référentiel donné. Il est à la fois celui qui observe et énonce la relation et celui dont les caractéristiques sont évaluées et mises en perspective par rapport à un objet donné.
La relation symbolique constitue une activité cognitive à travers laquelle l'individu formalise un certain nombre de perceptions, en même temps qu'une activité constructive dans le cadre de laquelle il les prolonge et leur attribue du sens.
A travers la relation symbolique qu'il établit entre lui et un référentiel donné, l'individu se positionne : il précise ce qu'ils représentent l'un pour l'autre. Il intègre, entre autres, ce que le référentiel peut lui apporter sur le plan affectif, normatif ou pratique. De la même façon, il considère dans quelle mesure il peut ou doit répondre aux enjeux exprimés par celui-ci. C'est dans cette mesure que nous parlerons désormais, d'implication symbolique.
Cette recherche interprète l'engagement signifié en ces termes. Elle met en lumière le rôle qu'il peut jouer dans la façon dont l'individu se positionne par rapport à la situation et envisage les problèmes la caractérisant.
Le concept d'implication symbolique constitue, compte tenu de la démarche empirico-formelle effectivement suivie, à la fois un moyen de saisir les réalités étudiées et un aboutissement. La définition ici évoquée constitue, en fait, le résultat d'une formalisation progressive mettant en interaction des éléments théoriques et les données des entretiens menés auprès des volontaires.
La pertinence de ce concept reste, en principe, très relative. Elle s'exprime au coeur d'un système le mettant en relation avec des paradigmes, une problématique, un modèle et des données de terrain.
Partant de là, nous limitons délibérément les contenus développés dans le cadre de cette partie et ce n'est qu'au fur et à mesure des chapitres suivants, que nous exposerons les différents aspects de ce concept. Il s'agit, pour nous, de l'inscrire dans les contextes à l'intérieur desquels il prend sens, tout en restituant un peu de la démarche empirico-formelle ayant présidé à sa construction.
Nous revenons pour l'instant sur ses affiliations avec, d'une part, les concepts d'implication développés par les autres auteurs et, d'autre part, les concepts plus ou moins connexes que sont l'attitude et l'identité.
3.2. Positionnement de l'implication symbolique (cognitive).
L'implication est habituellement introduite comme un concept décrivant la relation (Thévenet, 1992), c'est généralement le premier repère que l'auteur donne au lecteur. La façon dont nous concevons l'implication symbolique cadre parfaitement avec ce premier critère : l'implication symbolique décrit la relation telle que la conçoit l'individu lui-même, dans le cadre, entre autres, de ses discours.
Notre affiliation par rapport aux concepts d'implication développés par les autres auteurs ne s'arrête pas là. En effet, l'implication n'est pas le seul concept à vouloir rendre compte de la relation et le choix de ce terme se fonde sur un certain nombre de convergences. Concernant la nature des phénomènes décrits par l'implication, on oppose généralement les tenants de l' "Implication Attitudinale" et ceux de l' "Implication Comportementale". Curieusement, l'implication symbolique répond au principal critère de convergence de la première : l'identification ; en même temps qu'il intègre celui de la seconde : la ligne d'action consistante.
L'implication symbolique questionne la façon dont l'individu prend en charge les enjeux d'un référentiel donné, par exemple l'organisation. Il constitue bien, dans cette perspective, un concept de gestion. Mais questionnant une réalité subjectivement construite et relativement indépendante des véritables déterminants de la contribution, des questions ne manquent pas de se poser quant à l'utilité de gérer un tel phénomène.
3.2.1. Identification et ligne d'action consistante.
La forme d'implication "attitudinale" ayant suscité le plus grand nombre d'écrits est, sans doute, l'implication dite "affective". Celle-ci est habituellement décrite comme une forme d'identification à l'organisation, s'accompagnant d'un certain nombre d'effets tels que : l'internalisation de ses valeurs et de ses buts, la volonté de faire des efforts dans ce sens et l'intention de rester (Mowday, Porter et Steers, 1982).
Considérant la façon dont l'individu se définit par rapport à un référentiel donné, l'implication symbolique accorde, elle-aussi, une place importante aux phénomènes d'identification. Cependant, l'individu ne s'identifie pas au référentiel, mais se définit par rapport à lui. Il peut, certes, se reconnaître dans certains de ses aspects, mais peut, tout aussi bien, par d'autres, s'en différencier et s'en distancier.
Le référentiel joue, en fait, un rôle de repère par rapport auquel l'individu se positionne. Ce dernier peut ainsi situer ses propres caractéristiques et se définir en fonction de ce qu'ils s'apportent mutuellement. L'individu s'identifie, en fait, à la relation.
Il est toujours possible de questionner la façon dont l'individu se positionne par rapport à un référentiel donné. Mais celui-ci ne s'identifie vraiment à leur relation, qu'à partir du moment où il s'y réfère pour se définir par rapport à la situation en général,
Trois modes d'implication : trois façons de se définir par rapport à l'organisation. L'individu peut, conformément à la définition Mowday (1982), partager les mêmes valeurs et les mêmes buts que l'organisation. Différents cas de figures peuvent alors être envisagés : - l'individu peut s'identifier à ses propres valeurs et trouver dans l'organisation un moyen de les exprimer et de les partager ; - il peut s'identifier aux buts de l'organisation. C'est ainsi que ceux qui, parmi les volontaires, s'identifient à l'aide humanitaire, tendent à se définir comme des personnes participant au développement de l'Afrique.. - concernant l'organisation proprement dite, nous considérons une "Implication Intrinsèque" dans la mesure où l'individu valorise la relation en tant que telle et fait valoir son appartenance. Il ne s'identifie alors pas tant à l'organisation qu'au fait d'en être membre. L'individu peut, tout aussi bien, se définir comme une personne travaillant en vue d'un salaire. La relation avec l'organisation constitue alors un moyen et on pourrait penser que l'individu n'investit pas l'organisation en termes d'image de soi. D'un autre côté, on peut considérer des formes de distanciation et de différenciation : il ne se reconnaît pas dans l'organisation. C'est ainsi que le retrait défini par Sainsaulieu peut être interprété comme une forme d'identité par omission : l'individu se définit par rapport à ce qu'il n'est pas : "Moi, comme j'avais pas fait ça par vocation..." (volontaire) Enfin, l'individu peut, dans le cadre d'une implication aliénante, se définir comme victime et opprimé, de la même façon que certains volontaires se définissent en termes de sacrifice. Au delà des souffrances réelles que peut exprimer un tel positionnement, le rôle de victime peut, pour certains, constituer une façon de se définir. On peut ainsi évoquer le stéréotype du syndicaliste dont l'identité se définit essentiellement en termes de lutte des classes. Dans cette perspective, le contraire de l'implication est bien l'indifférence. |
3.2.2. D'une ligne d'action consistante à une ligne d'action symboliquement cohérente.
L'implication comportementale, jugeant les liens entre les "dispositions" résultant de l'implication attitudinale et les comportements trop incertains, propose de considérer la notion de ligne d'action consistante. L'implication symbolique se réfère à des phénomènes du même ordre.
Cette consistance résulte, pour eux, de l'irréversibilité croissante de la ligne d'action entreprise compte tenu des investissements effectués par le passé, d'une "volonté" de prévenir toute dissonance cognitive et des exigences sociales. L'individu se retrouve ainsi contraint de perpétuer les mêmes comportements.
La consistance de la ligne d'action est l'une des principales variables prises en considération dans le cadre de cette recherche. Cependant, à la différence de l'implication comportementale, la consistance questionnée par l'implication symbolique ne porte pas sur les comportements effectivement donnés à voir, mais sur le sens que leur attribue l'individu. Il s'agit en fait de la cohérence que l'individu construit et revendique dans le cadre de son discours.
Cette consistance symbolique ne se recoupe pas nécessairement avec la consistance observable des comportements, l'individu peut, en effet, interpréter des comportements hétérogènes en leur prêtant des intentions semblables et, d'autre part, se décharger des comportements trop éloignés de la ligne d'action revendiquée en les attribuant à des contraintes extérieures.
Dans cette perspective, l'engagement signifié, que nous interprétons en termes d'implication symbolique constitue le "collant" ("Binding", Staw) qui lie le volontaire à son action. Le chapitre 7, en particulier, met à jour la façon dont les volontaires convoquent leur engagement pour poser et résoudre les problèmes rencontrés en situation, nous questionnons ainsi dans quelle mesure ils mettent à contribution "des intérêts extérieurs avec une ligne d'action consistante" (Becker, 1960)
3.2.3. L'implication symbolique : un concept de gestion.
L'implication se différencie des autres concepts décrivant la relation : attitude, identité, motivation, satisfaction, par ses préoccupations en termes de Gestion. Elle aborde le phénomène en fonction des enjeux de l'organisation.
L'implication symbolique questionne la mesure et la logique suivant lesquelles l'individu prend en charge les enjeux d'un référentiel donné, par exemple, l'organisation. Nous faisons valoir son affiliation aux Sciences de Gestion. Elle oriente la lecture de la relation en fonction des préoccupations du gestionnaire. En l'occurrence, celui-ci questionne plus la façon dont l'individu se positionne par rapport aux enjeux de l'organisation que la relation qu'il établit avec son univers de travail.
L'implication symbolique par rapport à la situation questionne le référentiel par rapport auquel l'individu se définit pour se positionner par rapport à cette dernière. Il s'agit d'identifier, parmi les référentiels qui composent la situation, celui ou ceux auxquels l'individu accorde le plus d'importance.
Le référentiel en question n'est pas nécessairement l'organisation. Mais, il reste cependant possible de questionner, de façon plus spécifique, la façon dont l'individu se définit par rapport aux enjeux de cette dernière. Le concept permet également d'approfondir la question en explorant comment il se positionne, à l'intérieur de l'organisation, entre son supérieur hiérarchique, la direction, ses collègues, son travail, les buts de l'organisation, etc...
3.2.4. L'implication symbolique : "fantasmes et projections" ?
L'interaction (substantielle et objective) constitue, selon Thévenet (1992), le fondement de la relation : "Sans échange, il n'existe pas de relation." Il s'appuie sur les écrits de Julien Green pour montrer qu'en l'absence d'interaction, la relation n'est que "fantasmes et projections". Nuttin (1965) considère que les interactions comportementales constituent l'essence de la condition humaine. D'une façon générale, un très grand nombre d'auteurs limitent leurs considérations aux relations objectives, seules dignes de crédit. Dans cette perspective, l'implication symbolique semble, effectivement, relever pour une grande part, de "fantasmes" et de "projections". Un certain nombre de questions se posent alors quant à l'intérêt de gérer de tels phénomènes :
- l'implication symbolique s'appuie-t-elle, nécessairement, sur une relation objective ?
- est-elle tenue de prendre en considération les éléments objectifs ?
- constitue-t-elle finalement une relation moins intéressante que la relation substantielle ?
Dans l'absolu, il semble parfaitement envisageable que l'implication symbolique puisse se développer en l'absence d'interaction directe. Certains volontaires, certes rares, se définissent par rapport aux donateurs, avec lesquels, ils n'ont, du reste, aucun contact. D'une façon plus générale, cette recherche met en évidence le fait que la plupart des volontaires anticipent des formes d'implication par rapport à une situation qu'ils ne connaissent pas.
De telles anticipations risquent de définir une relation sensiblement différente des interactions objectives effectivement développées une fois sur place. On peut alors se demander dans quelle mesure, l'individu peut projeter ses fantasmes compte tenu de ce que lui donne à voir la réalité objective, et, en particulier, ses propres comportements. Jusqu'où peut-il aller dans l'ignorance de certaines réalités objectives ? Jusqu'où peut-il les nier ? De tels écarts sont-ils durables ?
Ces incertitudes questionnent l'utilité d'étudier un tel phénomène. C'est, sans doute, intéressant d'un point de vue strictement ethnologique, dans la mesure où il peut aider le chercheur à mieux comprendre l'expérience vécue par les individus étudiés. Son intérêt est, en revanche, moins évident dans le cadre des Sciences de Gestion : Les phénomènes décrits par ce concept présentent-t-ils la moindre utilité pour la conduite des organisations ? Dans l'hypothèse où ces phénomènes influeraient, un tant soit peu sur les comportements, comment pourrait-il concurrencer la "véritable" implication ?
Cette recherche questionne l'engagement signifié par les volontaires (elle l'interprète en termes d'implication symbolique), non seulement parce qu'il est valorisé par la culture des associations, mais aussi et surtout parce qu'il constitue le seul élément directement accessible au gestionnaire, pour gérer les comportements des volontaires.
La question se pose, effectivement, de savoir s'il est pertinent de s'y attarder ou s'il vaut mieux explorer les moyens d'accéder, ne serait-ce qu' indirectement, à l'implication substantielle et aux motivations ?
Loin d'affecter notre projet, toutes ces questions alimentent l'intérêt théorique de cette recherche. Notre problématique questionne, entre autres, l'utilité des phénomènes décrits par le concept pour l'organisation et l'intérêt de ce dernier pour les Sciences de Gestion : "Dans quelle mesure l'engagement signifié par les volontaires peut-il influer sur leurs contributions?" Nous mettons cependant ces questions théoriques et pratiques en lien avec d'autres considérant les dimensions épistémologiques et idéologiques du problème.
3.3. Implication symbolique et concepts adjacents.
Nous faisons valoir certaines convergences existant entre l' "Implication Symbolique" et les acceptions classiques du concept d' "Implication". Cette affiliation repose essentiellement sur la nature du projet dans lequel s'inscrit le concept : comprendre la relation du point de vue de l'organisation afin de mettre à jour certaines utilités.
Les convergences mises à jour au niveau des contenus : l'identification et la ligne d'action cohérente, peuvent, quant à elles, être restituées, à l'instar de nombreux concepts des Sciences de Gestion, dans des théories empruntées aux autres Sciences Humaines et Sociales. L'implication symbolique assume ainsi, à l'instar des autres concepts d'implication, de fortes proximités avec les concepts d'attitude et d'identité. Partant de là, nous questionnons dans quelle mesure les découpages opérés par ces concepts se recouvrent.
3.3.1. Implication symbolique et attitude.
Les approches classiques du concept d'attitude. La littérature concernant le concept d'attitude présente les mêmes caractéristiques de saturation, d'hétérogénéité et de redondance que celles relatives à l'implication. Parmi les très nombreuses définitions disponibles, nous en retenons trois, intégrant des phénomènes relativement disparates et, ce faisant, susceptibles de couvrir une part importante de l'ensemble des ceux pris en charge par ce concept Hovland et Rosenberg (1960) définissent le concept d'attitude comme l'ensemble de réponses que l'individu produit face à un objet donné. Ils ajoutent à la réponse comportementale traditionnellement observée par les behavioristes : - une réponse verbale qui manifeste des formes d'intentionnalité a priori ou a posteriori du comportement en question ; - une réponse affective qui comprend la charge affective réellement, physiologiquement ressentie et le discours développé à ce sujet ; - une réponse cognitive qui, là encore, comprend la perception réelle et la façon dont elle peut être formalisée dans le cadre du discours. Le modèle Ajsen et Fishbein (1975) restreint l'attitude à la réponse affective. Ce concept intègre le caractère subjectif de la perception, il désigne une activité subjective consistant à conférer un certain nombre d'attributs, cette attribution résultant elle-même d'attentes à propos de l'objet. Le comportement résulte, dans cette perspective à la fois de l'attitude mais aussi des normes sociales. Nous croyons pouvoir faire un parallèle entre cette approche de l'attitude et l'implication dite "affective" : les deux concepts focalisent et spécifient une forme exclusivement affective du concept. L'approche de Pratkanis et Turner (1994). Plus récente, l'approche de Pratkanis et Turner (1994) est, sans doute, moins connue. Ils prennent en considération : - la structure de l'attitude : une représentation en mémoire - les procédures d'accès et d'utilisation de cette représentation ; - la fonction, les tâches et les buts psychologiques mis en oeuvre pour former la structure. Ils introduisent, ce faisant, la question du contenant. Ils évoquent les travaux d'Anderson (1981), de Bassili, (1989) pour distinguer des jugements stockés en mémoire ("memory-based") et des jugements "on-line", autrement dit des jugements développés au fur et à mesure de l'action et de ses interactions avec le psychisme. Pour eux, les attitudes complètement développées sont stockées en mémoire par une représentation cognitive intégrant trois composantes : une étiquette désignant le type d'objet concerné, un résumé évaluatif de l'objet, et une structure de connaissances soutenant l'évaluation. Tout d'abord, les attitudes sont utilisées pour donner du sens au monde et pour opérer dans l'environnement. Elles servent aussi à maintenir le "self-worth" : une évaluation positive de soi dans le cadre d'un contexte social donné. Ils considèrent la capacité prédictive du concept en fonction de son importance et de sa bonne définition, la complexité du savoir, la force de l'attitude, le rapport à soi etc. Ce modèle cherche à envisager tous les cas de figures, il multiplie les variables et les valeurs prises par celles-ci. Cherchant à reproduire "trop" fidèlement la réalité, il aboutit, de notre point de vue, à une vision trop complexe. C'est pourquoi nos emprunts à ce modèle se limitent à des aspects précis tels que les notions d'étiquette et de résumé. |
Les liens entre le concept d'implication et le concept d'attitude sont incontournables :
- le courant intégré dans le chapitre 1, est désigné sous le terme d' "implication attitudinale". Les catégories évoquées ressemblent effectivement à celles développées dans le cadre du concept d'attitude, Un grand nombre d'auteurs rejoignent, en particulier, l'approche de Jensen et ali, celle-ci isolant la dimension affective du phénomène.
- le courant de l'implication comportementale se fonde, lui aussi, de façon quelque peu paradoxale, sur l'une des principales théories de l'attitude : le modèle des processus d'information sociale de Pfeffer et Salancik (1978) ;
Nous considérons que l'attitude décrit la même réalité que l'implication. D'une façon générale, l'enjeu de l'attitude est, pour ainsi dire, le même que celui de l'implication : prédire les comportements. La diversité des définitions, de part et d'autre, ne permet pas d'établir de liens univoques. Il n'est, par exemple, pas possible de dire si l'implication est une attitude par rapport à la relation ou une attitude par rapport à un référentiel induisant une relation spécifique.
L'articulation de l'attitude avec notre concept semble pouvoir se situer au niveau du découpage :
- l'attitude semble très souvent se situer au niveau du résultat : les caractéristiques que l'individu attribue au sujet.
- l'implication symbolique s'attache, quant à elle, au phénomène d'attribution : la relation dans le cadre/ à l'issue de laquelle il se positionne par rapport à l'objet. Elle se place ainsi légèrement en amont de l'attitude.
Cette articulation ne vaut, cependant, que dans la mesure où l'attitude décrirait des phénomènes relatifs à la relation symbolique. Tel n'est pas forcément le cas, il semble, en effet, que certains concepts se réfèrent à la vraie relation : aux sentiments inconscients, seuls capables de fonder une prédisposition à agir.
3.3.2. Implication et Identité.
Le concept d'identité. Fisher (1987) présente l'identité comme "une idée synthèse qui montre l'articulation du psychologique et du sociologique chez l'individu". "Elle s'échafaude comme une construction représentative de soi dans son rapport à l'autre et à la société." "Il s'agit de découvrir qui on est pour soi-même et qui on est pour les autres." Ferréol (1991) identifie deux pôles, deux aspects du phénomène : "Soi" (pôle individuel) et rôles (pôle social). Ainsi présentée, la notion s'inscrit bien comme une dimension de la relation individu-société, son enjeu est "de comprendre les inter-relations entre le niveau individuel et le niveau collectif..." À l'instar de l'implication, l'identité est l'une de ces notions qui, en cherchant à rendre compte d'une réalité complexe, génèrent quantité de définitions et de nuances qui rendent son usage difficile. Les sens des concepts développés divergent pour lui prêter des natures et des logiques différentes. Néanmoins, la diversité des approches laisse apparaître quelques convergences. L'identité semble correspondre à une définition de l'individu l'associant à des attributs symboliques. Ces caractéristiques sont, pour partie, partagées avec le groupe d'appartenance, d'autres sont plus spécifiques, davantage liées au rôle de chacun : " configuration de modèles de conduites associées à une position ou à une fonction dans le système." (Ferreol, 1991). Cette définition permet à l'individu de se situer par rapport aux autres dans la réalité sociale, elle constitue un cadre structurant plus ou moins les conduites. On peut ainsi identifier deux pôles : - l'identité sociale autrement appelée identité pour autrui ; - l'identité pour soi autrement appelée identité individuelle ou personnelle. La question qui anime la plupart des débats sur l'identité consiste à savoir laquelle de ces deux identités précède l'autre, en d'autres termes, il s'agit de savoir laquelle des deux détermine l'autre et dans une moindre mesure laquelle tend à dominer leur inter-relation. Une première tendance place la construction de l'identité sous le joug de la contrainte sociale. Cette dernière peut être définie comme la pression exercée par la société sur ses membres pour les amener à se conformer aux manières communes de penser, sentir et agir. La contrainte sociale est, chez Durkheim (1895) relativement prégnante: selon lui, des comportements tels que le suicide ont une origine avant tout sociale. Dans les sociétés traditionnelles régies par une solidarité mécanique, cette contrainte s'exerce sous des formes de conformisme. Dans les sociétés fondées sur une solidarité organique comme les sociétés modernes, l'individu tend à se différencier, la contrainte sociale s'exerce alors en fonction de la position occupée, en particulier à travers le rôle. Le concept d'habitus développé par Bourdieu (1970) exprime une position similaire, il se situe dans le sens d'une détermination sociale de l'identité. Il intègre les niveaux individuels et collectifs et permet d'échapper aux dilemmes de l'intériorité et de l'extériorité, de l'identité pour soi et de l'identité pour autrui, de l'appartenance et de l'attribution. L'habitus est une intériorisation de l'extériorité : "Chaque système de dispositions individuelles est une variante structurale des autres, où s'exprime la singularité de la position à l'intérieur de la classe et de la trajectoire par rapport au style propre de la classe et de l'époque." Malgré des combinaisons uniques, le résultat obtenu demeure, selon l'expression employée par Watzlavick (1975) pour caractériser pareille situation : "toujours plus de la même chose". Suivant ce type d'approche, l'identité et la conduite de l'individu sont fonction de sa situation au sein de la société et des groupes auxquels il appartient. Leur acquisition se fait par un processus de socialisation à travers lequel l'individu internalise les normes à suivre. Une deuxième tendance part du principe que l'individu existe, il a une représentation de lui et des valeurs avant de devenir le sujet social d'un contexte précis. Sa personnalité, ses croyances, ses valeurs, la conception qu'il a de lui-même sont conçues différemment selon les courants de pensée : certains les voient comme le résultat d'un parcours et les analysent en termes de développement, d'autres leur confèrent un caractère inné. Les deux points de vue ont en commun d'envisager une identité personnelle précédant le contexte présent. Partant de là, l'individu définit son identité sociale suivant une dynamique d'adhésion et de différenciation. C'est l'antithèse de la contrainte sociale, l'individu cherche à acquérir une identité sociale la plus proche possible de son identité personnelle. Il s'identifie à un groupe donné et adhère à ses normes en fonction de leur adéquation avec ses croyances et ses valeurs. Inversement, il cherchera à se différencier des groupes dont les normes sont différentes ou contraires aux siennes. Ainsi à travers ce positionnement en termes d'adhésion aux groupes de pairs et de différenciation sur des modes plus ou moins conflictuels par rapport aux autres groupes, l'individu affirme et fait reconnaître les caractères de son identité personnelle. Selon Sainsaulieu (1977), l'identité collective peut constituer une stratégie destinée à disposer d'un pouvoir suffisant pour permettre la reconnaissance et l'expression de l'identité individuelle. Un troisième type d'approche focalise sur les interactions suivant lesquelles elles se construisent. Elle intègre les deux précédentes approches sous la forme d'un processus suivant lequel les deux identités s'influencent réciproquement. Il n'est plus question de détermination mais de négociation et d'ajustement entre les deux pôles. L'interactionnisme symbolique propose une lecture de ce type : il cherche à "expliquer comment se constituent les catégories de la vie sociale au cours des activités complexes de groupes ou d'individus en coopération ou en opposition. Il s'agit aussi de comprendre la démarche des acteurs sociaux entreprenant des actions auxquelles ils accordent des significations construites lors des interactions de la vie quotidienne...On aboutit ainsi à une théorie de l'étiquetage où l'accent est mis sur les processus d'attribution de l'identité (pouvoir de définition, contrôle des représentations). L'identité apparaît ainsi à la fois comme une construction d'une image de soi : elle est à la fois attribuée sous la forme d'étiquettes et de statuts (identité pour autrui) et acceptée et intériorisée à travers le sentiment d'appartenance (identité pour soi)". L'identité pour soi se définit, dans la plupart des cas, par rapport au groupe. La déviance relevant directement de cette logique. |
L'implication symbolique décrit une relation dans le cadre de laquelle l'individu se définit par rapport à un référentiel donné. Cette définition participe à son identité dans la mesure où elle peut fonder la façon dont l'individu se positionne par rapport à la situation dans son ensemble.
Les théories de l'identité mettent, en particulier, l'accent sur la dualité du phénomène : il met en interaction :
- une identité sociale, celle que les autres prêtent à l'individu ;
- l'identité pour soi, celle que l'individu conçoit.
La façon dont sont définis ces deux concepts correspond, assez précisément, au découpage que nous avons opéré entre implication (symbolique) sociale et implication symbolique (cognitive).
L'identité constitue, ainsi, un concept très proche de celui d'implication. Elle intègre des catégories souvent semblables : elle porte sur des formes d'identification mais aussi de différenciation. Les liens entre les deux concepts sont comparables à ceux définis entre l'implication symbolique et l'attitude : l'identité focalise sur le résultat : la définition de soi que développe l'individu alors que l'implication symbolique décrit les relations par l'intermédiaire desquelles elle se construit.
3.3.3. Différents découpages du même phénomène.
La distinction entre identité et implication est pour ainsi dire la même qu'entre implication et attitude, il s'agit du même phénomène : celui que nous désignons sous le
terme de relation. Pour chacun des trois concepts, suivant les définitions, la relation en question est soit substantielle, soit sociale, soit symbolique.
Concernant le niveau symbolique qui nous préoccupe, l'identité et l'attitude constituent les deux pôles de l'implication, chacun des deux concepts focalisant sur un résultat différent :
- l'identité focalise sur le résultat en termes de définition de soi ;
- l'attitude privilégie le résultat en termes de définition de l'objet.
Il est tentant de considérer la relation symbolique décrite par l'implication comme un troisième élément s'intercalant et faisant la jonction entre l'identité et l'attitude. Nous considérons une seule et même entité dans la mesure où l'identité et l'attitude n'existent pas en dehors de la relation. Ces deux phénomènes sont sous-jacents à la définition de l'implication symbolique : la façon dont l'individu se définit par rapport à un référentiel donné. Cette dernière pourrait, en fait, s'appliquer aux deux autres concepts.
En dehors d'un découpage légèrement différent (cf. schéma ci-dessus), l'implication symbolique se différencie des deux autres concepts par le fait qu'elle interprète la relation en termes de gestion, elle questionne, plus particulièrement, la façon dont l'individu prend en charge les enjeux du référentiel.
Cette orientation ne modifie pas la nature des phénomènes décrits. Les phénomènes décrits par les deux autres concepts sont, d'ailleurs, intégrés suivant des perspectives semblables par certaines définitions de l'implication "attitudinale" :
- ils questionnent l'identité en termes d'internalisation des valeurs et des buts du référentiel (Mowday, 1982) ;
- ils mettent en avant des attitudes décrivant l'orientation de l'individu par rapport au référentiel et les prédispositions à agir dans le sens de ses enjeux.
Nous disposons à l'issue de ce chapitre de trois types d'implication plus spécifiques issus du découpage de la relation sous la forme de trois construits distincts. Ce découpage nous permet, entre autres, de mieux situer certains aspects du débat évoqué en introduction entre implication attitudinale et implication comportementale.
Le "contexte intériorisé de nature affective" dans lequel Neveu situe l'implication attitudinale pourrait, tout d'abord, compte tenu des éléments introduits dans la seconde partie, correspondre aux désirs et aux normes à l'origine des motivations. Ce type d'implication apparaît effectivement, du point de vue de la plupart des théories de motivation, "vague et peu spécifique" (Neveu, 1996) dans la mesure où les comportements qui en découlent dépendent, dans une large mesure, des opportunités et des contraintes de l'environnement présent. Suivant cette perspective, l'implication attitudinale et l'implication comportementale apparaissent, effectivement, comme des construits distincts (Allen et Meyer, 1984).
Le modèle de Nuttin, que nous avons retenu pour décrire les phénomènes se rapportant aux motivations et aux comportements, permet, en revanche, d'articuler ces deux approches dans le cadre d'un seul et même phénomène : "l'implication attitudinale" correspondrait dans ce cadre d'analyse, à une structure de la personnalité ayant trouvé, dans le référentiel auquel elle se destine, l'objet d'une interaction satisfactrice. La structure "Moi-Monde" qu'ils composent constitue une interaction potentielle ayant pour vocation de "s'extérioriser" (Neveu, 1996) : de se réaliser sous la forme d'interactions à la fois concrètes et spécifiques. L'implication attitudinale constitue, dans cette perspective, une prédisposition à agir (Thévenet, 1992) contribuant à la ligne d'action consistante par rapport à laquelle se définit l'implication comportementale.
La plupart des énoncés relatifs à ces deux types d'implication nous semblent devoir s'inscrire au niveau de la relation substantielle, certains tendent, cependant, à déborder du côté de la relation symbolique. Nous pouvons ainsi proposer une seconde interprétation possible de cette littérature.
Nous avons d'ores et déjà évoqué les liens existant de fait entre l'implication comportementale et l'implication (symbolique) sociale, par le biais de la théorie de Pfeffer et Salancick. Il semble de même possible de trouver des similitudes entre l'implication attitudinale et cette même implication sociale : le poids de l'implication de l'individu telle que la définissent les "Autres" dépend, entre autres, du degré d'implication "attitudinale" que celui-ci développe par rapport à ces derniers.
Nous avons également tenu à faire valoir les multiples affiliations de l'implication symbolique (cognitive) : forme que nous privilégions dans le cadre de cette recherche, avec les concepts d'implication plus classiques :
- nous reprenons la ligne d'action consistante par rapport à laquelle se définit l'implication comportementale en termes de sens, autrement dit d'intention, attribué aux comportements. L'individu peut ainsi se réapproprier des comportements en apparence très différents dans le cadre d'interprétations convergentes. Lorsque les comportements s'éloignent "clairement" de la ligne d'action entreprise, l'individu peut continuer à faire valoir des intentions cohérentes en attribuant ces écarts à des contraintes extérieures. La cohérence ainsi construite peut être communiquée aux autres, mais elle contribue, par ailleurs, à la réduction de dissonances cognitives relevant d'un niveau plus psychologique ;
- tout comme l'implication attitudinale, nous intégrons les concepts d' "attitude" et d' "identité". Ils constituent les deux pôles de l''implication symbolique définie comme la façon dont l'individu se situe par rapport à un référentiel donné.
Ces deux interprétations possibles questionnent, ce faisant, la littérature : les différentes définitions de l'implication se réfèrent-elles à la "véritable" relation : la relation qui lie l'inconscient à l'environnement perçu ou considèrent-elles la relation construite par l'individu à des niveaux plus conscients ?
Au delà de l'interprétation des concepts définis par les autres auteurs, l'implication symbolique nous permet de situer de façon assez précise la nature de la relation étudiée dans le cadre de cette recherche, autrement dit la façon dont nous interprétons l'engagement signifié par les volontaires : une relation consciente correspondant à la façon dont l'individu se définit par rapport à un référentiel donné et précisant, ce faisant, la façon dont il se positionne par rapport à ses enjeux, la logique présidant à la prise en charge de ces derniers pouvant être rapprochée des catégories établies dans le précédent chapitre : implication intrinsèque, calculatrice ou aliénante. Dans cette perspective, la relation importante est celle à laquelle l'individu accorde le plus d'importance, celle à laquelle il se réfère pour se positionner par rapport à la situation dans son ensemble.
Cette définition nous permet de répondre à certaines questions que nous avions, à l'issue du chapitre précédent, laissées en suspens.
Nous pouvons par exemple, nous prononcer sur le caractère aliénant ou intrinsèque de l'emprise (Pailot, 1995) : cette implication caractérisée par la capture de l'idéal du moi relève selon nous de l'implication finale que ressent l'individu, ce même si "en réalité" il perd son intégrité.
Nous pouvons également nous déterminer sur la question de la double implication (Neveu, 1996). Nous considérons différents types de combinaisons :
- comme Thévenet, nous considérons la possibilité de formes d'implication situées à mi-chemin entre deux modes, mêlant, par exemple, comme "l'Impliqué" de Thévenet, calcul et intrinsèque ;
- nous considérons des systèmes d'implications dérivées sur la base d'une implication donnée. L'individu se positionne par rapport à un référentiel donné en référence à une implication principale fondant son rapport avec l'environnement en général. Dans ce cas, les différentes formes d'implication constituent un système cohérent dominé par une implication principale unique ;
- nous concevons enfin l'existence d'implications distinctes et indépendantes, potentiellement contradictoires. Il s'agit dans ce cas, comme le précise Neveu de construits distincts.
Notre problématique questionne les liens entre l'engagement interprété en termes d'implication symbolique et la contribution, autrement dit les comportements. Il s'agit, compte tenu du découpage établi dans le cadre de ce chapitre, de phénomènes relevant de niveaux de réalités distincts. Partant de là, nous ne sommes pas en mesure, d'emblée, de répondre à cette question. Il nous faut, au préalable nous déterminer sur les relations possibles entre les deux niveaux de réalités en question : l'inconscient déterminant, a priori, les comportements et la conscience au sein de laquelle nous situons l'engagement signifié.
La mise à jour de cadres de références capables de postuler ces liens constitue un aspect du chapitre suivant, celui-ci précisant par ailleurs, la nature des connaissances que nous aspirons à produire ainsi que les moyens mis en oeuvre pour ce faire.