Définition des Cadres
de la Recherche
Cette partie a pour objectif d'asseoir les cadres de la recherche en explicitant les catégories d'analyse et les paradigmes retenus ainsi que la façon dont ils ont été mis en oeuvre.
De la revue de la littérature sur l'implication, nous retenons différentes catégories ordonnant tour à tour les formes et les natures possibles des phénomènes abordés dans ce cadre.
L'engagement signifié par les volontaires est ainsi susceptible d'intégrer différentes logiques d'implication que nous situons au niveau de la conscience.
La partie "ontologie & épistémologie" postule un certain nombre de principes définissant les relations possibles entre l'implication et les comportements. La partie "méthodologie" précise les voies à suivre pour les aborder et établir à leur sujet des connaissances scientifiques valides.
Chapitre 1
L'implication : des référentiels aux modes.
La plupart des contributions sur l'implication s'attachent à décrire les caractéristiques de la ou des relations les plus à même de répondre aux enjeux de l'organisation. Nous inspirant de la définition d'Etzioni, nous définissons l'implication comme une description des relations que l'individu établit avec son univers de travail, mettant en avant les logiques suivant lesquelles il accepte de prendre en charge les enjeux d'un référentiel donné. Les catégories retenues pour décrire ces logiques définissent l'engagement tour à tour comme : - une finalité, l'implication est alors qualifiée d'intrinsèque. La relation avec le référentiel et ses modalités en termes de travail sont sources de plaisir et/ou conformes aux valeurs de l'individu ; - la contrepartie d'une transaction, l'individu s'engage à répondre aux attentes du référentiel en retour des avantages que celui-ci lui procure ; - une contrainte, l'individu ne perçoit pas d'autres alternatives (ou d'alternatives plus profitables). La conformité aux exigences du référentiel constitue la solution pour limiter les coûts. Cette implication est qualifiée d'aliénante non seulement en termes de liberté mais également en terme de souffrance. L'affectation des phénomènes reste parfois ambiguë dans la mesure où on peut tour à tour considérer les logiques inconscientes ou la relation conçue par l'individu. Nous questionnons ainsi l'affectation de l'emprise dans la mesure où la liberté de penser est aliénée mais que l'individu signifie une implication intrinsèque. Les "engagements" signifiés par les volontaires correspondent à des sortes de promesses, faites devant témoin, de servir les intérêts d'un acteur donné. Cette réalité nous ramène au sens étymologique du terme anglophone de "commitment" : une "capacité de promettre" ("ability to promise"), notion qui porte en elle, selon Mac Master, la tradition anglaise de "l'acte parlé" ("speech act"). L'interprétation de ces engagements en termes d'implication vise à mettre en forme les logiques dont ils relèvent. Ce chapitre et le suivant explorent, dans cette perspective, un certain nombre d'écrits sur ce concept et celui de "relation" afin de, peu à peu, constituer et situer une définition plus précise de l'implication. Le premier chapitre aborde le concept d'implication suivant une perspective classique. Il explore et tente d'articuler les contributions en fonction des enjeux de l'organisation auxquels elles se réfèrent. Nous distinguons ainsi une première approche intégrant des exigences très pointues, comme par exemple, des individus capables d'agir de façon autonome face à des environnements incertains; et, une seconde approche, cherchant à ordonner différentes formes possibles de relations individu-situation de travail, en fonction de la façon dont l'individu se soumet aux exigences de l'organisation. A l'issue de cette revue, nous intégrons les différents aspects soulevés dans le cadre d'une catégorisation adaptée à notre projet ; Le second chapitre, participant à la mise au point de notre concept, aborde la relation suivant une perspective plus analogique : les concepts d'implication développés se réfèrent à la nature ontologique du phénomène. Nous constatons, dans cette perspective, une irréductibilité entre deux types de relations ontologiquement distincts : entre, d'une part, des formes d'interaction de nature substantielle et, d'autre part, des formes d'interdéfinition de nature symbolique. Ces deux alternatives aboutissent à des concepts d'implication fondamentalement distincts. Chacune de ces alternatives peut être envisagée suivant des approches épistémologiques différentes, intégrant des arbitrages différents entre validité et opérationalité : l'interaction peut être contenue au niveau des comportements ou explorer des éléments de motivation plus difficiles d'accès ; l'interdéfinition peut être conçue comme une série d'énoncés susceptibles d'être réfutés par les substances auxquelles ils se rattachent, ou comme une réalité construite relativement indépendante de ces substances. L'implication constitue, pour les Sciences de Gestion, un concept particulièrement attractif et il fait l'objet d'une littérature aussi abondante qu'hétérogène. A tel point que la revue de littérature par laquelle commence, comme il se doit, toute contribution sur le sujet, est peu à peu devenue un exercice à part entière. L'analyse des concepts est aujourd'hui aussi saturée que le concept lui-même. Nous n'avons pas cherché à reprendre l'ensemble des cadres d'analyse susceptibles d'ordonner le "chaos conceptuel" (Morrow, 1993) qui caractérise ce concept. Il existe certainement d'autres sources de divergences, entre les définitions, que celles que nous avons retenues, c'est-à-dire : - les enjeux de l'organisation (ch. 1); - les positions ontologiques et épistémologiques (ch. 2) ; Il nous semble néanmoins que cela permet de réduire une part de l'hétérogénéité et d'introduire un peu d'ordre au sein de l'ensemble des définitions, tout en nous permettant de structurer convenablement notre projet de recherche. |
1.1. Une approche constructiviste du concept.
L'implication en tant que concept, constitue une catégorie d'analyse permettant au chercheur de décrire la ou l'une des relations les plus appropriées aux enjeux de l'organisation. L'ensemble des auteurs semble s'accorder sur cette définition. Leurs avis divergent, par contre, quant aux rapports existant entre le concept et les phénomènes qu'il décrit.
L'acception courante de l'implication. "L'implication dans l'organisation" constitue, dans le langage ordinaire, une expression assez évocatrice : elle produit l'image d'un individu dévoué, loyal, faisant systématiquement plus et mieux que ce qu'on lui demande. L'implication se présente ainsi comme une sorte de fantasme concentrant tout ce qu'il est possible d'imaginer en termes de dévouement et de sacrifice. Le salarié impliqué adhérerait de façon inconditionnelle à toute directive émanant de l'organisation, tout en produisant spontanément tous les comportements qu'elle peut souhaiter. |
La question est d'ordre épistémologique et ontologique : elle consiste à savoir si le phénomène décrit ci-dessus existe de façon objective ou si les caractéristiques présentées lui sont attribuées par l'observateur. Cette question peut, de façon identique, être adressée aux scientifiques. Existe-t-il une relation, en soi, plus appropriée que les autres aux enjeux de l'organisation ?
Anticipant sur le chapitre "Epistémologie", nous considérons que la réponse à cette question est étroitement liée au paradigme retenu : en fonction du courant de pensée dans lequel le chercheur s'inscrit, son attention ne sera pas attirée par les mêmes aspects du phénomène, il ne se posera pas les mêmes questions.
Des réponses orientées en fonction du paradigme adopté. Suivant le type de paradigme sur lequel le chercheur appuie sa démarche, ses réponses mettront en exergue différents aspects du phénomène : - le positiviste aura, sans doute, tendance à focaliser son attention sur les différences pouvant effectivement et objectivement exister entre les différents types de relations, en termes de contribution aux enjeux de l'organisation. Partant de là, il lui semblera tout à fait réaliste de vouloir mettre à jour les caractéristiques de la plus performante ; - le relativiste (ou post-positiviste) considérera que plusieurs relations sont, sans doute, en mesure de répondre de façon satisfaisante à des enjeux de l'organisation ; - le constructiviste percevra naturellement le caractère construit de l'implication. Il verra, dans les phénomènes ainsi décrits et évalués, la mise à jour d'ajustements locaux : l'implication restera, pour lui, ce qu'un groupe (de scientifiques ou d'acteurs) conçoit comme tel à un moment donné. Il questionnera les contenus de cette représentation, les processus d'interactions symboliques présidant à son émergence et soulignera, par ailleurs, les tensions et les divergences susceptibles d'exister, entre les acteurs, à ce sujet. |
De même, suivant le projet développé, le chercheur percevra dans l'abondante littérature existant à propos du concept d'implication plutôt des redondances indiquant des éléments de convergence ou cherchera à mettre en avant ce qui différencie les définitions, privilégiant ainsi leurs divergences.
Dans le cadre d'un paradigme à dominante constructiviste, notre attention se porte sur le caractère construit du concept d'implication. Dans cette perspective, la relation décrite ne répond pas aux enjeux de l'organisation par nature, mais développe cette vertu par définition : l'implication est un concept identifiant et définissant la relation en termes de conformité par rapport aux enjeux de l'organisation. Dans ce cadre, l'un des projets les plus fréquents consiste à mettre à jour les caractéristiques des formes les plus performantes.
Intégrant les apports de concepts antérieurs tels que l'attitude, l'identité et la motivation, elle est expressément formatée de façon à concentrer l'ensemble des données susceptibles de participer à la performance de l'organisation. Produit des Sciences de Gestion, ce concept est, par nature, adapté à leurs problématiques.
Nous situons une partie des fondations de ce construit au niveau des enjeux de l'organisation auxquels se réfèrent les différents auteurs. C'est également là que nous localisons une part importante de l'hétérogénéité des définitions existant à propos de ce concept.
Ces enjeux nous apparaissent le plus souvent implicites ou relativement vagues. Nous croyons, cependant, pouvoir les ordonner autour de deux tendances correspondant respectivement aux enjeux explicités par :
- Thévenet (1992) qui intègre d'un côté les besoins permanents de l'entreprise et d'un autre les nouveaux besoins ;
- Etzioni (1961) qui développe un concept plus générique : la "compliance" dans le cadre duquel il situe l'implication par rapport à la notion de pouvoir, l'idée de compliance se situant à mi-chemin entre soumission et conformité.
Intégrant des enjeux sensiblement différents, Thévenet et Etzioni aboutissent à des formes d'implication distinctes, représentatives, selon nous, de tendances marquant la littérature et capables d'ordonner de façon satisfaisante l'ensemble des contributions.
1.2. Les enjeux de l'implication.
1.2.1. Le besoin d'individus capables d'initiatives (Thévenet).
Le premier projet assigné au concept d'implication est développé de façon explicite par Maurice Thévenet (1992) dans le premier chapitre de son ouvrage.
Ce chapitre est intitulé "Les problèmes à résoudre par l'implication". Thévenet justifie l'importance accordée à cette question, par l'idée qu'un concept n'apparaît jamais par hasard : il reflète l'évolution des préoccupations et des façons d'aborder certains problèmes.
Thévenet distingue des problèmes de l'entreprise plus ou moins permanents : la cohésion et la performance, et des besoins plus nouveaux : l'adaptation, l'engagement et la décentralisation auxquels il ajoute la nécessité de prendre en considération le projet de la personne.
Les besoins de l'entreprise recensés par Thévenet. Les besoins permanents sont au nombre de deux : - la cohésion : elle est nécessaire pour que l'entreprise survive et se développe. Il la décline en termes d'intégration : le lien social nécessaire pour que des individus restent et vivent ensemble. Il la situe également en termes de coordination : prolongement pratique de l'intégration, elle correspond à l'organisation nécessaire à la mise en oeuvre d'une action collective ; - la performance : une performance multidimensionnelle intégrant la complexité du fonctionnement humain. Les nouveaux besoins qu' il attribue à l'entreprise sont au nombre de trois : - l'adaptation : la capacité à intégrer les changements, de plus en plus fréquents, qui s'imposent à l'entreprise ; - l'engagement : une aptitude rendue nécessaire par l'impossibilité de formaliser l'ensemble du travail que doit effectuer le salarié. - la décentralisation de la fonction GRH qui passe par une implication accrue des cadres dans ce domaine. Il intègre aussi la nécessité de prendre en compte le projet individuel que les personnes présentes dans l'entreprise aspirent à réaliser. |
Thévenet considère des besoins plus ou moins identiques pour toutes les entreprises, mais comme il le précise lui-même, le concept est lié à des problèmes autant qu'à des façons de les concevoir.
Les besoins permanents qu'il décrit ne sont effectivement pas nouveaux, mais il les appréhende de façon différente, mettant en avant la dimension humaine de ces problèmes. Ces besoins, à eux seuls, justifient, selon lui, l'utilité d'un concept tel que l'implication ; les nouveaux besoins ne font que l'accentuer. Ceux-ci correspondent aux aspects habituellement retenus pour décrire les évolutions de l'entreprise face à un environnement marqué par la mondialisation des échanges. Thévenet relève, entre autres, l'accélération du progrès technique et la concurrence accrue. Ces changements aboutissent au besoin d'un individu capable de prendre des décisions de façon autonome, dans un environnement incertain. Comparativement à l'ère taylorienne, un tel besoin apparaît effectivement nouveau.
Pour Thévenet, la réponse à ces besoins passe par une implication plus grande de l'individu dans l'entreprise. Celle-ci correspond, pour lui, à une relation très spécifique et assez complexe, se traduisant par un investissement plus poussé des multiples aspects de la personne. La notion d'investissement fait, entre autres, valoir l'inscription à moyen et long termes de ce besoin. L'implication à laquelle il se réfère prend la forme d'un attachement combinant calculs et identification.
La pertinence du concept d'implication ainsi défini pourrait être validée à travers la vérification de deux hypothèses
- existe-t-il une relation correspondant aux types d'investissements décrits par Thévenet ?
- contribue-t-elle effectivement, mieux que les autres, aux besoins permanents et nouveaux de l'organisation ?
Les enjeux de l'organisation tels que les explicite Thévenet sont, par ailleurs, suffisamment précis pour permettre la confrontation des différents concepts d'implication existants, dans le cadre d'une démarche hypothético-déductive. Il s'agirait ainsi : soit de sélectionner le plus performant ; soit de retenir les plus satisfaisants.
1.2.2. Le besoin de conformité (Etzioni).
Les enjeux définis par Etzioni (1961) nous ramènent à des considérations plus générales. Le concept de "compliance", sur lequel il fonde le concept d'implication, peut être défini comme le fait, pour l'individu, de se conformer aux exigences de l'organisation, celles-ci pouvant être formalisées sous la forme de directives. Il décrit une "relation à travers laquelle un acteur se comporte en accord avec les directives appuyées par un autre acteur."
"La relation de "conformité" concerne, en même temps :
- une relation à travers laquelle un acteur se comporte suivant une directive soutenue par le pouvoir d'un autre acteur ;
- l'orientation de l'acteur subordonnée vis-à-vis du pouvoir utilisé."
Le pouvoir dont il est question se distingue de l'autorité, dans la mesure où il comprend des formes non légitimes. L'orientation vis-à-vis de ce pouvoir n'est autre que l'implication, autrement dit une réponse à cet assujettissement intégrant plus ou moins d'aliénation ou, inversement, plus ou moins de "Commitment" ("implication morale").
Différentes formes de pouvoir. Etzioni définit "le pouvoir d'un acteur comme sa capacité à induire ou à influencer un autre acteur, afin qu'il suive ses directives ou toutes normes qu'il défend." Ce pouvoir diffère en fonction des moyens employés pour que les sujets s'y conforment : ces moyens peuvent être physiques, matériels ou symboliques. L'hypothèse qui sous-tend son étude, "est qu'il existe trois principales sources de contrôle (...) : la coercition, les avantages économiques et les valeurs normatives." "Le pouvoir coercitif repose sur l'application ou la menace de sanctions physiques (...), la frustration à travers la restriction des mouvements ou le contrôle par la force de la satisfaction de besoins tels que la nourriture, la sexualité, le confort ou l'affectivité." "Le pouvoir rémunératif est basé sur le contrôle de ressources matérielles et de récompenses telles que le salaire et les autres formes de rémunérations." "Le pouvoir normatif est basé sur l'allocation et la manipulation de récompenses et de privations symboliques (...), l'allocation d'estime et de prestige symbolique (...)" Etzioni associe au pouvoir normatif les idées de "resocialisation", "persuasion", "manipulation", "suggestion". La plupart des organisations recourent à ces trois types de pouvoir, mais "la mesure dans laquelle elles reposent sur chacun diffère de l'une à l'autre." Les trois formes de "compliance" existent dans la plupart des organisations, mais l'une d'entre elles tend habituellement à s'imposer. "Certaines organisations développent, cependant, des structures de conformité ("compliance") dans laquelle deux modèles apparaissent avec la même fréquence. Etzioni les qualifie de "structures de conformité ("compliance") duales." |
L'implication constitue le second terme composant la relation de "conformité", elle correspond à l'orientation de la personne vis-à-vis du pouvoir qui s'exerce sur elle.
"Cette orientation peut-être caractérisée comme positive ("Commitment") ou négative ("aliénation")." Qu'elle soit positive ou négative, Etzioni se réfère à cette orientation sous le terme d'implication dans l'organisation ("Involvement" in the organization")." Dans une perspective plus large, il définit l'implication comme "l'orientation d'un acteur caractérisée en termes d'intensité et de direction. "
Etzioni retient trois formes d'implication :
L'implication aliénante : elle est fonction d'une part du "degré auquel le pouvoir développé est considéré par l'individu comme légitime et d'autre part de sa congruence avec la ligne d'action qu'il désirerait suivre.".
L'implication calculatrice : elle est associée à la notion d'intérêt, l'individu se conforme aux exigences de ses supérieurs dans la mesure où il y trouve des compensations suffisantes.
L'implication morale ou "Commitment" : elle peut prendre deux formes : elle peut être pure lorsque la personne se conforme aux directives dans la mesure où elle a internalisé les valeurs qui les sous-tendent. Elle est sociale lorsque la conformité du comportement vis-à-vis des directives résulte de la pression du groupe.
Pour Etzioni, aucune de ces trois formes "n'est a priori supérieure, aucune n'est, en soi, plus puissante".
L'approche d'Etzioni et la façon dont il définit l'implication sont, de loin, moins populaires que celles défendues par Thévenet et généralement attribuées à Mowday, Porter et Steers (1982). Cette relative négligence peut être expliquée par l'idée de Thévenet selon laquelle le concept d'implication est né de nouveaux besoins, mais, aussi et surtout, de nouvelles façons de les concevoir. Son apparition nous semble, en l'occurrence, associée à une façon plus humaine de concevoir la relation individu-organisation, les formes de coordination et les modes de management, intégrant, entre autres, la prise en considération des besoins des personnes. L'approche d'Etzioni n'est, effectivement, pas totalement en phase avec ce contexte.
1.2.3. La contribution d'Etzioni : une approche négligée.
La démarche d'Etzioni nous apparaît fondamentalement différente de celle de Thévenet, non seulement au niveau des besoins pris en considération, mais aussi des perspectives ouvertes en termes de gestion.
L'approche de Thévenet introduit également une certaine réciprocité s'exprimant, entre autres, à travers l'autonomie dont dispose l'individu pour collaborer avec l'organisation. La place ainsi accordée à la dimension humaine n'est pas neutre. Même les besoins permanents impliquent la participation et l'intégration de l'individu à l'action collective, ainsi que la reconnaissance de motivations profondes. Cette approche aboutit au besoin d'un individu plus conscient, plus responsable, plus intégré. Elle tend, ce faisant, à éluder la notion de pouvoir ; l'individu semble collaborer de son plein gré.
Etzioni accorde à la question du pouvoir une place au moins aussi importante qu'à l'implication. L'enjeu de l'organisation est que l'individu lui apporte une contribution conforme aux enjeux qu'elle spécifie dans le cadre de directives. Les différentes formes d'implication décrivent alors les façons dont l'individu intègre les enjeux de l'organisation ainsi que le pouvoir qui s'exerce sur lui. Partant de là, Etzioni se refuse à hiérarchiser ces différentes formes, toutes étant a priori efficaces.
L'approche d'Etzioni est, avant tout, pratique et ignore délibérément les besoins de la personne. Le seul effet recherché est sa soumission/conformité. Cette approche n'est définitivement pas en phase avec cette façon plus humaine de concevoir la relation individu-organisation qui caractérise la plupart des autres définitions de l'implication.
En plus de la place centrale accordée au pouvoir, la contribution d'Etzioni dénote par le fait qu'elle reconnaît aux formes de pouvoir coercitif associées à l'aliénation, une efficacité, et par là même, un statut égal aux implications plus communément recherchées.
Pour terminer, il assimile "l'implication morale", (forme relativement proche de celle de Mowday (1982)), à des formes de "conformisme" et "d'endoctrinement". Il lui retire ainsi une part importante de ses vertus.
Tous ces handicaps cumulés font que le travail d'Etzioni est, pour ainsi dire, ignoré par la plupart des auteurs. Il est, certes, presque systématiquement cité, parfois développé, mais il reste rarement véritablement intégré. La place d'Etzioni au sein de la littérature sur l'implication permet de mieux saisir les enjeux participant à ce concept.
Conclusion sur les enjeux de l'implication.
Ces deux catégories de démarches diffèrent par leurs fondements et leur esprit. Elles peuvent, selon nous, ordonner une part importante de la diversité de la littérature sur l'implication :
- les besoins "nouveaux" de l'entreprise définis par Thévenet, des besoins d'individus capables de réaliser ses enjeux dans un environnement changeant et incertain, tout en intégrant, par ailleurs, leurs propres projets, trouvent réponse dans des formes de relation très spécifiques, mettant en avant l'attachement affectif du salarié à "son" entreprise ;
- l'implication à laquelle se réfère Etzioni revêt des formes plus nombreuses et plus variées constituant différentes voies possibles, à travers lesquelles l'individu peut, dans l'immédiat, se conformer aux directives/attentes de l'entreprise.
Les phénomènes que cherchons à décrire à travers le concept d'implication : les engagements signifiés par les volontaires, introduisent une voie moyenne entre ces deux perspectives : à travers les engagements qu'ils énoncent, les volontaires promettent de prendre en charge la réalisation des enjeux de l'acteur ou de l'objet auquel ils les destinent. Nous considérons ainsi une conformité aux attentes de l'acteur ou de l'objet, projetée à moyen et long termes. Partant de là, il nous reste, à travers l'étude de la littérature sur l'implication, à explorer les différentes modalités possibles de tels engagements.
Nous commençons par articuler les concepts d'implication se référant, pour la plupart, implicitement, aux formes d'attachement affectif susceptibles de répondre aux besoins explicités par Thévenet. Nous poursuivons, ensuite, avec les typologies passant en revue les multiples formes capables d'induire la conformité requise par Etzioni.
Un dernier point reste, cependant, à éclaircir, avant de pouvoir nous livrer à cet exercice : la terminologie. Ce qui n'aurait dû être, a priori, qu'une formalité, s'avère ici pour le moins ardu. Le chaos conceptuel, qui caractérise l'implication, n'est pas seulement dû à des problèmes de fond tels que la question des enjeux de l'organisation, il est, aussi, en partie, le résultat de malentendus et de confusions quant aux termes débattus :
- des termes différents aboutissent à des définitions relativement proches ;
- un même terme peut être associé à des définitions relativement hétérogènes.
1.3. L'implication : une terminologie, source de malentendus.
Les malentendus existant autour de la notion et du terme d'implication sont nombreux. Nous passons ici en revue un certain nombre d'entre eux, en les illustrant à chaque fois d'un ou deux exemples.
La première convention que nous souhaitons établir ne se situe pas au niveau des concepts eux-mêmes, mais concerne leurs composants. On constatera, en effet, que tous ces concepts se composent d'un premier terme désignant une façon de s'impliquer et d'un second correspondant à l'objet de cette implication.
1ère composante : la façon de s'impliquer | 2nde composante : l'objet de l'implication |
MODE | REFERENTIEL |
La première composante est désignée par Becker (Becker & Billing, 1993) sous le terme de "Base" ou de "Motive". Nous la désignons désormais sous le terme de "Mode". Celui-ci se réfère, pour nous, à la façon d'intégrer les enjeux de la situation et aux modalités de la relation.
La seconde composante est mentionnée, entre autres, par Morrow (1993), sous le terme de "foci". Certains auteurs français reprennent ce terme, nous lui préférons, quant à nous, celui de "référentiel". Il correspond, en effet, pour nous à l'idée d'un repère et d'un point d'ancrage.
1.3.1. Polysémies et synonymes.
La première source des malentendus concernant l'implication proprement dite réside dans la diversité des termes qu'il est nécessaire de prendre en compte. Lorsqu'on cherche, comme le fait P. Morrow (1993) dans son "survey", à recenser les différentes formes d'implication conceptualisées, il s'avère nécessaire d'étendre sa liste de mots-clefs au delà du seul terme de "Commitment". En effet, un certain nombre d'autres concepts allant dans le même sens ont été développés sous d'autres vocables. C'est ainsi que P. Morrow intègre à sa liste de concepts : "Job Involvement", "Carrier Salience", "Work Ethic Endorsement", "Group Commitment", "Work Involvement", "Affective Organisational Commitment" etc. Ces concepts constituent, selon elle, des catégories de "Work Commitment" relativement différentes.
Différentes formes et différents sens de "Commitment". ex. 1. Le "Commitment" décrit dans le cadre du "Job Involvement" correspond à la façon dont l'individu relie son image de soi aux différentes tâches qui lui incombent, ainsi que le lien qu'il fait entre sa performance et l'estime qu'il s'accorde. ex. 2. Le "Commitment" défini dans le cadre du "Work Ethic Endorsement" correspond, quant à lui, à la valeur accordée au travail en général. |
On peut se demander si ces différents termes ("Involvement", "Ethic Endorsement", "Salience") sont synonymes, ou s'ils désignent des formes d'implication ("Commitment"), en soi, différentes. Nous avons cru pouvoir noter que lorsque ces différents termes sont associés au même référentiel (ex. "Work Commitment", "Work Involvement"), leurs significations ne sont pas fondamentalement différentes. Cette remarque va dans le sens de l'hypothèse suivant laquelle ils seraient synonymes. Partant de là, les différences entre ces formes d'implication résideraient en fait dans les référentiels auxquels elles s'appliquent.
P. Morrow explique les difficultés rencontrées dans la perspective d'ordonner ces concepts, par le fait qu'ils n'ont pas été conçus en vue d'intégrer un même ensemble. Ils s'avèrent partiellement redondants ou, suivant le point de vue adopté, partiellement différents. On peut ainsi, suivant les cas, les voir comme des synonymes ou comme des concepts distincts. Des problèmes de cet ordre existent également au niveau des formes plus spécifiques.
Redondances et différences entre les concepts. ex. 1. "Attitudinal Commitment" et "Affective Commitment" constituent des ensembles plus ou moins identiques. La question est alors de savoir s'ils signifient exactement la même chose ou s'ils mettent en avant quelques caractéristiques différentes. ex. 2. De même, "Calculative Commitment", "Calculative Involvement" et "Continuance Commitment" définissent des ensembles relativement convergents. Les nuances qu'ils recèlent n'auraient-elles pas pu être intégrées comme différentes versions d'un même concept ? |
Ce problème se combine à un second : deux termes se recoupent (ou diffèrent) plus ou moins en fonction des définitions retenues. En effet, un même terme peut prendre des sens sensiblement différents et ainsi répondre à des besoins conceptuels relativement éloignés.
Différentes définitions d'un même terme : le cas d' "Involvement" : ex. 1. Il signifie, pour Etzioni, le fait de se conformer aux exigences de l'organisation. ex. 2. Il correspond, pour Lodahl et Kejner (1965), dans l'expression "Job Involvement", au fait de relier son image de soi à sa performance dans son emploi ex. 3. Il constitue, pour Buchanan (1974), un aspect de l'implication dans l'organisation correspondant au fait d'être physiquement engagé dans son activité. |
Même si l'on considère que ces formes de "Commitment" ne sont pas fondamentalement différentes, même si leurs définitions focalisent toutes sur l'idée d'une relation avec la situation de travail, il reste que ces variations suffisent à générer des articulations pour le moins différentes entre les (sous-)concepts. Chacun d'eux peut, tour à tour, passer d'un statut de qualité d'un phénomène générique à celui de forme spécifique, en passant par celui d'aspect d'une forme spécifique. De même, certains termes associés au concept, comme l'identification, peuvent suivant les cas, être retenus comme antécédent, comme synonyme, ou comme conséquence.
Polysémie des termes ex. 1. L' "Involvement" peut être : - une forme générique, c'est le cas pour Etzioni ; - une forme spécifique dans le cadre du "Job Involvement" de Lodahl et Kejner (1965) ; - un aspect de l' "Organizational Commitment" de Buchanan (1974) ; ex. 2. La volonté de rester peut être un aspect du phénomène (Mowday, Porter & Steers, 1979), une conséquence attendue pour "Calculative Commitment" (Hrebiniak & Alutto, 1972), un antécédent (Becker, 1960 et les tenants de l'implication comportementale) ; ex. 3. L'identification ou la loyauté peuvent être une approximation du terme générique (Mowday, 1982) ou un aspect de ce phénomène (Buchanan, 1974). |
C'est ainsi que lorsque nous cherchons à identifier un terme générique susceptible de regrouper l'ensemble de ces formes, nous nous retrouvons face à différentes alternatives, développant soit un ensemble de référentiels (objets d'implication), soit un ensemble de modes (façons de s'impliquer).
Les référentiels génériques ex. 1. P. Morrow propose "Work", qui désigne le travail en général. Elle le distingue de l'emploi "Job", qui dans l'expression "Job Involvement" désigne le contenu du travail. Cependant, dans l'expression "Work Ethic Endorsement", "Work" correspond bien au travail en général, mais il prend la forme d'une activité : le fait de travailler. Il ne semble alors pas en mesure d'englober l'organisation et les autres référentiels. ex. 2. Redding (Redding, Norman & Schlander, 1991) parle, quant à lui, de différents aspects de l'organisation : le groupe, l'emploi, etc. De même que Reichers (1985) envisage différents groupes de références au sein de l'organisation. Le problème est que l'organisation est le plus souvent utilisée pour désigner, de façon exclusive, l'institution. Les modes génériques ex. 1. Etzioni évoque la relation en général sous le terme d' "Involvement", considérant le "Commitment" comme une forme particulière. ex. 2. Hrebiniak et Alutto (1972) parlent de "Calculative Commitment", lui conférant ainsi une portée plus générique. |
1.3.2. Différentes traductions possibles.
Une autre conséquence de cette terminologie anglo-saxonne à géométrie variable se situe, pour nous, au niveau de sa version française : différentes traductions sont possibles en fonction des quelques définitions prises en considération.
Thévenet (1992) et Neveu (1996) ont choisi d'associer "Involvement" aux relations touchant au travail (job) et "Commitment" aux relations avec l'organisation. Ce choix fut, sans doute, motivé par la fréquence de ces deux associations. Afin de parer à toute confusion, ils traduisent "Involvement" par "engagement" et le terme de "Commitment" par "implication". L'engagement désigne ainsi une relation davantage fondée sur un investissement physique alors que "l'implication" repose plutôt sur des phénomènes d'identification de l'individu à l'organisation.
Cette traduction est parfaitement recevable, mais reste dépendante de certaines définitions. Elle nous pose cependant des difficultés, dans la mesure où nous souhaitons :
- restituer ces deux formes d'implication dans le cadre d'un même concept, c'est-à-dire d'un concept transversal s'appliquant indifféremment aux différents référentiels possibles, signifiant une forme d'identification ;
- restituer cette forme d'identification dans le cadre d'un concept générique intégrant d'autres modes spécifiques, tels que, par exemple, une implication calculatrice.
La distinction établie par Thévenet et Neveu est utile lorsqu'on cherche à mettre en évidence les différences existant entre différentes formes d'identification en fonction des objets auxquels elles s'appliquent. Elle devient plus problématique lorsqu'on souhaite mettre en avant une commune mesure entre les deux phénomènes. C'est pourquoi, nous nous référons à la définition d'Etzioni (1961), celle-ci posant l' "Involvement" comme concept générique et le "Commitment" (ou Moral Involvement") comme forme spécifique.
Nous souhaitons, conformément aux recommandations de Morrow (1983), éviter de surenchérir par de nouveaux termes ou de nouvelles définitions, nous nous limitons donc ,pour ce faire, à un seul terme : l'implication.
A l'instar d'Etzioni, nous désignons les différents modes (les différentes façons de s'impliquer) par un adjectif particulier (ex. implication calculatrice, implication aliénante). Ces modes sont susceptibles de renvoyer à différents référentiels.
Le référentiel concerné est lui aussi systématiquement spécifié par le substantif requis. Le référentiel générique auquel nous nous référons reprend l'expression de Neveu (1991) : "situation de travail". Nous l'évoquerons par la suite le plus souvent sous le diminutif de "situation".
L'implication dans la situation de travail, lorsqu'elle n'est pas associée à un mode spécifique, peut ainsi être, provisoirement, définie comme le fait d'être en relation, dans le sens d'être impliqué dans une affaire de meurtre.
Concept générique | concept spécifique |
Implication dans la situation de travail | Implication + Mode + Référentiel |
L'objectif d'une terminologie est de refléter la structure des articulations et des logiques, existant entre les diverses unités de sens, ainsi convoquées. Watzlavick (Watzlavick, Weakland & Fisch, 1975) explicite parfaitement le problème que nous avons rencontré pour définir l'implication.
Une terminologie permettant de distinguer les "membres" et les "classes". "Malheureusement, il est souvent malaisé, dans le langage naturel, de différencier nettement entre membre et classe."..."l'usage des termes ne permet plus de distinguer les classes de phénomènes des phénomènes qui la composent."(1975) |
Lorsque nous parlons de l'implication de l'individu, il est difficile de distinguer le fait d'être impliqué ou la forme de son implication. Nous pallierons, par la suite, à ce problème en continuant à désigner le phénomène générique par le terme "implication", mais en évoquant les formes spécifiques sous le terme d' "engagement".
Le terme d' "engagement" se réfère aux phénomènes décrits dans le cadre de cette recherche, tels que les désigne les acteurs. Toutefois, il peut conserver un caractère relativement générique dans la mesure où il correspond aux obligations que le volontaire promet de remplir, selon qu'il s'agisse d'une contrainte liée à la contrepartie d'avantages perçus, ou d'un don à caractère plus unilatéral.
Cette distinction prendra, véritablement, effet à partir du chapitre 4 : constatant la multiplicité des formes d'implication que peut développer un même individu, nous pourrons ainsi considérer les différents engagements qui composent l'implication du volontaire.
Conclusion sur la terminologie
Cette terminologie reflète la façon dont nous souhaitons aborder les formes développées par les différents auteurs : nous cherchons à repérer la multiplicité des modes d'implication, indépendamment des référentiels auxquels il est possible de les associer.
Elle reflète aussi le résultat auquel nous souhaitons aboutir à l'issue de ce chapitre, c'est-à-dire une partition de l'ensemble des implications possibles. A ce titre, les propriétés d'une partition étant les suivantes :
- la réunion des ensembles définis par ses différentes catégories est égale à l'ensemble des relations possibles ;
- les intersections de ses catégories prises deux à deux sont égales à l'ensemble vide.
Le formatage des catégories retenues intègre une double contrainte :
- une abstraction pour dépasser les particularités liées à l'application d'un mode à un référentiel donné,
- et une précision suffisante pour pouvoir faire ressortir différentes façons de s'impliquer, autrement dit différents modes.
Ce découpage ne se fonde pas sur une quelconque vérité, mais sur une logique d'efficacité. En l'occurrence, il s'agit de déterminer les différences les plus "significatives", mais aussi les plus utiles, compte tenu de notre projet de recherche.
Nos catégories s'appuient sur les différents positionnements abordés durant cette étude de la littérature. Dans cette perspective, l'un des trois modes retenus s'inspire des formes d'implication, issues des "nouveaux besoins de l'entreprise" (Thévenet, 1992).
2. Une version spécifique : l'identification.
Les attentes exprimées par l'organisation à l'égard de l'individu, dans le cadre de la formulation de Thévenet (1992), peuvent, selon nous, être ramenées à une capacité à décider et à agir dans le sens de l'organisation, en l'absence de règles précises, tout en intégrant la réalisation de projets personnels.
De nombreuses contributions se consacrent au repérage des caractéristiques d'une relation allant dans ce sens. Notre objectif est d'explorer les phénomènes construits dans cette perspective afin, par la suite, de nous en inspirer dans le cadre de notre typologie des relations possibles.
Deux logiques sont envisageables pour intégrer l'ensemble des contributions relevant de cette approche "spécifique" : l'intersection ou la réunion.
L'intersection consisterait à trouver un ou plusieurs énoncés convenant à toutes les définitions. Dans cette perspective, le seul élément revenant systématiquement est l'identification. Celui-ci semble, d'ailleurs, constituer le centre autour duquel gravitent les éléments apportés par les différentes définitions. Un second élément apparaît de façon plus implicite : une relation intense et positive. Mais si ces deux éléments constituent une commune mesure entre des définitions relativement hétérogènes, ils ne donnent qu'une très vague idée du phénomène que cherche à décrire cette approche.
Afin de garder la richesse des contenus développés, nous croyons préférable de recourir à la seconde solution : de réunir et d'articuler l'ensemble des critères produits par les différentes définitions.
2.1. La définition de Mowday, Porter et Steers (1982).
Comme toutes les revues de littérature sur le concept d'implication, nous partons de la définition de Mowday, Porter et Steers (1982). Suivant leur définition, l'implication organisationnelle reflète l'identification et l'engagement de l'individu dans une organisation donnée, elle intègre trois dimensions :
- une forte croyance et une acceptation des buts et des valeurs de l'organisation ;
- une volonté d'exercer des efforts considérables dans sa direction ;
- un fort désir d'en rester membre.
Il s'agit d'analyser à quoi se rapportent ces différents énoncés, comment ils se situent par rapport au phénomène décrit.
Les deux premiers termes nous mettent face à une incertitude : l'identification et l'engagement constituent-ils :
- des phénomènes génériques ;
- des approximations de ce qu'est le phénomène ;
- une conséquence, un phénomène associé.
Car en effet, le terme "reflète" laisserait penser qu'il s'agit de phénomènes distincts : l'identification et l'engagement se traduisent par de l'implication.
Les trois énoncés suivants semblent, quant à eux, constituer des composantes du phénomène implicationnel lui-même. Allen et Meyer (1990) reprochent, cependant, à ces auteurs d'avoir confondu l'implication avec ses effets attendus, en particulier en ce qui concerne la volonté de rester.
Nous les assimilons, pour l'instant, à des manifestations de l'implication, à des attitudes dont les conséquences correspondraient à des comportements réels. Dans cette perspective, la problématique de l'implication reviendrait à se demander dans quelle mesure les attitudes de l'individu permettent de prédire ses comportements.
C'est, sans doute, cette idée d'attitude qui revient le plus souvent, lorsqu'il s'agit de déterminer la nature de l'implication (ex Neveu, 1996) . Le problème est que ce terme fait, lui aussi, l'objet de définitions multiples.
La première définition que retient J. P. Neveu (1996) à propos de l'attitude est celle de Rosenberg et Hovland (1960). Ces derniers lui prêtent trois composantes : affective, cognitive et comportementale. Les trois composantes de l'implication définies par Mowday, Porter et Steers (1982) peuvent, selon nous, être rapprochées de ces dimensions de l'attitude :
- la forte croyance dans les buts et les valeurs relèverait d'un mélange d'affectif et de cognitif ;
- la volonté de produire des efforts et de rester serait d'ordre comportemental.
Ce recoupement converge avec la désignation relativement fréquente de cette approche du concept : "l'implication attitudinale".
2.2. Identification, engagement et loyauté.
2.2.1. Identification, engagement et loyauté : différentes composantes.
Admettant le caractère attitudinal des phénomènes décrits par le concept d'implication, la question se pose de savoir comment il s'articule avec les notions d'identification et d'engagement. Ces termes semblent constituer pour Mowday, Porter et Steers (1982), des sortes d'approximations.
La théorie de Buchanan (1974) les intègre de façon quelque peu différente, elle les considère comme deux orientations distinctes :
- identification : congruence entre les buts et valeurs de l'individu et de l'organisation ;
- engagement (trad. "Involvement") : immersion psychologique à l'intérieur des activités requises par le rôle exercé au travail.
L'implication se compose de ces deux orientations auxquelles il faut en ajouter une troisième : la loyauté, autrement désignée sous le terme d'attachement. La loyauté correspond un sentiment d'affection associé à un investissement dans la durée.
Ces trois termes sont repris par Cook (Cook, Hepworth, Wall & Warr, 1981), mais sont définis de façons sensiblement différentes :
- identification : internalisation des buts et des valeurs ;
- engagement : volonté de faire (trad. to invest) des efforts dans l'organisation ;
- loyauté: un sentiment d'appartenance se manifestant dans un désir de rester.
La première série de définitions, celle de Buchanan décrit les différentes composantes, alors que la seconde série, celle de Cook, décrit la façon dont elles se manifestent. La confrontation des deux nous permet de faire le lien entre les deux groupes d'énoncés qui composent la définition de Mowday, Porter et Steers (1982) :
- l'engagement et l'identification correspondraient à deux dimensions du phénomène. Les travaux de Buchanan (1974) et de Cook (1981) leur ajoutent, par ailleurs, de la loyauté ;
- les trois énoncés suivants passeraient en revue les effets attendus.
Les trois composantes retenues par Buchanan (1974) et Cook (1981) : l'identification, l'engagement et la loyauté nous semblent constituer trois phénomènes distincts touchant à des référentiels différents : l'organisation, l'emploi(tâches), le groupe, engendrant chacun des manifestations spécifiques : internalisation des valeurs et des buts, volonté de faire des efforts, appartenance.
Composantes | Référentiels | Effets attendus |
Identification | Organisation | Internalisation des valeurs et des buts |
Engagement | Emploi | Volonté de faire des efforts |
Loyauté | Groupe | Appartenance |
2.2.2. Identification, engagement et loyauté : une combinaison.
Ces trois composantes de Buchanan (1974) reprises par Cook (1981) constituent des phénomènes distincts que certains auteurs développent isolément en les considérant comme l' "Implication".
L'identification dans l'organisation reprend la forme de base de l' "Organizational Commitment". Cette identification est la plus souvent associée à une internalisation des buts et des valeurs.(Kelman, 1959).
L'engagement ("Involvement") reste, à l'exception notoire d'Etzioni (1961), le plus souvent associé au travail/emploi : "Job Involvement" (Lodahl & Kejner, 1965 ; Lawler & Hall, 1970). Thévenet (1992) et Neveu (1996) ont tenu à traduire ce concept par
"engagement dans le travail", afin de le différencier de l'implication qu'ils réservent au concept de "commitment". Le terme aurait très bien pu, pensons-nous, être traduit par "Implication dans le travail", P. Morrow (1993) le considérant d'ailleurs comme une forme de "Work Commitment". Ce concept fut à l'origine défini par Lodahl et Kejner (1965) comme le lien que l'individu établit entre :
- d'une part, le contenu de son travail et son image de soi ;
- d'autre part, sa performance au travail et son estime de soi.
La loyauté décrit, quant à elle, des phénomènes spécifiques aux groupes. Cette composante est considérée par des auteurs tels que Fukami et Larsen (1984), Reichers (1985), Zaccaro et Dobbins (1989) comme un phénomène distinct de l'implication dans l'organisation ("Organizational Commitment").
2.2.3. Identification, engagement et loyauté : différents niveaux d'analyse.
Ces trois composantes peuvent, plus encore que les manifestations décrites par Mowday, Porter et Steers (1982), être rapprochées des différents aspects de l'attitude (Rosenberg & Hovland, 1960).
- internalisation des buts et des valeurs : cognitive ;
- engagement : comportementale ;
- loyauté : affective.
L'implication serait donc une attitude composée de trois dimensions, correspondant à des niveaux d'analyse distincts et se manifestant de différentes façons.
Nous pouvons rapprocher ces trois dimensions, des trois niveaux de personnalité auxquels se réfère Saleh (1995) pour analyser l'implication :
- identification : cognitif, le "Soi" de l'identité
- engagement : le "Soi conatif", l'acteur
- loyauté : le "Soi évaluatif", celui qui juge.
La différence entre l'attitude de Hovland et Resenberg (1960) et les niveaux de personnalité décrits par Saleh est que la loyauté considérée par les premiers comme affective, devient, pour ce dernier, normative.
Mode | Référentiel : aspect de l'organisation | Composantes attitudinales | Niveaux de personnalité | Conséquences & manifestations |
identification | organisation institution | cognitif | cognitif soi de l'identité | internalisation des buts et des valeurs |
engagement | emploi (job) | comportement | conatif | faire des efforts |
loyauté | organisation groupe | affectif | soi évaluatif juge, normatif | rester |
(Nous intégrons, ici, la contradiction entre affectif et normatif, car elle est, selon nous, représentative du concept.)
Conclusion : un individu qualitativement plus investi.
L'hétérogénéité existant entre ces trois dimensions fait, elle aussi, partie du concept. Elle rejoint l'idée de Thévenet (1982) selon laquelle l'individu "impliqué" investit dans l'organisation les multiples aspects de sa personne.
3. Une version plus générique : la notion de conformité.
En référence aux travaux d'Etzioni, nous situons cette seconde approche du concept par rapport aux besoins de l'organisation de disposer d'individus capables d'apporter des contributions conformes à ses exigences. Cette approche aboutit à un concept plus générique que le précédent : de multiples relations sont susceptibles de répondre à cette exigence. L'objectif, partant de là, est de les inventorier et de les ordonner.
Les typologies visant à rendre compte des différentes façons dont l'individu intègre les enjeux de l'organisation sont presque aussi nombreuses et variées que les contributions visant à établir la forme précédente. Elles semblent, par ailleurs, faire l'objet d'un intérêt croissant .
Nous distinguons deux types de catégorisation :
- celles visant à ordonner les phénomènes et à couvrir l'ensemble des implications possibles ;
- celles visant à ordonner les concepts, cette seconde catégorie de typologie constitue ce que P. Morrow (1993) appelle une méta-analyse, celle-ci explore et ordonne les concepts produits au sujet de l'implication.
Nous intégrons ces deux approches en reprenant les concepts existants et en les ordonnant, dans le cadre de catégories visant à structurer l'ensemble des implications possibles, sous la forme d'une partition. Dans cette perspective, nous cherchons à construire des catégories suffisamment larges pour couvrir et, d'une certaine façon, réduire les nuances qui séparent les modes d'implication en fonction des référentiels. Nous souhaiterions, par exemple, assimiler, dans le cadre d'un même mode, l'implication dans l'organisation et l'engagement au travail, pour ne plus retenir qu'un seul et même phénomène susceptible d'être appliqué à des objets différents.
3.1. D'autres typologies possibles.
3.1.1. Typologies se référant à la nature des phénomènes. (ex. Redding (1991), Neveu (1996))
La typologie de concepts la plus fréquemment reprise est celle qui distingue une "implication attitudinale" d'une "implication comportementale". Cette distinction nous amène sur le terrain de l'ontologie et de l'épistémologie :
- l'ontologie : certains questionnent, dans le cadre de ce dilemme, la véritable nature de l'implication ;
- l'épistémologie : d'autres, comme Neveu (1996), y voient différentes façons d'aborder et d'étudier le phénomène. L'implication comportementale lui apparaît, dans cette perspective, plus fiable, mais moins accessible que l'implication attitudinale.
Afin de ne pas mélanger les niveaux d'analyse, nous omettons délibérément, tout au long de ce chapitre, tout ce qui tourne autour de l'implication comportementale. Les contributions que nous étudions ici considèrent, pour la plupart, le caractère attitudinal du phénomène implicationnel. Nous nous y référons sans pour autant statuer sur la question.
3.1.2. Typologies des concepts (Morrow, 1993).
La notion d'implication a généré une telle quantité et une telle diversité de travaux, que l'analyse et la mise en ordre des concepts existants sont devenues un exercice à part entière. Dans ce registre, l'une des contributions les plus abouties est, sans aucun doute, celle de P. Morrow.
Son travail a pour ambition de regrouper les différents concepts existants autour d'un nombre limité de catégories. Ces dernières se trouvent réunies à l'intérieur de l'ensemble des "formes d'implication au travail" ("Work Commitment"). Suivant cette perspective, elle intègre des concepts spécifiques comme celui de Mowday et ali(1982), ainsi que des typologies comme celle d'Allen et Meyer (1990), qu'elle reprend forme par forme.
Elle aboutit à une typologie de "Work Commitment" composée de cinq concepts : "Work Ethic Endorsement", "Job Involvement", "Carrier Salience", "Affective Organizational Commitment" et "Continuance Organizational Commitment".
Les catégories ainsi retenues sont, par certains aspects, ambiguës. En effet, nous ne parvenons pas à déterminer si les formes qu'elle explore, comme par exemple le "job "Involvement" ("l'engagement au travail"), constituent :
- une application du mode désigné par le terme générique "Work Commitment", à différents référentiels possibles. Dans cette perspective, le "Job Involvement" serait synonyme de "Job Commitment";
- un mode particulier associé à un référentiel spécifique, le tout constituant une forme donnée de "Work Commitment". Dans cette perspective, l' "Involvement" serait une forme spécifique de "Commitment" et "Job" une forme particulière de "Work".
Mode générique | Mode 1 | Mode 2 "Involvement" ? | |
référentiel générique | "Work Commitment" | ||
référentiel 1 | |||
Référentiel 2 Job | "Job Involvement" ? | "Job Involvement" ? |
Watzlavick (1975) pose comme principe de catégorisation que les termes désignant un phénomène générique doivent être différents de ceux correspondant à des phénomènes particuliers. En supposant que la terminologie de P. Morrow (1993) respecte ce principe, sa typologie finale aboutit à une partition imparfaite : elle couvre de façon incomplète l'ensemble des phénomènes possibles et imaginables sur la base de ceux exposés.
Référentiel générique : "Work" | "Job" | "Carrier" | "Organization" | |
Mode générique "Commitment" | "Work Commitment" | "Carrier Commitment" | ||
"Involvement" | "Job Involvement" | |||
"Ethic endorsement" | "Work Ethic Endorsement" | |||
"Continuance Commitment" | "Continuance Organizational Commitment" | |||
"Affective Commitment" | "Affective Organizational Commitment" |
3.1.3. Typologies des référentiels (Reichers, 1985 ; Redding, 1991).
P. Morrow (1993) a voulu reprendre à l'intérieur d'une seule et même typologie un ensemble de concepts différents au niveau à la fois de leur mode et des référentiels auxquels ils s'appliquent. Cette démarche rend compte des concepts, mais nous pose problème, compte tenu de notre volonté de dissocier les modes et les référentiels et de les combiner sous forme d'une matrice. Les concepts décrits ne nous permettent pas de faire la part des choses entre les caractéristiques d'un mode donné et celles introduites par son application à un référentiel particulier. Partant de là, nous retenons de son travail, les référentiels introduits à travers la terminologie employée.
Référentiel générique | Work | |
Référentiels spécifiques | - job ; - carrier ; - organization ; - profession ; - group. |
Des alternatives, ou plutôt des compléments, sont développés par d'autres auteurs. Reichers (1985), par exemple, envisage différents groupes de référence possibles au sein de l'organisation :
Référentiel générique | Organization | |
Référentiels particuliers | - top management (dirigeants) ; - professionalism ; - funding agencies (bailleurs de fonds), - client |
Redding, Norman et Schlander (1991) conçoivent, quant à eux, différents aspects de l'organisation sur lesquels peut se focaliser l'individu : les buts, le travail, le groupe, le rôle, les obligations contractuelles. Ils considèrent l'application d'un seul et même mode : l'attachement, quel que soit le référentiel. De même Katz et Van Manaan (1977) regroupent les différents aspects de l'organisation susceptibles de motiver le salarié, autour de trois groupes conceptuellement et empiriquement distincts : la tâche ("task"), le social, l'organisation.
En combinant ces différents apports, nous aboutissons à une liste qui, bien que pouvant intégralement relever du référentiel générique "situation de travail", reste quelque peu hétéroclite. Nous répartissons ces référentiels entre deux catégories : les référentiels liés à l'organisation et ceux relevant d'acteurs ou d'objets extérieurs. Cette répartition n'a, bien entendu, de sens que dans un contexte de gestion, dans le cadre duquel dominent des problématiques intégrant de façon directe ou indirecte la performance de l'organisation. Nous retenons ceux qui nous apparaissent comme les principaux, mais n'excluons pas d'autres possibles.
Référentiel générique | Situation de travail | |
Référentiels liés à l'organisation | - institution - produit - travail - groupe - supérieur hiérarchique - etc. | |
Référentiels non liés à l'organisation. | - client - propriétaire, - métier - intérêts personnels - carrière. - etc. |
3.2. Typologie des "modes" d'implication.
Cette partie constitue le coeur de cette revue, elle vise à concevoir des catégories susceptibles de comprendre l'ensemble des modes possibles. Il s'agit, autrement dit, d'explorer les façons de s'impliquer, indépendamment des référentiels auxquels ils sont habituellement associés. Ce n'est que dans un second temps que nous les (re-)combinerons, dans le cadre d'une seule et même matrice. Nous intégrons, cependant, dès à présent l'idée que la constitution d'une telle matrice implique des modes suffisamment larges et génériques pour être compatibles avec l'ensemble des référentiels développés.
Lorsque nous parlons de l'ensemble des implications possibles, nous faisons référence à l'ensemble des relations "individu-situation de travail" envisageables. Il n'est plus question des relations les plus appropriées aux enjeux de l'organisation, nous définissons désormais l'implication comme la façon dont l'individu intègre les enjeux du référentiel auquel il se réfère dans le cadre de la situation de travail, autrement dit les logiques en raison desquelles il se "conforme" aux attentes d'un référentiel donné. Nous restons, ce faisant, relativement proche de la définition d'Etzioni (1961).
Nous conservons également, moyennant quelques aménagements, sa catégorisation des formes spécifiques. Construite au début des années soixante, elle reste, compte tenu du projet de recherche que nous développons, parfaitement satisfaisante.
3.2.1. L'implication "Intrinsèque".
Nous reprenons ici le concept auquel nous étions parvenu à l'issue de la deuxième partie, en vue de l'intégrer en tant que cas particulier d'un ensemble plus vaste. Ce mode est, lorsqu'il est confronté à d'autres, qualifié d' "affectif".
Pour Buchanan (1974), cette implication combine trois formes spécifiques :
- l'identification dans l'organisation ("organizational identification")
- l'engagement dans le travail ("job "Involvement")
- la loyauté vis-à-vis du groupe ("group loyalty")
Nous pouvons isoler les modes en présence, en organisant ces trois concepts sous la forme d'une matrice.
MODE REFERENTIEL | identification | "Involvement" | loyalty |
organization | "organizational identification" | ||
job | "job "Involvement"" | ||
group | "group loyalty" |
L'implication affective et les trois (sous-)modes qui la composent ont fait l'objet de très nombreux développements qui ont eu, entre autres effets, de multiplier et de diversifier leurs définitions. Suivant la définition retenue et le cadre de références adopté, ils pourraient même se révéler relativement proches, pour ne pas dire identiques.
La question se pose, finalement, de savoir s'il est nécessaire, ou tout simplement utile, de dissocier les trois composantes que développe Buchanan (1974). Ces distinctions sont, sans doute, utiles lorsque la recherche vise à détailler les différents types de modes dits "affectifs". Mais le restent-elles dans le cadre d'une typologie cherchant à couvrir l'ensemble des modes possibles ?
Nous questionnons par ailleurs, le caractère véritablement affectif de ces modes. L'identification et l'internalisation nous semblent en effet, par certains aspects, relativement proches du mode normatif développé par Allen et Meyer (1990).
3.2.1.1. De l'implication dite "affective" à l'implication "normative"
Harris (1993) fait remarquer que l'internalisation et l'identification, telles qu'elles sont reprises par Kelman (1959) restent difficiles à distinguer. Becker (1993), à la suite de Kelman et de O'Reilly et Chatman (1986), juge nécessaire de les conserver. Il les définit, indépendamment du référentiel auquel elles s'appliquent, de la façon suivante :
- identification à un référentiel : quand les attitudes et les comportements sont adoptés en vue d'être associés avec une relation satisfaisante sur le plan de l'autodéfinition avec une autre personne ou un autre groupe. Becker (1993) mesure cette forme par des propositions telles que "Lorsque j'entends un compliment sur mon équipe, je le prends pour moi" ;
- internalisation : quand les attitudes et les comportements sont adoptés parce que leurs contenus sont congruents avec le système de valeurs de l'individu. Partant de là, l'attachement à l'organisation résulte du degré de compatibilité entre les valeurs de l'organisation et celles de l'individu. Il mesure cette forme par des propositions telles que : "Je ne serais pas aussi attaché à l'organisation si ses valeurs étaient différentes."
Ces deux formes se retrouvent dans la distinction qu'établit Etzioni (1961) entre :
- le "pure moral "Involvement" ("l'implication morale pure") qui s'apparente à l'internalisation. L'individu se conforme aux valeurs et aux buts de l'organisation de façon inconsciente. Etzioni évoque, à ce sujet, l'idée d'endoctrinement ;
- le "conformisme" qui rejoint l'idée d'identification. L'individu conforme ses comportements afin d'être accepté comme membre du groupe, il valorise son appartenance.
Au delà de leurs différences, ces deux formes d'implication nous semblent relativement proches de l'implication normative.
L'implication normative est définie par Allen et Meyer (1990) comme le fait de se sentir moralement obligé d'être loyal envers l'organisation.
Cette forme nous semble relever d'une logique du même ordre que le "Work Ethic Endorsement" (Blood, 1969) : le fait de valoriser le travail en tant que tel : en tant que valeur (Weber, 1905).
Nous trouvons, par ailleurs, des points communs entre ces deux formes et l' "Employment Commitment" (Jackson & ali, 1983) : l'individu se sent obligé d'avoir un travail rémunéré pour se trouver conforme à l'image de ce qui doit être.
De même le "professionnalisme" (Hall, 1968) décrit l'implication d'un individu considérant le devoir de bien faire son travail. Ce devoir se fonde sur un sentiment de responsabilité tout comme l'implication normative d'Allen et Meyer (1990).
L' "implication normative" constitue, par ailleurs, pour Becker (1993), l'un des huit profils d'implication qu'il met à jour. Cette forme combine l' "identification" et l' "internalisation" telles que les a définies Kelman (1959). Suivant une perspective du même ordre, Neveu évoque le concept d'attachement normatif développé par Wiener (1980). Ce dernier le définit comme "la totalité des pressions normatives intériorisées poussant l'individu à agir d'une façon qui s'accorde aux intérêts de l'organisation."
Ces différentes formes d'implication normative relèvent toutes, selon nous, directement ou indirectement du même type de phénomènes : des phénomènes relatifs à la socialisation. Les différences d'un auteur à l'autre peuvent être interprétées comme des emprunts, à la sociologie et à la psychologie sociale, fondés sur des paradigmes différents :
Différents paradigmes susceptibles d'expliquer les différentes logiques d'implication normative. L'interactionnisme symbolique considère que l'individu est plus ou moins contraint d'adopter les normes du groupe dans lequel il évolue afin d'y être accepté. Le comportement fait ici office de communication, il constitue un moyen de se positionner, il devient une manière de signifier son appartenance. Dans cette perspective, le processus de socialisation réside surtout dans l'apprentissage des codes et des normes du groupe. (Ecole de Chicago, H. Becker, (1963), Goffman (1956)). Nous retrouvons ce type de phénomènes dans l'implication conformiste décrite par Etzioni (1961) ; Certains sociologues, comme par exemple Bourdieu (1970), considèrent les normes internalisées par l'individu comme le résultat de son parcours, en accordant une place importante aux premières socialisations comme la famille. L'implication dépend, dans cette perspective, du degré de compatibilité entre les valeurs internalisées par l'individu et les valeurs de l'organisation. Les travaux de Bourdieu et Passeron (1970) tendent à démontrer les déterminismes sociaux qui pèsent sur la trajectoire socio-professionnelle de l'individu. Dans cette perspective, on peut poser comme hypothèse que les organisations qu'il rejoint et la place qu'il y occupe sont en partie déterminées par ses origines. La congruence ne serait alors plus un hasard mais une conséquence déterminée. Pour d'autres comme Durkheim (1895), la société intègre les individus en leur faisant internaliser les normes nécessaires à son bon fonctionnement. Dans cette perspective, la socialisation et l'internalisation des valeurs permettent à l'individu de respecter les normes de l'organisation tout en restant congruent. Nous retrouvons là l'implication normative telle que la conçoit Becker (1993) ou Etzioni ("pure moral Involvement"). Ce dernier en la qualifiant d'endoctrinement et Pailot (1996) avec son concept d'emprise en dénoncent les excès. |
Ainsi, l'identification, l'internalisation des normes, l'adhésion s'articulent différemment suivant le cadre paradigmatique dans lequel leurs auteurs inscrivent les phénomènes de socialisation. L'une des principales différences se situe au niveau du rapport entre les intentions de l'individu et les normes de l'organisation :
- certains considèrent l'internalisation des normes au niveau de l'inconscient d'où elle déterminent les intentions ;
- d'autres privilégient une logique d'adhésion dans le cadre de laquelle l'individu est capable de discerner si les valeurs et les exigences de l'organisation sont compatibles ou non avec les siennes.
Quel que soit le paradigme retenu, nous considérons, désormais, que les notions d'identification et d'internalisation, qui figurent dans la plupart des conceptualisations de l'implication dite "affective", relèvent en fait de logiques à caractère normatif.
L'internalisation des normes : une activité exclusivement réservée au "Surmoi". Cette requalification se trouve, par ailleurs, confortée par les travaux de S. Freud (1933). Celui-ci considère le fonctionnement de l'individu comme déterminé par un inconscient composé du "Ç a" et du "Surmoi". Le "Ç a" correspond aux désirs, ces derniers étant principalement guidés par la recherche du plaisir. Le "Surmoi" est, quant à lui, constitué de normes héritées de la société, il s'agit de règles, acquises pour la plupart, dès les premières années de socialisation, définissant le souhaitable et l'inacceptable. Le "Surmoi" interagit avec le "Ç a" pour donner à la conscience des aspirations socialement acceptables. Dans cette perspective, l'internalisation des normes qui caractérisent l'implication dite "affective" constitue une activité essentiellement imputable au "Surmoi". |
D'un point de vue sociologique, comme d'un point de vue psychanalytique, la requalification de l'implication dite "affective" sous le terme d' "implication normative", terme effectivement employé par Becker (1993), nous semble juste. C'est en tout cas ainsi que nous la désignerons désormais.
3.2.1.2. L'implication "intrinsèque" : la relation en tant que finalité.
L'affectif, proprement dit, relève, a priori, du "ça" (Freud, 1933). Partant de là, l'implication affective dans l'organisation décrit, selon nous, une relation dans le cadre de laquelle l'individu se conformerait aux directives de l'organisation, à la condition essentielle qu'elles correspondent à ce qu'il désire et aime faire. D'un façon générale, l'implication affective désigne ainsi une relation, en soi, source de plaisir.
Les items du questionnaire développés par Allen et Meyer pour mesurer l'attachement affectif, comme par exemple : "Je ne me sens pas lié à cette entreprise de façon émotionnelle." semblent, effectivement, aller dans ce sens. L'implication affective se traduirait en fait plutôt par des "j'aime" et des "je veux", alors que l'implication normative se manifeste par des "je dois" et des "il faut".
Mais, même s'il est souhaitable, d'un point de vue théorique, de différencier les implications affectives et normatives, elles se révèlent, en pratique, comme le souligne Harris (1993) et Neveu (1996), difficilement dissociables. Ces auteurs constatent que, dans le cadre des questionnaires, les répondants ne semblent pas pouvoir discerner les nuances entre ces deux niveaux de questions. Nous confirmons cette difficulté pour ce qui est des entretiens semi-directifs, (une méthode fournissant pourtant, a priori, des données plus complètes sur le positionnement de l'individu) : il nous est souvent apparu impossible de situer précisément le locuteur entre ces deux pôles.
Face à ces résistances empiriques, nous regroupons ces deux modes à l'intérieur d'une même catégorie que nous désignons sous le terme d'implication intrinsèque. Elle signifie que la relation est valorisée, par l'individu, en tant que telle, elle constitue, pour lui, une finalité.
La notion d'implication intrinsèque nous permet, par ailleurs, d'intégrer la troisième dimension habituellement associée à l'implication dite "affective" : l'engagement.
Kelman (1959), O'Reilly et Chatman (1986) excluent de leurs typologies la notion d' "Involvement" (engagement). Il apparaît effectivement très différent des deux autres (sous-)formes : alors que l'identification et l'internalisation se situent, a priori, à des niveaux sociologiques et psycho-sociologiques, l'engagement semble toucher à des niveaux plutôt psychologiques. - les deux premières se réfèrent à des "croyances" , alors que ce dernier relève avant tout "des actes"(Neveu, 1996).
L'intégration de l'engagement dans le cadre de l'implication intrinsèque nous amène ainsi à considérer des phénomènes relevant de niveaux d'analyse relativement hétérogènes. C'est pourquoi, nous aurons, par la suite, à préciser le niveau d'analyse auquel se situe notre concept d'implication ainsi que la nature des relations qu'il décrit.
En attendant, nous considérons le fait, qu'à l'instar de l'implication affective et de l'implication normative, l'engagement valorise la relation en tant que finalité.
3.2.2. L'implication "calculatrice".
L'implication affective, que nous comprenons désormais dans le cadre de l'implication intrinsèque, peut être concurrencée par l'implication calculatrice d'Etzioni (1961) ou l'implication continue ("Continuance Commitment") de Meyer et Allen (1990). Ces deux formes sont susceptibles de permettre, à l'organisation, d'accéder aux mêmes opportunités : un attachement associé aux comportements souhaités.
Morrow désigne Hrebiniak et Alutto (1972) comme fondateurs du concept. Ceux-ci définissent "un phénomène structurel qui arrive en tant que résultat de la transaction individu-organisation et des altérations des paris et des investissements dans le temps".
Nous faisons, quant à nous, valoir l'antériorité du "calculative inolvement" développé par Etzioni en 1961. Dans sa version, il évoque un calcul dans le cadre duquel l'individu se conforme aux directives soutenues par l'organisation, en vue d'obtenir certaines récompenses. Cette logique correspond, selon nous, à celle décrite par March et Simon comme fondement de la relation individu-organisation.
Le contrat d'embauche conçu pour gérer une implication calculatrice. "Le contrat d'embauche spécifie implicitement qu'en échange de rémunération monétaire ou autres, les employés poursuivront les buts de l'organisation."(...)"La structure des récompenses dans une organisation est expressément conçue pour dépasser les problèmes liés aux objectifs individuels."(1964). |
Ces deux approches semblent converger sur le caractère financier des spéculations que développe l'individu, conférant ainsi, à l'organisation un pouvoir rémunératif (Etzioni). Compte tenu de l'absence de rémunération qui caractérise le volontariat, nous élargissons les termes de la transaction à toute utilité ou avantage que l'individu peut trouver dans la situation que lui propose l'entreprise.
L'élargissement de l'implication calculatrice à des termes non monétaires. "Naturellement l'ajustement peut se faire en termes de facteurs non monétaires." March et Simon (1964). Tout individu dans le contexte de l'organisation détient une marge de liberté utilisée pour développer ses propres stratégies. Tout devient échange et négociation. (Crozier et Friedberg, 1977) |
La confrontation de l'approche d'Etzioni et de celle de Hrebiniak et Alutto (1972) nous ramène aux enjeux de l'organisation pris en considération par le concept d'implication. La différence entre les deux définitions se situe au niveau de "la volonté de rester" (Mowday, Porter et Steers, 1982) :
- dans la version d'Etzioni, la volonté de rester s'inscrit à court terme. Elle constitue un corollaire à la conformité, l'individu travaille et reste dans l'organisation, tant que les calculs effectués restent positifs ;
- Hrébiniak et Alutto (1972) considèrent, quant à eux, des investissements plus ou moins irrécupérables à court terme, attachant l'individu à l'organisation, à moyen et long termes.
Cette seconde perspective fait, effectivement, apparaître un attachement comparable, dans ses effets, à celui de l'implication intrinsèque. Ses fondements relèvent, en revanche, plus de la raison que de "l'affectif".
Meyer et Allen questionnent la mesure de ce phénomène. Ils reprochent aux questionnaires de Hrebiniak et Alutto et à ceux qui s'en sont inspirés (Mathieu et Zajac (1990), Witt (1989) et Koslowsky (1990)) de mesurer l'implication affective. Ce questionnaire teste l'attachement calculé par l'individu à propos de l'organisation, en lui proposant des alternatives plus attractives (salaire, environnement). Selon Allen & Meyer (1990), le refus de ces opportunités reflète plus un niveau d'implication "affective", qu'un attachement résultant des avantages acquis (implication calculatrice).
Compte tenu de ces limites, ils se proposent de substituer au "Calculative Commitment", le "Continuance Commitment". Ce concept n'évalue plus l'attachement en le soumettant à des alternatives plus attractives, mais le mesure par rapport aux coûts que l'individu associe à un éventuel départ . Ils intègrent, dans l'évaluation des autres alternatives, les coûts liés à la perte des avantages jusque là acquis. Suivant cette perspective, l'individu se trouve intensément impliqué lorsque plus aucune alternative réelle ou fictive, n'est en mesure de compenser les coûts d'un éventuel départ. L'implication et l'attachement sont, pour eux, liés à un sentiment d'absence d'alternatives.
L'introduction de ce concept par Allen et Meyer a pour principale vocation de permettre une mesure plus fiable et plus fidèle. A l'instar de celui de Hrebiniak et Alutto (1972), il met cependant en avant un phénomène d'attachement qui n'apparaît pas explicitement dans la version d'Etzioni, ce dernier privilégiant, avant tout, la conformité de la contribution.
Les deux approches peuvent, selon nous, se fondre par l'intermédiaire du concept de pouvoir défini par Emerson (1962) : A a du pouvoir sur B dans la mesure où il détient un enjeu dont B est dépendant. Dans cette perspective, l'individu d'Etzioni est dépendant d'enjeux qu'il peut obtenir à court terme, alors que celui d'Allen et Meyer ne pourra retrouver ses investissements qu'à moyen et long termes.
La commune mesure entre les deux se situe dans le second terme de la définition d'Emerson : le pouvoir de A sur B dépend également de la possibilité pour B d'obtenir ces enjeux dans le cadre d'une autre relation. Dans les deux cas, quelle que soit la valeur des rétributions, quels que soient les investissements effectués, l'existence d'une meilleure alternative mettrait fin à l'attachement jusque là développé. Dans cette perspective, l'un des principaux apports du concept de "Continuance Commitment" reste la prise en considération des coûts d'opportunité qu'implique l'action de quitter l'organisation, compte tenu des investissements effectués.
L'implication calculatrice dépend, selon Etzioni, de la valeur accordée aux incitations que propose l'organisation mais aussi, selon Hrebiniak et Alutto, des investissements effectués par l'individu. La définition d'Emerson nous permet de relativiser ces calculs, ils sont non seulement fonction de la valeur "intrinsèque" des éléments, mais aussi et surtout de la valeur des opportunités existant par ailleurs. Cette considération met en avant le caractère quelque peu opportuniste de l'attachement observé dans ce cadre, l'individu reste "fidèle" à l'organisation tant qu'il ne perçoit pas de meilleures alternatives.
L'implication calculatrice se caractérise par une négociation, ce qui implique un rapport de force relativement équilibré ; une dépendance trop forte pourrait aboutir à une forme d'implication différente. Ainsi, l'absence d'alternatives (Allen et Meyer, 1990) constitue-t-elle, aussi, le critère sur lequel se fondent Penley et Gould (1988) pour définir l'implication aliénante.
3.2.3. L'Implication "Aliénante".
L'implication aliénante est définie, par Penley et Gould, de la même façon, ou presque, que
l' "implication continue" d'Allen et Meyer. Pour eux, en l'absence d'alternatives, autrement dit le fait rester dans l'organisation par défaut, constitue une forme d'aliénation. Ce recoupement questionne la nature de la forme ainsi définie et la façon dont elle se situe entre l'implication dite "affective" et l'implication calculatrice.
En dépit des similarités relevées entre leur définition et celle d'Allen et Meyer, Penley et Gould envisagent l'implication aliénante comme une forme d'implication "affective" au même titre que l'implication morale d'Etzioni. De son côté, Kelman (1959) la rapproche du calcul.
La proximité entre implication aliénante et implication calculatrice est entérinée par Kelman. Celui-ci les intègre dans le cadre d'une forme unique qu'il désigne sous le terme de "compliance" : une implication de conformité. Il définit ce mode d'implication comme une relation dans le cadre de laquelle les attitudes et les comportements sont développés soit pour obtenir une récompense extrinsèque, soit pour éviter une sanction.
Cette seconde forme est, à notre avis, plus proche du concept original défini par Etzioni, que celle de Penley et Gould fondée sur l'absence d'alternatives. Pour Etzioni, l'implication aliénante caractérise l'orientation d'un individu face à une organisation usant d'un pouvoir coercitif (ex. privations et châtiments).
Le pouvoir coercitif. "Le pouvoir coercitif repose sur l'application ou la menace d'application de sanctions physiques..., la frustration à travers la restriction des mouvements ou le contrôle par la force de la satisfaction de besoins tels que la nourriture, la sexualité, le confort ou l'affectivité." (Etzioni, 1961) |
Penley et Gould (1988) revendiquent l'affiliation de leur concept avec celui d'Etzioni. Les aménagements effectués ont, seulement, pour but de le transposer au monde de l'entreprise, à l'évidence moins coercitif que les prisons.
Ils interprètent le concept d'Etzioni comme :
- une impossibilité de changer ou de contrôler ce qui se passe dans l'entreprise, avec l'impression que les punitions sont aléatoires ;
- une absence d'alternatives extérieures.
Partant de là, ils considèrent que, dans le cadre d'une entreprise plus traditionnelle, l'implication aliénante repose sur l'absence d'alternatives associée à l'absence de récompenses à la hauteur des investissements réalisés par la personne. L'individu reste, en dépit d'une insatisfaction durable, en raison des "pressions environnementales" résultant de l'absence d'opportunités extérieures.
Ils qualifient cette implication d' "affective", au même titre que "l'implication morale" d'Etzioni. Ce choix constitue l'une de leurs principales hypothèses. Au niveau empirique, ils vérifient que l'implication aliénante est inversement corrélée aux échelles traditionnellement utilisées pour mesurer l'attachement affectif.
Notre interprétation des travaux d'Etzioni est, a priori, plus proche de celle de Kelman que de celle de Penley et Gould : nous pensons que son concept d'implication aliénante relève plus du calcul que des sentiments ou des valeurs. Comme pour les appréciations formulées à propos de l'implication affective et de l'implication calculatrice, les différentes approches de l'implication aliénante nous semblent en partie liées au type de relation étudiée :
- Etzioni considère une organisation recherchant des contributions conformes à ses directives. Elle dispose, pour ce faire, d'un pouvoir coercitif fondé sur la possibilité de sanctionner. Dans ce contexte, l'individu s'exécute afin d'éviter les sanctions. Cette démarche relève d'une logique du même ordre que celle mise en oeuvre dans le cadre de l'implication calculatrice : une comparaison des coûts et bénéfices associée au fait de se conformer et à celui de rester passif.
- Penley et Gould focalisent leur attention sur l'attachement de l'individu. Cet attachement se rapproche, par ses effets, de ceux qu'engendrent les formes intrinsèques et calculatrices, mais ses logiques n'en restent pas moins très différentes : l'individu ne reste, en fait, que contraint et forcé. La dimension affective soutenue par ces deux auteurs se situe, selon nous, au niveau des sentiments que peut générer l'absence d'alternatives.
Etzioni considère la relation en termes de logique d'action, alors que Penley et Gould focalisent leur attention sur la façon dont l'individu juge l'organisation. Dans un cas comme dans l'autre, ce mode donne prise à la question soulevée par Neveu : l'implication aliénante constitue-t-elle un phénomène à part entière, ou seulement une version de l'implication intrinsèque ou calculatrice dont l'intensité serait négative ?
Cette question nous permet d'expliciter notre positionnement concernant l'intensité du phénomène : nous retenons, comme contraire de l'implication, l'indifférence. Partant là, l'aliénation ne constitue pas le contraire de l'une ou l'autre des deux autres formes, mais introduit une relation spécifique. Elle implique, effectivement, des calculs et des sentiments, mais l'attachement (autrement dit "le fait de rester"), reste, en tant que tel, déterminé par des contraintes extérieures. Les souffrances qui caractérisent cette forme sont le résultat de l'obligation d'exécuter des directives contraires à ses valeurs, à ses désirs ou à ses intérêts associée à l'impossibilité de partir.
Suivant une perspective quelque peu différente, on peut questionner le caractère aliénant de l'emprise (Paillot, 1996). Il s'agit d'une forme d'implication intrinsèque, dans le cadre de laquelle, l'organisation capture "l'Idéal du Moi". Cette forme rejoint l'interprétation de "l'implication morale" en termes d'endoctrinement (Etzioni). Les termes auxquels se réfèrent ces deux auteurs ont des connotations négatives et suggèrent un rapport de domination et de manipulation de l'entreprise sur le salarié. A l'inverse des formes d'aliénation que nous venons d'explorer, l'individu ne témoigne pas forcément d'une quelconque souffrance. Le positionnement de ce concept dépend, là encore, du type de relation pris en considération :
- cette forme d'implication est aliénante, dans la mesure où on questionne la "réalité" de la relation ;
- elle reste, du point de vue de l'individu, d'ordre essentiellement intrinsèque.
Ce dernier exemple illustre, une fois encore, les incertitudes que nous rencontrons au niveau de la répartition des différentes formes d'implication entre les trois catégories retenues. Il confirme la nécessité de clarifier la nature des relations prises en considération par le concept d'implication.
La littérature existant à propos du concept d'implication et des concepts assimilables se caractérise par des contributions relativement hétérogènes. Comme le souligne Morrow (1993), ces concepts sont redondants mais introduisent chacun leur part de spécificités.
Partant de là, notre stratégie consiste à constituer des catégories relativement larges, visant à recouvrir les multiples nuances introduites par les différents auteurs. Nous avons pour ce faire, repris et aménagé les définitions proposées par Etzioni.
Il définit l'implication comme le fait, pour l'individu, de conformer ses comportements aux attentes de l'organisation. Les trois modes d'implication, qu'il retient, correspondent aux orientations du comportement du sujet, suivant le type du pouvoir que l'on exerce sur celui-ci.
L'organisation ne constituant, pour nous, qu'un référentiel parmi d'autres, nous décrivons l'implication comme une relation caractérisée par la prise en considération des intérêts d'un référentiel donné.
Nous questionnons l'intensité des relations étudiées en ces termes. Le contraire de l'implication est l'indifférence.
En dehors de ce cas de figure, nous considérons que l'intégration des enjeux du référentiel constitue, pour l'individu, suivant les cas : une finalité, la contrepartie d'un échange ou la soumission à une contrainte. Ces trois logiques sont décrites à travers trois modes d'implication distincts: l'implication intrinsèque, l'implication calculatrice et l'implication aliénante.
. L'implication intrinsèque de "l'implication morale" définie par Etzioni, mais elle comprend, par ailleurs, des formes d'implication affectives fondées sur le plaisir et le désir.
. Le mode d'implication calculatrice se réfère aux calculs qu'effectue l'individu en confrontant la valeur des incitations proposées par l'organisation, aux alternatives extérieures. Cela reste ainsi relativement proche du concept d'Etzioni; le seul aménagement introduit consiste à étendre ces calculs à des éléments non-monétaires.
. L'implication aliénante se caractérise par des formes de souffrance résultant de l'impossibilité de quitter l'organisation associée à l'obligation de se conformer à des directives contraires à ses valeurs, à ses désirs ou ses intérêts.
Ces trois sous-concepts décrivent les logiques présidant aux "engagements" effectivement développés par les volontaires.
Par la suite, afin de bien distinguer les ensembles des éléments (Watzlavick, 1975), nous parlerons d'implication, au singulier, pour désigner la relation avec la situation de travail dans son ensemble et des engagements qui la composent. Nous rejoignons, là encore, Etzioni : celui-ci considère le "Commitment" comme une forme spécifique d' "involvement". Contrairement au "Commitment", l'engagement auquel nous nous référons ne désigne pas un type d'implication spécifique, mais, conformément au sens que lui donnent les volontaires, la promesse de servir les enjeux d'un référentiel donné. Cette promesse est susceptible de s'inscrire dans l'un ou l'autre des trois types de relations ci-dessus décrites.
Les différents modes d'implication ainsi élargis sont transposables à l'ensemble des référentiels composant la situation de travail. Nous ordonnons ces derniers en deux catégories :
- une première catégorie comprend ceux qui sont directement liés à l'organisation et à la réalisation de son objet social ;
- une seconde contient ceux restant extérieurs à ses logiques.
Cette approche de l'implication par les référentiels et les modes, nous permet de questionner de façon satisfaisante les relations entre l'individu et son univers de travail.
Modes Référentiels | Intrinsèque | calculateur | aliénant |
Référentiels directement liés à l'organisation : (institution, objet social, travail, groupe, etc.) | |||
Autres référentiels : (client, propriétaires, carrière, intérêts personnels ,etc.) |
La question émergeant de notre revue de la littérature consiste à savoir quel est le type de relation que nous prenons en considération. Nous pourrions, en effet, tout aussi bien nous intéresser :
- à la relation la plus déterminante concernant les comportements de l'individu ou à celle à laquelle ce dernier accorde le plus d'importance ;
- à la relation objective ou la façon dont la perçoit l'individu.
La prise en charge de ces questions peut contribuer à la clarification des catégories retenues et nous permettre, entre autres, d'envisager dans quelle mesure un même individu peut ou non combiner différentes formes. Ce passage par la nature ontologique des phénomènes décrits par l'implication est, par ailleurs, absolument nécessaire pour pouvoir déterminer des méthodes appropriées de recueil des données.
Nous situons à ce niveau une part au moins aussi importante de l'hétérogénéité des définitions. De façon plus ou moins implicite, ces définitions intègrent des énoncés correspondant à trois niveaux d'analyse distincts : le niveau ontologique, le niveau méthodologique, et le niveau épistémologique.
Le niveau ontologique permet de définir la nature de la relation étudiée et de la situer par rapport aux autres éléments de la réalité. Il cadre ainsi les potentialités du phénomène, comme, par exemple, ses interactions possibles avec les comportements.
Au niveau méthodologique, il s'agit de bien cerner ce que les outils développés mesurent. Ce problème se pose de façon relativement aiguë dans le cadre des questionnaires, dans la mesure où le répondant interprète les propositions du chercheur. Il se pose également au niveau de l'entretien semi-directif, lorsqu'il s'agit de cerner la nature et la portée des propos recueillis.
Enfin, le niveau épistémologique permet la confrontation des deux précédents niveaux. Il renseigne sur la façon dont peuvent être interprétées les données recueillies pour correspondre au phénomène questionné. Il précise, par exemple, si les données d'entretien doivent être interprétées en référence aux intentions du locuteur ou en fonction de catégories plus scientifiques.
Le chapitre suivant entreprend l'exploration des différents types de réalités dans lesquelles peut s'inscrire la relation. Le chapitre 3 le prolonge en postulant les liens susceptibles d'exister entre ces réalités.