Gérer les contingences de l'implication :
pour une responsabilisation progressive.
Les Responsables Ressources Humaines avec lesquels nous avons travaillé souhaitaient, lorsqu'ils ont accepté de s'impliquer dans le dispositif de recherche-action que nous leur proposions, tout simplement prendre du recul par rapport à des pratiques développées au cours de leur action quotidienne. Les entretiens menés avec eux nous permirent de mieux finaliser cette demande intiale, ils leur permirent de formaliser les diffultés qu'ils rencontraient de faire la part des choses entre les responsabilités de l'association et celles du volontaire. Nos interlocuteurs restent partagés entre des principes visant à responsabiliser le volontaire et le désir d'intervenir pour les assister durant les phases plus difficiles ou pour corriger des dérives autoritaires ou paternalistes qu'ils jugent inadmissibles. Ces contradictions s'opposent à la formalisation d'un projet global susceptible de présider à leurs arbitrages. Les logiques d'action qu'ils développent restent ce faisant incertaines, elles visent essentiellement à se tenir à des distances raisonnables du paternalisme et professionnalisme. Ils ne sont ce faisant pas en mesure de proposer un cadre permettant de définir les modalités d'une Gestion des Ressources Humaines globale, ils ne peuvent notamment pas préciser les critères présidant à l'autonomie conditionnelle, termes en fonction desquels nous formalisons le champ d'opportunité émergeant des pratiques d'encadrement. Les conditions de cette autonomie restent le résultat d'ajustements locaux dépendant essentiellement de la sensibilité de responsables, dont la plupart cantonnent leurs évaluations aux objectifs technico-économiques du projet. Les aspects symboliques et politiques de la contribution, son sens et son degré d'acceptabilité, ne sont, au regret de nos interlocuteurs, pas ou très peu gérés. Ceux-ci tentent néanmoins de gérer les risques encourus à ces niveaux à travers les pratiques dont ils gardent la maîtrise : le recrutement, la préparation départ et le retour. Ils préparent les volontaires aux difficultés de l'expérience à venir et tentent de les sensibiliser à la dimension humaine du projet. Ils les retrouvent ensuite à leur retour pour les aider à actualiser les aptitudes développées et à dépasser les épreuves auxquelles ils ont eu à faire face. Nos préconisations intègrent deux niveaux de changements possibles : 1. un premier considère les améliorations possibles compte tenu des champs d'opportunités retenus par nos interlocuteurs, nous explorons, à la lumière des connaissances produites dans les chapitres 6 et 7, les possiblités de préparer le processus implicationnel et de favoriser l'émergence du discernement ; 2. le second élargit les cadres de références de nos interlocuteurs. Nous appuyant sur les contingences de l'implication mises à jour, nous remettons en question des logiques visant à établir de façon plus ou moins définitive les responsabilités attribuées au volontaire. Nous militons pour une flexibilité indexant ces dernières aux aptitudes émergeant du processus implicationnel à travers lequel nous formalisons les contingences de l'implication. Ce passage par les contingences de l'implication permet de dépasser la plupart des contradictions que nos interlocuteurs pouvaient percevoir à ce niveau. Il ouvre ce faisant la possibilité d'une approche globale de la gestion des volontaires fondée sur unevision intégrant l'expérience du volontaire et les différents registres de sa performance comme des aspects d'un même phénomène. La gestion proposée milite pour un accompagnement du processus implicationnel assuré tout au long de l'expérience vécue par le volontaire conjugué à une "autonomie conditionnelle" orientés dans le sens d'une responsabilisation plus progressive. Introduction Après avoir exploré les contributions associées aux différents types d'implication, en fonction des multiples registres de performance auxquels l'association est susceptible de se référer, nous abordons à présent leur gestion. Le chapitre précédent mettait en avant le caractère quelque peu relatif des ces contributions : les opportunités et les contraintes qu'ils représentent dépendent étroitement de la façon dont l'association et ses responsables conçoivent leurs missions et y associent le volontaire. Partant de là, notre analyse des pratiques de Gestion des Ressources Humaines intègre les cadres de références dans lesquels nos interlocuteurs les ont jusque là conçues : nous considérons, sur la base des connaissances produites dans le cadre de cette recherche, les possibilités d'optimiser la réalisation de leurs enjeux compte tenu des champs d'opportunités et des contraintes qu'ils perçoivent. Nous proposons dans ce cadre quelques améliorations susceptibles de mieux préparer les volontaires à l'expérience qui les attend et de les amener à plus de discernement. Les changements introduits à ce niveau restent mineurs : ils modulent certaines variables mais restent dans les registres définis par les Responsables Ressources Humaines. Ils demeurent "toujours plus de la même chose" (Watzlavick, 1975). Les perspectives ainsi envisagées sont sans doute susceptibles d'améliorer certains aspects de la performance des volontaires mais se heurtent finalement aux mêmes limites que nos interlocuteurs. Nous dépassons ces limites en élargissant au fur et à mesure des recommandations les cadres de références en fonction desquels peuvent être définies les pratiques de Gestion des Ressources Humaines. Les éléments de réponses que nous introduisons questionnent notamment l'opportunité d'établir une fois pour toutes les responsabilités du volontaire. Nous faisons valoir des logiques visant à les flexibiliser en fonction du discernement émergeant du processus implicationnel. Les flexibilités ainsi recherchées sont rendues possibles par un système d'encadrement que nous formalisons en termes d'autonomie conditionnelle. Ce cadre constitue en effet, quelles que soient les opportunitésd associées aux différentes catégories d'implications retenues, un champ d'opportunité des plus prégnant. L'analyse des pratiques et l'exploration de potentialités encore inexploitées ne peuvent, selon nous, être envisagées en dehors des garanties dont l'association dispose ou pourrait disposer concernant la conformité de leurs comportements par rapport aux exigences qu'elle intègre. Des volontaires parfois difficiles à gérer. "Mais si on essaye de me fagociter, je me barre ! Je me bats pour mon projet ! Voilà, c'est comme ça que je me positionne. L'association ? Oui j'appartiens à l'association dans le sens où ils m'ont me logent, ils me nourrissent et ils m'ont donné le projet. Mais je suis là essentiellement pour le projet ! Pour le projet ! Je défends mon projet." (volontaire) La fiabilité des contributions constitue, semble-t-il, l'un des problèmes centraux de toute GRH. Ce problème apparaît, dans le cadre des associations, contrairement à certaines idées reçues, particulièrement marqué. Des auteurs tels Blanchet (1990) et Pearce (1995) soulignent les difficultés existant à ce niveau dans le cadre de la gestion des bénévoles. Ils font valoir des opportunités et des contraintes différentes, mais insistent sur le fait que "le bénévolat n'est pas une panacée et qu'il comporte sa part de difficultés"(Blanchet, 1990). Pearce retient la fiabilité des bénévoles comme la principale préoccupation des associations. Le volontariat ouvre un champ d'opportunités spécifique différant de celui des bénévoles au moins autant que de celui des salariés. Mais il ne constitue pas, lui non plus, "une panacée". Les connaissances ordinaires partent pourtant du principe que l'association ne dispose pas de moyens coercitifs, mais qu'elle peut contrôler les comportements par l'idéologie et les normes qu'elle diffuse. Le chapitre précédent précise que ce contrôle n'est effectif que sur une portion réduite de la population : celle développant un engagement inconditionnel et exclusif envers l'association. Partant de là, s'il s'avérait que l'encadrement n'était pas en mesure de rappeler à l'ordre, les volontaires ne travaillant pas assez ou pas dans le sens requis, cette forme d'engagement s'imposerait comme la seule compatible avec les enjeux technico-économiques de l'association, les autres formes apparaissant alors trop risquées. Dans le cas contraire, dans le cas où l'association serait en mesure de contrôler les comportements, l'engagement n'apparaîtrait plus que comme un artifice n'intervenant pas directement sur la contribution effectivement apportée. Tout juste permettrait-il au volontaire de se définir en termes d'accord ou de désaccord par rapport aux directives que lui impose l'association. Les logiques d'encadrement que découvre et modélise ce chapitre constituent une réponse possible face à cette contradiction. Elles garantissent des comportements conformes aux exigences de l'association tout en maintenant l'espace nécessaire à l'expression des engagements des volontaires. Il permet une Gestion des Ressources Humaines à la fois efficace et signifiante. Ces logiques permettent d'envisager une "vraie" gestion de l'implication. Par "vraie", nous entendons une gestion s'appuyant réellement sur les engagements signifiés par les volontaires dans ce cadre. Cette gestion passe, selon nous, par des formes d'accompagnement du processus implicationnel associées à une responsabilisation progressive, fonction de la maturité peu à peu acquise. Les aptitudes et le "discernement" émergeant du processus implicationnel permettent au volontaire de contribuer à l'efficacité technico-économique et socio-politique de l'association, tout en constituant, par ailleurs, une valeur que le Service Ressources Humaines ajoute au capital humain. |
1. Formalisation du champ d'opportunités de la gestion des volontaires : de "l'initiative controlée" à "l'autonomie conditionnelle".
Nous avons tenu à souligner l'importance que pouvait avoir la performance symbolique pour les associations. Cette dernière ne doit cependant pas faire oublier que ce type d'organisation tire une part importante de sa légitimité de sa performance technico-économique.
L'association exige, pour ce faire, des contributions objectivement conformes aux critères techniques auxquels se réfère son action. Nous avons vu que seuls deux des formes ajustées pouvaient répondre, de façon plus ou moins permanente, à ces normes : "le pragmatisme" et "l'exclusif dans l'organisation". Ces formes n'étant pas systématiques, l'association développe un besoin de pouvoir, visant à orienter les comportements générés par les autres formes dans le sens requis.
La question du pouvoir ici soulevée met également en jeu des éléments de performance symbolique interne : celle-ci ne passe pas seulement par des logiques d'adhésion aux buts de l'organisation, elle intègre également la légitimité des moyens mis en place pour les réaliser.
Les associations valorisent l'engagement personnel et l'adhésion. Les représentations sociales, c'est-à-dire la vision partagée par les participants, revendiquent ainsi une autonomie nécessaire à la signification de telles orientations. Elles rejettent, ce faisant, la notion de pouvoir. C'est ainsi que, dans la mesure où l'association disposerait d'un quelconque pouvoir, son usage, à des fins technico-économiques, serait, dans la plupart des cas, jugé illégitime et s'opposerait à sa performance symbolique. (Muller, 1997)
L'engagement moral réciproque officiellement évoqué pour caractériser la relation entre le volontaire et l'association met cette dernière face à une contradiction : il ne garantit pas la performance technico-économique, tout en s'opposant à la mise en place de pratiques directives. Cette partie évalue les besoins de directivité que développe l'association en fonction des contributions obtenues, elle mesure le pouvoir dont elle peut disposer et décrit la façon dont elle peut légitimer son usage, dans le cadre de pratiques directives.
Nous modélisons les conditions suivant lesquelles l'association peut disposer d'un tel pouvoir. Ce modèle met à jour un fonctionnement dans le cadre duquel elle parvient à limiter au maximum le recours au pouvoir dont elle dispose, optimisant ainsi une autonomie conforme aux principes de l'engagement moral réciproque. Nous envisageons enfin comment, le cas échéant, l'association gère le sens de ses directives et négocie leurs légitimités.
1.1. Le pouvoir : de l'expérience vécue aux dépendances "objectives".
Le grand public, autrement dit les populations extérieures aux associations, considère, sur la base de ce qu'il sait de cet univers, que les enjeux de l'organisation et des individus qu'elle emploie convergent parfaitement. Les acteurs nuancent, quant à eux, ces logiques de façon à intégrer les réalités dont ils font l'expérience.
La perception du pouvoir existant dans les associations demande, en fait, une conception élargie de cette notion : une conception dépassant les indicateurs formels généralement admis à ce sujet. La définition qu'en donne Emerson (1962) se révèle, dans cette persective et dans ce contexte, particulièrement pertinente. Elle saisit, selon nous, l'essence du phénomène : la dépendance.
1.1.1. Logiques des hypothèses "d'ordinaire" formulées.
Les représentations ordinaires stipulent qu'en l'absence de rémunération, l'association ne dispose pas de pouvoir. Ce point de vue se trouve, indirectement, confirmé par des auteurs tels que March et Simon (1964), dans la mesure où ils conçoivent le pouvoir dont disposent les entreprises, comme la contrepartie des rémunérations monétaires qu'elles versent à leurs salariés.
Le pouvoir dans les entreprises. "Le contrat d'embauche spécifie implicitement qu'en échange de rémunération monétaire ou autre, les employés poursuivront les buts de l'organisation." (...) "En entrant dans l'organisation, il (l'employé) accepte une relation d'autorité, à savoir qu'il accepte, dans certaines limites (définies à la fois explicitement et implicitement par son contrat d'emploi), comme prémices à son comportement les ordres et les instructions qui lui sont fournis par l'organisation...L'acceptation de l'autorité par l'employé donne à l'organisation un puissant moyen d'influence sur lui - plus puissant que la persuasion, et comparable aux processus d'évocation qui suscitent un schéma complet de conduites en réaction à un stimulus." (March & Simon, 1964) |
La jurisprudence du droit du travail abonde dans ce sens. Le droit du travail fonde l'existence du contrat de travail sur le lien de subordination, toute relation impliquant un phénomène de cet ordre doit être requalifiée. L'engagement volontaire n'ayant pas été repris en ces termes par les prud'hommes, on peut considérer que ces derniers confirment implicitement l'absence de lien de subordination.
Des points de vue d'horizons fort différents convergent ainsi sur l'idée que la relation volontaire-association relève d'un engagement moral, dans le cadre duquel ils signifient leur volonté de réaliser ensemble un même but. Cet engagement compenserait ainsi l'absence de pouvoir à travers les garanties qu'il donne en termes de comportements.
Solidarité et mobilisation. Cooperrider et Pasmor (1991) émettent une hypothèse selon laquelle les GSCO (Global Social Change Organisation : les organisations de changement social global), "pour obtenir le soutien de leurs membres, recourront à la solidarité et à la mobilisation autour des buts plutôt qu'à des bénéfices matériels ou à la coercition". |
A l'image de Cooperidder et Pasmor (1991), ces contributions convergent sur l'idée que l'association dispose d'un pouvoir normatif résultant de l'engagement moral de ses membres : un pouvoir fondé sur l'utilisation des valeurs, auquel l'imaginaire collectif ajouterait, sans doute, le charisme des dirigeants, autrement dit leur autorité naturelle.
Notons cependant que des auteurs comme Sooklal (1991) évoquent des bénévoles dont le soutien est basé sur une contrepartie ("convinience-based support"). Pearce (1995) et Blanchet (1991) évoquent, quant à eux, des problèmes de fiabilités illustrant un possible défaut de "commiment".
1.1.2. Le pouvoir du point de vue des volontaires.
Notre travail met depuis le début en avant la diversité des formes d'implication signifiées par les volontaires. Nous avons ainsi pu constater que "l'engagement inconditionnel et exclusif dans l'organisation" n'était qu'un cas de figure parmi d'autres.
Des résultats réfutant le caractère systématique de l'implication exclusive dans l'organisation. Concernant l'AFVP et le SCD, "l'engagement exclusif dans l'organisation" reste relativement rare : l'existence d'un engagement envers l'association s'accompagne dans presque tous les cas d'engagements visant d'autres référentiels. Il est, en revanche, relativement fréquent chez MSF. Nous avons, dans ce cadre, retrouvé les deux variantes de "l'implication morale" définies par Etzioni (1961) : - des formes d' "implication morale pure" : des formes dans le cadre desquelles le volontaire internalise les normes de l'association ; - des formes de conformismes : des formes où la contrainte normative est consciente et est considérée par l'individu comme extérieure. Mais, même chez MSF, cette forme n'est pas systématique : le professionnalisme et le discernement sont également fréquents. Les engagements dans d'autres référentiels sont relativement rares, mais existent quand même. Des cas d'implication calculatrice sont également possibles : les enjeux les plus fréquemment visés étant l'expérience professionnelle et le voyage. Ainsi, même dans le cas de MSF, le pouvoir idéologique n'est pas, dans tous les cas, garanti. |
Les trois cas étudiés réfutent ainsi le caractère systématique du pouvoir normatif. La notion d'engagement reste présente dans la plupart des représentations, mais l'association n'en est qu'un référentiel possible.
Concernant le pouvoir proprement dit, les représentations sont, là aussi, particulièrement variées. La plupart des volontaires ne perçoivent aucune hiérarchie, ils revendiquent le pouvoir de décider à tous les niveaux de leur projet. Ils conçoivent leurs relations avec les responsables de l'association en termes d'appuis et de conseils, elles sont, de leur point de vue, fondées sur la compétence et la responsabilité.
Mais il reste une minorité, relativement importante, de volontaires dont les points de vue diffèrent. Certains, adhérant à des logiques professionnelles reconnaissent la nécessité d'une coordination autoritaire. D'autres signifient une implication aliénante à l'encontre d'un pouvoir dont ils dénoncent le caractère illégitime. Ces cas particuliers suffisent à réfuter l'absence de pouvoir et l'impossibilité, pour l'association, de recourir à des pratiques directives. Il s'agit, par conséquent, de construire un modèle capable d'en rendre compte.
Le pouvoir vu par les volontaires. "La hiérarchie n'est pas aussi évidente que ça, ici beaucoup plus encore qu'ailleurs. Les logiques de contre-pouvoirs sont fantastiques ici et si quelqu'un décide quelque chose tant qu'il n'a pas l'assentiment de tous...!" "Donc ça c'est le mode de fonctionnement de MSF et ça c'est très bien comme çà. Officiellement il y a des gens qui sont quand même.. il y a un gars qui est directeur général, on est obligé de dire qu'il a le pouvoir en tant que directeur général mais s'il a une idée et que cette idée, il n'a pas réussi à la faire partager à la base, eh bien, o.k. il fera de longs discours et la réalité concrète sera complètement différente. " "Je ne pense pas non plus que le poids de l'autorité soit trop pesante et qu'on soit obligé ...Si on peut prendre le pouvoir, si on veut.. il y a des interstices qui sont assez largement suffisants pour bien respirer." "Ca se fait (les évaluations)... mais ça n'est jamais formalisé. C'est vrai que le fait de formaliser ça permettrait de bien discuter la question." "Là, quand je repense à ce qu'il m'avait dit avant de partir, c'est bien gentil mais c'est avec MSF, il faut pas oublier ça. Ca change beaucoup de choses, c'est à dire tu travailles pas que pour toi, tu travailles pas que pour les Libérians, les Ivoiriens mais tu travailles aussi pour MSF." "Je pense que si on voulait prendre ce pouvoir (virer quelqu'un), on l'aurait. Il faudrait qu'il y ait un consensus pour vouloir prendre ce pouvoir. Le concensus qui existe actuellement n'est peut-être plus celui du copinage mais celui de ne pas s'emmerder et de dire qu'on laisse "Paris" faire ça. Mais "Paris" n'a jamais les bonnes informations et je pense que si on veut le faire il faut que ce soit fait ici ; il ne faut pas compter sur Paris pour le faire à notre place. Moi je peux avoir mon opinion et faire un certain nombre de choses. Quand il y a des choses qui me semblent anormales je peux le dire. Mais je vois que sur ce genre de chose je me sens un peu isolé. Je sens que je suis pas tout-à-fait dans la norme de ce qui se passe mais ça ne me gène pas de continuer." "Pour moi, c'est clair, le délégué peut nous faire faire ce qu'il veut." "De toute façon, pour qu'une organisation fonctionne, il faut quelqu'un qui décide. Moi, je trouve ça normal que x ait le dernier mot lorsqu'on n'est pas d'accord." volontaires |
Ceux qui considère le pouvoir des responsables de l'association ont souvent du mal à expliciter sur quoi il se fonde. Certains cependant y parviennent : "C'est simple, si le délégué n'est pas content de ton travail, il te remet dans l'avion ! Alors comme ça, tu vois, on a plutôt intérêt à écouter ce qu'il dit".
Les impressions des volontaires concernant le pouvoir apparaissent relativement dispersées. Le modèle que nous développons a pour objectif d'intégrer la diversité des expériences vécues par les volontaires. Nous tenons à préciser que nous ne cherchons pas à identifier les représentations existant à propos du pouvoir, mais un pouvoir plus objectif.
1.1.3 Un pouvoir fondé sur la dépendance de l'autre.
Parmi toutes les définitions possibles du pouvoir, la plus intéressante et la plus praticable à notre niveau est celle d'Emerson (1962).
Pouvoir et dépendance. Emerson situe le pouvoir de l'acteur a sur l'acteur b : - au niveau de la dépendance de b par rapport à un enjeu détenu par a ; - au niveau de l'impossibilité d'obtenir ce même enjeu dans le cadre d'une autre relation. Cette définition permet, en outre, de concevoir l'existence de pouvoirs de part et d'autre de la relation : l'existence de formes d'interdépendance. |
Que l'on considère une implication substantielle ou une implication symbolique, les comportements du volontaire consistant à rejoindre l'association et à y rester résultent, dans presque tous les cas, de motivations touchant à des valences, directement ou indirectement, liées à la situation de travail proposée par l'association, ainsi que, suivant la théorie de Vroom (1964), d'une probabilité suffisamment élevée d'y accéder.
Même si l'accès à l'objet de la motivation n'est pas directement lié à la contribution fournie, l'association détient toujours un certain pouvoir. En effet, dans la mesure où elle contrôle l'accès à la situation, elle peut le conditionner à des comportements et à des décisions conformes à ses enjeux. La relation se fonde, en fait, sur une dépendance réciproque dans le cadre de laquelle, le pouvoir du volontaire réside dans sa contribution. Si celui-ci ne répond pas aux exigences définies par l'association, cette dernière n'a alors plus besoin de lui et le pouvoir, dont il disposait, disparaît.
Cette acception du pouvoir explique, entre autres, les problèmes de fiabilité caractérisant les populations bénévoles (Blanchet, 1991 ; Pearce, 1995). Nous les expliquons sur la base de deux hypothèses susceptibles de se combiner :
- la dépendance des bénévoles est moins importante que celle des volontaires ;
- les associations concernées connaissent une pénurie de main d'oeuvre.
Au delà de cette tendance, nous pensons que certains d'entre eux peuvent développer des dépendances suffisantes pour conférer à l'association un minimum de pouvoir.
La dépendance de l'association par rapport aux volontaires expérimentés. "La meilleure hiérarchie, c'est l'expérience. Des gens qui ont de l'expérience ont fait leurs preuves. C'est ceux-là qui ont plus de pouvoir quelque part. Entre un coordinateur et une première mission, on écoutera le coordinateur, on donnera raison au coordinateur. Si je sais que j'ai raison, je suis sûr de moi. Je sais qu'MSF a par principe de donner plus raison au coordinateur, nous on est confiant dans ces cas là. Je crois que les gens d'expérience qui ont fait leurs preuves, ils n'ont pas envie de les perdre et ils peuvent dire ce qu'ils veulent. C'est à moi à ne pas déconner par contre." (volontaire) |
Les volontaires citent souvent l'expérience comme une source de contre-pouvoir. Dans cette perspective, le pouvoir du volontaire ne résulte pas tant d'une moindre dépendance par rapport aux enjeux détenus par l'association, que d'une dépendance plus grande de cette dernière à son égard.
1.2. Pratique du pouvoir : de l'opportunité technico-économique à la gestion symbolique.
1.2.1. Des pratiques directives régulées par les "lois" de la dépendance réciproque.
Les mécanismes qui régulent l'autonomie accordée peuvent être décrits à l'aide d'une représentation graphique. Nous partons d'un repère orthonormé dont l'axe des abscisses représente la quantité de travail, celui des ordonnées correspond à la qualité du travail. Cette qualité correspond entre autres à la conformité des décisions prises par rapport aux objectifs et aux principes déduits par l'association.
Nous pouvons, à partir de ce repère, représenter les exigences de l'organisation par une droite composée de points combinant des quantités et des qualités de travail équivalentes. Ces exigences restent subjectives, elles dépendent de la façon dont l'association évalue les contributions recueillies compte tenu de ses aspirations.
L'inclinaison de cette droite peut varier en fonction de l'importance relative accordée aux aspects quantitatifs et qualitatifs de la contribution. Elle se trouve par ailleurs coupée par des minima requis au niveau de chacun de ces deux aspects.
Cette droite constitue un repère permettant d'évaluer la contribution effectivement développée par le volontaire en termes de satisfaction. Lorsque la contribution correspond à une combinaison supérieure ou égale à la droite des exigences, l'organisation est satisfaite, l'utilité d'une intervention directive est négative ou, en tout cas, très faible, l'autonomie accordée au volontaire est totale. Le volontaire conserve cette autonomie tant qu'il demeure à l'intérieur des marges de manoeuvre que lui permet sa contribution actuelle : il peut réduire la quantité qu'il produit jusqu'au minimum exigé ou prendre des initiatives correspondant à l'idée qu'il se fait du projet jusqu'au point de conformité requis par la droite des exigences
Inversement, lorsque la combinaison obtenue se situe en dessous de cette droite, la satisfaction et la dépendance de l'association par rapport au volontaire sont alors réduites, l'association est en mesure de développer des pratiques directives, dont l'utilité consiste à obtenir une contribution plus conforme à ses exigences. Deux cas de figures sont alors possibles :
- soit le volontaire ne trouve plus satisfaction dans la situation définie par les directives de l'association. La rupture est alors consommée ;
- soit le volontaire reste dépendant de valences relatives à la situation. Il se conforme alors aux directives de l'association.
L'autonomie conditionnelle ainsi mise à jour n'en est pas moins réelle :
- l'association ne cherche pas à contrôler les comportements du volontaire et à prévenir d'éventuelles dérives ;
- elle lui donne, a priori, une autonomie totale, sur laquelle elle peut, le cas échéant, lorsque celui-ci ne respecte pas ses engagements, revenir.
L'association ne cherche pas à fixer son pouvoir de façon définitive, les pratiques qu'elle développe ont ainsi, entre autres mérites, celui d'intégrer les contingences des réalités relatives au pouvoir. Elle laisse faire les lois de la dépendance réciproque.
Les mécanismes qui définissent l'autonomie accordée au volontaire s'autorégulent. Une intervention directive devient utile au même moment qu'elle devient possible : l'association introduit des pratiques directives à partir du moment où elle dispose d'un pouvoir "réel" autrement dit à partir du moment où la relation d'interdépendance devient asymétrique, ce caractère asymétrique résultant d'une contribution insatisfaisante. Ces mécanismes s'apparentent à une offre et une demande de directivité. Cependant, les représentations sociales du pouvoir ne sont pas toujours aussi flexibles. Elles obligent l'association à une gestion symbolique de ses pratiques.
1.2.2. Sens des pratiques directives et performance symbolique.
Compte tenu des problèmes de fiabilité en termes de comportements soulevés dans la première partie, "l'autonomie conditionnelle" décrite dans la deuxième pourrait, a priori, constituer une réponse idéale. Elle permet à l'association de bénéficier de la créativité, des initiatives et de toutes les vertus que les auteurs reconnaissent à l'autonomie (ex. Galambaud, 1988), tout en lui assurant les moyens d'une contribution supérieure ou égale aux seuils, qualitatifs et quantitatifs, qu'elle s'est fixée.
Mais la performance technico-économique ainsi réalisée ne suffit pas à légitimer cette "autonomie conditionnelle". En effet, même si elle donne, presque toujours, à voir une autonomie conforme à l'engagement moral signifié par les volontaires, le recours à des pratiques directives, aussi rare soit-il, peut réfuter la "production symbolique" sur laquelle se fonde l'association.
Cette "production symbolique" consiste à se définir par rapport à son environnement, à définir les critères de légitimité des finalités qu'elle s'assigne et des moyens qu'elle souhaite mettre en oeuvre pour les atteindre. La "performance symbolique de l'association" (Valéau, 1996) réside, d'une part, dans sa capacité à produire des cadres de références de cet ordre et, d'autre part, dans le consensus qu'elle parvient à susciter autour de ces derniers. Elle passe soit par la conformité des pratiques avec le discours tenu, soit par la gestion du sens de ce que ces pratiques "donnent à voir" (Quéré, 1990, 1993).
Les pratiques directives rendues possibles par l'autonomie conditionnelle ne touchent pas seulement l'individu "recadré", mais concernent l'ensemble des volontaires directement ou indirectement témoins des faits. Si la relation individu-organisation, envisagée en termes de motivations et d'interdépendance par rapport à une situation dont l'association contrôle l'accès, détermine, dans la plupart des cas, un pouvoir substantiel au profit de cette dernière, cette même relation, envisagée dans les termes de la "production symbolique" (Valéau, 1996) "induite" par les volontaires eux-mêmes (Beaucourt, 1996), s'oppose à son usage ostentatoire. Ces deux visions de l'organisation relèvent de deux ordres distincts, relevant selon Brunstein (1997) de "générations" différentes (Brunstein, 1997).
Les représentations sociales issues de la culture associative limitent l'exercice du pouvoir subtantiel dont dispose, de fait, l'association, et interagissent avec la réalité qu'elle "déduit" (Beaucourt, 1996) en imposant, le cas échéant, un gestion symbolique des pratiques directives visant à leur donner un sens conforme aux valeurs de l'engagement moral.
Cette gestion symbolique consiste à communiquer un sens, à ce que son intervention a donné à voir, capable d'orienter la façon dont elles sont perçues tant dans le cadre des représentations sociales que des positionnements individuels. L'enjeu est que l'acte en question puisse être intégré dans les cadres de références existants et demeure "toujours plus de la même chose" pour ne pas risquer de laisser les volontaires dans la confusion.(Watzlavick, 1975).
Au niveau du volontaire recadré, l'association a tout intérêt à traduire le contenu de ses directives dans le registre des formes d'implications qu'il privilégie. Il s'agit non seulement d'optimiser la portée de l'intervention, mais aussi de rester un "monde" dans le cadre duquel le volontaire peut se positionner sans avoir le sentiment de perdre la face.
Plusieurs stratégies symboliques sont possibles pour gérer le sens des pratiques directives données à voir à la population volontaire dans son ensemble. Ces possibilités sont fonction des enjeux visés par l'association. Elle peut :
- justifier la directivité ou la sanction par le fait que le pouvoir existe de fait et qu'il fait partie de la relation. Elle peut marquer et affirmer l'existence d'un pouvoir qui restera, le plus souvent, une arme de dissuasion. Il existe ainsi, dans les associations étudiées, un cas de renvoi dont tout le monde a entendu parler. Celui-ci devient un mythe dont l'utilité est de définir la logique de la relation : "Comme l'atteste de cas de X, vous êtes autonomes tant que vous ne dépassez pas les bornes. L'association à le pouvoir d'être directive et même de vous renvoyer." L'exception constitue un précédent qui fait, pour les volontaires, jurisprudence ;
- limiter la portée de l'intervention, nier son caractère directif par l'usage d'euphémismes tels que "recadrage", "sensibilisation", "accompagnement", "discussion" etc. ;
- justifier la sanction ou la directivité par la logique de l'engagement. En travaillant mal, le volontaire a, en quelque sorte rompu son engagement, par conséquent l'association est en droit, voire contrainte, de faire de même ;
- justifier la sanction ou la directivité par les fins. Cette intervention se justifie par le fait que, par son comportement, le volontaire mettait en péril la réalisation des objectifs. Il fallait en arriver là pour défendre le but commun ;
En pratique, tant que l'association prend soin de gérer ce que l'évènement donne à voir, l'introduction de ces pratiques directives ne lui pose pas trop de problèmes en termes de "performance symbolique". Elle use pour cela d'une combinaison entre un pouvoir coercitif dont elle dispose de fait et un pouvoir idéologique qu'elle peut développer. Chaque incident est ainsi l'occasion de revenir sur le sens de l'action : l'exception, que constitue le comportement recadré, permet de redéfinir en quoi consiste une contribution conforme à l'engagement. L'association affirme ainsi ses prérogatives concernant la déduction du sens des comportements des volontaires. C'est elle, à travers le pouvoir dont elle dispose qui dicte, plus ou moins, le sens de l'action. Ainsi, si son pouvoir symbolique lui permet de justifier l'usage de son pouvoir coercitif, son pouvoir coercitif fonde, par ailleurs, une partie de son pouvoir symbolique.
Les pratiques du pouvoir que développe l'association se situent entre les deux : son intervention est directive à partir du moment où les volontaires la perçoivent et la désignent comme telle. Correctement gérées, les représentations sociales ne s'opposent pas forcément à l'exercice du pouvoir, il s'agit seulement de rendre acceptable.
Conclusion : "Une création sous contraintes".
"L'autonomie conditionnelle" et la gestion symbolique des directives qu'elle autorise se retrouvent dans les trois associations étudiées. Face aux contradictions entre l'autonomie que demande la réalisation des engagements des volontaires et les formes de contrôle auxquelles incitent les contraintes technico-économiques, ces organisations ont su trouver des réponses appropriées.
"L'autonomie conditionnelle" dont nous avons explicité et formalisé les logiques relève en fait d'une rationalité procédurale (Simon, 1982). Autrement dit, ce mode de fonctionnement émerge des interactions entre volontaires et responsables dans le cadre d'un environnement en partie structuré par les enjeux technico-économiques et les normes qui caractérisent l'association.
Ce mode de fonctionnement et la façon dont il émerge illustrent les logiques évoquées dans le chapitre précédent à propos de la gestion des contradictions entre les différents registres de performance : "l'autonomie conditionnelle" met à contribution l'informel et se concrétise à travers des ajustement locaux.
Elle présente l'avantage de garantir à la fois une contribution présentant un minimum de conformité par rapport aux exigences technico-économiques tout en laissant au volontaire une chance d'exprimer ses engagements.
"L'autonomie conditionnelle" structure le champ d'opportunités à l'intérieur duquel se développe la gestion de l'implication. Sa principale conséquence à ce niveau est de rendre technico-économiquement acceptables l'ensemble des quatre figures implicationnelles que nous avons relevées. Ces dernières ont, dans ce contexte, sont envisageables dans la mesure où l'association réduit les risques qu'elles impliquent aux niveaux quantitatifs et qualitatifs de la contribution.
"L'autonomie conditionnelle" permet aux responsables de tolérer des volontaires se servant de leur marges de manoeuvres à des fins personnelles. Elle les autorise à accepter, voire à valoriser ceux qui les utilisent pour négocier avec les acteurs impliqués sur leur projet de développement une réalité à la mesure du contexte local. D'une façon générale, elle ouvre la possibilité d'exploiter les potentialités identifiées à propos des différentes formes d'implications.
Elle permet au Service Ressources Humaines d'assurer ses fonctions auprès des autres services tout en lui ouvrant des marges de manoeuvre à travers lesquelles il peut réaliser un projet plus spécifique intégrant les différentes formes d'implication au delà de leurs potentialités en termes de fiabilité des comportements. En l'occurrence, les projets nourri par les Responsables Ressources Humaines des associations étudiées semblent passer par des contributions empruntes de discernement.
2. Préoccupations et orientations des Services Ressources Humaines.
"L'autonomie conditionnelle" autorise les responsables de l'encadrement à intervenir de façon directive afin de recadrer les comportements des volontaires s'écartant des exigences définies par l'association. Elle garantit ce faisant une performance technico-économique satisfaisante au regard des objectifs définissant le projet.
Les éléments relatifs aux performances symboliques et politiques du volontaire, le sens qu'ils diffusent à propos du projet et leurs capacités à le rendre acceptable, apparaissent en revanche plus difficiles à gérer. Le chapitre précédent soulignait les excès susceptibles de marquer les contributions associées aux différentes catégories d'implication :
- l'autoritarisme de l'implication pragmatique ;
- l'intransigeance de l'implication exclusive dans l'organisation ;
- le paternalisme de l'implication exclusive dans les populations ;
- l'opportunisme et l'inconsistance de l'implication conditionnelle ;
- l'insubordination de l'implication discernée.
Ces dérives sont susceptibles d'apparaître en dépit de résultats technico-économiques satisfaisants. Ces derniers s'en trouvent alors affectés : le sens qu'induisent ces excès à propos du projet et des rôles joués par les différents interlocuteurs dans ce cadre peut rendre les réalisations technico-économiques moins acceptables.
Ces dérives ne sont actuellement pas ou peu gérées dans la mesure où la plupart des responsables de l'encadrement cantonnent les conditions de l'autonomie accordée au volontaire à la réalisation pratique du projet. Les performances symboliques et politiques ainsi induites résident dans la capacité du volontaire à convaincre son responsable du travail et des efforts qu'il a pu fournir.
Au delà de notre volonté de relayer, en vertu des objets sociaux affichés par nos trois associations, la voix des populations, la "non-gestion" des aspects symboliques et politiques de la contribution du volontaire concerne cette recherche, dans la mesure où elle constitue pour nos interlcuteurs, les Responsables Ressources Humaines, un problème.
Les Responsables Ressources Humaines avec lesquels nous avons travaillé partagent des visions relativement proches de leurs responsabilités. Leurs positionnements se caractérisent par l'importance qu'ils accordent aux aspects symboliques et politiques de la réalisation des projets de développement. Ils semblent notamment plus conscients et plus préoccupés que la plupart des autres acteurs de l'organisation, par la manière dont les volontaires se comportent à l'égard des populations. Ils éprouvent les mêmes difficultés à résoudre des dilemmes qu'ils situent à des niveaux à la fois pratiques et déontologiques. Ils se retrouvent également sur la difficulté de gérer conjointement les enjeux liés à l'efficacité des volontaires et les obligations qu'ils souhaitent assumer à leur égard en termes de soutien psychologique.
Cette partie explicite et formalise les préoccupations auxquelles s'attachent nos interlocuteurs et restituent les orientations présidant à leurs pratiques dans les champs d'opportunités pratiques, politiques et symboliques qu'ils intègrent. Notre objectif est de pouvoir comprendre les pratiques jusque là mises en place et d'identifier les conditions d'une gestion d'une gestion plus globale de l'implication susceptible d'asseoir un projet à la hauteur de leurs aspirations.
2.1. Les dilemmes des Responsables Ressources Humaines à propos du partage des responsabilités entre l'association et le volontaire.
La possibilité de gérer les dérives des volontaires dépend, entre autres, de la façon dont l'association conçoit la relation qu'elle institue avec ses volontaires. En effet, alors que les interventions concernant les aspects technico-économiques peuvent être justifiées et objectivées en référence aux objectifs du projet, la remise en cause du sens et de l'acceptabilité de la contribution du volontaire apparaît tout de suite plus arbitraire. Elle questionne ce faisant la liberté et la responsabilité du volontaire par rapport à ses actes.
Nous revenons ici sur une partie des dilemmes qu'intègrent les Responsables Ressources Humaines concernant l'opportunité d'intervenir en dehors de critères directement liés à la réalisation des objectifs du projet. Nous considérons tour à tour les questions qu'ils se posent à propos de l'attitude à adopter face :
- aux difficultés que rencontrent les volontaires.
- auxc dérives telles que l'autoritarisme ou le paternalisme.
Ces deux catégories de problèmes confèrent à l'idée selon laquelle l'association et le volontaire seraient solidairement responsables, des acceptions relativement différentes. Elles se rejoignent sur des dilemmes concernant la capacité du volontaire à se prendre en charge et enrichissent les débats relatifs à son autonomie, de considérations éthiques.
2.1.1. Les responsabilités de l'association face aux difficultés rencontrés par le volontaire ?
Les Responsables Ressources Humaines sont, de par leurs fonctions et leur sensibilité, plus conscients que les autres acteurs des difficultés pratiques, mais aussi et surtout psychologiques, auxquelles le volontaire peut être confronté au cours de son expérience. Ils regrettent en particulier que les responsables de l'encadrement ne donnent pas toujours au volontaire le soutien dont il aurait besoin. Ces responsables tendent en effet à se décharger de ce registre de responsabilité, objectant le caractère paternaliste de ces préoccupations. Nos interlocuteurs tiennent effectivement à éviter cet écueil tout en se refusant à abandonner le volontaire.
Ces incertitudes restent en partie liées à la nature de la relation entre le volontaire et l'association et aux sens que lui donnent les acteurs. La question est de savoir ce que "l'engagement moral réciproque" introduit comme obligation de part et d'autre.
D'un côté, les Responsables Ressources Humaines adhèrent à l'idée que l'association peut et doit être très exigeante avec ses volontaires. Certains jugent même qu'elle est en mesure d'attendre plus de ces derniers, librement "engagés", que d'un salarié contraint de travailler pour subvenir à ses besoins. Dans cette perspective, ils considèrent que le volontaire est responsable de la réalisation de son projet et qu'il a des comptes à rendre à l'association.
D'un autre côté, ces responsables sont de par leurs fonctions et leurs responsabilités plus à l'écoute de la détresse. Même s'ils n'avaient pas véritablement formalisé le processus implicationnel, ils étaient au début de notre rencontre conscients des difficultés qui jalonnent l'expérience "volontaire". Ils admettent sans réserve que l'association a aussi des devoirs envers eux. Elle doit, entre autres, s'assurer de leur santé physique et psychologique tout au long de leur expérience.
Les responsabilités de l'association par rapport aux difficultés des volontaires (Débat).. - "Il y a le discours et la mise en application. Dans le discours, effectivement, on se sent responsable et on doit l'être, dans la réalité, ça pêche parfois. Je prends un exemple qui m'a beaucoup frappé : un volontaire qui est dans une situation dangereuse au Cameroun, pour la personne, ça s'est mal passé, elle a démissionné. Je crois que l'on a un peu pêché, on a donné toute la responsabilité à la personne. Elle n'était pas suffisamment mature, mais le contexte faisait que l'on pouvait être avisé. Je crois que l'on ne s'est pas senti responsable, de notre part, de la dérive de cette personne." - "Moi je leur dis bien qu'ils signent une charte qui leur stipule leurs droits et leurs devoirs, et les droits et les devoirs de l'association. Les volontaires savent qu'ils peuvent faire appel au siège, ils n'auront pas honte, ils n'auront pas l'impression d'être jugés." - "Nous, on a l'avantage de pouvoir dire aux gens qu'ils s'adressent à leurs responsables de terrain qui est sensé les aider, et s'il ne peut pas, il faut alerter le siège. Ce n'est pas toujours facile mais la procédure existe. Si on sent une situation difficile, on va même sur le terrain. " "Je dis bien aux volontaires, que si c'est très difficile quand ils sont sur le terrain, il y a un devoir de l'association de les soutenir, surtout par rapport aux difficultés psychologiques. Je crois que c'est relativement clair à l'association. Maintenant est-ce qu'il y a toujours un bon suivi après la mise en application? C'est relatif. " Extraits de la réunion de 13 Novembre 1996 à MSF, rue Saint Sabin, Paris Jean-Marc CHARDON, D.R.H. de M.S.F. Nuno FERNANDEZ, D.R.H. du S.C.D. Jean-Pierre GAIGNARD, D.R.H. de l'A.F.V.P. Béatrice TRICHET, Responsable de la Formation à l'A.F.V.P. |
Nos interlocuteurs se trouvent ainsi partagés : ils reconnaissent la responsabilité du volontaire tout en considérant la fragilité de certains. Ils aspirent à les protéger tout en tenant à éviter des formes de paternalisme.
Des difficultés de savoir quand intervenir. "Il y a des gens qui explosent dans le mauvais sens du terme. Mais nous on met un peu de temps à s'en rendre compte. On s'en rend compte un petit peu tard parce qu'on est très loin du terrain." Responsable Ressources Humaines |
Ils se refusent à mettre en place des formes de préventions trop marquées, mais admettent par ailleurs qu'il leur est très difficile de savoir quand le volontaire a véritablement besoin d'aide. Ce n'est le plus souvent qu'après coup qu'ils prennent finalement connaissance des épreuves par lesquelles celui-ci a pu passer.
Ils gardent tous trois en mémoire des cas où leur association a manqué à ses devoirs. Ils la jugent en partie responsable des échecs rencontrés par certains volontaires. Ils préconisent, dans cette perspective, une vigilance plus grande de la part de l'encadrement.
2.1.2. Les responsabilités de l'association face aux contre-performances symboliques et politiques du volontaire ?
Les Responsables Ressources Humaines restent par ailleurs particulièrement sensibles aux comportements de certains volontaires à l'égard des populations. Ils jugent la condescendance et l'autoritarisme comme des attitudes incompatibles avec les valeurs et les logiques du développement que l'association s'efforce de promouvoir. Le sens qu'induisent ces comportements est, selon eux, inacceptables. Pour eux, les projets ainsi menés sont tout simplement néfastes.
Là encore, ils gardent en mémoire des exemples précis : des exemples de volontaires devenus de véritables tirans.
Les questions soulevées par ces dérives ramènent une fois de plus nos interlocuteurs face aux problèmes du partage des responsabilités. Il s'agit de savoir dans quelle mesure l'association est responsable des comportements autoritaires ou condescendants que développent certains de ses volontaires.
D'un côté, ils sont tentés d'assumer certaines formes de solidarité : l'association aurait le droit et le devoir d'intervenir dans la mesure où le volontaire la représente et agit en son nom.
D'un autre côté, une telle attitude reviendrait à déresponsabiliser ce dernier. Les performances technico-économiques et symboliques et politique des volontaires n'ont de valeur que dans la mesure où elles relèvent de leurs initiatives.
La responsabilité de l'association face aux dérives des volontaires (débat). "Par contre, où il y a un problème, c'est par rapport à l'autoritarisme et au paternalisme. On a des volontaires qui, en action, sont extraordinaires, d'autres qui sont d'horribles autoritaires." - "C'est la difficulté que l'on a, nous, à l'association de les sensibiliser à ça, à ce genre de comportements. Quand on est France, on ne ferait pas telle chose. Alors qu'est-ce qui fait que dans un pays, qui n'est pas le sien, on a un autre comportement ? Mais je sais que pour le travail en stage de préparation au départ, de plus en plus, je travaille avec un médecin psychiatre, j'essaie de les sensibiliser à ça, mais je n'ai pas la compétence." - "Chez nous, lorsque quelqu'un sort de la charte, naturellement, dans la logique des choses, il est rapatrié. Mais, c'est souvent difficile. On a pas l'info comme sur le terrain. Le manquement à la charte existe, c'est difficile." - "Entre les dérives qu'il peut y avoir par rapport à l'activité même de la personne, et celles qu'il peut y avoir par rapport à sa vie privée, ça devient délicat. On ne peut pas ignorer mais c'est délicat..." "Ces problèmes de relations sexuelles, de drogues, de volontaires qui mettent des filles enceintes, ça peut être très délicat. Si ça touche entre autres à la vie privée d'un volontaire, c'est tout à fait attaquable. C'est vrai qu'il y a des décisions à prendre par rapport à ça mais aussi par rapport à un environnement. On est obligé de prendre une décision parce que ça pose problème." - "Notre position, nous, c'est que quelle que soit la faute, il faut rapatrier la personne, la justice sera plus équitable en France." - "Chez nous, les volontaires adhèrent à une charte avec des devoirs et des obligations. Chacun sa place, on fait en sorte de se respecter de part et d'autre. Peut-être que dans la manière, dans l'application effectivement il peut y avoir du paternalisme, de l'autoritarisme, on peut avoir toutes sortes de situations. Mais l'institution en tant que telle a des devoirs." - "Si une personne se comporte mal, il y a responsabilité partagée, il y a une responsabilité au niveau de la sélection. Sur le terrain aussi, il y a la responsabilité de l'ONG qui envoie le volontaire dans un poste précis qui n'a peut être pas précisé un profil... c'est un contexte difficile." - "Le débat sur l'éthique est très complexe." Extraits de la réunion de 13 Novembre 1996 à MSF, rue Saint Sabin, Paris Jean-Marc CHARDON, D.R.H. de M.S.F. Nuno FERNANDEZ, D.R.H. du S.C.D. Jean-Pierre GAIGNARD, D.R.H. de l'A.F.V.P. Béatrice TRICHET, Responsable de la Formation à l'A.F.V.P. |
Nos interlocuteurs restent là encore partagés entre des principes reconnaissant au volontaire la liberté et la responsabilité de ses actes et le fait que l'association reste responsable, à l'égard des tiers, des contributions ainsi produites.
Ces problèmes sont d'autant plus complexes qu'ils ne se posent pas seulement à propos des comportements directement liés au projet : ils concernent également les dérives extérieures au travail proprement dit. Pour les populations, le volontaire reste le responsable du projet et représente l'association y compris en dehors de ses heures de travail. La consommation de drogue constitue ainsi un délit qui, au delà de la responsabilité pénale de l'association, questionne sa responsabilité morale. Du reste, ces comportements, regrettables pour le projet, constituent souvent l'expression d'une expérience mal vécue.
Ces dilemmes, d'ores et déjà difficiles à résoudre lorsqu'il s'agit de dérives clairement incompatibles avec les intérêts de l'association et des autres acteurs impliqués sur le projet, deviennent encore plus complexes lorsqu'ils portent sur des comportements qui, sans être véritablement excessifs, s'écartent de la ligne d'action tracée par l'association. Ils questionnent alors de façon plus subtile la relation que l'association établit avec le volontaire et la façon dont elle l'associe à ses différents registres de performances.
Ces dérives apparaissent ainsi plus relatives, leur gravité dépend du degré de conformité que l'association attend de ses volontaires. Dans cette perspective, nos interlocuteurs soulignent l'importance, pour l'association, de rester ouverte et de permettre aux volontaires, à travers la diversité de leurs opinions, d'enrichir l'association et de la faire évoluer.
Permettre aux volontaires de faire évoluer l'association. " Moi, je les pousse pour qu'ils essayent de trouver des solutions à nos problèmes." "L'association, ce sont les volontaires qui la font évoluer. Sans le brassage d'idées et l'oeil nouveau qu'ils apportent, on se serait rapidement sclérosé." Responsables Ressources Humaines Des volontaires capables de prendre des initiatives, "mais pas trop quand même". "Il faut qu'il sache prendre des initiatives et être autonome mais pas trop quand même. Il ne faut pas qu'il soit ingérable quoi ! Il a le droit de faire mais il faut qu'il trouve les limites, il faut qu'il trouve les limites du raisonnable. Il faut qu'il trouve lui-même les limites." Responsable Ressources Humaines |
Ils ne manquent cependant pas d'ajouter que les divergences et les débats nécessaires à l'évolution de l'association doivent, bien entendu, rester dans les limites du raisonnable.
Ainsi, l'un des principaux handicaps qu'intègrent les Responsables Ressources Humaines dans la perspective d'une gestion des aspects symboliques et politiques de la contribution réside au niveau de l'irréductibilité des contradictions qu'ils perçoivent concernant l'opportunité d'intervenir à ce sujet. Ils restent partagés et ne parviennent pas à définir :
des critères permettant de situer précisément les limites de l'inacceptable et le moment où il devient souhaitable d'intervenir ;
une logique de la responsabilité permettant de résoudre les contradictions entre la nécessité d'aider les volontaires en difficulté et la volonté de ne pas dériver vers des formes de paternalisme ;
un sens de la relation qui justifierait que l'association puisse se prononcer sur les valeurs et les sens soutenus par le volontaire, sans pour autant retomber dans des formes de dogmatismes.
Au delà des arbitrages qu'exigerait la définition d'un cadre d'intervention intégrant les aspects symboliques et politiques de la contribution, les pratiques possibles en la matière restent, par ailleurs, conditionnés aux marges de manoeuvre dont disposent nos interlocuteurs face aux responsables des autres services ; ceux-ci ne partageant pas forcément ces préoccupations.
2.2. Position et marges de manoeuvre du service Ressources Humaines au sein de l'organisation.
Les enjeux de nos interlocuteurs ne se réduisent pas à ceux définis dans le cadre leurs fonctions officielles. Comme le précise Louart (1990d), les Responsables Ressources Humaines sont des hommes en même temps qu'ils gèrent des hommes ; leur rationalité est non seulement limitée mais encore subjective.
Partant de là, nous nous attachons à analyser leurs pratiques en termes de contribution à la réalité organisationnelle, en tenant compte des orientations émergeant des problématiques et des positionnements explicités au fur et à mesure des entretiens menés avec eux, dans le cadre du dispositif de recherche-action. Nous admettons ce faisant une Gestion des Ressources Humaines relevant du troisième modèle identifié par Brabet (1993) : une Gestion des Ressources Humaines capable d'introduire dans l'organisation de nouveaux enjeux, une Gestion des Ressources Humaines porteuse d'un projet spécifique, mais dont les modalités se définissent en fonction d'un contexte également structuré par les logiques des autres acteurs. Le Service Ressources Humaines empruntant à ce modèle doit ainsi accepter des tensions relativement fréquentes avec les autres services (Louart, 1993).
Les positionnements et les sensibilités qui caractérisent nos interlocuteurs sont, comme nous l'avons dit relativement proches les uns des autres, sans doute plus proches que de ceux des autres acteurs des organisations dans lesquelles ils s'inscrivent.
La façon dont ils expriment et intègrent à leurs arbitrages ces orientation diffère en fonction du contexte organisationnel dans lequel ils évoluent. Leur situation par rapport à la culture dominante, la place qu'ils occupent dans l'association et les marges de manoeuvre dont ils disposent définissent en effet des champs d'opportunités et de contraintes très différents.
Concernant le SCD, on peut, dans une certaine mesure, considérer que l'ensemble de l'organisation est investi dans la Gestion des Ressources Humaines. Nuno Fernandez, l'actuel responsable du service, est par ailleurs le plus proche collaborateur du délégué général Mutuale Balome. Ils partagent la même vision de l'association et tentent de la mettre en oeuvre dans le cadre de leurs pratiques. Cette proximité entre le Service Ressources Humaines et la Direction permet au SCD d'aller relativement loin dans la formalisation et concrétisation de certaines problématiques.
Concernant MSF, la mise en place du Service Ressources Humaines ne remonte qu'à cinq ans. Ce service est aujourd'hui en phase de consolidation et tient au sein de l'association une place de plus en plus prépondérante. Jean-Marc Chardon, son responsable participe au comité directeur ; les autres membres de l'équipe interviennent dans le cadre de cellules constituées autour des zones géographiques sur lesquelles opère l'association. Ils défendent le point de vue de la Gestion des Ressources Humaines face à ceux des autres fonctions.
Les interactions avec les autres services se font à travers des négociations marquées par des tensions entre des enjeux relativement différents. Le Service Ressources Humaines doit composer avec des obligations technico-économiques relativement prégnantes compte tenu d'une culture entièrement consacrée à l'efficacité. Il parvient cependant à faire valoir une vision qui, à défaut d'être partagée, est désormais identifiée et admise par les autres acteurs. Le Service Ressources Humaines (SRH) manifeste en particulier sa volonté d'intégrer le plus souvent possible de nouveaux volontaires. Face à un Service des Opérations préfèrant recourir à des volontaires ayant fait leurs preuves, le SRH se donne pour objectif d'initier le plus grand nombre à l'expérience humanitaire tout en renouvelant l'association. En dehors de négociations dans le cadre desquelles "l'Equipe Ressources Humaines" se retrouve très souvent seule contre tous, son projet s'exprime plus librement à l'occasion des phases de recrutement et de formation.
Notre intervention auprès du Service Ressources Humaines de MSF a pris une tournure assez différente de celles effectuées dans le cadre de l'AFVP et du SCD. Elle a semble-t-il permis à son responsable de prendre la mesure des difficultés que rencontre l'association sur le terrain des opérations de développement. Mais, les marges dont il dispose pour inverser les tendances à l'origine de ces contre-performances restent très réduites ; ces problèmes questionnent en effet une culture et une réalité organisationnelles entièrement fondées sur les problématiques de l'urgence. Des évolutions se sont déjà faites sentir dans la façon d'aborder la formation. Au delà, le changement ne pourra être introduit que très progressivement.
Concernant l'AFVP, Jean-Pierre Gaignard le Directeur des Ressources Humaines est membre à part entière de la direction. Cette implication dans les décisions et les stratégies de l'association l'amène à développer une vision de la Gestion des Ressources Humaines intégrant les contraintes technico-économiques de l'action. En contrepartie, l'influence qu'il peut avoir sur les orientations de l'association lui permet d'exprimer plus directement une sensibilité accordant beaucoup d'importance à la dimension humaine de la performance.
Nous avons également travaillé avec la responsable de la formation. L'AFVP permettant à chacun d'oeuvrer de façon très autonome, Béatrice Trichet a pu développer une préparation au départ dont les orientations se rapprochent de celles suivies par le SCD. Les potentialités ainsi ouvertes tendent cependant, sur le terrain, à se refermer. La qualité du suivi des volontaires que le Service Formation parvient à négocier est étroitement liée à la sensibilité des Délégués Régionaux. Parmi eux, certains rejettent l'approche de la gestion des volontaires proposée, la qualifiant de "paternaliste".
Cette objection nous permet de souligner l'étroitesse des liens entre le registre symbolique et le registre politique : la possibilité d'agir au sein de l'organisation et de mobiliser les autres acteurs autour de leur préoccupation dépend entre autres de leur capacité à exprimer un projet clair et fondé.
2.3. Orientations et actions des Services Ressources Humaines.
Malgré les incertitudes éthiques concernant la question des responsabilités et malgré des marges de manoeuvre parfois réduites, les Responsables Ressources Humaines se doivent d'agir. Ils sont tenus par les exigences organisationnelles à l'égard de leur fonction et se retrouvent nécessairement, à un moment ou un autre, obligés d'arbitrer entre des enjeux hétérogènes. Ils se doivent alors d'aller dans le sens de leurs convictions et de trouver des positions à la fois praticables, signifiantes et acceptables pour eux comme pours les autres.
Cette partie explore le champ d'opportunités que ce faisant ils structurent, elles questionnent les contraintes extérieures mais aussi les arbitrages plus ou moins explicites sur lesquels il s'appuie. Dans cette perspective, elle met à jour le caractère spécifique des orientations directement ou indirectement définies par le Service Ressources Humaines.
Des difficultés de faire passer son point de vue. "Mais nous ce qu'on essaye de faire passer c'est qu'il n'y pas que la réalisation technique du projet qui compte. Parce qu'ils disent tous qu'ils venlent partir pour aider les gens, bon s'ils se comportent en néo colons c'est pas l'image du discours qu'ils ont." "Mais c'est difficile mais ça commence maintenant, mais ça sera beaucoup plus difficile à faire passer pour quelqu'un qui a un gros capital confiance que pour une première mission. Si c'est pas quelqu'un de connu de la maison, ce sera plus facile, pour nous, de dire : "bon, là tu as déconné". Alors que pour un ancien, tu vas toujours avoir quelqu'un qui va venir te dire : "mais non, il travaille bien !" et te mettre la pression." Responsable Ressources Humaines |
La demande à travers laquelle les Responsables Ressources Humaines se sont impliqués dans le dispositif de recherche-action que nous leur proposions consistait au départ à prendre du recul par rapport à leurs fonctions, avec pour objectif de valider ou de remettre en question les orientations jusque là développées.
Cette demande s'est, au fur et à mesure des entretiens, peu à peu affinée pour finalement faire apparaître les difficultés qu'ils rencontraient à propos du partage des responsabilités entre l'association et le volontaire. Il apparaissait que non seulement ils ne parvenaient pas à arrêter une position définitive à ce sujet, mais encore qu'une telle indétermination pouvait les géêner dans la prise en charge de leurs fonctions :
- au niveau symbolique, ils ne parviennent pas à préciser le sens de la relation et restent sur des formes d'ubiquité intégrant tour à tour des cadres de références faisant valoir l'autonomie et la responsabilité des volontaires et d'autres intégrant la nécessité d'intervenir lorsque le volontaire ne se comporte pas convenablement ou ne se sent pas bien ;
- au niveau politique : ils ne parviennent pas à formaliser une ligne d'action pour faire valoir auprès des autres membres, notamment les responsables "terrains" une politique, une ligne d'action définissant les modalités d'un encadrement intégrant les aspects symboliques, politiques et humaines des phénomènes liés à l'expérience et à la contribution du volontaire ;
- au niveau pratique, ces indécisions laissent une part de la contribution concrètement "non-gérée".
Des positions incertaines. - "Il y a le discours et la mise en application. Dans le discours, effectivement, on se sent responsable et on doit l'être, dans la réalité, ça pêche parfois." - "Ouais, pour l'instant, on est plutôt dans l'informel. Mais on commence à en parler de plus en plus... Mais, pour l'instant, on a pas encore vraiment établi de critères." - "Maintenant est-ce qu'il y a toujours un bon suivi après la mise en application? C'est relatif. " - "... c'est un contexte difficile." - "Alors que pour un ancien, tu va toujours avoir quelqu'un qui va venir te dire : "mais non, il travaille bien !" et te mettre la pression." - "On ne peut pas ignorer mais c'est délicat..." - "C'est la difficulté que l'on a, nous, à l'association à les sensibiliser à ça, à ce genre de comportements." - "Mais, c'est souvent difficile. On a pas l'info comme sur le terrain. Le manquement à la charte existe, c'est difficile." - "Peut-être que dans la manière, dans l'application effectivement il peut y avoir du paternalisme, de l'autoritarisme..." - "On est obligé de prendre une décision parce que ça pose problème." - "Le débat sur l'éthique est très complexe." - "Il faut qu'il sache prendre des initiatives et être autonome mais pas trop quand même." Expressions extraites des entretiens menés auprès des Responsables Ressources Humaines |
Ces indécisions demeurent, pour eux, très gênantes. Elles ne leur permettent pas de complètement formaliser leur projet. Nous situons une part importante des difficultés auxquelles sont confrontés nos interlcuteurs au niveau de l'énonciation de leurs orientations (Glady & Valéau, 1996). Ces incertitudes les embarrassent et les empêchent de totalement assumer et affirmer leur projet face aux autres services. Elles les contraignent à construire un ensemble de pratiques demeurant, compte tenu des contradictions entre lesquelles ils tentent de louvoyer, quelque peu approximatives et mitigées.
Les Responsables Ressources Humaines n'en restent pas moins convaincus du bien-fondé des questions qu'ils se posent. Ils se considèrent comme les garants de ces aspects du volontariat. Malgré les complications, ils continuent à vouloir maintenir le débat.
Ainsi, même s'ils ne parviennent pas à définir de façon précise et définitive les frontières qui séparent les responsabilités du volontaire de celles de l'association, la sensibilité qu'ils expriment à travers ces préoccupations marque de toute évidence la façon dont ils abordent leurs fonctions. Ils sont porteurs d'une vision de l'association, d'une représentation de la contribution du volontaire et du sens des relations susceptibles d'exister entre les deux. Ces éléments sont, au delà des critères sur lesquels l'organisation et les autres services les évaluent, susceptibles d'orienter leurs actions.
Les Responsables Ressources Humaines valorisent ainsi une contribution intégrant le sens que le volontaire diffuse et à travers lequel il rend plus ou moins acceptables les réalisations technico-éconmiques du projet. Ils intègrent également un souci de responsabiliser le volontaire. Ils restent sensibles aux aspects symboliques et politiques de sa contribution tout en se souciant, par ailleurs, de sa santé physique et psychique.
Les attentes qu'ils formalisent rejoignent des formes d'implication se rapprochant très clairement du profil que nous qualifions dans le cadre de cette recherche de "discernement". Le profil du volontaire idéal auquel se réfèrent les responsables des Services Ressources Humaines intégrerait la "philosophie" de l'association tout en étant capable de l'adapter et de l'ajuster aux données de la situation. Ce volontaire serait en mesure de prendre des initiatives tout en restant à l'intérieur du champ défini par l'objet social. Il développerait ce faisant ses propres opinions sur les questions du développement, contribuant ainsi à l'évolution du projet de l'association.
Leurs logiques d'action se réfèrent de façon relativement explicite à ce profil. Ils entendent ainsi utiliser les marges de manoeuvre dont ils disposent pour orienter les volontaires vers le type d'implication ainsi défini.
La situation actuelle se caractérise par le fait que, les Services Ressources Humaines ne parvenant pas à formaliser une ligne d'action précise et cohérente, l'encadrement se réalise à travers des ajustements locaux. Dans ce cadre, l'évaluation des performances du volontaire dépend de leur compatibilité avec la sensibilité de son responsable. On peut ainsi parler d'une performance politique se référant à l'opinion de ce dernier.
Dans ces circonstances, les exigences de l'association à l'égard du volontaire demeurent quelque peu hétérogènes. Il se dégage cependant une tendance relativement marquée à cantonner la contribution à la réalisation technico-économique du projet. Les conditions de l'autonomie restent essentiellement liées à la réalisation des objectifs et aux efforts consentis dans ce sens. Les aspects symboliques du projet restent pas ou peu gérés. La performance politique se cantonne à l'acceptabilité de la contribution pour le responsable.
Nos interlocuteurs ne peuvent que regretter les comportements de certains volontaires. Ils dénoncent le paternalisme, l'arrogance et la condescendance. Leur dissidence reste cependant bridée par le fait qu'ils ne sont pas en mesure de proposer une véritable alternative.
Dans ce contexte, le seul lieu où nos interlocuteurs soient véritablement à l'aise reste le recrutement, la préparation au départ et l'accueil des volontaires au retour. C'est au niveau de ces pratiques dont ils gardent la maîtrise qu'ils concentrent tous leurs efforts. Elles constituent pour eux des opportunités d'attirer l'attention des volontaires sur certains aspects de leur contribution.
Ils s'efforcent ainsi de recruter des volontaires dont la sensibilité leur semble a priori compatible avec les registres de performance qu'ils privilégient.
Ils profitent de la préparation au départ pour :
- sensibiliser les volontaires aux aspects de la contribution qu'ils jugent important ;
- les mettre en garde contre les dérives telles que l'autoritarisme, la condescendance, voire même le racisme auxquelles ils pourraient, s'ils n'y prenaient garde, se laisser aller ;
- les prévenir des phases de découragement par lesquelles la plupart d'entre eux auront à passer.
Ils retrouvent les volontaires à leur retour pour les aider à dépasser les difficultés qu'ils ont pu rencontrer, à actualiser les aptitudes développées et à prépararer leur réinsertion sociale.
Entre la préparation au départ et la "session retour", le suivi des volontaires sur le terrain par les Services Ressources Humaines reste, malencontreusement, très réduit. L'investissement de cet aspect des réalités et l'implication de l'encadrement dans les enjeux qu'ils privilégient dépendent, selon nous, pour beaucoup de leur capacité à énoncer et faire valoir un projet clair et précis.
Notre analyse des pratiques envisage les possibilités d'optimiser le recrutement, la préparation au départ et le retour en termes d'accompagnement du processus implicationnel et d'orientation vers le discernement. Au delà, nous introduisons peu à peu des cadres de références susceptibles d'asseoir une Gestion des Ressources Humaines s'appuyant les contingences de l'implication.
3. Analyse des pratiques du Services Ressources Humaines : accompagner le processus implicationnel vers des formes de discernement.
Il nous faut tout d'abord préciser la nature des connaissances produites dans le cadre de cette partie : nous parlons de gestion de l'implication, mais il serait plus juste de dire que nous mesurons l'impact des pratiques mises en place sur l'implication des volontaires, compte tenu des enjeux de nos interlocuteurs. En effet, ces pratiques ne sont, au départ, pas toutes et pas complètement explicitées en ces termes.
Des pratiques ayant fait leurs preuves. "De nombreuses inventions techniques importantes sont le résultat de tâtonnements empiriques modestes." (...) "Tout procédé qui a prouvé son efficacité doit être admis, même s'il est d'origine empirique." (Lassegue, 1981) |
Nos interlocuteurs considèrent effectivement l'idée d'implication à travers notamment des notions telles que la motivation ou l'engagement moral. Mais leurs pratiques ne sont pas complètement explicitées et raisonnées. Elles relèvent, avant tout, d'une intelligence pratique, dans le cadre de laquelle, ils ne formalisent pas totalement les enjeux et le sens des arbitrages qu'ils effectuent. Un grand nombre des fonctionnements mis en uvre relèvent, à l'instar de "l'autonomie conditionnelle", d'une rationalité procédurale (Simon, 1982), une rationalité émergeant des interactions entre acteurs, et opérant sans être totalement explicitée.
Notre analyse des pratiques se réfère aux variables conceptualisées au cours des précédents chapitres et les confronte aux enjeux des responsables Ressources Humaines. Nous considérons, pour ce faire, les arbitrages qu'ils effectuent entre les différents registres de performance, ainsi qu'entre les exigences de l'association et les enjeux plus spécifiques présidant à leur propre "projet". Nous souhaitons de cette façon pouvoir porter un regard critique sur les choix jusque là effectués, tout restant le plus neutre possible.
Nous abordons la gestion de l'implication à travers différents aspects de la Gestion des Ressources Humaines. Il ne s'agit aucunement d'une revue exhaustive des activités composant cette fonction. Nous laissons de côté des domaines qui auraient sans doute intéressé le lecteur, comme, par exemple, les profils de postes ou la gestion prévisionnelle. Nous focalisons sur des moments et des aspects plus particulièrement liés aux phénomènes implicationnels.
Nous dégageons de ces analyses, la possibilité de gérer le processus implicationnel. Intégrant les potentialités ouvertes par l'autonomie conditionnelle, nous préconisons une responsabilisation progressive adaptée aux aptitudes émergeant de ce processus.
3.1.1. L'analyse des pratiques des trois associations.
Compte tenu d'un taux de turn-over de l'ordre de 30 à 50 % par an, le recrutement occupe, au sein de la Gestion des Ressources Humaines des trois associations étudiées, une place particulièrement importante. Cette activité a fait l'objet d'une rationalisation progressive : des profils de postes précis, associés à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, contribuent à un processus de recrutement plus cadré. Cette activité prend, dans ce contexte, une ampleur singulière, mais la logique et les techniques utilisées ne sont pas fondamentalement différentes de celles que l'on peut rencontrer en entreprise.
3.1.1.1. Les méthodes retenues.
Les méthodes suivies pour les entretiens de recrutement varient d'une association à l'autre, en fonction des époques et des personnes chargées de cette mission. Au moins deux "techniques" sont envisageables pour dépasser la tendance des candidats à répondre aux attentes du recruteur.
Le SCD utilise la méthode de l'entretien semi-directif. Cette démarche est définie comme une façon d'aborder la relation qui introduit un climat de confiance. Dans ce cadre, le candidat se sent libre de redevenir lui-même. Mais, compte tenu des enjeux que le candidat investit dans l'entretien, il lui apparaît inévitable d'adapter son discours en fonction des attentes de son interlocuteur, telles qu'il les imagine.
Les recruteurs de MSF ont, pendant longtemps, développé la technique dite du "grill", afin de voir ce que les candidats "avaient dans le ventre". Mais, sous l'impulsion du nouveau SRH, cette approche se fait aujourd'hui plus rare. Elle évalue les résistances du candidat au stress et tend à sélectionner les plus confiants et les plus affirmés. Selon les recruteurs, ces caractéristiques ne constituent pas toujours des qualités.
Le recrutement à l'AFVP : limiter au maximum les erreurs de recrutement. "Moi j'assaye de cerner la personnalité des gens. On peut pas se permettre de laisser partir des gens trop fragiles. (...) Nous, on préfère verrouiller la phase de recrutement. Parce que même si ça peut pas être parfait, on préfère limiter au miximum les erreurs de recrutement. Là, tu vois, on a tous une formation psycho, ça nous aide à repérer les gens plus fragiles... les gens trop fragiles... et puis, avec l'expérience, ceux qui bluffent, on commence à les voir venir" Responsable du recrutement |
L'AFVP a, quant à elle, pris l'option d'un recrutement plus professionnel et a engagé des psychologues. Ceux-ci cherchent à cerner la personnalité du candidat. Ils tentent, malgré les difficultés, à travers des techniques relativement sophistiquées, d'identifier les aptitudes et les comportements du candidat, en situation.
Des modes de recrutement plus subjectifs. "Non, c'est un fonctionnement plus individuel. Il n'y a pas ici de...comment dire... ... ...une structure très précise... fin un cadre très rigide pour le recrutement. Mais, il y a un côté très subjectif, volontairement subjectif. La personne qui va faire l'entretien de débriefing aura des informations diverses qui seront remontées du terrain. Puis elle va aussi se faire une opinion à partir de l'attitude de cette personne. Donc automatiquement, elle va se laisser influencer par la façon dont la personne va parler de sa mission. Donc, il n'y a pas une grille d'entretien, ni de points de passage obligés, ni de critères définitifs. C'est sûr que l'adaptation au contexte, à la vie d'équipe, aux cultures et la volonté d'apprendre, de prendre des responsabilités, ça c'est des critères obligatoires. Mais c'est évident que ce qu'on va mettre derrière est très subjectif." Responsable Ressources Humaines |
MSF et le SCD prennent le contre-pied de cette approche : "l'outil" retenu est le "feeling". Celui-ci est assumé et revendiqué. Il s'agit d'un point de vue pragmatique, mettant en avant certaines supériorités de l'expérience des recruteurs sur les techniques traditionnelles. Le sens donné à ce feeling est par contre assez différent suivant l'association.
Pour MSF, cela correspond à l'idée de cooptation. Ce principe occupe une place importante dans la culture de l'association. Les recruteurs sont issus du terrain et choisissent les gens qui correspondent à l'idée qu'ils se font de l'association. Nous retrouvons là une survivance de la culture qui caractérisait MSF à l'origine.
Pour le SCD, le "feeling" est conforme aux principes humanistes défendus par l'association. Cela consiste à s'inscrire dans une ouverture à l'autre, une volonté de le comprendre et de le découvrir. En soi, l'idée de technique de recrutement apparaît alors, dans ce cadre, comme un artifice dénaturant la relation.
3.1.1.2. Les enjeux du recrutement.
Des compétences aux valeurs. Le recrutement n'est pas basé sur le recrutement de gens qui vont être efficaces mais de gens qui vont s'adapter à la mission et qui vont être suffisamment efficaces pour que la population reçoive une aide. Mais on cherche pas les meilleurs, on recherche des gens qui soient bons techniquement, mais qui en même temps vont pouvoir porter des valeur humaines. On fait un recrutement autant sur les valeurs que sur les compétences... et peut-être même plus sur les valeurs que sur les compétences. On préfèrera de loin une personne dont on sent, à travers les entretiens, qu'elle porte en elle un certain nombre de valeurs humaines, et on s'intéressera moins à son profil technique. Responsable Ressources Humaines |
Les enjeux et les problèmes posés par le recrutement sont assez différents suivant le type d'intervention : la durée plus courte des missions de MSF rend l'erreur de recrutement relativement moins coûteuse que pour l'AFVP et le SCD.
Les enjeux du recrutement pour MSF concernant les premières missions : "Faire partir le plus grand nombre". C'est pas faire partir le plus grand nombre possible, c'est permettre l'accès au plus grand nombre possible. C'est l'idée de dire que le problème n'est pas, dans le recrutement initial de trouver des futurs professionnels de l'humanitaire, mais des gens qui pourront effectuer un mission humanitaire et qui pourront témoigner de cette mission à leur retour et donc pour en tirer un profit personnel, c'est à dire qu'ils vont savoir s'ils vont s'adapter vite sur le terrain. et en même temps ils pourront témoigner auprès des populations occidentales, en parler autour d'eux, pas tant pour faire connaître MSF que pour dire qu'il se passe des choses ailleurs, qu'il y a des gens qui vivent autrement. |
Compte tenu de cette opportunité, l'équipe RH de MSF se réapproprie les incertitudes et les limites du recrutement, en manifestant l'intention de faire partir le plus grand nombre possible de candidats. L'enjeu est de faire connaître les problèmes sur lesquels travaille MSF tout en assurant la diffusion de son projet auprès d'un large public. Le "vrai" recrutement se fait dans le cadre de la deuxième mission, sur la base de la première expérience. On donne ainsi, au plus grand nombre, la possibilité de faire ses preuves.
Dans cette perspective, l'objectif du recrutement se borne à éliminer les profils les plus extrêmes, ceux qui, de toute évidence, "ne tiennent pas la route" ou présentent des risques trop importants.
Les enjeux du recrutement pour l'AFVP et le SCD : des enjeux plus cruciaux. "Nous, on a envoyé des volontaires surestimés sur des postes qui étaient finalement au-dessus de leurs capacités : trop jeunes, pas assez d'expérience. Après, ça se passe entre le responsable terrain et l'association... ça, tu vois, c'est des erreurs qu'on peut pas se permettre ! Il y a trop de choses en jeu pour le volontaire... et pour nous aussi, d'ailleurs !" Responsable Ressources Humaines |
L'AFVP et le SCD ne peuvent pas se permettre les mêmes marges de manoeuvre. Le recrutement constitue, pour elles, un investissement plus coûteux.
L'AFVP tente, par des techniques sophistiquées, de repousser au maximum les limites du problème. Les responsables du SCD prennent, quant à eux, le parti, relativement coûteux, de former le plus de gens possibles. Cette stratégie leur permet de voir les gens en situation, de se faire une idée de la façon dont ils fonctionnent dans des logiques personnellement impliquantes. Cette formation permet par ailleurs, suivant une perspective semblable à celle retenue par MSF, de diffuser le projet de l'association. Ces préparations constituent une expérience en soi, c'est une occasion de se remettre en question dans son fonctionnement et dans son rapport aux autres. Le stage "Vivre autrement" est ainsi ouvert à tous, même à ceux qui ne projettent pas de partir dans l'immédiat.
A force d'expériences, les recruteurs développent une certaine confiance par rapport à leurs intuitions, mais ils ne peuvent jamais être totalement sûrs de leurs choix. Le processus implicationnel vécu sur le terrain transforme la personne et il est difficile de prévoir ce que "donnera" tel ou tel individu après quelques mois d'expérience.
Le droit à l'erreur est, dans les trois associations, assumé par les responsables du recrutement et reconnu par les autres services. Ces derniers, habituellement plutôt critiques à l'égard des performances de la Gestion des Ressources Humaines, conçoivent parfaitement l'impossibilité d'émettre un jugement fiable et définitif à propos d'un candidat donné.
3.1.2. Résultats de la recherche : l'impossibilité de prévoir l'implication du candidat.
Les résultats de ce travail confirment l'impossibilité de prédire de façon précise comment le candidat se comportera en situation. Le type d'implication signifié par le candidat, au moment de l'entretien, ne donne, pour ainsi dire, aucune indication sur l'implication qu'il développera réellement au cours de l'expérience. Cette impossibilité se retrouve au niveau de l'ensemble des variables étudiées à propos de ce phénomène. Nos conclusions valident les difficultés que rencontrent les SRH par rapport à la sélection des candidats.
3.1.2.1. L'impossibilité de prédire les formes d'implications ajustées.
Tout comme Furnham (1992) identifie des profils cognitifs, il existe sans doute des profils implicationnels, c'est-à-dire, des tendances plus ou moins stables à long terme, déterminant une forme d'implication privilégiée, indépendamment du contexte. Certains individus pourraient ainsi avoir tendance à s'impliquer par rapport à leur supérieur hiérarchique et leurs collègues, alors que d'autres, s'orienteraient plus sur le travail (Bujol, 1989). De même, certains individus pourraient présenter des dispositions au calcul, pendant que d'autres, développeraient systématiquement des formes d'adhésion. Le recruteur pourrait ainsi tenter d'interpréter les récits du candidat à propos de ses expériences passées, de façon à voir si se dégagent certaines tendances implicationnelles.
Mais, il ressort clairement de cette recherche que si ces tendances s'expriment sans doute au niveau des formes d'engagement, signifiées par le futur volontaire au moment de l'entretien, elles sont le plus souvent mises à mal par l'intensité de l'expérience ensuite vécue. L'une des conclusions immédiates du processus implicationnel modélisé, est qu'il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de prédire la façon dont le futur volontaire va vivre son expérience et la manière dont évoluera son implication.
Les incertitudes, ici évoquées, se situent aux niveaux, à la fois, des modes et des référentiels auxquels le candidat va finalement aboutir. Compte tenu des phénomènes observés, dans le cadre de l'échantillon étudié, nous posons l'hypothèse d'une indépendance statistique entre les formes d'engagement signifiées au départ (formes anticipées et par la suite projetées) et les formes émergeant de la phase de confusion.
D'une façon générale, nous pouvons affirmer que tous les cas de figures sont, dans l'absolu, possibles : quels que soient les modes (calculateurs, intrinsèques, aliénants) et les référentiels (association, population, financeur, développement, travail, voyage, etc.) de départ, les formes, finalement adoptées, peuvent correspondre à n'importe laquelle des combinaisons possibles. Certains volontaires développent ainsi des formes, pour ainsi dire, antithétiques.
Des changements d'implication particulièrement marqués. Parmi les participants de l'une des préparations auxquelles nous avons assisté, une volontaire se distinguait par la force de son engagement dans les populations, sa seule motivation revendiquée était la générosité : elle partait se sacrifier, au nom d'idéaux altruistes, pour aider les gens à se sortir de leur misère. Pendant toute la semaine de préparation, elle n'avait cessé de prendre la parole pour affirmer ses convictions et faire partager la façon dont "elle" voyait les choses. L'animatrice, lui reprochant son manque de réalisme et son intransigeance, s'est longtemps demandé si elle était apte à partir pour finalement se résoudre à lui donner sa chance. Trois ans plus tard, alors que nous effectuions quelques entretiens au siège de l'association, nous l'avons retrouvée. Elle était tout simplement devenue le contraire, l'antithèse de ce qu'elle était au moment de son départ : calme, mesurée, nuancée. Elle nous a parlé de son scepticisme face au développement. Finalement malgré ses doutes, elle pensait que ça valait le coup, c'était, en tout cas, cette profession qu'elle voulait faire. Son expérience de volontaire achevée, elle s'apprêtait à devenir salariée. (journal de bord) Dans un autre registre, nous avons rencontré Bruno. Son idée, au moment de partir, était de passer un moment agréable en Afrique, plutôt que de vivre les contraintes du service militaire. Dans les discussions que nous avions eues avec lui, pas un mot sur le développement ou sur les problèmes du tiers-monde. Son unique référentiel était le voyage. Nous l'avons retrouvé quelques mois plus tard, il avait fini par s'intéresser au sort des populations et tenait un discours plus complexe et réaliste sur le développement. (journal de bord) |
3.1.2.2 L'impossibilité de déterminer les modes de convocation.
A l'impossibilité de déterminer les formes qui émergeront de la confusion, s'ajoute l'impossibilité de déterminer la façon dont le volontaire les convoquera en situation. Relativement identique, d'un volontaire à l'autre, durant la phase de projection, la convocation prend des formes relativement variées dans le cadre de la phase d'ajustement. Il est ainsi impossible de prédire le mode de convocation qui sera finalement adopté, à partir de celui exprimé au moment du recrutement. Certains indices sont cependant envisageables.
Ces indices se situent dans l'expérience passée. Nous émettons l'hypothèse que si la forme d'implication du volontaire se trouve en grande partie modifiée par le contexte du volontariat, le mode de convocation tendrait, quant à lui, à rester plus constant. Nous pensons que cette façon de fonctionner dépend, pour partie, de la personnalité, c'est-à-dire, de caractéristiques relativement permanentes de l'individu.
Il semble, en effet, que certains individus aient tendance à adapter leur point de vue au contexte immédiat, et à se centrer sur les contraintes et les opportunités de la situation présente. D'autres, au contraire, pourraient convoquer de façon assez systématique les principes et les engagements auxquels ils se réfèrent en général.
Compte tenu de cette hypothèse, le recruteur pourrait fouiller dans les expériences passées du volontaire et l'aider à expliciter la façon dont il avait alors fonctionné. Cependant, il risquerait de se trouver confronté à des phénomènes de rationalisation a posteriori. Partant de là, le mieux serait encore de mettre en place des jeux de rôles mettant le volontaire face à un problème et d'analyser les arguments qu'il invoque, dans sa façon de poser et de résoudre celui-ci. Il s'agirait de mesurer la portée de ces arguments en termes d'engagement. De tels dispositifs pourraient ainsi être mis en place dans le cadre de la préparation au départ. En outre, la mise en place d'un exercice de ce style associé à un travail de réflexivité pourrait sensibiliser le volontaire à cette dimension de son fonctionnement cognitif.
Associés à un dispositif de recherche-action, ces exercices visant à repérer les profils convocationnels des volontaires pourraient, tour à tour, contribuer au recrutement tout en permettant de tester les hypothèses émises à ce sujet.
3.1.2.3 L'impossibilité de déterminer l'ampleur du processus implicationnel.
S'il est ainsi impossible de déterminer la façon dont la personne va finalement se positionner par rapport à la situation, et la façon dont elle convoquera ses engagements, le plus important reste de garantir la réalisation du processus : le fait que l'individu puisse dépasser ses anticipations, sortir de la confusion et s'ajuster à la situation.
Comme pour les deux précédentes variables, on peut être tenté de s'intéresser au passé du volontaire afin de voir comment, dans le cadre de ses expériences antérieures, il s'est adapté. Mais cet indicateur doit être relativisé par une tendance à la réduction progressive de cette capacité, au fur et à mesure des expériences.
Des effets pervers de l'expérience. L'exemple de Mélanie illustre parfaitement cette tendance. Après toute une série d'expériences d'urgence durant lesquelles, elle s'était parfaitement adaptée et épanouie, elle ne parvient pas à s'ajuster actuellement au nouveau projet de développement. "C'est vrai que c'est des bonnes conditions pour commencer pour te concentrer sur ton travail sans être... avoir la tête ailleurs pour des problèmes de sécurité, pour des problèmes de vie. ...'fin, bonnes conditions de vie, ...'fin, tu bouffes bien, tu dors bien, tu as l'électricité, tu as l'eau courante, toutes ces choses là qui font que tu te dégages de ces problèmes là, qui font que tu peux te consacrer à ton poste, et acquérir une certaine expérience au niveau du travail. Ouais... Ouais... j'arrive pas à voir ça comme...'fin pour moi ça m'enlève du truc humanitaire." (volontaire)" Le cas de Gilbert est un peu différent. C'est un volontaire de 40 ans qui a bourlingué dans le tiers-monde depuis des années, en travaillant pour des grandes compagnies pétrolières. Il a été, tout simplement, incapable de s'adapter aux fonctionnements et aux façons de travailler qui caractérisent la culture associative. |
Nous interprétons les difficultés que rencontrent les volontaires expérimentés dans le cadre des missions suivant la première par le fait que ces volontaires ont des anticipations puisant leurs racines dans des engagements trop profondément ancrés dans leur passé. Cet ancrage a été développé et renforcé par de multiples expériences, et est maintenant profondément inscrit dans leurs fonctionnements.
Ils tendent ainsi à vouloir par la suite retrouver, comme le démontre Nuttin (1965), les interactions qui les ont satisfaits durant leurs premières expériences et qui sont désormais inscrites dans leur personnalité.
Une préférence pour les types de mission déjà connus. Je pense que cette préférence que j'ai pour l'urgence, c'est lié à ma première mission. Parce qu'elle te donne déjà l'état d'esprit de ce que peut-être l'humanitaire à travers, ..fin de ce que peut être l'humanitaire à travers MSF. Et je crois que c'est un conditionnement important. |
Ce phénomène ressemble, par certains aspects, à celui évoqué par Mucchielli (1981) dans son ouvrage sur les motivations. Les individus associent certaines motivations à des comportements qui ont fait leurs preuves et perdent, peu à peu, leurs capacités à innover. Ce phénomène peut également être rapproché du concept d'interaction satisfaisante développé par Nuttin (1965): les individus tendent à fixer leurs besoins sur des objets spécifiques.
De nombreuses recherches convergent sur l'idée que l'intensité de l'implication (intrinsèque dans l'organisation) croît avec l'âge et l'ancienneté. Notre étude nuance ce positionnement en faisant valoir une plus grande stabilité et un meilleur ancrage dont la contrepartie se situe au niveau de l'implication dans des situations nouvelles. L'individu est de plus en plus impliqué dans son organisation, mais il devient de moins en moins capable, en cas de rupture, de se réinvestir dans une autre.
Paradoxalement, les jeunes volontaires, projetant des anticipations fondées sur l'imaginaire d'une situation qu'ils ne connaissent pas, s'adaptent plus facilement que ceux qui sont plus âgés et plus expérimentés. Ils sont plus flexibles et plus ouverts, leurs structures cognitives et implicationnelles ne sont pas encore stabilisées. Ils ne sont pas encore mûrs et leurs modes d'interaction avec l'environnement ne sont pas encore irréversibles.
Le degré de maturation de la démarche, observé dans le cadre des entretiens effectués avant le départ, varie en fonction des individus : si certains futurs volontaires en sont encore aux clichés de l'humanitaire et de l'Afrique misérable, d'autres ont déjà acquis un discours (et des problématiques) de développement. Ces derniers sont issus en grand nombre d'une population très particulière (ce qui embarrasse beaucoup les recruteurs) : les élèves des écoles de développement parmi lesquelles la plus connue est sans doute "Bioforce".
Des processus implicationnels trop avancés ? "Donc j'avais bien anticipé sur le caractère complexe des choses, je m'étais pas trop fait d'opinion, j'ai pas trop voulu idéaliser. Je savais que je voulais partir, je m'étais mis dans cette démarche là, mais je me donnais toute l'année de Bioforce justement pour me préparer au départ au mieux. Et toute l'année de Bioforce m'a permis, non pas de mûrir mon projet parce que mon projet je l'ai eu en tant que tel à la fin de l'année, mais de mûrir mon départ. (volontaire ayant fait "Bioforce") |
Ces individus viennent de passer deux ans à questionner les problématiques du développement et du tiers-monde et ils arrivent à l'entretien avec un discours très complexe. Ce discours pose problème au recruteur dans la mesure où il est difficile à situer : il introduit une certaine ouverture d'esprit nécessaire à la préparation au départ, mais, celle-ci est avant tout d'ordre intellectuel. Ce type de formation permet de poser les limites de la préparation au départ : il arrive un moment où la réflexion doit se mettre à l'épreuve de l'expérience. La maturité intellectuelle et discursive acquise par les volontaires de "Bioforce" ne constitue pas, selon nous, une garantie suffisante face aux réalités de l'expérience à venir.
Conclusion sur le recrutement : de la nécessité de former
Cette recherche n'apporte pas, concernant les problèmes liés au recrutement des volontaires, d'arguments fondamentalement nouveaux . Elle valide les difficultés et les incertitudes que rencontrent depuis toujours les responsables de cette activité. En résumé, les évolutions et les changements des différentes variables étudiées dans le cadre de cette recherche, ne peuvent être véritablement déduits, à partir des engagements signifiés par le volontaire au moment de l'entretien.
La solution retenue par la plupart des recruteurs reste l'exploration des expériences passées. Elles sont, "en soi" révélatrices : elles attestent de ce que le candidat a déjà été capable de faire et peuvent cautionner certaines motivations. Nous validons ce choix tout en restant très réservé pour ce qui est de leur portée, en termes de prédiction de l'implication. Le processus par lequel devra passer le volontaire pour s'ajuster à la situation peut aboutir à des formes d'engagement très différentes de celles développées à l'occasion des expériences passées. Par ailleurs, plus une forme d'engagement est ancrée dans l'expérience, moins le volontaire est en mesure de l'ajuster à de nouvelles situations.
Tout le problème du recrutement est qu'il se base sur des discours et des comportements relatifs à une situation qui n'a rien à voir avec celle proposée. Partant de là, il est tentant pour les trois associations de recourir aux sessions de préparation au départ pour, entre autres, évaluer les comportements des volontaires, à l'égard des autres et de leurs différences.
Ces incertitudes peuvent devenir une opportunité à partir du moment où l'on aborde l'expérience du volontaire comme une initiation à de nouvelles formes d'implication. Partant de là, les dispositions du volontaire au moment de l'entretien ne constituent plus qu'un point de départ. Elles sont, de toute façon, appelées à évoluer en situation.
Il ne s'agit pas pour autant d'effectuer un recrutement "à l'aveugle", en acceptant simplement l'impossibilité de prévoir les qualités que démontrera le volontaire au cours de l'expérience. Mais, il s'agit de saisir l'opportunité consistant à accompagner le volontaire de façon à le rendre "opérationnel" et, ce faisant à contribuer à son propre développement.
3.2. La préparation au départ.
La préparation au départ est une étape que l'on retrouve dans les trois associations étudiées ainsi que dans presque toutes les associations de solidarité internationale. Elle dure, suivant les cas, d'une semaine à un mois. Elle est composée d'interventions nombreuses et variées et demande plus ou moins de participation et d'investissement personnel de la part des futurs volontaires. Sans doute à cause de la spécificité des objectifs, c'est un lieu où se développent des pédagogies innovantes.
La préparation au départ comme son nom l'indique a pour objectif d'aider le volontaire à se mettre en phase avec l'expérience qu'il s'apprête à vivre. D'une certaine manière, elle constitue la première étape de son intégration dans l'association. Elle arrive, à l'issue du recrutement, au moment où le candidat commence à avoir des chances sérieuses de partir et où il commence à se projeter plus concrètement dans cette éventualité. Il est en train de développer et de formaliser un projet, au départ fondé sur un élan affectif ou normatif, dont les enjeux étaient peu ou pas explicités. Le futur volontaire manifeste, à ce stade, une très forte demande d'informations. La préparation répond à cette demande dans la mesure où elle comprend de nombreux contenus. Elle tend aussi souvent à déstabiliser le volontaire par les multiples questions qu'elle introduit par ailleurs.
Les enjeux et les contenus de cette préparation sont très différents suivant qu'il s'agisse de MSF ou de l'AFVP et du SCD. Elle s'inscrit dans des champs d'opportunités et de contraintes distincts tant du point de vue des pratiques actuelles que des possibilités d'évolution définies dans le cadre de cette recherche.
Pour l'AFVP et le SCD, les perspectives d'évolution consistent à parfaire la démarche et à en produire une vision plus globale, permettant de prolonger les potentialités qu'elle révèle. Notre principale recommandation consiste, en fait, à perpétuer le dispositif sur le terrain afin de véritablement accompagner le volontaire tout au long de son expérience.
Pour MSF, la situation actuelle apparaît, dans le cadre de notre analyse, plus problématique. Les difficultés que nous attribuons à la préparation au départ sont à l'image des malentendus qui traversent l'association dans son ensemble. Dans ce contexte, la mise à jour de ce dispositif pourrait, selon nous, contribuer à l'évolution de l'association. La gestion de l'implication, dans cette perspective, constituerait un cadre de références permettant aux Responsables Ressources Humaines de définir un projet susceptible, à terme, d'actualiser les représentations culturelles, mais dont le principal enjeu demeure la réduction des problèmes rencontrés par les volontaires lors des opérations de développement.
Compte tenu des différences constatées, nous scindons notre analyse : nous abordons d'abord le cas de MSF, puis, celui des deux autres associations.
3.2.1. La préparation au départ chez MSF.
3.2.1.1. Présentation du dispositif.
L'objectif de la préparation au départ proposée par MSF consiste, en dehors des contenus techniques, développés dans le cadre de la deuxième semaine, à présenter l'association aux volontaires. Elle passe, pour ce faire, en revue différents aspects de sa culture et de son fonctionnement :
Les contenus abordés par la préparation au départ de MSF. - l'histoire de l'association, qui sont les fondateurs, quelle a été son action par le passé ; - la philosophie de MSF, sa charte, sa façon de concevoir l'intervention, son indépendance, sa mission de témoignage ; - son fonctionnement politique, quelles sont les institutions dirigeantes, comment elles fonctionnent, qui décide ; - son financement : qui sont les donateurs, comment est utilisé l'argent ; - son organisation : quels sont les services, comment ils s'organisent, ce qu'ils font. |
Une des critiques les plus souvent formulées, à l'encontre de cette préparation, est qu'elle "formate" les volontaires. Il s'agit là d'un terme différent pour signifier le caractère "endoctrinant" (Etzioni, 1961) d'un tel dispositif . Les responsables de la formation s'en défendent, en affirmant qu'au contraire, seul un volontaire connaissant parfaitement l'association, est en mesure de porter, sur elle, un regard critique.
Les modules évoqués ci-dessus composent près des trois quarts de la préparation et sont révélateurs de la culture particulièrement forte qui caractérise l'association. Selon les formateurs, l'objectif de ces modules est de permettre au volontaire de bien saisir "dans quoi il met les pieds" et de l'aider à se positionner par rapport à l'association.
A ces éléments directement liés à l'association, s'ajoutent des modules concernant plus exclusivement le volontaire. Un module présente tout ce qui a trait à son statut : la rémunération, les assurances, le billet d'avion etc.. La préparation intègre aussi une simulation de départ : à qui s'adresser, les formalités à remplir, ce qu'il faut emporter avec soi, etc..
Une demi-journée est consacrée à l'expérience sur le terrain : on explique au volontaire, à partir de l'organigramme, comment fonctionne une mission et qui la dirige entre la capitale et les responsables terrain. Une autre demi-journée est organisée autour d'une étude de cas qui présente aux volontaires, une situation intégrant toute une série de problèmes. Cette situation basée sur un cas réel cherche à mettre en évidence la nécessité de s'organiser.
Le dernier élément de cette partie sur la gestion des Ressources Humaines est consacré à la gestion du personnel local. Cette partie assez pratique, est, pour celui qui en a la charge, l'occasion d'insister sur le respect que doit avoir le volontaire à l'égard de ce personnel. Le SRH tente ainsi de prévenir les dérives comportementales si souvent constatées. Les volontaires écoutent avec attention, acquiescent, mais ce n'est qu'en situation que se révélera leur véritable positionnement à ce sujet.
Entre ces deux groupes de modules, le volontaire trouve trois interventions d'une heure touchant au stress de l'urgence, à l'image du volontaire et à la rencontre interculturelle.
L'expérience des volontaires : un sujet abordé "très à la fin de la formation, en une demi-journée". "Je pense..tu sais, tu parlais hier de tout ce qui était "image véhiculée", tout ce qu'on met sous ce terme un peu batard de stress : ça on l'aborde, mais ça aussi, c'est quelque chose, c'est très à la fin de la formation, en une demi journée... C'est pour tirer des sonnettes d'alarme mais je ne pense pas que ça... " Responsable Ressources Humaine |
La culture de MSF se caractérise, entre autres, par la valeur accordée à l'affirmation de soi et tend à rejeter ce qu'elle considère comme des formes d'auto-compassion. C'est pourquoi la préparation au départ n'est pas, par tous, perçue comme nécessaire, ni même utile. Les anciens ont fait sans et, pour eux, c'est seulement "sur le tas" que le volontaire pourra découvrir si oui ou non "il est fait pour ça". Ils préconisent ainsi un apprentissage "à la dure".
Le Service Ressources Humaines mis en place, rappelons le, depuis cinq ans seulement, tente de rompre un tant soit peu, avec cette tradition. Cette rupture se manifeste, par exemple, par l'enrichissement de la préparation à travers une seconde série de modules prenant en considération la gestion des ressources humaines de la mission.
3.2.1.2. Analyse et recommandation : des changements passant par la formation des nouveaux volontaires.
La préparation au départ proposée par MSF favorise la socialisation des volontaires. Elle prolonge, ce faisant, une culture présentant de nombreuses similitudes avec les organisations "normatives" d'Etzioni (1961) et les organisations "idéologiques" décrites par Mintzberg (1986). L'univers de l'association est entièrement régi par une vision fondée sur l'action d'urgence.
Pour une grande partie des futurs volontaires, partir avec MSF ne constitue pas un moyen, mais une fin. Ils développent, dès le départ, des dispositions à l'implication intrinsèque exclusive dans l'organisation.
Ces dispositions s'appuient sur l'image de l'association. Elle incarne, pour le grand public les vertus de l'action humanitaire. Elle apparaît, pour ceux qui envisagent de "partir", comme la plus efficace et la plus intègre de toutes. Il se dégage, des entretiens effectués avec les futurs volontaires, une sorte de fascination portant les prémisses d'une forte identification.
La préparation au départ ne fait que renforcer ces phénomènes. A travers les différents sujets abordés, elle explicite la vision que partagent les membres de l'association. Cette vision n'est, en définitive, pas très différente de celle que peut avoir le grand public. La référence de base est l'action. Cette action est avant tout collective et se définit par rapport à des environnements caractérisés par l'adversité. Les candidats au départ renforcent ainsi l'image qu'ils avaient du volontaire MSF : quelqu'un de courageux et tenace qui ne transige pas et ne renonce jamais.
Cette préparation au départ est parfaitement appropriée au processus implicationnel tel qu'il se déroule dans le cadre des situations d'urgence.
Transposition du processus implicationnel aux situations d'urgence. 1. Une expérience éprouvante mais partagée. L'urgence, à l'inverse du développement, favorise la cohésion des acteurs autour de ses enjeux de vie ou de mort. Ces contextes sont difficiles, ils confrontent le volontaire à des situations douloureuses, ils sont physiquement épuisants et moralement éprouvants. Les volontaires acceptent, et même, recherchent ces épreuves, car elles ont un sens. Elles leur donnent la possibilité de se réaliser dans le sentiment d'utilité auquel ils aspirent. Les rapports avec la population sont plus simples et plus directs. Les échanges passent surtout par les soins et la reconnaissance témoignée en retour. Le volontaire n'accède pas à une connaissance approfondie de la culture des gens dont il s'occupe, mais il s'en rapproche à travers les joies et les peines qu'il partage avec eux. Ces missions mobilisent, pour la plupart, de nombreux volontaires et la vie d'équipe fait partie intégrante de l'expérience individuelle. L'intensité des moments partagés lie les individus et leur fait oublier leurs différences. Le groupe mobilise les énergies et soutient ceux qui menacent de craquer. 2. Garder une certaine distance par rapport aux évènements. Au delà, de l'action collective engagée vers le même objectif et de la solidarité qu'elle fait naître, l'expérience vécue diffère sensiblement d'une personne à l'autre. L'urgence soumet le volontaire à des dangers et des drames sans commune mesure avec ce qu'il a pu vivre auparavant. Afin de faire face et pour continuer à agir de façon efficace, il doit maintenir une certaine distance, un certain recul vis-à-vis de ce qu'il est amené à voir et à vivre. Certains parviennent ainsi à traverser la mission sans trop se poser de questions, refoulant leurs angoisses et remettant leurs doutes à plus tard (au retour). D'autres, fragilisés par la fatigue et/ou confrontés à une série d'événements particulièrement difficiles peuvent se laisser envahir par leurs émotions et leurs angoisses. Ils perdent alors leur faculté de discernement et sombrent dans une certaine confusion qui peut s'exprimer différemment suivant les personnes. Certains baissent les bras, ils trouvent l'intervention complètement dérisoire face à l'ampleur du drame. D'autres ont la réaction inverse : ils redoublent d'activité. Ils vivent intensément chaque événement et vont jusqu'à lui sacrifier leur nourriture et leur sommeil tout en culpabilisant de ne pouvoir faire plus. Ils attendent des autres le même engagement (le doute de l'urgence ne concerne pas les objectifs mais les moyens à mettre en oeuvre pour y contribuer. Face à un événement donné, le volontaire est amené à se poser les questions : "Jusqu'où peut-on aller ?" et "Jusqu'où doit-on aller ?". Il peut, pour y répondre, se référer aux règlements ou s'en remettre à sa conscience. La raison voudrait que le volontaire se ménage de façon à pouvoir aider ceux qui demain auront besoin de lui mais ...) La confusion se limite, le plus souvent, à un stress relativement ordinaire mais peut aller, dans certains cas jusqu'à des états nécessitant le rapatriement. Durant cette phase, le volontaire est pris en charge par le groupe : il régule les comportements de ceux qui dérivent et soutient le moral de ceux qui dépriment. Le volontaire peut retrouver un recul raisonnable soit en continuant l'action en "pilotage automatique", c'est-à-dire en évitant de penser, soit en prenant un repos de quelques jours à l'écart des événements. 3. Changer ses repères. Ce passage par la confusion, vécu par certains volontaires, révèle le décalage entre ce que la personne est capable de concevoir avant le départ et ce à quoi elle est effectivement confrontée. La situation qu'elle découvre est sans commune mesure avec tout ce qu'elle a pu vivre auparavant. Elle est, dans un premier temps, incapable de vraiment la percevoir, elle a quelque chose d' "irréelle". Le volontaire se comporte pour ainsi dire "normalement" (Certains restent dans cet état jusqu'à la fin de la mission). Quotidiennement confrontés à ces événements, certains volontaires finissent par en prendre la mesure. Mais les répères à partir desquels ils appréhendent habituellement la réalité ne sont pas adaptés à l'ampleur des drames présents, ils ne savent pas trop quelle est la réaction "appropriée" (hurler ou être indifférent). Ils restent donc dans la confusion. Mais, peu à peu, la plupart des volontaires reconstruisent des cadres de références à la mesure des événements, ils assimilent la situation et deviennent capables d'agir "raisonnablement". |
La culture de MSF, par sa force d'intégration et ses contenus, a contribué à faire de MSF l'une des associations humanitaires d'urgence les plus réputées. Mais, ce sont, par ailleurs, ces mêmes caractéristiques qui sont aujourd'hui à l'origine de ses contre-performances en matière de développement. Le service ressources humaines a, selon nous, sa part de responsabilité dans les difficultés que rencontrent les volontaires MSF face à ce type de mission. Nous analysons plus particulièrement le cas des "premières missions". En effet, compte tenu des problèmes de sécurité qui caractérisent les interventions en zones de conflit, les deux tiers des nouveaux volontaires sont affectés sur des missions de post-urgence et d'assistance technique, autrement dit, des opérations de développement.
Tout ce que ceux-ci peuvent voir et entendre de l'association, tout au long du processus de recrutement, les renforcent dans des anticipations les mettant en scène dans des situations d'urgence. Sur place, cet ensemble d'a priori se trouve confirmé par le décor planté par l'association. Les "armées" de véhicules tout-terrain, remplis de volontaires munis de talkies-walkies, donnent effectivement à ces opérations de développement, toutes les allures de l'urgence.
Les anticipations ainsi renforcées ont pour effet, face aux opérations de développement, de compliquer le processus implicationnel. Du début à la fin de leur mission, ils "traqueront" l'urgence face à des populations restant perplexes, dans le meilleur des cas. La dramatisation, la précipitation, et le stress introduit par des volontaires persuadés de vivre une situation particulièrement critique, se trouvent en complet décalage avec l'expérience telle qu'elle est vécue par les populations concernées.
Nous voyons à cet état de fait au moins deux problèmes relevant directement de notre problématique de recherche : la situation de stress pour les volontaires et la qualité des interactions avec les populations concernées.
La stagnation du volontaire dans la phase de projection s'appuie sur des refoulements introduisant des dissonances à l'origine d'un stress au moins aussi prononcé que le stress traumatique caractérisant les missions d'urgence. Ce stress est d'autant plus difficile à gérer qu'il ne peut être réinvesti dans l'action, celle-ci demeurant relativement réduite. En conséquence, un des seuls lieux de réinvestissement de ce stress est le groupe. Les missions de post-urgence et d'assistance technique se caractérisent ainsi par de nombreux conflits. Cette conflictualité s'explique également par les décalages entre les volontaires au niveau de l'avancement du processus implicationnel. Le point de vue de ceux qui parviennent à intégrer les données de la situation, constitue, pour ceux qui restent à la recherche de l'urgence, un danger.
Ces décalages s'opposent à la performance des volontaires. Ces missions ont pour objectif de permettre aux populations d'acquérir progressivement de nouvelles techniques et de s'approprier les structures mises en place par l'association. Or, nous constatons que les comportements des volontaires peuvent être inadaptés. Ils attribuent à leurs hôtes la détresse des situations d'urgence, ils se comportent avec eux comme si tout était question de vie ou de mort. Les qualités des volontaires de MSF deviennent dans ce contexte autant de défauts. La ténacité devient de l'obstination, les certitudes et les convictions devient de l'intolérance, la confiance en soi se transforme en arrogance. En fin de compte, le mécontentement des populations, évoqué dans le chapitre 5, n'est jamais aussi marqué que dans ce cas de figure. Celles-ci tendent à se détourner du projet, gardant souvent une image très négative de l'aide humanitaire que leur "impose" l'Occident.
Des stages et des formations créés et améliorés pour l'urgence. "Oui, mais le développement, je prends plutôt ça comme une mode. Moi, je crois qu'ils retourneront tôt ou tard à l'urgence... Parce qu'ils sont faits pour ça : ils ont développé toutes leurs techniques , tous leurs stages, toutes leurs formations, tous les kits d'intervention, tout ça a été créé, amélioré pour ce genre d'interventions. Et maintenant ils savent très bien le faire. Et c'est vrai qu'on leur a souvent reproché ça mais partout ailleurs : des interventions directes, en urgence, ciblées, adaptées et vraiment efficaces et c'est vrai qu'après ça, ils ne savent plus faire." |
Les remarques et les objections que nous développons dans cette partie à propos de MSF n'enlèvent rien aux qualités dont elle peut faire preuve face aux situations d'urgence. Nous considérons simplement que ses performances en matière de développement demeurent insuffisantes : les résultats qu'elle obtient dans le cadre de ses opérations de post-urgence et d'assistance technique ne sont pas à la hauteur des enjeux visés.
Comme le pense cette volontaire, MSF a construit ses savoir-faire et ses savoir-être par et pour l'urgence, et ne maîtrise effectivement pas encore les problématiques du développement. Partant de là, la question se pose de savoir si comme le pense cette volontaire MSF retournera, à terme, à l'urgence ou si elle persévèrera dans cette voie.
Ces problèmes et ces questions relèvent des stratégies de l'association à moyen et long termes. Dans l'immédiat, ils constituent un champ d'opportunités et de contraintes, face auquel le Service Ressources humaines doit de se positionner. Dans cette perspective, nous abordons ce champ comme un ensemble de dysfonctionnements impliquant le processus implicationnel et des modes de convocation inadaptés aux circonstances.
La préparation au départ contribue, aujourd'hui encore, au renforcement de ces problèmes. A défaut de les résoudre, elle pourrait constituer un moyen de les réduire. Elle pourrait, entre autres, agir au niveau des décalages existant entre la vision de ces situations, dominée par la culture de l'association, et ce qu'elles sont vraiment. A travers le recadrage des nouveaux volontaires, elle pourrait former une génération susceptible d'introduire le changement au niveau de l'organisation dans son ensemble.
J.M. Chardon, le Responsable Ressources Humaines de l'association perçoit désormais mieux ces décalages. Ces marges de manoeuvre restent cependant limitées. La préparation au départ apparaît pour certains comme un coût superflu, et l'introduction de débats touchant à la pertinence des engagements de l'association pourrait être ressentie par les autres comme une menace. La préparation des volontaires risquerait alors d'être réduite à des contenus strictement techniques. Le service Ressources Humaines ne peut pas ouvertement contester la culture de l'association.
Recommandations. Compte tenu de la situation actuelle, nous préconisons une démarche consistant à communiquer de façon relativement objective les données de la situation. Il s'agirait, dans le cadre de la préparation au départ, d'expliquer aux volontaires que : MSF évolue et investit, parallèlement à l'urgence, le domaine du développement. Celui-ci représente aujourd'hui plus de la moitié de son activité, mais, de par son histoire, les membres de l'association restent très attachés à l'urgence. MSF découvre les problématiques du développement, et c'est à travers la contribution des nouveaux volontaires, à travers la compréhension de ces problématiques, qu'ils pourront acquérir de ces contextes, que l'association pourra peu à peu mieux appréhender ces aspects de son activité. Il appartient aux nouveaux volontaires de construire la réalité de MSF dans le contexte du développement, de développer des positionnements adaptés à ces situations, et de diffuser, au sein de l'association, une vision plus juste de ces opérations." |
Cette stratégie visant à décrire la situation de façon relativement factuelle évite aux responsables de la formation d'avoir à se positionner véritablement contre la culture. Elle consiste à donner aux nouveaux volontaires les données de la situation et de les laisser juger de ce qu'il convient de faire et de dépenser. Partant de là, il leur appartient d'incarner la réalité de MSF dans le cadre de ces missions.
L'une des principales difficultés de cette démarche réside dans la transgression des tabous à travers l'utilisation du terme de "développement". En effet, tant que l'association refusera ce terme, les volontaires ne seront pas en mesure de percevoir la nature et les enjeux de ce type d'opérations.
Les problèmes de la post-urgence et de l'assistance technique touchent aux fondements de la culture de MSF. Partant de là, les changements, s'ils se réalisent, ne seront que très progressifs. La préparation au départ ne peut, à elle seule, annihiler l'ensemble des facteurs actuellement en synergie pour entretenir les anticipations des volontaires en termes d'urgence. Elle peut néanmoins contribuer à en atténuer les effets.
Cette stratégie peut être appuyée par les pratiques mises en place dans les autres domaines. Il s'agirait, par exemple, de recruter des individus disposés à ce type d'intervention et sur le terrain, de choisir, parmi les responsables, ceux qui semblent les plus impliqués dans les défis en question.
Les questions que se pose le Service Ressources Humaines à propos des enjeux de la préparation au départ. Oui, je crois, parce que ça suscite des réactions dans le travail d'animation... cette réflexion. Il y a une prise de consience, mais je ne sais pas jusqu'où ça va après... Parce que justement, ces changements ça a toujours été un sujet de débat : "est-ce que ça doit être de la formation ou de l'information ?" ... ça a toujours été un débat jusqu'à se poser les questions : "Doit-elle concerner tout le monde ?", "Doit-elle être payante ?" ou "Est-ce un choix des individus à la faire ?", "Est-ce qu'on forme des gens à des techniques ou veut-on passer un message généraliste ?". Responsable Ressources Humaines |
Ces défis constituent, pour le Service Ressources Humaines une opportunité de construire un "vrai" projet, ancré dans des problèmes immédiats, tout en l'amenant à jouer un rôle crucial dans l'avenir de l'association.
3.2.2. Les préparations au SCD et à l'AFVP.
Concernant les deux autres associations, les préparations au départ nous semblent relativement mieux adaptées aux difficultés et aux enjeux du développement. Elles aident les volontaires à dépasser une partie de leurs "anticipations", facilitant ainsi la réalisation d'un processus implicationnel par lequel il leur faudra, néanmoins passer, une fois sur place. Elles semblent, par ailleurs, favoriser l'émergence de formes d'implication "discernées".
3.2.2.1. Présentation des dispositifs.
Les préparations au départ de ces deux associations sont, dans l'ensemble, assez semblables. Leur vocation est d'amener le volontaire à une réflexion approfondie concernant l'expérience à venir. Elles posent, pour ce faire, plus de questions qu'elles ne donnent de réponses.
Tous les modules présentés vont dans ce sens. Ils empruntent, par contre, des formes et des pédagogies variées que nous regroupons autour de trois types : les connaissances, les jeux de rôles et les exercices de réflexivité.
Les connaissances proposées cherchent à prendre le contre-pied des idées reçues. Ces modules, à l'exception d'un ou deux, relatifs à l'association, sont consacrés à l'Afrique, sa culture, ses coutumes, sa vision du monde et aux problématiques de développement envisageables dans ce contexte. Ils sont, pour la plupart, confiés à des Africains : ces derniers vivant ou ayant vécu en France sont parfaitement renseignés sur les stéréotypes et les préjugés que peuvent avoir des Européens à propos de leur culture. Ils ont à coeur de rétablir quelques "vérités" à ce sujet.
Exemples d'interventions opérant des recadrages efficaces. L'une des interventions les plus appréciées est celle d'un Zaïrois intervenant au SCD. Sa pédagogie se fonde sur l'art théâtral. Sa présentation consiste en une sorte de dialogue dans le cadre duquel il joue à la fois le rôle de l'Africain et celui de l'Européen. Il montre ainsi comment le point de vue de l'autre est inconcevable. Il prend l'exemple d'un Européen dénonçant l'Africain donnant un nom différent à chaque fois qu'on l'interroge. Il explique ensuite qu'ils ont effectivement plusieurs noms qu'ils utilisent en fonction du degré d'intimité qu'ils ont avec leur interlocuteur. Il reprend le rôle de l'Africain qui, choqué, rétorque qu'il ne va quand même pas donner son vrai nom à quelqu'un qu'il ne connaît pas. L'intervention de Michalon retient également l'attention des volontaires. Michalon est un Européen qui a passé de nombreuses années en Afrique. Il a cherché à organiser ce qu'il a pu voir dans le cadre de modèles théoriques. Partant systématiquement d'anecdotes, au départ, incompréhensibles, il parvient à transmettre aux volontaires, des cadres de références nouveaux. |
Une seconde série de modules développe des pédagogies novatrices, visant à faire expérimenter aux volontaires, les arguments visés. La principale expérience que les animateurs souhaitent leur faire approcher est la rencontre interculturelle. L'un des exercices consiste, par exemple, à constituer deux groupes auxquels on confie des logiques d'actions différentes tant au niveau de la forme que des enjeux. On les met ensuite face à un problème concret où ils doivent coopérer. Les volontaires expérimentent ainsi les difficultés à travailler ensemble lorsqu'on se trouve dans des cadres de références différents de ceux de l'interlocuteur.
Ces jeux sont en apparence simplistes, mais ils constituent un moyen efficace de faire émerger de nouvelles manières d'envisager la coopération. Ils donnent aux volontaires une connaissance vécue du problème.
Le troisième, et dernier type d'exercice, consiste à accompagner les volontaires dans l'explicitation de leurs motivations et des images qu'ils ont à propos de la situation à laquelle ils se destinent. Ces exercices peuvent être menés collectivement : on demande, par exemple, à différents sous-groupes, de construire un "patchwork" de mots décrivant la façon dont ils conçoivent le développement. L'analyse des collages permet d'expliciter l'imaginaire qu'ils construisent autour des notions ainsi travaillées et le caractère stéréotypé de certaines images.
D'autres exercices se font individuellement. On demande, par exemple, au volontaire de plonger dans son intérieur pour explorer ses motivations. Cette réflexion se poursuit tout au long de la préparation, elle évolue au fur et à mesure des exercices et permet de capitaliser les prises de conscience.
Au delà des contenus de ces différents types de modules, l'un des éléments les plus importants de ces préparations réside dans le travail de l'animateur. Celui-ci accompagne les volontaires tout au long de la session. C'est lui qui donne une cohérence aux messages distillés par les différentes interventions et les met en perspective.
3.2.2.2. Analyse de la préparation au départ en termes de gestion de l'implication et recommandations.
L'objectif affiché par ces préparations est d'amener le volontaire à remettre en question une partie des idées reçues sur lesquelles se fondent ses anticipations. Cette remise en cause de ses stéréotypes lui permet de s'ouvrir sur des données plus opératoires, mais aussi et surtout d'acquérir un esprit plus critique à l'égard de ses propres certitudes. Il peut ainsi redéfinir un positionnement plus conforme aux exigences d'une situation dont il perçoit, peu à peu, la nature et les enjeux. Par ailleurs, l'acceptation des contradictions qui caractérisent la situation de coopération, l'oriente vers des formes d'implication plus "discernées".
Les "recadrages" qu'introduisent ces préparations passent nécessairement par des phases de confusion. Cette confusion se manifeste habituellement par des incertitudes sur le sens de sa démarche : le volontaire n'est plus très sûr de vouloir partir. L'animateur joue, dans ce cadre, un rôle essentiel. Il accompagne les volontaires tout au long du processus implicationnel initié à travers les différents exercices.
L'introduction du doute : le cas du SCD. Le SCD est sans doute l'association qui, parmi les trois retenues, va le plus loin dans la prise en charge des contradictions caractérisant le développement. Les animateurs de la préparation au départ ne craignent pas, par exemple, d'affirmer que : - le volontaire n'est pas si utile que ça ; - que le projet est, en fait, surtout un prétexte pour rencontrer "l'Autre" ; - que l'Afrique n'a pas véritablement besoin d'eux ; - que le développement n'a été, depuis trente ans, qu'une suite d'échecs ; - que leur altruisme cache sans doute des motivations plus égocentriques. Le travail consiste, entre autres, à gérer les doutes ainsi introduits. Les animateurs doivent sentir les moments où il est utile de rappeler que, malgré tout, "partir vaut le coup". Communiquer sur la crise que traverse l'AFVP. Aux doutes inhérents au développement des pays du tiers-monde, s'ajoutent, pour l'AFVP, les doutes concernant son propre projet. Cette association traverse, en effet, depuis deux ou trois ans, une profonde crise d'identité. Elle n'est ainsi pas en mesure de produire un message clair. Les responsables de la formation présentent une sensibilité particulière au sein de l'association : une tendance que nous qualifions d'humaniste par opposition à la tendance professionnelle. Cette première tendance ne considère pas les volontaires uniquement en tant que main d'oeuvre des projets de développement, mais intègre leur "réalisation de soi" comme un enjeu et une valeur ajoutée de l'association. La préparation au départ valorise ainsi l'expérience humaine et la rencontre interculturelle. Elle souligne, par ailleurs, le caractère relatif du développement et la nécessité de prendre en compte, dans le cadre du projet, le point de vue des populations. La stratégie des formateurs consiste à assumer la crise d'identité : ils communiquent aux volontaires les contradictions qui traversent l'association et les invitent à développer leurs propres points de vue. Ces propos quelque peu déstabilisants se révèlent, dans certains cas, fructifiants : certains volontaires estiment et respectent cette transparence, se sentant investis d'une responsabilité concernant le devenir de l'association. |
L'animateur peut accompagner et soutenir le volontaire, mais il ne peut pas prendre en charge le travail que doit effectuer le volontaire, pour sortir de la confusion engendrée par les doutes ainsi produits. Nous soulignons dans cette perspective, l'importance du travail écrit. Il constitue une forme d'introspection contribuant à la capitalisation des expériences vécues dans le cadre des différents exercices proposés. Ils permettent au volontaire de faire évoluer le sens de sa démarche, de l'expliciter. Le volontaire abandonne ainsi les cadres de références réfutés et intègre, par la suite, ceux qui sont acquis. Cette écriture est, selon nous, fondamentale : ses exigences en termes de formalisation et de conceptualisation favorisent des prises de conscience (Piaget, 1971) sans doute plus profondes que dans le cadre d'un discours adressé à l'assistance.
Au-delà des recadrages initiés lors des différents exercices, nous réintégrons également, au titre de l'accompagnement du processus implicationnel, la sensibilisation des volontaires aux phases de découragement susceptibles de ponctuer leur expérience. L'un des principaux arguments développés dans cette perspective, est que ces moments de doute font partie intégrante de l'expérience et doivent être considérés comme "normaux".
Les avertissements concernant les difficultés et les découragements par lesquels la plupart des volontaires devront passer, leurs répétitions tout au long de la préparation au départ, aident sans doute certains d'entre eux à les dédramatiser et à mieux les assumer.
Les effets à long terme de la préparation au départ. ".... C'est vrai qu'en ce moment c'est pas évident : comme je te disais ce matin, il y a pas mal de problèmes sur le projet. Les excuses des uns et des autres pour expliquer qu'ils ne peuvent pas payer tout de suite, j'en ai ma claque. Vraiment, je commence à en avoir marre ! [silence] Mais bon, c'est normal. Nathalie nous avait dit que c'était souvent comme ça : qu'après quelques mois, tu pouvais avoir un coup de barre. C'est pour ça, je vais faire un break, je vais prendre une semaine de vacances à Ouaga." (Propos rapportés d'une conversation informelle. carnet de bord) "La préparation au départ a certainement beaucoup fait pour une meilleure approche du milieu en formant mon sens critique et en me donnant le souci de comprendre avant de juger. En me rendant sensible à la nécessité d'agir avec la dynamique du milieu, elle a été bénéfique au projet. Enfin, elle m'avait rendu conscient que le rendement ne prime pas dans notre action et j'ai pu le vérifier." Témoignage extrait du livret d'accueil du SCD Les limites de la préparation au départ face au "grand choc" du terrain. "Tu vois c'est une reflexion personnelle que je te donne là : je me dis, que ce soit avec d'autres ONG ou avec nous, quelle que soit la préparation qu'on propose au futur volontaire, tu ne donneras jamais... oui tu ouvriras des petites fenêtres qui permettrons au volontaire de se dire : "tiens oui ça, j'avais pas pensé à ça." Maintenant, le jour où il va être propulsé dans un contexte différent... L'utilité de la formation ? Elle est fonction de la personnalité... ça sera pas inutile, certainement pas, mais le grand choc aidant, quand tu es propulsé de l'autre côté, tu t'en servira pas nécessairement. Après, c'est une question de personnalité, de sensibilité... des raisons personnelles pour lesquelles tu t'es impliqué, tu vois... l'arrivée sur le terrain, c'est extrêmement violent. Alors c'est là que je me dis, ces petites fenêtres qui sont ouvertes, je trouve pas ça inutile, mais après je ne sais pas... l'utilisation de la formation, c'est pas évident." Responsable Ressources Humaines. |
Mis à part quelques cas, les effets de la préparation au départ sur l'expérience vécue sur le terrain apparaissent plutôt décevants. Une fois sur place, le volontaire se met au travail et se trouve très rapidement confronté aux phénomènes décrits dans le chapitre 6, à propos de la phase de projection du processus implicationnel. Bien que s'efforçant, un temps, de garder du recul, il retrouve finalement pris dans l'action, "le nez dans le guidon", et oublie la plupart des résolutions prises avant le départ.
L'ouverture acquise dans le cadre de ces préparations n'est pas négligeable, mais elle ne peut être véritablement validée que dans le cadre d'expériences plus concrètes. Les potentialités de ces formations ne peuvent, selon nous, être véritablement exploitées qu'en étant prolongées sur le terrain. La concrétisation des potentialités de ce dispositif en termes de gestion de l'implication passe, selon nous, par un prolongement plus systématique, capable d'accompagner le volontaire tout au long de son expérience.
La principale recommandation, que nous adressons aux Services Ressources Humaines des trois associations, est d'étendre sur le terrain le dispositif initié lors de la préparation au départ.
Recommandation. Nous pensons que l'AFVP et le SCD auraient tout intérêt à investir, sur le terrain, dans des dispositifs comparables à ceux mis en place dans le cadre des préparations au départ. L'enjeu serait de prolonger ces dernières en accompagnant le volontaire tout au long de son expérience. Il s'agit de l'aider à s'ajuster, en prenant plus particulièrement en charge les phases de confusion. Un tel accompagnement n'accélérerait pas nécessairement le processus implicationnel mais il pourrait éviter qu'il ne s'enlise ou ne dérive, tout en améliorant la qualité de l'ajustement final. L'accompagnement pourrait, par ailleurs, permettre d'orienter le volontaire, de façon plus certaine, vers des formes d'implication discernée. Nous avons, en effet, constaté que c'est souvent face aux difficultés et aux problèmes rencontrés dans son expérience, que le volontaire renonce à intégrer toutes les contradictions et les ambiguïtés de la situation, au profit d'un engagement unidimensionnel plus praticable. Un accompagnement régulier peut permettre au volontaire de prendre du recul, de préciser son positionnement et de développer une vision à la fois plus claire et plus complexe de son projet. L'accompagnement évoqué pourrait suivre une démarche similaire au "counseling", tel que le pratiquent les Anglosaxons et les Nord-Américains dans le cadre, par exemple, de la gestion des carrières. Il s'agit d'entretiens non-directifs dont l'objectif est d'aider la personne à formuler et, ce faisant, à expliciter et conceptualiser sa pensée, ses émotions et ses jugements, favorisant ainsi la prise de conscience (Piaget, 1971) et la réappropriation plus "congruente" de l'expérience vécue (Rogers, 1961). |
Conclusion sur la préparation au départ : la nécessité de poursuivre l'accompagnement ainsi initié tout au long de l'expérience.
La préparation au départ constitue pour les trois associations un moment clé de la gestion de l'implication. Elles arrivent à un moment où le volontaire est particulièrement réceptif. Le travail, effectué au niveau des anticipations, modifie ses dispositions, et peut influer, dans une certaine mesure, sur son expérience, en particulier, au niveau du déroulement du processus implicationnel et des modes de convocations développés.
Les limites de la préparation face à la réalité du terrain. "Est-ce que vraiment c'est utile d'investir autant de temps pour des gens qui partent une première fois ? Est-ce qu'on a besoin de tout leur apporter techniquement avant de partir ? Moi, par rapport à mon expérience, je pense que c'est pas nécéssairement indispensable. Ces formations... je pense qu'on peut faire face sans forcément passer par là. Tu as un message qui est lourd, que tu ne peux pas digérer tant que tu n'a pas connu la réalité d'un terrain... un message que tu as du mal à visualiser... moi je le ressens vraiment comme ça." Responsable de l'encadrement |
Les effets de ce dispositif restent effectivement, en l'état actuel des choses, relativement limités. En effet, c'est sur le terrain que tout se joue. Les potentialités, ouvertes par la préparation au départ en termes de gestion de l'implication, ne peuvent véritablement se concrétiser que si elles s'inscrivent dans un dispositif global se poursuivant au-delà du retour en France.
Le sens des orientations ainsi intitiées peut être amplifié par sa mise en perspective dans le cadre de l'ensemble de l'expérience vécue par le volontaire et de la contribution ainsi mise en place.
Les responsables de l'encadrement sur le terrain accompagnent et appuient techniquement le volontaire, tout en le laissant initier l'action. En vertu des logiques de "l'autonomie conditionnelle" formalisée au début de ce chapitre, ce n'est que lorsque les orientations suivies s'éloignent trop de la ligne établie par l'association, qu'ils sont finalement appelés à intervenir de façon plus directive.
La principale difficulté consiste alors à négocier le sens de cette intervention, de façon à ne pas heurter le principe de "l'engagement moral réciproque". Le responsable peut, par exemple, la qualifier de recadrage et/ou la justifier par les valeurs sur lesquelles s'appuie l'association.
Les possibilités pour le Service Ressources Humaines de l'association de poursuivre, sur le terrain, la gestion de l'implication initiée à l'occasion de la préparation au départ dépend étroitement des dispositions des "responsables terrain". Dans ces conditions, l'un de ses principaux enjeux consiste à les sensibiliser aux contingences de l'implication. Nous recommandons, par ailleurs, l'optimiser des flexibilités ouvertes par l"autonomie conditionnelle" dans le sens d'une responsabilisation plus progressive des volontaires.
3.3.1. Pratiques actuelles.
Certains responsables nous ont fait part des difficultés qu'ils avaient, au départ, rencontrées dans la gestion des volontaires. Habitués à un système d'entreprise, ils avaient du mal à déléguer "autant". L'intégration de ces normes de gestion par ces responsables issus d'autres cultures managériales, passe par le deuil d'une partie de l'autorité à laquelle ils avaient pu prétendre par le passé.
L'un des principaux problèmes, à ce niveau, est que l'autonomie et la délégation sont des enjeux qui se retrouvent souvent en tension avec l'efficacité technique, par ailleurs, visée. Elles impliquent une part de risque (Galambaud, 1988 ; Valéau, 1996, 1997). Dans cette perspective, certains cadres recourant à des pratiques directives peuvent se révèler parfaitement efficaces : les volontaires qu'ils dirigent sont, d'un point de vue strictement technico-économique, très performants. Ils acquièrent, ce faisant, une certaine légitimité, en particulier vis-à-vis des services techniques et opérationnels.
L'équipe Ressources Humaines de MSF tente de faire valoir la dimension humaine et symbolique de l'encadrement. Cet élément l'amène à entrer régulièrement en tension avec le service des opérations, ce dernier valorisant l'action des cadres ayant fait leurs preuves essentiellement dans des domaines techniques ou économiques.
En dehors de ces négociations portant sur le choix des volontaires promus à ces postes, l'une des principales initiatives de l'équipe, à ce sujet, a consisté à mettre en place une formation destinée aux volontaires chargés de l'encadrement. Celle-ci affiche, comme objectif de départ, l'accompagnement de l'expérience d'individus qui n'avaient pas forcément et suffisamment été préparés à cet exercice. Ces derniers ont ainsi l'occasion d'aborder les difficultés pratiques, mais également psychologiques, de ce type de fonction. Au delà de l'aide apportée, l'équipe RH cherche à sensibiliser les participants à un style d'encadrement conforme à la culture de l'association. Le problème reste que, cette formation étant facultative, elle attire essentiellement des individus d'ores et déjà ouverts à ce type de problématique.
Concernant l'AFVP et le SCD, l'encadrement est assuré par des salariés. La différence de statut avec les volontaires permet de tolérer une relation potentiellement asymétrique. Pour MSF, l'autorité de l'encadrement est plus incertaine, dans la mesure où elle est assurée par des volontaires et que le "véritable" pouvoir : le pouvoir légitime réside avant tout dans l'expérience. Partant de là, il s'exerce principalement sur les nouveaux volontaires. Concernant les volontaires expérimentés, le recadrage de ceux dont l'action s'écarte trop des principes de l'association, se fait par l'intermédiaire du groupe.
Dans les trois associations, la situation actuelle se caractérise par une rupture entre les pratiques de gestion actuellement mises en place par les Services Ressources Humaines et celles développées par les responsables de l'encadrement.
Les pratiques du Service Ressources Humaines visent à gérer l'implication des volontaires, elles intègrent la préparation du processus implicationnnel et l'orientation des volontaires vers des formes de discernement susceptibles de leur permettre de prendre en charge les aspects symboliques et politiques de leur futur projet.
La plupart des responsables de l'encadrement privilégient, quant à eux, la réalisation pratique des objectifs du projet. Ils régulent la performance technico-économique des volontaires dans le cadre d'ajustement locaux. Ils confient aux volontaires une autonomie plus ou moins totale et interviennent lorsque celui-ci ne donne pas entière satisfaction.
Des volontaires ayant acquis un capital confiance inattaquable. Effectivement, il y des gens qui sont repartis dont on savait qu'ils avaient des comportments inadmissibles. On le savait on ne leur disait rien parce qu'ils avaient un capital confiance inattaquable. Ce capital confiance était technique, pas relationnel. responsable RH |
Exclusivement ou principalement évalués sur leurs performances technico-économiques, les volontaires développent des performances symboliques et politiques relativement contrastées, ces dernières n'étant, au regret des Responsables Ressources Humaines, pour ainsi dire pas gérées. Seuls les cas les plus problématiques, comme par exemple lorsque le personnel local se met en grève peuvent faire l'objet d'interventions directives.
3.3.2. Analyses et recommandation : association des responsables à l'accompagnement du processus et mise en place d'une reponsabilisation plus progressive.
Recommandations. Nous préconisons l'inclusion des pratiques liées à l'encadrement des volontaires sur le terrain dans le cadre d'une Gestion des Ressources Humaines plus globale, intégrant les contingences de l'implication et des aptitudes émergeant de son processus. L'approche en terme d'implication permettrait dans cette perspective, de faire les liens entre le processus implicationnel et les différents registres de la performance du volontaire : la place qu'il trouve à travers les relations qu'il établit avec ses différents interlocuteurs orientant le sens que ces derniers peuvent donner au projet et détermine l'acceptabilité des objectifs réalisés. Nous recommandons dans cette perspective la conjugaison de l'accompagnement du volontaire et d'une responsabilisation progressive. 1. Nous préconisons tout d'abord la poursuite de l'accompagnement du processus implicationnel, initié à l'occasion de la préparation au départ, sur le terrain. En effet, c'est face l'expérience proprement dite que se révèlent les orientations implicationnelles du volontaire. La sensibilisation des responsables aux caractéristiques des différentes phases qui jalonnent ce processus peut permettre un encadrement adapté ; 2. Dans cette perspective, il nous apparaît plus utile d'orienter "l'autonomie conditionnelle" dans le sens d'une responsabilisation progressive du volontaire. Au lieu de lui confier, dès le départ, l'intégralité des responsabilités relatives au projet et d'intervenir en fonction des difficultés rencontrées, nous préconisons une délégation progressive prenant en considération les aptitudes au "discernement" émergeant du processus implicationnel. La formalisation des responsabilités ainsi introduites par le Service Ressources Humaines à propos des fonctions d'encadrement pourrait, ce faisant, insister sur la nécessité d'élargir les conditions en fonction desquelles les responsables régulent l'autonomie accordée, aux aspects symboliques et politiques de la performance du volontaire. |
L'explicitation du processus implicationnel et sa diffusion au sein de l'association peut, selon nous, contribuer à une meilleure compréhension de ce que vit le volontaire et favoriser une gestion plus adaptée aux différentes phases. Un accompagnement, plus personnalisé, contribuerait certainement à un meilleur processus, mais il s'agit, par ailleurs, d'éviter que les responsables de l'encadrement ne commettent trop de "maladresses" à l'encontre de volontaires qui, traversant une phase de confusion, se trouvent plus ou moins fragilisés. Au delà, ils restent les mieux placés pour alerter les personnes compétentes, lorsqu'un volontaire donne des signes de "fatigue".
La formalisation des aspects symboliques et politiques de la contribution visent, quant à elle, une approche plus globale de la contribution et permettrait de mieux percevoir les liens entre le processus implicationnel et le développement du projet. Le développement du projet dépend du degré d'acceptabilité du sens induit par le volontaire à propos des réalisations technico-économiques du projet. Même si ces aspects sont plus difficiles à objectiver, il nous semble ainsi utile de les réintroduire.
"L'autonomie conditionnelle" présente, dans la perspective d'un accompagnement du processus implicationnel et dans l'optique d'un encadrement des différents registres de la performance du volontaire, des potentialités inutilisées. Actuellement cantonnée à des interventions visant à corriger les erreurs commises, nous préconisons une délégation adaptée et flexibilisée en fonction des différentes étapes du processus. En effet, suivant les phases, le volontaire se trouve plus ou moins capable d'assumer l'autonomie qui lui est proposée.
La phase de projection amène le volontaire à commettre de nombreuses erreurs. L'encadrement consiste alors à trouver un équilibre entre l'utilité de laisser le volontaire apprendre de ses erreurs et la nécessité d'assurer la pérennité du projet.
Durant la phase de confusion, le volontaire n'est plus en mesure de prendre des décisions. Il s'agit alors, soit de réduire les exigences et d'attendre que le volontaire se réajuste, soit de l'encadrer de façon rapprochée en définissant précisément ce qu'il doit faire.
L'accompagnement, durant la phase de confusion, demanderait, par ailleurs, un appui psychologique dont une partie pourrait être prise en charge par les responsables de l'encadrement. Il ne s'agit pas de tous les former à la psychologie, mais de les sensibiliser aux difficultés de cette phase, tout en la définissant comme normale. Partant de là, un peu de "bon sens" et de bienveillance peuvent suffire à aider le volontaire. Un accompagnement plus approfondi pourait, par ailleurs, être mis en place par une personne "ressource", susceptible, d'autre part, de conseiller l'encadrement.
L'accompagnement du processus implicationnel pourait ainsi être poursuivi sur le terrain, mais il ne s'achève pas avec l'arrivée à terme de l'engagement du volontaire. Il apparaît, en effet, essentiel de le prolonger encore quelques temps après son retour en France.
L'AFVP et le SCD ont, de longue date, mis en place des sessions de retour. Concernant MSF, elles sont devenues plus systématiques avec l'institution du "nouveau" Service Ressources Humaines, celui-ci ayant, peu à peu, réussi à sensibiliser les autres services à l'importance de cette étape. Cet accompagnement du retour constitue, à notre avis, une phase essentielle à l'achèvement du processus implicationnel mené durant l'expérience volontaire, ainsi qu'une préparation au processus d'ajustement à la vie occidentale, que va devoir effectuer le volontaire.
3.4.1.Les enjeux du "retour".
Retarder le retour. "Certains prolongent, je pense surtout par souci du retour, ils prolongent pour rester sur la mission parce qu'ils veulent retarder le retour." Volontaire |
Le retour est un moment que redoutent la plupart des volontaires. Beaucoup se sont, finalement, épanouis et craignent de ne pas savoir bien se réadapter à la France. Au départ, la difficulté est d'ordre pratique : il s'agit de se réinstaller et de retrouver un travail. Le pécule de retour permet de subvenir à ses besoins durant quelques mois, mais compte tenu de la situation de l'emploi en France et du caractère marginal de leur expérience, il leur est difficile de trouver une activité salariée, avant que ne s'épuise cette ressource.
Des volontaires qui se révèlent. "Non, mais il y a des gens qui se révèlent. On se retrouve avec des gens chez nous qui se découvrent des capacités qu'ils n'avaient pas imaginées. C'est frappant surtout chez les logisticiens et les infirmiers : les infirmiers qui ont choisi cette voie à dix-sept ans qui ont parfois même pas été jusqu'au bac et qui ont fait trois ans d'études et qui ont travaillé pendant deux ans. Si ils viennent nous voir, c'est qu'ils sont un peu insatisfaits du fonctionnement du monde de l'hôpital, c'est qu'ils trouvent que c'est répétitif, qu'on ne donne pas assez de responsabilités, que la hiérarchie est lourde. Et c'est ces gens là qui trouvent chez nous de quoi s'exploser. On a des gens qui après deux missions avec nous, on leur donne des responsabilités de la gestion d'un pays avec 20 expatriés, avec plusieurs millions de francs d'engagement, la représentation d'MSF dans un pays. C'est des gens qui d'ailleurs se révèlent souvent très bons. C'est ceux qui ont en plus, pas les compétences parce que c'est pas des acquis, mais ils savent bien s'adapter à ce genrte de situation, ils vont progresser énormément. Responsable Ressources Humaines |
La plupart des volontaires ont pu, à l'occasion de cette expérience accéder à des responsabilités bien supérieures à celles auxquelles ils peuvent prétendre à leur retour en France. Ils développent ainsi des aspirations qui restent concretement difficiles à satisfaire en dehors du contexte de ces associations.
Mais, au delà de ces difficultés matérielles et de ces frustractions, les principales difficultés du retour restent, selon nous, d'ordre psychologique. Lorsque tout se passe bien, le volontaire finit par s'ajuster à la situation, reconstruisant un équilibre satisfaisant. Le processus qui l'a mené à cet ajustement, l'a, par ailleurs, et dans la plupart des cas, profondément transformé. D'une façon générale, cette expérience tend à modifier sa vision du monde et sa façon de se définir par rapport à lui.
L'expérience modifie aussi l'identité du volontaire, celle-ci touche à sa personnalité mais reste souvent intimement liée à la situation. Comme le souligne Nuttin (1965), notre personnalité est inséparable de l'environnement dans lequel elle s'inscrit. Le volontaire doit donc réajuster sa personnalité, de façon à se reconstruire une identité par rapport à son ancienne situation. Il ne pourra pas, de toute évidence, reprendre la place qu'il occupait auparavant : son entourage et lui ont évolué dans des directions différentes et la relation est en grande partie à reconstruire.
Les volontaires témoignent tous des sentiments d'isolement et d'étrangeté, qu'ils éprouvent lorsqu'ils rentrent en France. Leurs amis ont changé et leurs points communs ne sont plus toujours aussi nombreux. Seuls les intimes peuvent réduire la distance qui les sépare. Cette distance réside dans l'expérience que vient de vivre le volontaire et que les autres ne peuvent pas partager. Seules les personnes, ayant vécu une expérience du même ordre, sont en mesure de véritablement saisir son discours.
Le volontaire a grand besoin de témoigner : de dire ce qu'il a fait et surtout ce qu'il est ainsi devenu. Mais il se trouve rapidement frustré par le manque d'intérêt que lui témoignent les autres. Pour eux, ce qu'il décrit reste très abstrait. Le volontaire se sent ainsi différent et incompris.
De ce fait, l'un des enjeux de la gestion du "retour" consiste à écouter le volontaire. Soit, comme MSF, dans le cadre d'un entretien ; soit, comme l'AFVP et le SCD, dans le cadre d'activités pédagogiques, du même ordre que les préparations au départ. Dans cette perspective, elles prennent quelque peu la dimension des bilans de compétences. Il s'agit de permettre au volontaire d'expliciter, de mettre en forme et de rendre signifiante, une expérience désormais passée, pour finalement l'intégrer comme telle.
Cet exercice ne peut être séparé d'un autre consistant, pour le volontaire, à se projeter dans un avenir différent. Le sens de l'expérience réside dans ce qu'elle va devenir, dans la façon dont elle va se prolonger dans cet autre contexte. Elle a, bien entendu, une valeur en soi, mais ce que l'individu en retire dépend, en grande partie, de ce qu'il veut faire à présent. C'est ainsi qu'il faut, entre autres, l'amener à se repositionner par rapport à la société et aux autres, afin de déterminer la place qu'il souhaite, à présent, occuper. Le volontaire doit reconstruire une identité, dans un environnement qui lui apparaît souvent ordinaire et ennuyeux, au regard de ce qu'il a vécu.
Au delà de la formulation d'anticipation reliant cette expérience à un autre avenir, l'association doit, et c'est ce qu'elle propose au volontaire, être là en tant que repère, en tant qu'interlocuteur disponible pour écouter ses difficultés et l'aider à se réinsérer. Peu de volontaires osent cependant, ainsi, la solliciter.
Concernant MSF, la durée, relativement courte, des missions fait que le processus n'est pas forcément achevé. Le cas de l'urgence se prête à cette courte durée, dans la mesure où, compte tenu de l'intensité de la situation, les phases de confusion et d'ajustement se réalisent, en général, au retour. Le SRH oblige le volontaire à passer par ses bureaux afin d'éviter qu'il ne reparte sans avoir "débriefer" son expérience.
Dans le cadre du développement, le volontaire a tout juste le temps de s'ajuster que l'expérience est déjà achevée. En fait, il faut envisager l'expérience du volontaire sur plusieurs missions, avec des processus cumulatifs aboutissant à un positionnement par rapport à un type de mission donné. La durée des missions de développement MSF nous semble trop courte : le processus implicationnel demande plus de temps, les volontaires n'ont pas le temps d'intégrer l'implication ajustée.
Pour le SCD, le retour fait partie intégrante de l'expérience. Il invite le volontaire à réfléchir sur le sens que prend cette expérience dans sa vie, et ce, dès la préparation au départ.
La plupart des volontaires revivent un processus d'implication semblable à celui effectué en Afrique. Après une phase de confusion plus ou moins longue, ils finissent par accepter la situation et s'y ajustent. Certains laissent leur expérience derrière eux. Elle leur aura permis de mûrir un peu mais elle n'aura pas changé leur vie : le volontariat n'était, pour eux, qu'une parenthèse et leur vie est toujours restée en France avec un projet de carrière qu'ils reprennent sans difficultés.
D'autres sont partis sans penser au retour et se retrouvent en France sans vraiment savoir quoi faire. Ils se sentent souvent étrangers à la société française. Ils trouvent leur vie "ici" médiocre et restent pendant longtemps nostalgiques de ce temps passé. Tous les anciens volontaires que nous avons rencontrés tendent à idéaliser cette expérience. Un peu à la façon des anciens combattants, certains resteront toute leur vie d'anciens volontaires. Cette expérience restera à jamais inscrite dans leur identité sociale mais aussi dans leur cognition : l'Afrique constitue un paradis perdu au regard duquel la vie en France leur apparaît, irréversiblement, bien fade.
Beaucoup, ne parvenant pas à s'épanouir en France, repartent le plus longtemps possible. Ils cherchent à faire carrière dans l'humanitaire. Mais le fait de repartir ne fait qu'accentuer la désadaptation au contexte français. Après quelques années, ils sont tout simplement incapables de vivre ailleurs et autrement qu'en Afrique. C'est ce que décrivent les salariés expatriés : ils sont dépendants de l'association et se sentent incapables de vivre en dehors.
Certains s'en sortent en devenant coopérants, ou en travaillant en expatriation, dans des entreprises. Certains s'épanouissent et finissent ainsi leur vie. D'autres, ne parvenant pas à trouver un travail stable, acceptent des petits boulots leur permettant à peine de vivre.
Une dernière catégorie de volontaires, enfin, décide d'investir les ouvertures, acquises dans le cadre de leur expérience, en France. Ils intègrent d'autres associations, en cherchant à transposer les dispositions qu'ils ont développées. Ceci constitue l'une des concrétisations des projets de l'association. Ils participent au changement de la société. L'engagement, développé dans le cadre de cette expérience de volontariat, est en quelque sorte transcendé, sublimé. Il est réinvesti alors dans le cadre d'un positionnement plus large, intégrant comme référentiel, l'Environnement et l'Autre.
3.4.2. Vers une actualisation de maturité acquise.
Au niveau des trois associations étudiées, les responsables ont parfaitement compris l'importance d'opérer un retour dans le cadre de l'expérience du volontaire. De sa qualité, dépend la possibilité pour le volontaire de capitaliser et d'intégrer de façon plus ou moins définitive la maturité acquise au cours des mois ou des années qui viennent de s'écouler.
En effet, le développement de sa personne, qui a pu résulter du processus, reste au départ largement dépendant de la situation dans laquelle il s'est réalisé. Le volontaire se trouve, après des difficultés plus ou moins importantes, adapté à son contexte. Il est "dans son élément".
L'enjeu du retour est de pouvoir en quelque sorte universaliser les qualités développées. Il s'agit pour cela de rompre avec l'expérience, de sevrer le volontaire afin qu'il puisse réintégrer un contexte plus conventionnel.
Le travail à effectuer est au moins aussi complexe que la préparation au départ. Il s'agit, pour le volontaire, de faire la part des choses entre ce qu'il est devenu, et ce qui relevait de son rôle de volontaire. Il doit pour cela abstraire les modes de fonctionnement qu'il avait adoptés, et explorer comment son implication pourrait s'exprimer dans d'autres situations.
Le SCD adopte, dans cette perspective, une approche, dès le départ, relativement générale. Il invite les volontaires à se positionner en termes de rapport à l'autre. A partir de là, l'expérience volontaire n'apparaît plus que comme un cas particulier de l'expérience.
Les concepts de la gestion des ressources humaines peuvent ici être mis à contribution. L'approche mise en place peut s'apparenter à la démarche du bilan de compétences, explorant les compétences acquises et leur transférabilité à d'autres domaines. Il en va de même au niveau des aspirations et des qualités humaines. L'idée de bilan nous semble particulièrement appropriée dans la mesure où le volontaire sait faire des choix déterminants, s'apparentant à ceux que doit faire un salarié en période de chômage.
Ce travail n'est pas toujours reconnu par l'association dans la mesure où il ne contribue pas à sa performance sur le terrain. Les responsables Ressources Humaines ont cependant à coeur de le mener à bien. Ils y voient l'opportunité de consolider les valeurs ajoutées aux ressources humaines dont ils ont la charge. La recherche-action leur a, dans cette perspective, permis d'assumer cette activité comme une contribution attribuable à l'association.
Cette activité finale peut être l'occasion, pour les Service Ressources Humaines, de réaffirmer leur identité et leur spécificité. Elle constitue l'expression d'un projet spécifique.
L'identité ainsi affirmée pourrait aboutir sur un projet global intégrant les multiples registres de la performances du volontaire et les différents aspects de son expérience comme les aspects de phénomènes réunis et articulés en termes d'implication.
Le développement et la concrétisation de ce projet passent par la conjugaison d'action située sur les trois registres retenus:
- une diffusion de représentations donnant un sens à l'expérience ;
- des stratégies politiques visant à impliquer les responsables de l'encadrement ;
- de formaliser à travers des outils concrets les phases et les aspects retenus.
La notion de projet permet au Service Ressources Humaines, de mobiliser ses ressources vers des objectifs constitués sous la forme d'un système plus cohérent. Au delà de ce qu'elle peut apporter à l'existence et au développement du service lui-même, une telle démarche contribue, conformément aux aspirations exprimées par nos interlocuteurs, à gérer plus et à mieux gérer l'expérience et la contribution des volontaires, notamment certains aspects symboliques et politiques jusque-là négligés.
Conclusion : pour une responsabilisation progressive.
Les questions opposant les Services Ressources humaines aux autres services portent, pour la plupart, sur la définition des priorités entre tour à tour la réalisation technico-économique des projets de développement, la prise en considération des aspects symboliques et politiques des contributions ainsi produites et la gestion de l'expérience vécue par les volontaires. Nos interlocuteurs regrettent en effet que les responsables des autres services et ceux chargés de l'encadrement ne se soucient pas plus des deux derniers enjeux et limitent leurs exigences à l'égard du volontaire à la réalisation des objectifs, le plus souvent quantitatifs, du projet..
Leur volonté de faire valoir les dimensions qualitatives et humaines des projets de développement menés par les volontaires se trouve malheureusement "bridée" par les difficultés qu'ils rencontrent pour formuler des positions, et au delà un projet, clair et cohérent.
Ils ont en effet beaucoup de mal à situer précisément où commencent et où s'arrêtent les responsabilités respectivement attribuées au volontaire et à l'association. Ils souhaitent, bien évidemment, responsabiliser le volontaire mais gardent par ailleurs, en mémoire des contre-exemples notoires à propos desquels ils jugent que l'association aurait dû intervenir.
Ces dilemmes trouvent en partie leurs origines dans l'ubiquité de l'objet social : la dualité entre réalisation des projets et formation des volontaires ainsi que dans le sens d'un "engagement moral réciproque" partagé entre les logiques professionnelles du salariat et les vocations du bénévolat.
Bien que n'ayant pas jusqu'à présent abouti à des arbitrages précis et durables, nos interlocuteurs expriment à travers ces préoccupations des orientations susceptibles de marquer leurs pratiques. Ils se doivent, en effet, en dépit de ces incertitudes, de continuer à agir. C'est ainsi qu'ils s'efforcent, à travers le recrutement, la préparation au départ et l'accueil des volontaires au retour, de faciliter la réalisation du processus implicationnel et d'orienter les formes qui en émergent vers un discernement plus profond. Nos interlocuteurs tentent, par ces pratiques, d'atténuer les difficultés associées à certaines phases de ce processus, tout en réduisant les risques de dérives susceptibles d'amener le volontaire à des orientations symboliques et politiques incompatibles avec le projet de l'association. Ces dernières ne sont, en dehors de cette prévention, pas ou peu gérées par les responsables de l'encadrement.
L'analyse des pratiques effectuées dans la troisième partie de ce chapitre intégrait au départ, les champs d'opportunités et les contraintes perçues par les Responsables Ressources Humaines.
Considérant le caractère imprévisible des formes d'implication développées à partir de celles présentées par le volontaire au cours des entretiens de recrutement, nous avons mis en valeur l'accompagnement du processus implicationnel initié durant la préparation au départ. Nous avons cependant tenu à souligner les limites de ce travail face à la force de l'expérience par la suite vécue par les volontaires.
Au fur et à mesure que nous relevions les limites d'une action se cantonnant à des moments situées en dehors de l'expérience proprement dites, nous avons élargi les cadres de références dans lesquels nos interlocuteurs avaient pu jusque là envisager les réponses à leurs préoccupations concernant les responsabilités du volontaire.
Le passage par l'analyse des aspects cognitifs de l'expérience vécue par le volontaire effectué dans la deuxième partie de cet exposé nous a permis de formaliser les contingences de l'implication sous la forme d'un processus duquel émergent des formes mieux ancrées, plus réalistes et plus complexes, intégrant des modes de convocation plus opérationnels. Parmi ceux-ci, nos interlocuteurs semblent privilégier le "discernement". En effet, seuls les volontaires empruntant ce mode sont en mesure de proposer des arbitrages susceptibles d'intégrer simultanément la diversité des enjeux en présence.
Nous retenons, en particulier, de cette analyse le fait qu'en dehors des variables individuelles, les qualités du volontaire en termes de "discernement" semblent, au delà de la stagnation caractérisant la phase de projection et des régressions associées à la phase de confusion, directement liées à la réalisation de ce processus.
Partant de là, l'ensemble de nos recommandations reposent sur une actualisation des cadres de références dans lesquels sont pensées les pratiques de Gestion des Ressources Humaines, intégrant une approche contingente des responsabilités que le volontaire est en mesure d'assumer.
Plutôt que de chercher, dès le départ, à amener les volontaires à des niveaux de responsabilité une fois pour toute établis et à recourir, le cas échéant, à des pratiques directives, nous croyons souhaitable d'indexer ces exigences aux aptitudes de ces derniers. Les réponses que nous apportons dans le cadre de cette recherche font ainsi valoir un partage des responsabilités ajusté en fonction du discernement que développe le volontaire au fur et à mesure du processus implicationnel.
"L'autonomie conditionnelle" ouvre, dans cette persective, des flexibilités encore inexploitées. En marge des garanties qu'elle procure sur le plan de l'efficacité technico-économique, elle pourrait devenir un instrument permettant d'ajuster l'autonomie accordée par rapport aux besoins pressentis. Relativement soutenu au cours des premiers mois, particulièrement serré durant la confusion et par la suite plus épisodique, l'encadrement serait, suivant nos recommandations, fonction des phases du processus.
Concernant l'accompagnement du processus implicationnel, les techniques que nous suggérons se référent aux travaux de Rogers (1961), notamment les techniques d'entretiens dont s'inspirent les dispositifs de "counseling" développés par les Anglo-Saxons et les Nord Améaricains.
Il s'agirait de permettre au volontaire de prendre conscience des différentes phases qu'il traverse. L'accompagnateur pourrait, dans cette perspective, l'aider à clarifier la façon dont il se positionne par rapport au projet et à la situation en général. Pour ce faire, il pourrait lui faire prendre conscience des modes de fonctionnement qu'il développe en situation. Il pourrait notamment inviter le volontaire à expliciter la manière dont il convoque les engagements qui composent son implication, tout en le sensibilisant aux autres formes possibles. D'une façon générale, l'enjeu de ce dispositif consisterait à amener le volontaire à discerner et arbitrer la façon dont il construit le projet et gère son propre développement.
La conjugaison de "l'autonomie conditionnelle" et de l'accompagnement du processus permet une gestion du volontaire s'adaptant aux contingences de l'implication et, au delà, s'appuyant sur elles dans le cadre d'une responsabilisation progressive.
Les investissements qui pourraient ainsi être effectués se justifient notamment par l'importance des liens existant entre le développement du volontaire et la réussite du projet. En effet, c'est à travers les relations que la personne établit avec son environnement que se construit la réalité de ce dernier. Finalement, le processus à travers lequel le volontaire trouve sa place et la construction du projet nous apparaissent inséparables.
Nous faisons ainsi valoir les profits envisageables au niveau de la réalisation des objectifs, mais aussi, et surtout, au niveau des aspects plus qualitatifs, symboliques et politiques, du projet. Nous soutenons l'idée que les dérives paternalistes, autoritaristes et racistes, à l'origine du mécontentement des populations, sont le plus souvent liées aux difficultés que rencontre le volontaire pour se situer dans un environnement mal cerné. Nous interprétons une partie de ces comportements comme des stratégies défensives.
Au delà de ces préconisations, nous pensons que, quelles que soient les difficultés pratiques rencontrées, quelles que soient les contradictions et les ambiguïtés introduites et quelles que soient les résistances des autres acteurs, les Responsables des Ressources Humaines se doivent de persévérer dans leur volonté de sensibiliser les autres services à la dimension humaine des projets, en militant notamment pour :
- un soutien visant à aider les volontaires à surmonter les difficultés pratiques et psychologiques qu'ils peuvent rencontrer ;
- une évaluation des registres symboliques et politiques de leur performance visant à garantir les intérêts et le respect des partenaires, notamment les populations.
Il nous semble en effet que, compte tenu des objectifs et des valeurs affichés dans le cadre de son objet social, nos interlocuteurs contribuent à l'intégrité de l'association.
Notre dernière recommandation consiste ainsi à les inviter à assumer les spécificités de leur projet et l'utilité de faire valoir, en marge des obligations officielles qui les lient aux autres services, les enjeux auxquels ils sont attachés. Dans cette perspective, la maturité vers laquelle ils s'efforcent d'amener les volontaires constitue une valeur ajoutée dont ils peuvent se prévaloir : elle contribue aux différents registres de la performance des volontaires, favorise leur développement psychologique et profite aux communautés vers lesquelles, à termes, ils retourneront.